Peur(s)de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi

 

Peur(s)de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, mise en scène de Fadhel Jaïbi

 

©Ahmed Meslamani

©Ahmed Meslamani

Un vent de tempête souffle dans la salle; sur le plateau, flotte une brume légère. Des femmes et hommes, en tenue de scouts, entrent, chahutés par lune bourrasque.

Ils ont perdu l’un des leurs; eux-mêmes perdus au milieu du désert tournent en rond dans la tourmente et leurs pas les ramènent toujours au même endroit.  Il y un hôpital désaffecté, emplis de squelettes… De ces aventuriers, nous saurons peu de chose. Partis insouciants du pire,  ils doivent maintenant y faire face. Au sein du groupe, des personnages émergent. Deux chefs, vite débordés par les événements, et une anthropologie narratrice qui tient son journal de bord, apporte ainsi, par son récit et ses réflexions une certaine distance dans ce chaos. Des personnes se faufilent dans les ruines à la recherche d’une issue… Reviendront-ils ? La révolte gronde contre les chefs…

Tout vient à manquer : eau, nourriture, et la peur s’insinue dans le groupe, prisonnier des sables et du froid. Reste la parole, un peu de poésie et d’humour. Mais les vieux démons se réveillent chez ces naufragés rendus à la vie sauvage. Une paranoïa collective les dresse les uns contre les autres, individu contre individu, clan contre clan. La solidarité s’effondre. On se bat pour un quignon de pain ou une goutte d’eau. « Je suis tombé dans un trou. Qui sommes nous, où allons nous ? » dit l’un d’eux. Sur ce ”radeau de la Méduse“, métaphore d’une société en crise, inventeront-ils de nouveaux repères ou crèveront-ils les uns après les autres ?

 La pièce, d’une noirceur extrême, se termine sur cette interrogation. Le jeu des acteurs qui poussent à bout leurs émotions sous l’effet de la panique, laisse éclater la cruauté et la brutalité des uns envers les autres. Une troupe que l’on avait déjà appréciée dans la création précédente de Djalilla Baccar et Fadhel Jaïbi. Avec Peurs, ces figures majeurs du théâtre tunisien ouvrent le deuxième volet d’une trilogie ancrée dans la réalité de leur pays. Violence(s) (voir Le Théâtre du Blog) fait état des exactions quotidiennes qui gangrènent la société, faute de cohésion. Ici, c’est un projet collectif ( l’expédition du groupe) qui vole en éclats faute de solidarité devant un état de crise. Basé sur des improvisations collectives, le spectacle, mis en écriture par Djalila Baccar, peine parfois à trouver son rythme, et, comme les protagonistes, à émerger d’une certaine confusion. Les individualités se dessinent peu à peu de cette gangue complexe. Mais, comme il s’agit d’une avant-première, on peut espérer que la pièce trouvera sa forme définitive en cours d’exploitation, prochainement en Tunisie.

 Avec une fin ouverte, Jalila Baccar, entend laisser place à l’espoir. Selon elle, la Tunisie, pour l’instant, a du mal à sortir d’une grave crise économique, mère de tous les maux. Les individus seront-ils condamnés à agir comme cette chatte rencontrée dans le désert qui dévore ses chatons? «Je lui ai demandé pourquoi. Elle a répondu ” : Les temps sont imprévisibles, j’ai peur qu’il leur arrive malheur, que le serpent les dévore.” » Ou bien réussiront-ils à refonder les règles nécessaires à leur survie sociale:  «1. Etablir une pacte d’honneur/ 2. Ne pas désespérer / 3. Partager» ?

L’avenir nous le dira. De lui dépend aussi la forme du troisième volet, auquel réfléchissent déjà les deux artistes dont les créations sont aujourd’hui produites par le Théâtre National Tunisien que dirige, depuis juillet 2014, Fadhel Jaïbi; il y a fondé l’École de l’Acteur et le Jeune Théâtre National. (voir Le Théâtre du Blog : Festival de Carthage 2016)

 Mireille Davidovici

La création du spectacle a eu lieu le 30 septembre, au Théâtre de l’Union à Limoges dans le cadre des Francophonies en Limousin 2017

 À partir du 6 octobre, au Théâtre National Tunisien 58 place Halfaouine Tunis T. : +216 71 565 693

 

 


Archive pour 1 octobre, 2017

Conférence des choses

©Christophe Pean

©Christophe Pean

Conférence des choses de François Gremaud et Pierre Mifsud, conception de François Gremaud

Cela se passe dans la Salle d’honneur de la mairie d’Eymoutiers, inaugurée en 1997 après un incendie. Depuis 1629, cet austère bâtiment abritait la congrégation des Ursulines, avant de devenir un collège après la Révolution.
D’où la rue de Ursulines dans ce bourg limousin qui mène aux locaux municipaux. Autre odonyme (nom propre désignant un lieu) : la place Victor-Hugo, à Besançon, ville natale du poète. Ce que nous apprend Pierre Misfud au début de sa prestation, après être entré avec son sac à dos, avoir salué l’audience, et remonté son minuteur. Sa conférence dure cinquante-trois minutes trente-trois secondes, annonce -t-il.

De Bizontin à bison, de bison à Buffallo Bill, de Buffallo Bill à Sitting Bull, du western à l’arc, de l’arc au loup, pour finir par une fable de Jean de La Fontaine… Le comédien enchaîne les informations. Sautant du coq à l’âne, il entraîne le public, prompt à participer, dans une déambulation ludique en zig-zag au cœur d’un savoir encyclopédique de bric et de broc, glané sur Wikipedia. Pour construire cette performance, Pierre Mifsud et François Gremaud ont navigué de lien en lien sur cette encyclopédie collaborative en ligne, s’aventurant sur les vastes étendues de savoir qu’elle recouvre et ses digressions…

Dès que la sonnerie finale retentit, le comédien s’interrompt. Pour connaître la suite, il faudra se rendre à une prochaine représentation. Les Francophonies en Limousin proposent sept séances dans divers lieux, de châteaux en bibliothèques, suivant la politique de décentralisation dans la région. La compagnie suisse 2bcompany a mis sur pied huit heures de conférence, présentées en un ou plusieurs épisode(s) : « Nous avons minutieusement recopié nos circulations ”brutes“ puis avons sélectionné (…) certaines dates ou certaines informations-tantôt pour leur caractère didactique, tantôt pour leur caractère incongru.(…), explique le metteur en scène. A partir de cette structure, nous avons inclus de nouveaux développements, au fil de nos lectures et de nos improvisations…»

Sur ce canevas, Pierre Mifsud va broder, en fonction du lieu, aussi, dont l’histoire et les éléments de décor fournissent autant de points d’appui à partager avec le public. Ce soir-là, les tableaux qui ornent la salle offrent des balises idéales. Si les repérages sont primordiaux en amont du spectacle, la réactivité de l’assistance fait le reste car Pierre Mifsud, formidable improvisateur, garde une marge, sollicite les spectateurs et s’adapte à leurs réponses.

Un comédien face à un public, dans un espace et un temps donné, sans effet, sans éclairage, avec, pour seule arme, le langage. Voilà qui pourrait être une adaptation contemporaine du Bouvard et Pécuchet de Flaubert : la déambulation hasardeuse et cocasse à travers le savoir encyclopédique qu’effectue Pierre Mifsud se révèle pleinement «idiote», à la fois selon la définition étymologique du mot (simple, particulière, unique) et sa définition commune :dépourvue de raison. La matière de sa conférence semble ainsi révéler l’insignifiance du savoir, sa grandeur et sa vacuité. Mais la navigation erratique à travers ce magma de connaissances est un voyage partagé où conférencier et public se grisent de mots.

«  Ce n’est pas tant la matière traversée qui importe, mais le fait qu’un homme la trouve suffisamment prodigieuse pour se proposer de la traverser, à la manière de l’ivrogne – une des figures possible de l’idiot – décrit dans Le Réel, traité de l’idiotie, par le philosophe Clément Rosset qui a inspiré le spectacle : ”L’ivrogne est [...] hébété par la présence sous ses yeux d’une chose singulière et unique qu’il montre de l’index, tout en prenant l’entourage à témoin, et bientôt à partie, si celui-ci se rebiffe” ».

 On retrouvera prochainement les divagations de ce joyeux drille, en Suisse et ailleurs notamment en novembre à Paris, au Théâtre du Rond-Point où on pourra aussi assister à une séance intégrale de huit heures.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu à Eymoutiers (Limousin ) le 23 septembre, dans le cadre des Francophonies en Limousin 2017

 Et du 17au 22 octobre – Festival des Arts de Bordeaux ; du  13 au 19 novembre PerformanceProcess / Musée Tinguely – Bâle (CH) ,

du 21 novembre au 31 décembre: Théâtre du Rond-Point à Paris, Festival Vivat La Danse Le Vivat – Armentières; 6au 9 février – La Passerelle – Gap , le 16 février – La Grange - Le Locle (CH): le 17 février – Arbanel - Treyvaux (CH), 20-21 février - Théâtre de Poche - Bienne (CH), 22 février – Le Pommier - Neuchâtel (CH), 2-3 mars – Théâtre Jean-Marais - Sains-Fons, 6-10 mars – Théâtre de Chelles – Chelles, 16-22 mars – Tournée dans le Calvados (ODACC), 27 mars – Musée d’Ethnographie -  Neuchâtel (CH), 7 avril – Théâtre Denis - Hyères , 10 avril – Espace 1789 – Saint-Ouen (FR) les 17, 18, 22, 23, 26, 27, 28 avril – Le Reflet – Vevey (CH)19 mai – Le Familistère à Guise les 22 et 23 mai – La Passerelle – St-Brieuc 8 juin 2018 – TBA; et du  20au 24 juin – Nouveau Théâtre de Montreuil - Montreuil

 

 

 


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