La Chute de la maison
La Chute de la maison, d’après des motifs d’Edgar Allan Poe, Franz Schubert et Robert Schumann, mise en scène de Jeanne Candel et Samuel Achache, direction musicale de Florent Hubert
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, le dispositif Talents Adami/ Paroles d’acteurs est accueilli pour la cinquième année aux Ateliers de Paris Carolyn Carlson où Jeanne Candel et Samuel Achache ont créé un spectacle avec de jeunes comédiens. Soit une rencontre entre deux générations de théâtre. Les metteurs en scène leur transmettent leur pratique au croisement du jeu et de l’opéra et ont créé ensemble cette Chute de la maison, inspirée de plusieurs lieds de Franz Schubert et Robert Schumann, de poèmes chantés à une voix et accompagnés par des instruments, et de la nouvelle fantastique La Chute de la maison Usher (1839) où Edgar Allan Poe écoute avec complaisance les forces obscures qui grondent en lui, et se déclare avec terreur et orgueil « enfant d’une race éminemment surexcitable, aussi remarquable par ses talents que par ses passions »
Une façon de tendre l’oreille aux craquements intérieurs des personnages imaginés par cet écrivain aux silences attentifs. La vieille demeure immense de conte comme on n’en voit qu’en rêve, est ici portée sur un plateau en briques et béton à deux niveaux: avec une scène où le public est assis sur des gradins en tri-frontal; et avec au-dessus du mur de lointain, une large galerie, sorte de hall d’appartement avec une porte, et que les acteurs rejoignent par une échelle. Sur la coursive, des instruments classiques dont la guitare d’Usher. La mort est l’objet de cette nouvelle fantastique avec cette question: qu’est-ce que l’au-delà ?Ironiquement, peut-être « Le repos délicieux qui nous attend dans la tombe » du Corbeau, autre conte fantastique avec paysage nocturne de cimetière abandonné, aux arbres décharnés, de tombes en pierre avec leur croix, et vol d’oiseaux néfastes, et qu’a illustré Gustave Doré.
Mais ici, rien de cela. Chez Jeanne Candel et Samuel Achache, nulle tonalité mortifère mais un sourire moqueur. Avec une grande énergie, ces jeunes gens veulent en découdre avec la scène, hors de toute atmosphère gothique. En costumes élégants du XIXème siècle: longues robes serrées à la taille et chignons relevés pour les dames, et infirmière comique qui fait sa pause en mangeant, vêtue de blanc avec un voile semi-médical, semi-religieux. Pour le médecin, un costume sombre et une blouse et pour le prêtre, une traditionnelle soutane noire.
Dans des rapports sociaux de domination, chacun des personnages tient son rôle avec facétie et goût du jeu : on s’amuse, alors qu’on est pris de terreur, face à la résurrection d’une patiente décédée officiellement, et qu’on a rencontrée vivante dans les couloirs. On parle aussi en passant, de l’invention du téléphone: une conversation savoureuse sur l’absurde d’une situation nouvelle : parler à quelqu’un au loin, mais pour quoi lui dire ?
Il y a un piano à queue dont l’interprète joue sous une couverture de déménagement, une directrice d’hôpital sûre de son pouvoir mais vraie cantatrice, des médecins peu courageux et très stressés, et une de leurs collègues qui en impose par ses ses ratés assumés, toujours en proie à l’inquiétude et à la peur. Le plateau laisse place à une rêverie romantique et fantastique, au plus près de l’être. Véritable invite au voyage intérieur, cette création incite à l’introspection. Le spectateur-ainsi proche du plateau-explore l’espace intime de personnages, avec frôlements, voix et rêves.
Jeanne Candel et Samuel Achache ont un jeu singulier et efficace avec anecdotes et plaisanteries sur la personnalité de chacun qui révèlent la teneur à la fois drôle et grave d’échanges amicaux, dans d’intenses moments de partage qui émeuvent le public.
Véronique Hotte
Spectacle joué aux Ateliers de Paris Carolyn Carlson, Cartoucherie de Vincennes/Festival d’Automne, du 3 au 7 octobre.