Francophonies en Limousin 2017/Violence(s) de Jalila Baccar / Body Revolution de Mokhallad Rasem

 

 violence

Violence(s) de Jalila Baccar, mise en scène de Fadhel Jaïbi (en arabe, surtitré en français)

« Un terrible constat : la révolution tunisienne, par beaucoup d’aspects, au lieu de porter l’espoir, a engendré peurs inédites, angoisses, dépressions, gestes désespérés, violences multiples au quotidien, voire crimes atroces. Pourquoi, par milliers, des jeunes gens se sont-ils jetés dans la mer pour gagner «le monde libre» ? Pourquoi tant de suicidés ( … ) Pourquoi tant de vols,  braquages,  saccages, viols, meurtres, homicides, et en progression exponentielle? » Violences s’annonce sous ces sombres auspices.

En prise directe sur la société tunisienne, la compagnie Familia Prod s’est faite le sismographe, spectacle après spectacle, des soubresauts qui agitent son pays. Amnesia (2011) anticipait la chute d’un dictateur. Et dans Tsunami, en 2013 (voir Le Théâtre du blog ), Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi craignaient la montée en puissance  d’une «théocratie fascisante» ; il n’en fut rien mais, pour eux, l’après « printemps tunisien » n’annonce pas forcément  des lendemains qui chantent. Plutôt un monde chaotique traversé par une violence sous-jacente qui explose dans une série d’actes, passés au crible de la plume habile et labile de l’auteure.

 Nous voici plongés dans un monde en noir et gris: le décor dépouillé de Fadhel Jaïbi. En ouverture, une jeune femme se glisse, hésitante sur le plateau nu. Seule. Un silence interminable s’installe quand elle avance prudemment, recule, puis sort et revient. Un mouchoir sur le nez, Lobna Mlika qui joue son propre personnage, suffoque : elle vient de pénétrer-on le comprend bientôt-dans les geôles de la République tunisienne, pour rendre visite à Fatma, détenue pour le meurtre de son mari.

 Sous le regard muet de Jalila Baccar  (ou plutôt de son double cauchemardé, ébouriffé et livide), Fatma Ben Saidane  (c’est aussi le nom de l’actrice), hagarde et en haillons, dialogue avec sa visiteuse: elle ne se souvient plus de rien.

Séquence après séquence, les détenus, hommes et femmes, errent comme des ombres devant le haut mur gris en fond de scène où, au milieu, un couloir s’enfonce au cœur des ténèbres. Quelques bancs, une table meublent ce lieu tour à tour parloir, cave de torture ou salle d’audience. S’y énoncent des crimes plus atroces les uns que les autres. L’un a tué son amant, l’autre, sa mère, un autre encore a violé une voisine…

 La structure fragmentée de la pièce où les drames s’accumulent et se mêlent, reflète la confusion d’êtres déboussolés qui avouent leur crime, sans en élucider le pourquoi et, souvent, sans avoir les mots pour le dire. Où est leur humanité dans cette avalanche de faits divers ?

Ces lycéens, qui ont défenestré leur enseignante puis se sont acharnés sauvagement sur elle, ont oublié les mots d’Albert Camus : «Un homme, ça s’empêche».  La violence qui s’exerce dans la sphère privée et familiale trouve son apogée dans les attentats terroristes. «Un homme, ça s’empêche de laisser surgir la bêtes immonde en lui» : la phrase revient comme un leitmotiv en contrepoint de ces horreurs.

 Créé au Piccolo Teatro de Milan, en septembre 2015, ce spectacle courageux va à l’encontre de la bonne parole et explore une société en pleine dépression, à l’instar de la nôtre. «Mais, au-delà de l’explication culturelle, sociale, économique, politique, psychiatrique…, n’y a-t-il pas un grand mystère, un trou noir insondable lié au « passage à l’acte » ? », s’interrogent Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi  qui dirige, depuis 2014, le Théâtre National Tunisien et son école.

Une question brûlante qu’ils portent à la scène de façon magistrale, servis par la troupe du Jeune Théâtre national tunisien. Les comédiens, très expressifs, engagent leur corps entier. D’autant qu’ils ont donné leur nom aux personnages qu’ils incarnent et se projettent en quelque sorte en leur double criminel. L’auteure elle-même, jongle avec cette double identité, et compose sur scène une figure étrange et singulière.

La pièce s’est élaborée à partir d’improvisations mais, une fois de plus, l’écriture de Jalila Baccar, tantôt puissante et incantatoire, tantôt laconique, nous emporte, relayée par la mise en scène, au-delà du réalisme, dans un théâtre de la cruauté. Un spectacle étouffant mais où des pointes d’humour (noir) apportent quelques respirations salutaires. Les quelques rires s’étouffent. Mais  on n’en sort pas indemne… car, ne nous voilons pas la face, réfléchir à la violence est devenu, partout, une nécessité.

Mireille Davidovici

Spectacle vu à Bonlieu/Scène nationale d’Annecy le 19 octobre.

 le 29 septembre aux Francophonies en Limousin à Limoges . T: 05 55 32 44 20.

La Révolution des corps  ( Body Revolution)  de Mokhallad Rasem

Le jeune metteur en scène venu d’Irak où il ne peut plus exercer son métier, s’est installé à Anvers, accueilli par le théâtre Toneelhuis, dirigé par Guy Cassiers. Un espace pour créer et diffuser ses spectacles.

Il nous offre ici une courte pièce, utilisant la vidéo avec talent et créant un univers plastique original. Elle a déjà parcouru le monde, mais n’a jamais été présentée en France.
Trois hommes sortent d’un grand rideau blanc tendu en travers du plateau, où sont projetées images de guerre, ruines, chaos, et livres réduits en cendres…
Les personnages surgissent de ces images dans une chorégraphie soigneusement réglée, tombent puis se relèvent en silence devant nous, tandis que leurs doubles, sous forme de photos ou de films  incrustés dans les images, parcourent maisons écroulées et rues désertes, comme des fantômes surréels. La bande-son diffuse le souffle d’un vent mauvais.
Les images parlent, les corps aussi mais sans commentaires et tout en pudeur, nous touchent profondément.

M.D.

le 29 septembre aux Francophonies en Limousin ✆0555324420


Archive pour septembre, 2017

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières

 

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières

 

©Benoit Schulz

©Benoit Schulz

Dans cette capitale mondiale des arts de la marionnette, l’esprit « marionnette » bat son plein. Avec des rues pleines de familles du cru très concernées,  et de passionnés seuls, en couple ou en bande. Programmateurs, gens du métier, nationaux et internationaux  viennent aussi découvrir les créations en cours et faire leur marché… Les rues du centre de la ville, et les quartiers proches de la majestueuse Place ducale, les abords encore de Mézières, et non loin des rives de la Meuse, près du Mont Olympe, mais aussi les moindres salles et gymnases, bibliothèques, ruelles et cours: ici tout vit d’une belle effervescence créative.

 After Tchekhov par la compagnie Samolœt, mise en scène  d’Anna Ivanova-Brashinskaïa.

A la médiathèque Voyelles, le public dès quatorze ans a pu apprécier After Tchekhov, un spectacle à trois comédiennes, rappel des Trois Sœurs du grand maître russe. Portant de lourds manteaux qu’elles quittent et plient à terre avant de les  remettre plus tard, vêtues de robes noires à petit col de dentelle qu’elles s’empressent de bien arranger, ces figures féminines tchékhoviennes n’échappent pas aux poncifs.

Endormissement et rêves, petites poupées minuscules étrangement manipulées : doubles miniaturisés d’elles-mêmes à l’extrême, telles des fillettes disparues  de la mémoire à jamais.  Reste un puits de mélancolie et de passé douloureux. Elles portent de petits lits d’enfants en fer forgé, fenêtres de leur âme qu’elles plient et déplient à volonté, tableau, miroir, cadre,  et mobilier de poupée. L’inspiration d’After Tchékhov est juste mais sans surprise dans la manipulation des objets, et présente un échantillonnage trop attendu de lieux communs.

 A2pas2la porte par le collectif Label Brut

 A2pas2laporte, cette deuxième partie tout public dès cinq ans d’un triptyque initié par Mooooooooonstres présenté au festival 2013, qui confrontait les enfants aux bêtes hantant leur endormissement. Le spectacle a pour protagoniste, un garçon esseulé qu’effraient l’espace du dehors et de l’étrangeté extérieure. S’impose au regard du spectateur, le décor d’une immense paroi claire, fragile et transparente, que scelle une porte fermée. A jardin, se terre ce garçon recroquevillé au bas d’une fenêtre, épiant dans la peur, les klaxons de voitures et les moindres passages de véhicules à moteur mais aussi les pétarades des feux d’artifice.

 Il y a aussi les mouvements silencieux de voiles de rideaux, d’ombres devinées ou inventées qui s’essayent au jeu des doubles et des reflets, et de courants d’air et sacs en plastique vivants : le héros ne veut pas sortir pour aborder le monde mais s’entraîne à vouloir être plus fort, et l’enfant (Laurent Fraunié), refuse aveuglément de grandir. Etonnant de feu et de flamme, bougeant sans répit pour échapper à l’inquiétude qui le terrasse, se posant les bonnes questions et y apportant des réponses matures qui, pourtant, ne le délivrent pas tout de suite d’une angoisse dévastatrice. Avec imagination et intensité, le comédien montre une vraie générosité pour diffuser les expériences de son cheminement intérieur qui le mèneront heureusement à la réalisation de soi…

 Les Folles par la compagnie La Muette

 Delphine Bardot, l’une de ces folles, silencieuse et patiente dans son atelier de couture, joue avec les accessoires qui tournent naturellement, ainsi la bobine de fil qui se dévide quand la machine  à coudre fonctionne, ou bien le petit napperon ou fichu que l’on brode à la main, image du cycle de vie amorçant encore un nouveau tour du Temps, comme la terre qui nous porte.

 S’amusant de son fichu, l’interprète se masque et présente son existence à l’envers : d’un côté, une jeune mère travailleuse qui brode et coud pour survivre, et de l’autre, une femme du peuple qui s’associe à ses sœurs de combat pour dénoncer les tyrans. Ces femmes semblables, obligées de s’intégrer à une vie sociale et collective, portent en même temps les stigmates cachés et intimes d’avoir perdu un être cher. Les souvenirs de leurs disparus prennent consistance, et la femme endeuillée transcende sa douleur personnelle pour épouser la force véhémente du collectif.

 Après Point de Croix, Silencio es Saluda -un volet qui correspond à la part masculine de ce projet-est interprété par Santiago Moreno. Un jeune Argentin, immigré en Europe, musicien et manipulateur, s’engage dans une enquête documentaire et essaye aujourd’hui d’explorer le contexte politique de ces années sombres. Il s’empare des archives de l’époque, et  les donne à voir ou revoir au public sollicité. Militaires rigides, portraits des jeunes gens disparus: la Plaza de Mayo, portant les traces vivantes de la résistance, est filmé, hier et maintenant.

 Symbole du cycle éternel, le disque vinyle tourne à n’en plus finir sur un tourne-disque énigmatique qui dit les slogans des manifestants. Ombres et sons répertoriés, les signes de l’énergie de la mémoire s’accumulent. Un travail soigné, rigoureux et motivé par une grande exigence d’art et de morale.

 R. A. G. E. par la compagnie Les Anges au plafond.

  Romain Ajar Gary Emile, les premières lettres des noms et prénoms d’un seul homme qui en parait deux, donnent  le titre du spectacle conçu par Camille Trouvé et Brice Berthoud. La vie et l’œuvre de Romain Gary, passionnantes, font, comme le souhaitait sa mère du petit Romain, «œuvre d’art ». On voit de belles images vidéo d’elle et de son enfant en marionnettes, traversant la Pologne  d’autres pays de l’Est et interrogeant leurs habitants et leurs coutumes.

Peu à peu, le spectacle laisse place au théâtre seul  et les excellents marionnettistes portent plus maladroitement les textes à dire. L’ensemble, trop long, reste un peu chaotique, entre figures comiques : chèvres et rats de triste mémoire, mère russe qui chante si bien, bruiteur qui en fait des montagnes, et jeu double des interprètes incarnant l’auteur de La Promesse de l’aube dans un désordre de masques identitaires. Le propos s’effiloche un peu, mais le public ravi en redemande.

©LaurentPhilippe

©LaurentPhilippe

 Oscyl, chorégraphie d’Héla Fattoumi et Eric Lamoureux

Une chorégraphie joueuse et audacieuse pour Oscyl, dernière création de ces chorégraphes, avec sept danseurs et sept sculptures inspirées d’Entité ailée d’Hans Arp, qu’ils ont conçu biomorphiques et à échelle humaine. Nommées Oscyl, elles ont la capacité d’osciller et de s’animer au contact des danseurs.  Cette aventure artistique et humaine correspond au croisement des disciplines, dans une tentative de décloisonner les genres : danse, arts plastiques, théâtre d’objets  et  de marionnettes…

Les interprètes évoluent avec leur propre double, le touchant, le caressant ou bien le rejetant dans une violence toute relative. Ils s’éloignent, puis reviennent sans cesse vers cet être inanimé, aimant qui les attire et dont ils ne peuvent se déprendre. Duos alternatifs et changeants: les vivants se révèlent à côté de leur reflet dansant, et se balancent, puis basculent, ou bien retrouvent un équilibre paisible.

Ce magnifique ensemble met en relief les individualités radieuses mais aussi un chœur. Un spectacle en forme de bercement intérieur renouant avec le métier de vivre.  Cet ensemble précis, aigu et coloré  possède une énergie d’être oscillant à l’infini, entre le yin et le yang, à la recherche d’un équilibre de sérénité.

 La Vie des formes, conception et interprétation de Renaud Herbin et Célia Houdart

Fil rouge de ce festival, les quatre spectacles de Renaud Herbin, directeur du Théâtre Jeune Public du Centre Dramatique National d’Alsace-Lorraine, est un marionnettiste inspiré,   sont des pièces visuelles et sonores en lien avec le théâtre et la littérature. La Vie des formes procède d’une rencontre fructueuse entre Renaud Herbin et la romancière, fille de Dominique Houdart et Jeanne Heuclin, couple de marionnettistes inventeur des fameux Padox, figures rondes et populaires qui ont hanté bien des rues de France et de Navarre.

Elle qui a passé son enfance dans l’atelier parental de fabrication des marionnettes et lui partagent une même familiarité  avec ces figurines inertes étranges et pourtant douées de vie. Celia Houdart égrène ses souvenirs et les impressions de vie que dégagent les marionnettes. Quand  l’une d’elles disparaît, l’atelier entier semble avoir été dévasté, puis peu à peu, une autre installation sensible prend tournure. Cette voyageuse  en Italie et ailleurs, a même voulu devenir sculptrice de marbre de Carrare.

Pendant ce récit pudique, Renaud Herbin se frotte à sa création : un personnage entre homme et marionnette, dont les articulations semblent humaines. Le marionnettiste fait corps et danse avec elle, la hissant sur ses pieds ou bien la laissant gisante au sol comme un souverain défunt. La relation avec l’autre, faite de tensions manifestes, d’inquiétude mais aussi d’accords, participe d’un échange existentiel entre deux êtres réels, l’un fictif, l’autre vivant. Un travail raffiné et délicat qui déploie tous les possibles des relations humaines.

 Véronique Hotte

Spectacles vus au Festival mondial des théâtres de marionnettes à Charleville-Mézières  du 16 au 24 septembre.
festival-marionnette.com

 

Le Temps d’aimer la danse: Spectre (s)

Le Temps d’aimer la danse à Biarritz

Spectre (s), Christine Hassid Project.

©Jean Couturier

©Jean Couturier

Belle découverte que ce triptyque, composé de variations autour du Spectre de la Rose, d’après un poème de Théophile Gautier. Christine Hassid ajoute une touche personnelle très originale à cette pièce mythique des Ballets Russes, créée par Michel Fokine le 19 avril 1911 à l’Opéra de Monte-Carlo avec Tamara Karsavina dans le rôle de la jeune femme et Vaslav Nijinski dans celui du spectre… et reprise depuis par de nombreux chorégraphes.

Cette création est un petit bijou d’intelligence scénique, servi par un beau travail de lumière, signé Alberto Arizaga pour le premier duo espagnol  et Francois Menou pour le deuxiéme duo; une partition musicale de Clément Doumic vient s’insérer,  dansdes morceaux du Songe d’une nuit d’été de Berlioz et de l’Invitation à la danse de Carl Maria Von Weber…

Première femme à reprendre ce Spectre, Christine Hassid s’est entourée de trois jeunes danseurs du groupe basque Dantza, qui apportent une fraicheur et une légèreté à la première partie du spectacle. Puis, inversant les rôles du livret original, la chorégraphe a confié celui du spectre de la fleur à une femme, Andrea Loyola, qui apparait en costume beige,  et ici,  la Rêveuse est un homme : Agustin Martinez, torse nu et en tutu rouge. Ces  fougueux espagnols se cherchent, se touchent, se mordent parfois et se repoussent, sur un rythme lent.

Troisième partie magique. Danseurs exceptionnels, Aurélien Houette et Mohamed Toukabri, entament un dialogue gestuel d’une grande sensualité évoquant le souvenir de ce parfum de rose. L’un vient de l’Opéra de Paris, l’autre de la compagnie de Sidi Larbi Cherkaoui et de la Need Company de Jan Lauwers. Et leurs styles se complètent parfaitement. Mouvements précis et doux, les appuis légers, et sauts défiant la pesanteur.

La voix de Georgia Ives nous livre le poème de Théophile Gautier par fragments, comme dans un rêve : «Soulève ta paupière close qu’effleure un songe virginal. Je suis le spectre d’une rose que tu portais hier au bal/ O toi qui de ma mort fus cause. Sans que tu puisses le chasser toute la nuit, mon spectre rose à ton chevet viendra danser.»

Un moment rare, plein de poésie qu’on aimerait voir sur d’autres scènes hexagonales et internationales.

 Jean Couturier.

Spectacle vu au Colisée le 16 septembre. www.letempsdaimer.com

 

(Re)Lectures: Les Métamorphoses d’Ovide: Orphée et Eurydice

 

(Re)Lectures: Les Métamorphoses d’Ovide: Orphée et Eurydice

 

©Musée du louvre

©Musée du louvre

La Pop, la belle péniche dirigée par Geoffroy Jourdain et Olivier Michel offre des chemins où le public, “qu’il soit familial, néophyte, curieux ou exigeant est invite à emprunter  pour découvrir la puissance de sons et de la musique. Le principe est le suivant; proposer à des comédiens, accompagnés s’ils le souhaitent, par d’autres artistes-créateurs sonores, musiciens, scénographes, metteurs en scène, etc. de s’approprier une épopée, un mythe qui a nourri l’histoire des arts, notamment lyriques et dramatiques, et d’en faire le récit.”

 Une première édition avait été dédiée en 2016 au célèbre Roman de Tristan et Yseult , et cette année, lui succèdent les non moins célèbres Métamorphoses d’Ovide à l’occasion du bimillénaire de sa mort. Avec une sélection de quatre mythes: Orphée et Eurydice, Echo et Narcisse, Daphné et Apollon, Callisto et Arcas. Soit quatre récits, chacun lus par deux équipes différentes. Pour faire résonner différemment le texte dont chaque groupe s’empare.

La première lecture  réunissait Thomas Bouvet, comédien et metteur en scène, Sophie Arama, soprano, et Valentin Fayaud, musicien et compositeur au synthé. D’abord, on écoute assez ensorcelé la poésie d’Ovide qui inspira tant d’œuvres: musique, opéras et ballets, pièces de théâtre, tableaux, mangas et vidéos… et la belle voix de la chanteuse lyrique…

Mais très vite la pénombre permanente  et le parler monocorde sans aucune aspérité n’aide pas à recevoir correctement ce poème, et cet essai assez soporifique pour faire concilier motifs de nappage musical  répétitif ne fonctionne pas. Surtout quand il s’agit d’une lecture forcément  statique. Dommage! Mais il y aura d’autres épisodes, dont Callisto et Arcas,  dernier de la série avec Emilie Incerti Formentini et Guillaume Vincent, qui devrait être plus tonique, le dimanche 5 novembre à 15h 30.

 Philippe du Vignal

 Re (lectures) jusqu’au  5 novembre à 15h 30 à la Péniche Opéra, face au 34 quai de la Loire Paris XIXème. Métro Jaurès, Laumière et Stalingrad.

 

 

Le Temps d’aimer la danse :Golden Days par la compagnie Aterballetoto

 

Festival Le Temps d’aimer la danse à Biarritz

 

Golden Days par la compagnie Aterballetto

©Caroline de Otéro

©Caroline de Otéro

Un riche festival comme celui-ci nous permet de découvrir des compagnies hors des circuits habituels des centres chorégraphiques nationaux. La Fondazione nazionale della danza fête ses quarante ans avec un programme de danse contemporaine dirigé par Johan Inger, ancien du ballet suédois Cullberg et chorégraphe associé pendant huit ans au Nederlands Dans Theater à Amsterdam.

 Avec des musiques qui pèse d’une grande puissance émotionnelle ! Raindogs d’abord, un ballet créé en 2013 sur une chanson de Tom Waits, compositeur qui a fait la gloire des films de Jim Jarmusch et de Black Rider de Bob Wilson.  Cette chanson a inspiré au chorégraphe une danse un peu brouillonne, influencée par les multiples rencontres croisées au cours de sa carrière. Johan Inger joue la carte de la nostalgie: les danseurs évoluent sous une pluie de confettis devant, en fond de scène, un mur de radiocassettes et de haut-parleurs.

 Un solo, Birdland avec Ivana Mastroviti, composé spécialement pour ce triptyque sur une musique de Patti Smith; pendant que les  régisseurs nettoient et transforment le plateau, la jeune danseuse, en combinaison noire à paillettes, essaye de se mouvoir parmi eux en malicieuse fée clochette.

Bliss, créée en 2016, la dernière partie et de loin, la plus intéressante, est défendue par de jeunes et excellents danseurs. L’émotion nous étreint quand, sur des variations improvisées au piano par Keith Jarrett lors de son Köln Concert, les interprètes en costumes pastel s’engagent pleinement.

Mélancolie, mélancolie ! Que Johan Inger revendique : «Quand on commence à vieillir, on a tendance à se retourner sur son passé. Pour moi, ces morceaux rappellent les jours heureux de ce passé.» Cette danse légère a emporté l’enthousiasme du public.

Jean Couturier

Spectacle vu à la Gare du midi, le 15 septembre. www.letempsdaimer.com

 

Nouvelle saison au T2G

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La nouvelle saison au T2G

Le Théâtre de Gennevilliers était devenu Centre Dramatique National en 1983, soit dix-neuf ans après que Bernard Sobel en ait pris la direction. En 2007, Pascal Rambert lui succéda et Daniel Jeanneteau qui a été le directeur du Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine pendant neuf ans, inaugure cet automne sa première saison à la tête du T2G.

Scénographe de formation, il a, dit-il, «commencé sa vie dans le théâtre en accompagnant le travail des autres, puis a dirigé le Studio-Théâtre de Vitry-sur Seine,  et cette année a été candidat à la direction de ce grand centre dramatique, « modèle dangereusement fragilisé, parce que c’est en banlieue, à Saint-Denis, que je vis et que c’est aussi là que la place et la fonction de la création contemporaine sont les plus violemment interrogées. »

Daniel Jeanneteau, quand il a présenté sa saison, est revenu à plusieurs reprises sur la nécessité de la création: «Une nouvelle génération d’artistes s’engage aujourd’hui en prenant la direction des Centres Dramatiques Nationaux, réinventant les modalités de la rencontre et du partage, tout en affirmant la création comme fonction vitale de la communauté. C’est dans cet esprit que je veux mener mon aventure dans cette belle et grande maison, par un travail de renouvellement incessant, a fait l’une des scènes où la modernité s’invente. » (…) Tout a changé autour de nous et le théâtre français est bien en retard. Il y a une révolution à faire dans nos imaginaires et dans nos catégories. L’esprit est en retard sur les corps, et le monde va plus vite dans la rue. »

Daniel Jeanneteau a ainsi décidé de mettre en place des ateliers gratuits, libres, un jeudi sur deux, de 19h 30 à 23h, qu’il proposera aux habitants, surtout amateurs. Mais aussi un comité des lecteurs non professionnels, «dédié à la mise en commun de textes déjà portés à la scène ou non, édités ou pas encore, français ou traduits, collectés par Stéphanie Béghain. Lors de rencontres régulières, les discussions permettent de croiser, au fil des écrits, des préoccupations critiques, et pour quoi pas, de composer des dramaturgies communes. »
Et la Revue Incise, dirigée par Diane Scott et créée en 2014 au Studio-Théâtre de Vitry, sera désormais portée par le T2G. Daniel Jeanneteau a aussi privilégié les partenariats avec entre autres, l’IRCAM, le centre Georges Pompidou, et les théâtre voisins de Gennevilliers…

Et DUUU webradio dédiée à la création contemporaine fondée en 2012 et basée à Genevilliers, est dirigée par des artistes  (arts visuels, poésie, danse musique…). Elle émet en direct depuis des lieux de la ville, explore le territoire à la rencontre d’habitants et de collectifs, et a installé sa base au T2G.

Autre initiative : un projet avec Hideto Iwai, auteur et metteur en scène japonais, ancien «hikimori» : adolescent qui a vécu pendant quatre ans reclus dans sa chambre, coupé du monde. Il fait un théâtre très hybride entre amateur et professionnel, dit Daniel Jeanneteau qui l’a invité à Gennevilliers «pour tenter l’aventure d’une création en immersion dans la ville, avec pour objectif des représentations à l’automne 2018. »

Et le T2G rejoindra le projet de création d’un spectacle initié par l’Odéon-Théâtre de l’Europe, avec une vingtaine de jeunes participants de quinze à vingt ans habitant Paris, Clichy, Gennevilliers et Saint-Ouen, sous la direction de Clémentine Baert.

Le Café du Théâtre (avec wi-fi) ouvrira tous les après-midi dès 15h, et les soirs de représentation; par ailleurs, les terrasses végétalisées de quelque 2.000 m2 sur le toit du proche marché couvert seulement accessibles par le théâtre seront rénovées et utilisées comme espaces de rencontres et de potager pour le restaurant.

Du côté théâtre, plusieurs reprises de spectacles créés par Daniel Jeanneteau comme Les Aveugles de Maurice Maeterlink, La Ménagerie de verre de Tennesse Williams et du formidable Pauvreté, Richesse, homme et bête*, d’un auteur allemand trop peu connu en France, Hans-Henny Jahn (1894-1959) romancier, dramaturge, facteur d’orgue et éditeur de musique, antimilitariste et adversaire du nazisme, remarquablement mis en scène par Pascal Kirsch (voir Le Théâtre du Blog.

Reprise aussi-malheureusement-de Nous ne sommes pas repus d’après Le Déjeuner chez Wittgenstein, conception de Séverine Chavrier. Un spectacle assez prétentieux, bien peu apprécié par la critique dont nous-même ( voir Le Théâtre du Blog) et le public de l’Odéon. Mais Daniel Jeanneteau le considère, lui, comme un travail exemplaire de théâtre d’avant-garde ! Il y aura aussi plusieurs spectacles de danse dont celui de Christian Rizzo.

Du côté de la création, entre autres : un concert Music-hall d’Algérie des année cinquante avec le conservatoire Edgar Varèse de Gennevilliers, une adaptation de L’Iliade par Daniel Jeanneteau et Le Chat n’a que faire des souris mortes de Philippe Dorin, très bon écrivain de théâtre jeune public (voir Le Théâtre du Blog. Il y aura aussi  Blablabla, une création tout public, conception de L’Encyclopédie de la parole, mise en scène de , Price de Steve Tesch, mise en scène de Rodolphe Dana… Un spectacle de Lazare, un autre du Théâtre Déplié, co-animé par Adrien Béal et Fanny Descazeaux, et associé au Théâtre de Dijon-Bourgogne. Et le festival Impatience, consacrée aux très jeunes compagnies ou collectifs qui aura lieu à la fois à la Gaieté lyrique à Paris et au T2G.

Soit une programmation bien conçue mais sans grande surprise et orienté en grande partie vers la création, ce qui semble obséder un peu Daniel Jeanneteau. Mais on aurait bien aimé qu’il y ait au moins un classique, et/ou un spectacle de théâtre vraiment grand public, et drôle si possible. Par les temps qui courent, ce ne serait pas un luxe mais le comique a  souvent été le maillon faible du théâtre subventionné !

Désolé mais telle qu’elle apparaît, la programmation de Daniel Jeanneteau, pour intéressante qu’elle soit, tient davantage de celle du Studio-Théâtre-donc tirant plutôt vers la recherche et la création, mais sous un format plus grand et avec les moyens d’un Centre Dramatique National. Mais cela correspond-t-il aux besoins de la population de cette ville-où fut autrefois créée Le Mariage de Figaro,  est devenue à la fin du XIXème siècle, une ville industrielle avec usines diverses : voitures Ford, chimie, produits alimentaires, alcools, chaudronnerie, laboratoires pharmaceutiques, etc. Gennevilliers compte maintenant quelque 45.000 habitants, et plus de la moitié des jeunes de moins de dix-huit ans ont au moins un parent immigré ( Maghreb, Afrique…). Ce qui si on veut bien regarder les choses en face, change fondamentalement la donne.

Reste donc une véritable question : un Centre Dramatique, national comme celui-ci ou pas, peut-il encore contribuer à créer une cohésion sociale, ciment indispensable à la démocratie, et si oui, avec quel programme ?  En fait, nombre de Centres Dramatiques semblent à la recherche d’un nouveau paysage théâtral, en privilégiant souvent les nouvelles technologies et la création à tout prix, comme pour se rassurer sur leur avenir. Quant à la Ministre de la Culture, Françoise Nyssen, obligée en juillet dernier de venir au secours de Régine Hatchondo, directrice des spectacles qui avait commis quelques déclarations injurieuses sur les Centres Dramatiques, elle n’a pas, semble-t-il, pas encore fixé de nouveau cap.

Daniel Jeanneteau a bien créé un système pass très libre et peu cher mais un programme comme celui qu’il propose, attirera-t-il les jeunes et la population locale au T2G plutôt que les enseignants et les cadres? On peut en douter et on aurait aimé un peu plus d’audace! Il y a bien une navette après les spectacles pour les Parisiens mais pas, semble-t-il, pour les habitants de Gennevilliers! L’horizon théâtral ne paraît pas, ici comme ailleurs, très dégagé et rien ne semble vraiment bouger… à l’image de la société actuelle. C’est pourtant une priorité pour le théâtre et le spectacle français en général.

Philippe du Vignal

Le T2G-Théâtre de Gennevilliers 41 avenue des Grésillons 92230 Gennevilliers. T: 01 41 32 2610. Accès ligne 13 arrêt Gabriel Péri.

*Pauvreté, Richesse, Homme et Bête, paru en 1948, a été traduit en 2008 par Huguette et René Radrizzani,  éditions José Corti.

Le Camion de Marguerite Duras, mise en scène de Marine de Missolz

Photo : Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

 

Le Camion de Marguerite Duras, mise en scène de Marine de Missolz

 Monter dans un camion, est-ce la même chose que monter dans un train et éprouver une euphorie, une résignation à ne pas être dérangé pendant plusieurs heures, soit une transition heureuse entre deux situations, comme l’écrit Virginie Despentes dans Vernon Subutex 3 ?

La situation ferroviaire décrite ici, en 2017 n’a rien à voir avec la situation routière du film de Marguerite Duras, Le Camion, (1977) donc quarante ans plus tôt,  où  deux personnages, Gérard Depardieu et Marguerite Duras ,elle-même imaginaient à voix haute le film qu’ils pourraient concevoir d’après un scénario dû à l’auteure surtout. On voit rouler un grand camion bleu traversant des paysages moroses , la Beauce autour de Chartres peut-être, et des zones industrielles et d’habitation en banlieue, des «cités d’immigration des Yvelines ».

 La femme est ici désignée comme « déclassée » et sans âge, et l’homme comme chauffeur et transporteur, militant du Parti communiste. Il écoute cette intruse, ou plutôt écouterait car le conditionnel privilégié revêt ici une belle valeur hypothétique de possible et d’espoir. Il évoque la géographie des lieux traversés, mer, vallées, plateaux mais aussi la fin du monde, la mort, la solitude de la terre dans le système planétaire, les nouvelles découvertes sur l’origine de l’homme, le prolétariat enfin, « dernier avatar du Sauveur suprême » et l’échec de son avènement.

 Nous avons l’impression d’une humanité humiliée et égarée, politiquement immature et désengagée, mais où reste la présence de l’amour, la seule chose qui compte encore. Dans le film, les deux personnages sont assis, et lisent leurs répliques dans un appartement. Son objectif à elle, est-il atteint, demande G.D., quand elle monte dans le camion ?

« M.D. : Oui, ils se trouvent enfermés dans un même lieu, pendant un certain temps, incarcérés, voyez, verrouillés, dans un même lieu, un certain temps, le principal est atteint. Ils voient le même paysage. En même temps. A partir du même espace. (Temps) Leur disparité aurait été l’objet même du film. Et leur enfermement dans la cabine du camion, l’espace premier. » Un deuxième homme, conducteur en alternance, dort dans la cabine à l’arrière,…

 La parole durassienne avec ses silences, pauses, attentes et réponses différées entre non-dits et poids implicite des mots, libère ses interrogations concernant la capacité existentielle de l’homme à vivre selon ses propres vœux et sa propre liberté.Marine de Missolz a joué avec les propos et la situation du Camion de Duras, donnant verbe et corps, à trois comédiens au regard habité, entre ombre et lumière. Laurent Sauvage prend en charge la partition de M. D. dans la grâce, assumant sa posture à la fois méditative et légèrement provocatrice, Hervé Guilloteau, à l’allure de cow-boy déjanté au comique facétieux, interprète G.D. qui écoute. Et Olivier Dupuy assiste aux échanges, spectateur ahuri et acteur à la fois.Sur le plateau sombre, brille une servante au-dessus d’une table de travail éloignée; les comédiens debout, arpentent le plateau, affrontent le public. En fond de scène, défilent à l’écran les images vidéo de Tesslye Lopez : archives, bribes de film, images psychédéliques des années 70/80 : vagues marines en fureur, champignon nucléaire d’Hiroshima.

Comme si tout désir de révolution ou de changement politique radical s’annonçait désuet ou révolu, nos trois amis revêtent la cotte de maille de chevaliers moyenâgeux égarés dans un temps qui n’est plus le leur, incompris et dévastés. L’humour et le sourire donne au propos poétique de Marguerite Duras, une note de gaieté,  et la musique de Matt Eliott, compositeur-interprète de dark folk anglais, berce le spectateur des boucles plaintives d’une guitare bienfaisante.

Un spectacle sincère qui s’amuse du temps qui passe et des valeurs à sauver, en dépit de tout.

 Véronique Hotte

Théâtre National de Strasbourg,. T : 03 88 24 88 24, du 12 septembre au 23 septembre.

MC 93-Maison de la Culture de Seine Saint-Denis à Bobigny, du 14 au 22 octobre.

TU  de Nantes, du 15 au 19 avril 2018.

 

La Kibbutz Contemporary Dance Company

 

Festival Le temps d’aimer à Biarritz : vingt-septième édition

 La Kibbutz Contemporary Dance Company

© Eyal Hirsch

© Eyal Hirsch

 Comme pour prolonger l’été, cette belle ville de la Côte basque propose chaque année en septembre, ce festival de danse au joli nom! Sa direction artistique en est assurée depuis longtemps par le chorégraphe Thierry Malandain qui est aussi l’actuel directeur du Centre chorégraphique national de Biarritz. Trois salles,  la Gare du Midi, le Casino et le Colisée, sans compter les manifestations de rue, les ateliers et la désormais célèbre giga-barre ouverte à tous face à la mer, font de ce Temps d’aimer, un rendez-vous important pour les Biarrots, comme pour les estivants.

Christophe Malandain, en directeur avisé, a toujours privilégié une programmation éclectique, alternant points forts et émergence, danse classique et  contemporaine, et invite de grandes compagnies internationales comme de jeunes artistes à découvrir. Et sur ces deux semaines de festival, il y a toujours des moments de forte émotion. Parmi les raretés de cette vingt-septième édition: la Kibbutz Contemporary Dance Company qui n’était pas venue en France depuis…  trente ans !! Et pourtant, elle est, avec la Batsheva, la troupe la plus importante d’Israël.

On connaît la vitalité de la danse dans ce petit pays et on la comprend mieux, si on se souvient de son double héritage : celui de l’expressionnisme allemand apporté par des danseurs juifs fuyant le nazisme, et plus tard, celui de la « modern dance » américaine, avec la création d’une école Martha Graham à Tel-Aviv. Et aussi auparavant, celui du ballet classique apporté principalement par des danseurs russes ou polonais fuyant les pogroms. Comme dans tout pays d’émigration, l’art s’est enrichi de différents apports culturels, et la Kibbutz Contemporary Dance Company en est la parfaite illustration. Une grande compagnie mais aussi un style de vie. Installée au Kibbutz Ga’aton, dans le nord de la Galilée, elle a été fondée en 1973 par une femme rescapée d’Auschwitz, Yehudit Arnon et tous ses membres y vivent et travaillent telle une grande famille.

A son arrivée, Yehudit Arnon menait de front l’enseignement de la danse et les travaux collectifs de la ferme. Peu à peu, la danse s’est imposée, et aujourd’hui le Kibbutz est devenu un village international, avec deux compagnies, un théâtre, de nombreux studios, des élèves et danseurs du monde entier venus suivre une formation ou des cours. Riche d’un répertoire constitué pendant ses trente-quatre années d’existence, la compagnie est aujourd’hui dirigée par un ancien élève d’Arnon, le chorégraphe Rami Be’er, venu à Birritz avec sa dernière création Horses In The Sky, une pièce puissante qui exige de ses dix-huit interprètes une grande virtuosité. Avec une alternance de scènes dynamiques et de duos lyriques, les corps sont parfois disloqués, parfois harmonieux mais toujours habités par une intensité sans cesse renouvelée. La gestualité, très près du sol, utilise le poids du corps de façon singulière, avec de nombreux grands pliés en quatrième, une souplesse du buste, et une vélocité dans les changements.

Rami Be’er possède une inventivité qui semble ne jamais devoir s’arrêter, et il trouve le geste qui parle, le mouvement qui émeut, en évitant toute mièvrerie. Sans imposer une quelconque idéologie ou une signification précise à son ballet, il obtient de ses danseurs, une gestuelle et un engagement, et livre un message, celui d’un chorégraphe qui croit en son art  et à sa capacité à rendre les rapports moins violents entre êtres humains.

 Sonia Schoonejans

 

Les Noces de Betia de Ruzante

 

Les Noces de Betia de Ruzante, traduction de Claude Perrus, mise en scène de René Loyon

 

©Hervieux

©Hervieux

La pièce, dont c’est la création en France, est la deuxième d’Angelo Beolco dit Ruzante (1494/1542). «Natif de Padoue, il l’écrit à vingt-deux ans. Joyeuse et désordonnée, Les Noces de Betia mêle farce et thèmes médiévaux, à un ironique questionnement philosophique, dit René Loyon ( …) Il semble que la période que nous traversons, avec ses chamboulements spectaculaires et ses questionnements angoissés face à un futur indéchiffrable, mais aussi sa prodigieuse créativité, n’est pas sans rapport avec ce grand moment de bascule qu’a été, dans toute l’Europe, cette Renaissance née en Italie ».

Sur le plateau nu de la grande salle aux murs de pierre, Zilio et Nale se disputent les faveurs de Betia. Le valet insulte son maître : «Nous devisons d’amour, fous-toi le manche dans le cul !». On tente de les séparer. «Ah ! Pauvres crétins que vous êtes, je vous disais donc jeunes gens qu’Amour est un dieu et seigneur ! ».
Mais tous les trois sortent d’un repas bien arrosé : «Je dois aller fienter. Qu’est-ce donc que l’amour, c’est un tourment et une brûlure. (…) Avec l’argent, on peut faire ce qu’on veut, car il gouverne le monde. Mon cœur, je ne l’ai plus, il est avec ma Betia ! « Mais si vous voulez mon avis, dit le prétendant évincé, les femmes sont la peste de notre monde».

Betia épouserait bien ses deux amoureux: elle fait ses bagages et tente de s’enfuir. Mais sa mère la rattrape, l’insulte et la bat, puis se ravise et bénit le couple. C’est le plus pauvre qu’elle aura pour mari. Cette pièce à la langue savoureuse est interprétée avec brio par sept comédiens pleins d’humour. Ne ratez pas ce spectacle. 

Edith Rappoport

Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 15 octobre.

La Gentillesse par la compagnie Demesten Titip, mise en scène de Christelle Harbonn

 

La Gentillesse par la compagnie Demesten Titip, mise en scène de Christelle Harbonn

© Charlotte Michel

© Charlotte Michel

Chaque saison, le festival SPOT, concocté par le Théâtre Paris-Villette accueille des spectacles aux formes innovantes. Huit équipes d’artistes, venues de diverses régions, présentent des travaux hors-normes au Paris-Villette et au Grand Parquet, comme ce spectacle qui inaugure la manifestation …


 Qu’y a-t-il de commun entre l’Ignatius J. Reilly de La Conjuration de imbéciles et le Prince Mychkine de L’Idiot ? « En dépit de tout ce qui les sépare, les héros de ces romans ont pour point commun, d’agir dans la nudité de leurs émotions. (…) Tragiques, lunaires, grotesques, désaxés (…) » dit Christelle Harbonn qui les a fréquentés pendant un an, et a adapté des extraits de ces romans, avant de se lancer dans cette création et de construire avec les comédiens, une fable philosophique loufoque et poétique, qui explore le thème de la gentillesse et de son envers.

 D’un côté, une mère rêveuse et impulsive (Marianne Houspie) et ses deux filles, tout aussi imprévisibles. Sur cet embryon familial, vont se greffer Gilbert (Gilbert Traïna), un écrivain velléitaire, marginal, asocial, et paranoïaque. Sans emploi, il deviendra le toutou de ces dames. Arrive un intrus, au comportement singulier mais doux et humble. Trop sincère, il saute au cou de tout le monde et suscite ainsi des rivalités au sein du groupe. Face à cet “innocent“, la bonté affichée de chacun se fissure en jalousies mesquines ou en colères sourdes révélées par leurs rêves… La violence affleure.

 La pièce s’organise en une suite de tableaux titrés : Hors venue , Dérive ou Rupture… dans un décor de meubles défoncés, sous la menace de gravats tombant sporadiquement d’un immense plafonnier en forme de nuages. Le ciel se délite, quand il est question de la foi.  Thème cher à Fiodor Dostoïevski marqué pendant la rédaction de L’Idiot, par la découverte d’un tableau de Hans Holbein, Le jeune Christ mort, au musée de Bâle…Que l’on retrouve dans cette pièce, quand Adrien Guirand, dénudé, expose, sur un vieux canapé, tel un gisant, son corps d’éphèbe. On pense aussi à Théorème de Pier Paolo Pasolini. Belle image, à l’instar d’autres fantasmagories qui prennent forme sous nos yeux, au fil du spectacle.

Les voix off, un peu trop laborieuses et explicites, égrainent lors de cette séquence, les doutes existentiels des personnages. Pourtant, c’est bien là que, maladroitement, s’affrontent les univers du prince Mychkine et du héros de John Kennedy Toole.  Mais dans l’ensemble, le travail de mise en images comme les dialogues incongrus et percutants, contrebalancent les disputes idéologiques parfois trop présentes. Nous pénétrons avec plaisir au sein de cette tribu un peu bizarre et sympathique… mais pas si gentille que ça.

 Mireille Davidovici

Festival SPOT, au Théâtre Paris-Villette 211 avenue Jean-Jaurès Paris XIXème, et au Grand Parquet,  35 rue d’Aubervilliers Paris XVIIIème, du 15 au 30 septembre.

www.theatre-paris-villette.fr 

 

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