Mme Klein de Nicholas Wright, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman

© Pascal Gely

© Pascal Gely

 

Mme Klein de Nicholas Wright, traduction de François Regnault, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman

 Hautes fenêtres, pièce à vivre spacieuse, meubles années trente. Le salon bureau de Mélanie Klein (1882-1960), à Londres, en 1934. La célèbre psychanalyste vient d’apprendre la mort de son fils, Hans. Un suicide, prétend sa fille Mélitta qui veut l’en rendre responsable. Paula, une amie de Melitta, devient le témoin involontaire d’un violent règlement de comptes entre mère et  fille. 

Les personnages sont toutes trois psychanalystes, et les faits exposés historiquement avérés, mais l’auteur britannique n’écrit pas ici un biopic ni un traité sur la psychanalyse : il saisit la vie Mélanie Klein à un moment crucial, quand ce deuil la plonge dans une grave dépression. De facture classique: lieu unique, temps d’une nuit, l’action de Mme Klein se noue et trouve sa résolution dans la séparation de la mère et de sa fille. 

Avec de phrases courtes, incisives, Nicholas Wright exprime avec retenue les mouvements de haine qui couvent derrière les paroles et les gestes quotidiens. Il met des mots « savants » dans la bouche de ses héroïnes à bon escient, que mère et fille se lancent à la figure comme des pommes de discorde; et nous sourions de leur cuistrerie car ces notions (transfert, contre-transfert, mauvaise ou bonne mère, le ça, le moi et le surmoi … etc.) sont aujourd’hui presque passés dans le langage courant… Des clins d’œil prêtent aussi à rire, comme la manie de Mélanie Klein de tout fermer à double tour et de cacher ses clefs dans la bibliothèque, derrière le livre Le Rêve et son interprétation de Sigmund Freud, une œuvre qui la décida à entreprendre une analyse avec Sandor Ferenczi, puis avec Karl Abraham et la conduisit au succès que l’on sait après la publication de La Psychanalyse des enfants, à Londres, en 1932. Autre trouvaille dramatique à suspense : la circulation d’une lettre explosive de la fille à sa mère : la lira-t-elle ?

 Brigitte Jaques-Wajeman dirige les trois actrices à l’aune de cette dramaturgie méticuleuse, les nerfs à fleur de peau : « Ces trois femmes sont des Juives d’Europe centrale, dit-elle. Exilées à Londres, elles portent avec elles une mémoire de pogroms, de persécutions. Leur connaissance des mécanismes inconscients ne les met pas à l’abri des passions. Elle aiguise au contraire leur capacité de sentir, d’entendre, de souffrir. » Marie-Armelle Deguy , brune pour l’occasion, s’impose en Mélanie Klein, et donne une gamme subtile aux variations d’humeur de cette femme autoritaire, sûre d’elle mais fragile. Une mère juive qui éprouve, dans son vécu familial comme dans son métier, la toute-puissance de la figure maternelle dans la constitution du sujet. Sarah Le Picard en Paula discrète mais déterminée se révèle, derrière un physique effacé, d’une grande habileté, pour arriver à ses fins. Clémentine Verdier (Melitta, la fille), joue plus en force, parfois même au bord de la crise de nerfs, pas toujours au diapason de ses partenaires. Un triangle à géométrie variable mais la mise en scène a su donner vie à ces femmes « savantes » non moins sensibles et humaines. Prises dans un cauchemar où résonnent  leurs peurs réelles liées aux temps barbares qu’elles traversent, et les fantasmes dévastateurs débusqués par la psychanalyste chez ses jeunes patients.

Malgré un décor un peu grandiloquent, et un texte qui semble parfois daté mais qui reste efficace, le spectacle s’impose par sa densité dramatique, servie avec sobriété par la traduction, la mise en scène et les comédiennes.

Mireille Davidovici

Théâtre des Abbesses 31 rue des Abbesses, Paris XVIIIème T. 01 42 74 22 77 jusqu’au 20 octobre. www.theatredelaville-paris.com

7 novembre MA, Scène nationale de Montbéliard ; 1er décembre  Théâtre de Fontainebleau ; 14 décembre Les Treize Arches, Brive ; 24 au 26 janvier  Comédie de Béthune.

La pièce est publiée aux éditions du Seuil


Archive pour 6 octobre, 2017

Ça ira, Fin de Louis texte et mise en scène de Joël Pommerat, (en français sous-titré en grec)

 

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Ça ira, Fin de Louis, texte et mise en scène de Joël Pommerat (en français, sous-titré en grec)

 

L’auteur a voulu présenter certains des préparatifs de la Révolution française. En effet, toute la substance intellectuelle est empruntée au discours dominant et cette pièce frôle le politique. Les faits jalonnent les étapes historiques montrent comment s’est opéré le passage de l’histoire à la fiction. A vrai dire, rien ne paraît  fantasmatique, et ce metteur en scène-chirurgien intelligent et curieux à l’extrême-pratique une anatomie de tous les instantanés qui forgèrent la philosophie des fameux Droits de l’homme et du citoyen.

2La Révolution française, est une réalité pourtant  déjà lointaine. Pourtant Joël Pommerat, auteur et metteur en scène, «manipule» avec beaucoup d’attention,  tout un matériel sur lequel est bâtie une nouvelle vision du monde proclamée par ce grand changement.

Aussi, le petit peuple, formé de gens de tous les métiers, c’est-à-dire le Tiers-Etat, est présenté ici sous ses traits d’un protagoniste de cette époque tourmentée. La volonté de ce peuple, mal ou bien guidé participe de toutes les leçons données par le siècle des Lumières. Les consciences étaient prêtes à changer la réalité, mais les citoyens français, ont en fait, concrétisé les propos de la rhétorique intellectuelle, en  l’appliquant à sa vie quotidienne.

Les grands jours décisifs de l’Histoire de France, les bases de la Constitution et la réaction du pays contre la tyrannie de Versailles ont offert à Joël Pommerat la possibilité de «colorer» avec ardeur des choses invisibles, qui fondent, après tout, l’apparat philosophique et idéologique des faits majeurs de la Révolution. Et c’est le mérite de cet auteur-metteur en scène,  d’avoir transformé la réalité historique en réalité universelle. Il s’appuie sur une sorte de neutralisation des événements, au profit de l’ontologie. Les exigences de tout homme civilisé, à la conscience politique forgée, au sein de l’égalité et de la liberté, conduisent à un besoin impérieux de réviser les conditions de vie en commun. Peut-on vraiment encore, de nos jours, le faire avec son voisin e de plus, prendre plaisir à cette cohabitation ?

Le texte et la mise en scène avancent jusqu’aux profondeurs de cette question, et cela concerne plus que jamais notre vie quotidienne, que ce soit dans notre pays ou ailleurs. La Révolution française s’avère être ici un guide œcuménique. Le public athénien, hautement politisé, bon connaisseur de l’époque de Louis XVI, admirateur de l’esprit français, a rempli un grand amphithéâtre et a applaudi avec enthousiasme et émotion, ces excellents  acteurs français qui donnent l’impression d’osciller entre notre actualité grecque et la mimésis d’une action.

L’auteur semble se partager entre deux choix : faire vrai ou être vrai ? Comme metteur en scène, Joël Pommerat essaye d’établir un équilibre et il a  pris la liberté de dépasser une certaine modernité: ainsi, des tableaux vivants constituent des situations théâtrales en relation étroite avec l’appareil mimétique des Assemblées du peuple français, quand par exemple, les comédiens se mêlent aux spectateurs. Les effets sonores, la fumée des cigarettes sur le plateau et un peu partout dans la salle, et les éclairages renforcent la théâtralité incontestable ce ce beau spectacle.     

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Centre Culturel Onassis, 107 Sygrou avenue, Athènes, jusqu’au 8 octobre.

La Danse de mort de Strindberg, mise en scène de Stuart Seide

 

La danse de mort@Pascal Gély  ok

 

La Danse de mort d’August Strindberg, traduction de Terje Sinding, mise en scène de Stuart Seide

La pièce écrite en 1900 et créée cinq ans plus tard à Cologne, a dû attendre sa première représentation en Suède en 1909, non sur une grande scène de Stockholm mais au Théâtre Intime, fondé par August Strindberg lui-même. La critique éreinta l’œuvre. Puis le grand metteur en scène Max Reinhardt la mit en scène en 1912 à Berlin.Avec Père et Mademoiselle Julie, La Danse des morts fait partie des drames d’August Strindberg qui vont bousculer et révolutionner l’art dramatique dans le monde entier.

 Aux Etats-Unis, elle marqua Eugène O’Neill, Tennessee Williams et Edward Albee, et inspire encore l’œuvre de Lars Norén, grand dramaturge suédois d’aujourd’hui qui se désigne lui-même comme l’héritier spirituel d’August Strindberg. La Danse de mort a connu une large diffusion internationale et influencé l’ensemble de l’avant-garde parisienne : Albert Camus et Jean Genet, Samuel Beckett, Arthur Adamov comme Eugène Ionesco.

 Dans la citadelle d’une île de garnison- le petit Enfer-, un capitaine autoritaire et sa femme, une ancienne actrice, préparent la fête de leurs noces d’argent, quand surgit un vieil ami. Le trio infernal joue une valse précipitée et désordonnée, entre tragédie et comédie : folie banale, souffrances tues et petits arrangements. Le jeu de massacre, avec une bonne dose de férocité et de mauvaise foi, dérive entre amour et haine. Une sarabande effrénée qui fuit le creux de l’existence vaine de partenaires maudits, ajoute Stuart Seide.

Cette danse macabre, médiévale ou contemporaine, répond à la vision aiguisée d’une mort fatale et commune aux êtres vivants, qu’on soit capitaine ou femme au foyer. Une manifestation collective, entraînant tôt ou tard les vivants vers le tombeau, d’êtres qui s’essaient à cette danse des morts… Une solidarité étrange sur le chemin des pas inéluctables qui conduisent à la mort, et cheminement immobile, selon Stuart Seide à propos de  cette pièce.

Picturale, littéraire ou poétique, elle est d’abord mentale pour ce couple d’époux amers. Jean Alibert est un Capitaine Fracasse théâtral, autoritaire et cassant, machiste et cynique au possible ; il n’hésite pas à en rajouter sur sa partition méchante et loufoque: voix forte et puissante, postures figées, conquérant assis ou debout,  il fait aussi, impatient, les cent pas sur le plateau.Les yeux exorbités, ce clown farcesque, quand il s’abstrait du monde, tombe brutalement, sans considération pour l’autre. Il fait face à une épouse qu’il n’aime plus (Hélène Theunissen), un peu effacée face au portrait en majesté du Capitaine.

Quant à leur ami ( Pierre Baux), observateur, acteur et commentateur égaré, il est aussi leur confident privilégié mais n’adhère pas à leur comportement immature et à leur désir cruel de blesser et d’humilier. Rage sourde et cris de fureur: la vie à deux fait mal et il n’est guère aisé de fuir.

 Une Danse de mort précise et éloquente, une sarabande divertissante au goût amer.

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Reine Blanche, scène des arts et des sciences, 2 bis Passage Ruelle Paris XVIIIème, du 27 septembre au  29 octobre. T : 01 40 05 06 96.

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