C’est bien au moins de savoir ce qui nous détermine à contribuer à notre propre malheur , une pièce sous influence de Pierre Bourdieu

 

 

 

©Christophe Raynaud de Christophe RAYNAUD DE Lage

©Christophe Raynaud de Lage

C’est bien au moins de savoir ce qui nous détermine à contribuer à notre propre malheur , une pièce sous influence de Pierre Bourdieu, texte et mise en scène de Guillermo Pisani

 Nommé au Collège de France, le sociologue Pierre Bourdieu travaillait sur ce qu’il appelait la magie sociale de la consécration, et sur les rites d’institution : « En entreprenant de réfléchir sur ce que j’étais en train de vivre, je cherchais à m’assurer un certain degré de liberté, par rapport à ce qui m’arrivait. Mon œuvre est souvent lue-à tort, selon moi-comme déterministe et fataliste. Mais faire une sociologie des intellectuels… au moment même où on est pris dans, et par le jeu, c’est affirmer, sinon la possibilité de s’en libérer complètement, du moins la possibilité de faire un effort en ce sens… » ( Leçon inaugurale au Collège de France, le 23 avril 1982).

 Guillermo Pisani, artiste associé à la Comédie de Caen-Centre dramatique national de Normandie, met en scène une professeure de lycée enthousiaste-éblouissante Caroline Arrouas-à la fois grave et comique, rigoureuse et didactique, qui élucide, avec sa classe, quelques points de sa discipline scientifique, progressant par paliers, et s’attache à ce qu’elle suive les articulations successives de sa démonstration et en cerne les enjeux. Et la voilà qui dérive, sans prévenir son auditoire: la classe et le public, et associe sa leçon, à la situation sociale prédéterminée de ses élèves à laquelle, dit-elle, et malgré tous leurs efforts, ils n’échapperont pas …

 Dans une vision sociologique prophétique, elle reconnaît quelques exceptions qui consacrent les règles : «Si vous réussissez ou ratez les concours des grandes écoles, vous serez, soit du bon côté des études entreprises, soit du mauvais côté définitif en allant directement à la fac. Et ce qui, pour les chanceux relevait aussi d’un privilège social, devient mérite personnel. » Selon un ordre social et des rituels institutionnels qui ne se sont pas encore atténués !

 Et l’enseignante joue avec l’idée de catalogue en prenant appui sur une liste de pense-bête : « Vous irez peut-être à tel théâtre, lirez tel journal, choisirez telles vacances, telle décoration d’intérieur… Même si on pense rester soi, on échappe très peu à ses prédéterminés sociaux ». Rappelons le livre emblématique Les Héritiers de Bourdieu et Passeron…

 Ici, on ne sait plus si Caroline Arrouas joue son propre rôle quand elle  fait un retour sur sa formation universitaire, puis sur son passage réussi au concours de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg. S’invente-t-elle vraiment une sœur jumelle qui serait cantatrice à l’Opéra de Vienne? Alors qu’elle resterait de son côté, à Paris, fonctionnaire de l’Education Nationale, et devrait faire front à une simulation d’intrusion terroriste dans son établissement,  alors qu’elle supporte en même temps, le harcèlement d’un élève qui aurait été son amant.

 La fiction prend souvent le pas sur la réalité, et on s’amuse de la présence efficace et loufoque de l’actrice : avec son bagou, ses interrogations sa tendance au bavardage téléphonique. Entre salle de classe et scène de théâtre, les postures sont aisément interchangeables, mais elle porte le rôle de Lechy dans L’Echange de Paul Claudel, la scène qu’elle a passée à son concours d’entrée avec grâce et talent.  On apprécie par ailleurs sa maîtrise des langues anglaise et allemande qui en disent long sur son parcours.

 Qu’est-ce qui fait la valeur d’une œuvre d’art ? Sans doute, la croyance personnelle qu’on a précisément de cette valeur. Guillermo Pisani, dit-il, s’essaye sur la scène, à la pratique comme à une réflexion sur cette pratique : «Nous tentons de mettre en lumière ce qui, d’habitude, reste ignoré ; nous entendons ainsi expérimenter en acte, l’un des mouvements fondamentaux de la pensée de Pierre Bourdieu.»

 L’auteur et metteur en scène vient commenter (théâtre dans le théâtre!), sa démarche tandis que Caroline Arrouas disparaît du plateau un instant. Quand est-on soi-même ? En jouant, et en inventant et en se racontant … Un spectacle malicieux qui s’arrête sur le privilège implicite que possèdent à la fois les consommateurs et les acteurs du théâtre.

 Véronique Hotte

 Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris T: 01 48 06 72 34, du 22 au 24 octobre.

Lycée Allende, à Hérouville Saint-Clair (Calvados) le 27 novembre.

Comédie de Caen-Centre Dramatique National de Normandie ( Calvados), les 28 et 29 novembre.

 

 

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