Deux points de vue:
Pièce en plastique de Marius von Mayenburg, texte français de Mathilde Sobottke, mise en scène de Patrice Bigel
Michael et Ulrike sont des “gens bien“, ils ont réussi. Lui, grand chirurgien, tenté par l’aventure Médecins du monde-tenté seulement. Elle, assistante d’un célèbre artiste performeur. Mais incapable d’être elle-même artiste : trop de sens du confort, trop grande trouille devant ce qu’exige l’art.
Ils ont un fils tout juste adolescent. Et c’est lui le premier grain de sable dans cet équilibre apparent, « faute d‘amour », comme dans le film de Andrei Zviaguintsev. Pour s’en occuper, le couple engage une femme de ménage. On n’ «emploie» pas sans risque, une personne. Telle l’ange du Théorème de Pasolini, Jessica va bouleverser la famille avec l’arme la plus imparable : la soumission à sa tâche, si étendue qu’elle soit. Une inébranlable résistance! En donnant tout, elle ne donne rien, un noyau dur auquel se heurtent ses employeurs bourgeois, y compris dans la complaisance. Un OK qui fait froid dans le dos.
Marius von Mayenburg explore cette destruction d’un couple avec son obstination habituelle : ne rien lâcher de ses personnages, tant qu’il n’a pas poussé jusqu’au bout les conséquences de leurs comportements. On rit alors de leur harmonie de façade, des propos violents et désinhibés d’Ulrike contre l’employée de maison «qui pue », des hésitations et balbutiements de Michael qui essaie d’arranger les choses, de la haine réciproque née des illusions perdues de leur amour de jeunesse. Et de l’évocation hystérico-sentimentale de ce qui était peut-être déjà un mensonge, mis en scène pour masquer le vide de leur vie… Et leur enfant porte, avec son autodestruction, le fer dans la plaie.
L’auteur y va fort, à la hache et au scalpel. Bon, le discours de l“artiste contemporain“ a quelque chose de caricatural dans sa provocation infantile, mais, peu à peu, de vraies questions le remplissent, qui ébranlent sans le moindre moralisme une Allemagne satisfaite, et plus généralement notre mode de vie d’Occidentaux privilégiés. Ironie, sarcasme, dérision : ça devrait être sinistre, et pourtant on sort de la représentation gonflé à bloc.
Marius von Mayenburg vide son sac, et le nôtre avec. Mais c’est surtout la beauté du spectacle qui fait du bien. Dans la scénographie et les lumières de Jean-Charles Clair, en elles-mêmes une œuvre d’art, la mise en scène de Patrice Bigel est d’une parfaite cohérence et d’une précision réjouissante. L’interprétation des acteurs a la même qualité, la même élégance, y compris dans l’outrance : Jean-Michel Marnet et Bettina Kühlke forment le couple idéal de cette catastrophe conjugale: du “pas de deux“ initial au chaos final, totalement engagés dans leur jeu et aiguisés par la pointe d’ironie qui remet les choses en place; Karl-Ludwig Francisco a l’élasticité gracieuse et agaçante de l’artiste irresponsable, et Juliette Parmantier, l’employée de maison, est belle, impressionnante de force opaque et de dignité. Ce soir-là, Julien Vion, l’adolescent qui joue Vincent, apportait sa part d’émotion retenue avec une remarquable maîtrise ; logique, il est formé dans les ateliers de la compagnie La Rumeur, la compagnie de Patrice Bigel qui s’est installé depuis une trentaine d’années à Choisy-le-Roi, dans l’ancienne Usine Hollander.
Un lieu vivant, variable, où l’on peut se réunir, boire, manger, et travailler, et le camp de base d’un travail de longue haleine et de large souffle sur la ville, les quartiers. Ce qui s’y passe mérite sans discussion, l’effort d’aller jusque là. Pour l’heure, y voir l’un des spectacles les plus réussis de Patrice Bigel qui nous a déjà habitués à un théâtre de haute qualité. À ne pas manquer.
Christine Friedel
Pour une fois, nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec notre amie Christine Friedel! Désolé, nous n’avons pas dû voir tout à fait le même spectacle. On se demande bien pourquoi Patrice Bigel est allé chercher cette pièce indigeste, ennuyeuse et interminable, dont on ne discerne pas bien le fil rouge. Entre règlements de compte dans un vieux couple de la bonne société allemande, avec cette vieille ficelle de l’ange exterminateur qui vient bousculer le jeu de quilles, et démolition programmée de l’art contemporain surtout du côté performances et installations. S’il ne portait pas la signature von Mayenburg mais celle d’un obscur auteur dramatique de la France profonde, on peut parier à coup sûr que son texte n’aurait pas été retenu! La démonstration appuyée pèse des kilo-tonnes et passées les vingt première minutes, on s’ennuie sec: pas dupe, le public-avant hier, une vingtaine de personnes-a salué poliment mas pas plus!
Patrice Bigel a toujours cette indéniable faculté d’imaginer un espace avec quelques éléments scéniques et de belles lumières. Il y a notamment devant un mur blanc un énorme tas de fripes, très beau dans toute sa vulgarité de couleurs qui fait penser bien sûr à cette installation de Christian Boltanski au Grand-Palais il y a quelques années… Et un réfrigérateur en fond de scène, dont les artistes conceptuels se sont beaucoup servi!
Il y a une chose aussi que l’on comprend avec difficulté: pourquoi Jean-Michel Marmet (le médecin) a-t-il une diction aussi déplorable: la plupart du temps, il bouffe ses mots si bien qu’on a le plus grand mal à le comprendre. Reste une belle consolation, dans cette logorrhée de deux heures: Julie Parmentier (l’employée de maison). Dès qu’elle arrive, elle a une telle présence scénique qu’à chaque fois, il se passe quelque chose.
Voilà: vous aurez sans doute compris qu’il n’y avait aucune urgence à aller voir une chose aussi peu passionnante et aussi estouffadou!
Philippe du Vignal
Usine Hollander, 1 rue de Docteur Roux à Choisy-le-Roi, jusqu’au 22 octobre, et du 9 novembre au 3 décembre. T. : 01 46 82 19 63
RER C Choisy-le Roi (Travaux sur la ligne, horaires variables)
Retour Paris :
TVM bus rapide en face de la gare RER direction Créteil RER/ Arrêt Pompadour, départ 23h18 / arrivée 23h23, départ Créteil Pompadour:direction Gare de Lyon : 23h27 / arrivée : 23h37
ou bus 182 ( Arrêt à la sortie de l’Usine à droite) direction Mairie d’Ivry. Départ : 23h15 puis 23h45