Les Trois sœurs d’Anton Tchekhov, mise en scène de Timofeï Kouliabine
Les Trois sœurs d’Anton Tchekhov, mise en scène de Timofeï Kouliabine, (surtitré en français et en anglais)
On s’attend à monts et merveilles ou à un objet d’un snobisme absolu puisqu’en langue des signes russe. Mais le spectacle n’est ni l’un ni l’autre. Timofeï Kouliabine a mis en scène de façon assez classique, la chute de la maison Prozorov, une vieille famille cultivée et artiste, tombée entre les mains de l’arriviste et égoïste Natacha, incarnation d’un libéralisme prédateur.
La petite gourde du premier acte s’étale au second et au troisième, tisse sa toile, anéantissant son mari, déjà bien engagé sur la pente descendante, poussant dehors les trois sœurs qui n’en n’avaient pas besoin pour assister au gâchis de leurs souvenirs et à l’effondrement de leurs rêves. Irina, la plus jeune, qui voyait la vie en rose et blanc (en regardant un clip de Miley Cyrus…), finit veuve sans avoir connu l’amour, ni même la pâle consolation d’un mariage. Macha, la cadette, aura vu passer un amour et devra revenir à un mari exaspérant, et Olga, l’aînée, à la fin directrice du lycée, aurait elle tant voulu être femme au foyer…
Résumée ainsi, la pièce paraît désespérante. Tous ceux qui la connaissent, savent qu’elle ne l’est pas. Quelqu’un, au moins, aime ces personnages frustrés d’amour et leur pardonne : l’auteur lui-même. Il les sait résilients, et même s’ils ne vont pas où il veulent, ils vont quelque part avec confiance, prêts pour «une vie nouvelle». Un décor tracé au sol, la grande table des jeux et des rires, et les meubles peints en gris clair évoquent ceux de la «chambre des enfants» où commence La Cerisaie: on est bien dans l’univers d’Anton Tchekhov, au-delà de la pièce elle-même, et souvent baigné de belles lumières.
La langue des signes n’apporte pas grand chose, d’autant que le troisième acte se passe en grande partie dans le noir! On peut y voir à la rigueur, un exercice intéressant pour des comédiens “entendants“, une façon de s’adresser plus directement les uns aux autres… Mais cela ne concerne guère le spectateur, à l’exception de quelques très beaux moments où la mise en scène joue sur la façon dont les sourds reçoivent dans tout le corps la vibration des sons : danse pieds nus, rare pause dans les conflits et les inquiétudes, têtes posées ensemble sur la table… Les “entendants”, eux, auraient préféré que le dernier acte ne soit pas saturé de crescendos et roulements de tonnerre forçant l’émotion et parasitant la belle gestuelles des trois sœurs enlacées, “pieuvre d’amour“ à six bras, « entre le rire et les larmes ».
La représentation dure quatre heures quinze, pauses comprises, car il faut après chaque acte, modifier le décor de la maison. On a vu des mises en scène plus fluides… Cette durée peut avoir sa beauté, mais il arrive qu’on s’ennuie et on a alors le temps de penser à d’autres interprétations, comme un aficionado à l’Opéra compare différentes Norma ou Traviata. Grâce aux sur-titres, on peut aussi le temps de vérifier son anglais courant… le festival d’Automne nous offre un objet théâtral inattendu dans une mise en scène qu’on nous dit « historique » mais pas entièrement convaincante. Attendons Les Trois Sœurs dans la mise en scène de Simon Stone, en novembre à l’Odéon.
Christine Friedel
Odéon-Théâtre national, aux Ateliers Berthier, Paris jusqu’au 15 octobre. T. : 01 44 85 40 40.