Dans la Solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Charles Berling
Dans la Solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Charles Berling
Charles Berling qui a interprété le rôle-titre de Roberto Zucco du même auteur, sous la direction de Jean-Louis Martinelli en 1995, incarne aujourd’hui le client, et Mata Gabin, le dealer redoutable.
La comédienne a les atouts du puissant, de celui qui marchande, négocie et octroie : une figure inversée de l’autorité, face à celui qui achète ou reçoit, sous conditions. Une femme contemporaine, version banlieue dure ou de quartier de grande ville à éviter la nuit, une curieuse déesse qui fait la pluie et le beau temps là où elle règne.
Dans la scénographie de Massimo Troncanetti, particulièrement heureuse, le client surgit de la salle. Assis, il se lève puis se tient debout longtemps à l’écoute du long monologue initial du dealer. On le sent épuisé; en costume élimé, il retrousse régulièrement la manche de veste sur son bras nu que le dealer caressera à son heure, ce que le client ne supporte pas.
Le Client accède par une passerelle, au plateau d’une hauteur impressionnante dont le sol maculé de coulées d’eau. Une impasse sombre, véritable coupe-gorge entre des bâtiments élevés avec enseignes lumineuses. Cela pourrait être une boîte de nuit à Shanghaï, New York ou Dakar. A jardin, les travaux inachevés d’un pont en béton, lointain rappel de la magnifique scénographie de Richard Peduzzi pour Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Patrice Chéreau (1983). Quand Michel Piccoli et Philippe Léotard s’injuraient sous l’arche d’un pont, dont le chantier avait été abandonné pour cause d’urbanisation en panne.
Pour dévoiler la teneur pesante des tensions et peurs de chaque adversaire, une sono réglée à fond dispense des basses profondes. Chacun à son tour et une seule fois, le dealer, puis le client graviront l’escalier de béton pour trôner dans les hauteurs de cette coursive arrêtée net dans sa construction. Que se disent-ils? Des choses à la fois les plus banales et les plus belles qu’il soit, dans la langue élaborée et cadencée de l’auteur, à savoir que l’on peut tout autant s’aimer que se haïr, selon les circonstances, l’heure ou l’endroit. Seul, le désir qui a force de loi existentielle mène la danse et conduit les êtres vers leur destin. « Alors ne me refusez pas de me dire l’objet, je vous en prie, de votre fièvre, de votre regard sur moi, la raison, de me la dire ; et s’il s’agit de ne point blesser votre dignité, eh bien, dites-la comme on la dit à un arbre, ou face au mur d’une prison, ou dans la solitude d’un champ de coton dans lequel on se promène, nu, la nuit ; de me la dire sans même me regarder », invoque patiemment ce dealer, au langage plutôt littéraire.
Une mise en scène soignée et carrée : le dealer honore son rendez-vous avec un texte que Mata Gabin porte avec force et dignité, alors que Charles Berling prend appui sur l’émotion, celle d’une vie subie à l’excès.
Véronique Hotte
Manufacture des Œillets-Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre dramatique national du Val-de-Marne, jusqu’au 22 octobre. T : 01 43 90 11 11.
Le Liberté-Scène Nationale de Toulon, le 2 novembre. Théâtre du Gymnase à Marseille, du 8 au 10 novembre. Le Carré à Sainte-Maxime, le 18 novembre et Aggloscènes-Théâtre Le Forum Fréjus ( Var), le 24 novembre.