Stadium

 

Stadium, de Mohamed El Khatib

 

el-khatib-stadium-c-fed-hockeCe n’est pas du théâtre : des « vrais gens » sont sur scène,pas en “amateurs“ venus modestement prêter main forte (et justification ?) à un spectacle. En effet, ils ne jouent rien, ils sont là en personne, parce qu’elles et eux ont quelque chose à dire. Et ils le font avec confiance et grande maîtrise, parce que c’est du théâtre ; sur une scène organisée dans l’espace et  le temps comme pour tout spectacle, il y a un commencement, une fin (encore que…), et un suspense, dans l’attente non d’un dénouement mais d’une rencontre et d’un nouage. On peut “spoiler“ : la rencontre se produira.

Mohamed El Khatib a partagé pendant deux ans la vie du fan club du Racing Club de Lens, a fait des recherches sur la sociologie du football. Il est entré dans ces familles où l’on naît supporteur, où on vit et meurt supporteur aux couleurs sang et or. Il a écouté les “ultras“ et leur parole parfois paradoxale, leurs guerres d’honneur avec les clubs adverses-spécialement le club parisien et ses insultes aux Ch’ti «chômeurs alcooliques consanguins pédophiles», leur sens du respect–oui-et de la solidarité. Ils lui ont raconté leurs ateliers d’ « éléments de langage“, car on n’insulte pas n’importe comment : d’accord, l’arbitre a perdu sa mère la veille, il aura droit à un certain respect, on le traitera donc d’«orphelin de pute». La face plaisante des valeurs de ce club de fans.

L’auteur a recueilli les souvenirs encore proches sur la mine à Lewarde qui a fermé dans les années 90, et devenue aujourd’hui Centre Historique Minier, et le témoignage de l’un des derniers maires communistes de la région. Le séisme politique est encore présent, creusé par l’effondrement industriel: il y eut l’espoir avec la gauche de 2012,  et le basculement en 2017 vers le Front National avec toute la puissance déferlante entraînée par la déception.

Cela pourrait être triste mais non…. Dans un dispositif simple-une petite tribune, un micro, un écran et une baraque à frites, les supporteurs de Lens viennent avec leurs blagues, leurs chansons, les chorégraphies de pom- pom girls, et les familles avec leurs tout petits enfants, fiers de ce que Mohamed El Khatib nous fait découvrir et aimer. À quoi sert le théâtre ? À mettre en scène les invisibles, à écouter ceux qu’on n’entend pas. Y compris dans le débat politique: les lois et règlements anti-hooligans (terme à employer avec une grande vigilance), comportant l’idée de «présomption de culpabilité», seraient un bon terrain d’expérimentation pour l’extension de lois répressives concernant tout le monde. (Voir le récent débat à l’Assemblée Nationale).

Le foot, c’est du bruit, mais aussi des paroles. En direct ou sur écran, les personnes présentes qui ne sont pas des « personnages» mais qui le deviennent, du fait de leur place ici-se moquent gentiment de l’image que le public parisien peut avoir d’elles, et nous dévoilent un monde. Vous croyez qu’il suffit d’installer une succursale du Louvre à Lens pour que les Lensois se l’approprient ? Savez-vous que c’est un métier, d’être mascotte ? Qui se cache dans l’énorme chien en peluche du Racing Club de Lens? Un danseur professionnel qui a dansé avec Pina Bausch et Carolyn Carlson. Où l’on voit que le spectacle du foot n’est pas si éloigné qu’on ne le croyait, de la culture de l’ « élite“. Laquelle, respectueuse comme on l’est au théâtre, reste de bois, quand une jeune fille essaie de l’entraîner dans les chants du club.

Mais les frites de la mi-temps, autrement dit de l’entracte, la fanfare, les moments de rire et d’émotion auront raison de cette raideur. Les supporteurs lensois gagnent cette rencontre, au point que la fanfare ne peut plus s’arrêter, ni les spectateurs quitter la salle. Mohamed El Khatib a gagné son triple pari : mettre en scène le peuple des oubliés, rendre au spectateur son corps et ses émotions, et parler politique, frontalement et  sans métaphores. Est-ce du théâtre ? Cette performance à cinquante n’est pas tout le théâtre, mais un théâtre, passionnant et réconfortant. Cela vaut la peine de suivre le travail de Mohamed El Khatib avec C’est la vie, à Théâtre Ouvert puis au Théâtre de la Ville/Espace Cardin, puis Conversation entre Mohamed El Khatib et Alain Cavalier du 14 au 22 décembre)

Christine Friedel

Théâtre National de la Colline, jusqu’au 7 octobre.

Théâtre Alexandre Dumas à Saint-Germain-en-Laye le 12 octobre. Théâtre de Chelles, le 13 octobre. Théâtre Louis Aragon à Tremblay-en-France, le 14 octobre.
L’Avant Seine, Théâtre de Colombes, le 10 novembre et Théâtre du Beauvaisis, les 16 et 17 novembre.

 

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