Haskell Junction, conception et mise en scène de Renaud Cojo

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Haskell Junction, conception et mise en scène de Renaud Cojo

 Au départ, un voyage où Renaud Cojo découvre cet ovni qu’est le Haskell Opera House, un grande maison abritant un théâtre et une médiathèque située juste sur la frontière réelle entre Canada et Etats-Unis. Avec des plus surréalistes, une ligne soigneusement marquée par un ruban noir adhésif sur le sol, au milieu des fauteuils de la salle de spectacle comme dans la bibliothèque. Et  il y a aussi une double ligne dans une des rues principales de la petite ville ce qui complique les choses, quand il il faut faire demi-tour, puisqu’on doit forcément pénétrer dans le territoire voisin sans autorisation. Les choses se corsèrent quand à la suite d’un incendie dans la bibliothèque, on dut aussi déterminer dans quel pays le feu avait pris, les compagnies d’assurance n’étant pas du tout d’accord.  Un réalité des plus ubuesques, et un fabuleux thème d’inspiration pour un écrivain…

Sur le plateau nu ou presque, une tempête de neige-artificielle-et un régisseur en balance à vue des sacs sur de gros ventilateurs. Un gros tronc d’arbre à l’intérieur apparemment vide… mais d’où sortira plus tard une énorme chenille. Suspendus aux cintres, mais à l’envers des silhouettes de sapins  enneigés et une palissade où sera un projeté un texte joué en anglais par deux hommes assez alcoolisés et visiblement chargés d’établir  une  frontière dans cette forêt. Cela se passe en 1772 aux environs de Stanstead. 45 ème parallèle.John Collins, Arpenteur Général du Québec, et  Thomas Valentine, le commissaire nommé par le gouvernement de New-York, visiblement un peu imbibés… Il parlent anglais et la traduction s’affiche en simultané sur la palissade inversée. 
John : Ah ! Thomas, le vent et si froid, la plaine et si grande.  Et nos pas s’affaissent dans la neige qui porte le poids de cette grande nation que nous ne cessons de bâtir ensemble et pourtant, chacun de notre côté. Thomas : Et nous en sommes les arpenteurs chanceux John, même si la glace et les désaccords de chacun de nos camps, ne cessent de ralentir notre progression. Mais nous avons tellement froid et sommes tellement loin de chez nous que nous avons laissé ces querelles dormir… (Thomas tire une bouteille de whisky de sa poche et se penchant pour ramasser de la neige afin de l’amener aussi à sa bouche) : « Glace et whisky, ensemble mélangés, sont les garde-fous de notre mélancolie et le feu sacré de notre union ! »

On entend le bruit de moteurs d’avion, histoire sans doute de mêler réalité et fiction, et de brouiller les pistes entre passé et présent,Puis un autre homme viendra avec une tronçonneuse, coupera une branche du gros tronc puis collera un ruban adhésif noir sur le sol. Il y a aussi une jeune femme rampant absolument nue dans la neige-allusion sans doute à des images de migrants actuels-qui se collera une vingtaine de flacons de whisky vides autour de la taille avec des mètres de ruban adhésif transparent.  Et il y aussi une autre jeune femme en longue robe bleue de soirée..  “ Le plateau de théâtre dit Renaud Cojo, dessine progressivement une communauté particulière servant le travail de création dans son immédiateté (sic). Ainsi le réel est restitué sous forme de reconstitution. (…) Je souhaite dévoiler par couches successives tel un palimpseste, les angoisses et les traumatismes que constitue la force des frontières et leur réalité politique, transgressive”.

Sur l’écran, s’affiche aussi un extrait de film sur les Beattles en 1976: deux étaient interdits de séjour aux Etats-Unis,  et ils voulaient se rencontrer au Hasklell Opera House. Les images se succèdent, parfois picturalement intéressantes:et c’est cohérent: Renaud Cojo revendique son Haskell Junction comme une installation plastique. Mais on a souvent l’impression qu’il n’y a pas vraiment de fil rouge et le spectacle manque singulièrement d’unité. Nous sommes donc restés sceptiques… A force de vouloir dire beaucoup de choses: l’absurdité des frontières, et donc leur nécessaire transgression par des populations locales à qui des Etats souverains les ont imposées, les traumatismes que subissent les migrants un peu partout dans le monde, l’aspect philosophique que possède tout voyage à l’étranger, Renaud Cojo semble naviguer à vue et désolé, ce théâtre/performance/installation plastique/film nous a vite semblé partir un peu dans tous les sens.

Le metteur en scène semble en effet à avoir eu quelque mal à en maîtriser un temps et un espace, hérités en gros du surréalisme. Les images projetées, la scénographie assez classique voire conventionnelle, l’action plus théâtrale souvent muette avec références au théâtre américain des années 70-80 (entre autres Bob Wilson , et Meredith Monk que les Bordelais avaient pu voir autrefois au festival Sigma), la volonté d’explorer, “à partir de cette intériorité mise en scène les mécanismes pour les exprimer plastiquement par le jeu des acteurs et actrices en installation d’art contemporain” (sic! ): tout cela ne fonctionne pas vraiment et est à peine convaincant pour ne pas dire prétentieux;  sous des couleurs de recherche de modernité absolue, ce palimpseste fait au fond assez vieux théâtre contemporain.

 Dans une seconde partie,  un beau documentaire, rigoureux, mais trop long et répétitif , qu’il a lui-même réalisé là-bas avec  Laurent Rejol, fait du bien; même s’il arrive tardivement, et s’il redit en gros ce qui s’est passé sur scène, il en aère et éclaircit un propos que le public avait du mal à percevoir! Mais il ajoute encore un autre mode de création à ce spectacle patchwork qui dure déjà une heure trente, ce qui est longuet!  Même s’il y a parfois des images fortes comme, à la fin surtout, cette ouverture du fond du plateau comme une échappée belle sur le monde actuel qui donne à voir le hall du T.N.B.A. avec une chanson en groupe par les acteurs accompagnés à la guitare. Ce n’est pas nouveau : Claude Régy à Nanterre, Matthias Langhoff à Bobigny, Georges Lavaudant… Mais cela est vivant et proche du public qui apprécie le cadeau et donne enfin une bouffée d’air frais à cette création qui en avait bien besoin.

Mais encore une fois, parler de “théâtre indépendant”-l’expression a beaucoup servi-est un peu prétentieux. Il y a quand même ici, avec des moyens sans aucun doute conséquents et malgré de bonnes intentions-une certaine confusion des genres, là où il aurait fallu moins de conformisme scénique, plus de véritable audace pour parler de cette expérience de voyage qui ici, ne fait pas vraiment sens. A propos de frontières,  Renaud Cojo,  comme l’avait fait le mouvement Fluxus, aurait pu justement chercher à supprimer les frontières entre art et vie,  et à mieux intégrer, comme à la fin,  le public et/ou des amateurs de la région à sa performance qui aurait alors beaucoup gagné en vitalité. Et mieux sans doute ailleurs que sur une scène conventionnelle, par exemple dans un lieu alternatif dont la ville ne manque pas, comme ceux où le bordelais Jacques-Albert Canque réalise ses mises en scène.

« La liberté de l’art, disait Tadeusz Kantor, n’est un don ni de la Politique ni du pouvoir. Ce n’est pas des Mains du pouvoir que l’art obtient sa Liberté. La liberté existe en nous, nous devons lutter pour la liberté, seuls avec Nous-mêmes, dans notre plus intime intérieur, Dans la solitude et la souffrance. C’est la Matière la plus délicate de la sphère de l’esprit. »

Philippe du Vignal

TnBa-Théâtre du Port de la Lune, Place Renaudel 33032 Bordeaux. T: 05 56 33 36 80, jusqu’au 21 octobre

 

 

 

 

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