Eddy Merckx a marché sur la lune de Jean-Marie Piemme, mise en scène d’Armel Roussel
Eddy Merckx a marché sur la lune de Jean-Marie Piemme, mise en scène d’Armel Roussel
Le 20 juillet 1969, Eddy Merckx gagne son premier tour de France et Neil Armstrong fait le premier pas sur la lune. « Je me suis souvenu de cette coïncidence, quand j’ai voulu écrire sur l’après 68 » dit Jean-Marie Piemme. Comment mai 68 résonne-t-il chez des jeunes gens d’aujourd’hui? La pièce répond à cette question à travers les destins croisés d’un couple et de leur fils, et d’une multitude d’autres personnages. Deux époques, distantes de près de cinquante ans, s’imbriquent dans un montage de courtes séquences. Le couple parental vit au présent sa « révolution » utopique et culturelle, le fils et ceux de sa génération interrogent cet héritage. Il dialogue aussi avec le fantôme du père et sa mère âgée… Les histoires du passé et du présent se bousculent dans un va-et-vient constant.
A part les trois personnages principaux, les rôles ne sont pas attribués. Si bien qu’Eddy Merckx a marché sur la lune peut se jouer avec une distribution variable et revêt un caractère choral dès le départ : « Hop là, nous vivons ! /Nous sommes deux, nous sommes cent, nous sommes mille, / inquiets du lendemain/ indécis dans l’aujourd’hui, quoique pas satisfaits de cet aujourd’hui,/ avant tout soucieux de ne pas ajouter du gris au gris, de la mort à la mort. (…) » Armel Roussel relève le défi avec de jeunes comédiens qui entrecroisent leurs répliques et interchangent leurs rôles avec une belle énergie. Metteur en scène, scénographe, auteur, et performeur installé en Belgique avec sa compagnie [e]utopia3, il a découvert la pièce de Jean-Marie Piemme à l’INSAS (Institut national supérieur des arts du spectacle et des techniques de la scène) de Bruxelles où ils enseignaient. Après une première lecture scénique avec des apprentis-comédiens, il en entrevoit les potentialités et choisit aujourd’hui de la distribuer avec cinq hommes et cinq femmes entre trente-cinq et quarante-cinq ans qui évoluent sur le plateau nu, en costumes de ville, comme si la mise en scène s’inventait au fur et à mesure.
Il convoque les images de La Chinoise de Jean-Luc Godard, des chants révolutionnaires, ou des slogans, autant que des histoires d’amour d’hier et d’aujourd’hui. La musique sur scène est au rendez-vous, et, comme dans un concert, on prend souvent le public à témoin. Passant d’un travail choral à des rôles individualisés, avec une grande liberté, les interprètes insufflent la vitalité de la jeunesse avec un bel équilibre entre intime et politique, présent et passé. Dans ce double mouvement, le fils se cherche, sans trop espérer du legs paternel : « Le fils : Tu me laisses quoi ?/ Le Père : Mon échec. /Le Fils : T’as cru à des foutaises et c’est de ça que tu es mort. » Piteux bilan. L’historien Marcel Gauchet parle des protagonistes de mai 68 comme d’une génération qui n’a pas su transmettre…
Mais il n’y a rien de testamentaire ou de moralisateur dans ce texte ni dans ce spectacle. Il ne faut pas y voir un quelconque message, une tentative de reconstitution historique, ou une analyse a posteriori. On y lit simplement les traces du passé dans notre présent : «Le passé se dissout, éclats de souvenirs qui me reviennent au présent», dit l’un des personnages. Et les questions d’hier se sont ici transformées… en questions d’aujourd’hui. Une proposition tonique où la nostalgie et la gravité s’effacent devant l’énergie et la fantaisie déployées et données en partage au public.
Mireille Davidovici
Spectacle vu aux Francophonies en Limousin, le 21 septembre.
Théâtre Paris-Villette, du 14 novembre au 2 décembre.
Théâtre des Tanneurs à Bruxelles, du 5 au 16 décembre.
Et Nest Théâtre, Centre Dramatique National de Thionville-Lorraine, du 15 au 18 mai.