Croquis de voyage par les élèves de l’Ecole du Nord
Croquis de voyage par les élèves de l’Ecole du Nord
Sortir du confort de l’Ecole, de la vie en groupe -en tournée, les acteurs vont ensemble d’un théâtre à l’autre- se retrouver seul, face à soi-même dans un environnement étranger, en revenir avec un point de vue et un projet artistique personnel, puis écrire, répéter et présenter son Croquis de voyage en quinze jours: un pari difficile mais ici gagné. Les voyages forment la jeunesse, dit-on. Cécile Garcia-Fogel en était convaincue, avant de proposer aux élèves de troisième année de l’Ecole du Nord, cette expérience initiatique.
Les petites formes qui en résultent, livrées ce week-end le confirment. La comédienne, marraine de la promotion 2015-2018, leur a demandé de partir dans un pays européen de leur choix, téléphone mobile et ordinateur débranchés, pour une immersion totale. En poche, une carte inter-Rail donnant accès gratuit aux trains européens, et un petit défraiement. Pour préparer au mieux l’aventure, Cécile Garcia-Fogel a demandé à Jean-Pierre Thibaudat, homme de théâtre et grand voyageur, d’accompagner l’initiative, : «Les seize élèves, dit-il, savent où ils vont, mais ne savent pas ce qu’ils trouveront en chemin. Tout voyage vaut pour ses imprévus (…). Je les ai aidés à préciser leurs objectifs puis, au retour, je leur ai donné quelques conseils sur leur textes et leurs réalisations, sans jamais les guider ».
La Maison Folie Moulins, une ancienne brasserie en briques rouges, est en effervescence. De la cour aux Petit et Grand germoirs, à la Petite cuve, par des escaliers métalliques le public s’invite au voyage…
Mathias Zachar est descendu, en train, en bateau, en stop, de la source à l’embouchure du Danube (« Le petit robinet est devenu une bouche où le Danube se perd »). Lui qui, imprégné de littérature, n’a jamais vraiment écrit, compose un récit étonnant, rythmé comme La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars, avec des échappées poétiques à la Paul Celan : «L’Europe est un masque de papier qui porte le Danube en sourire ». Il retrouve au passage sa famille paternelle, hongroise : « Mon grand-père attend Dieu, assis dans les abeilles, et il chante ». Il plonge au cœur de cette Mitteleuropa aux langues et nationalités enchevêtrées : « Sarajevo, ses mosquées qui se frottent à ses églises, qui se frottent à ses synagogues, qui se frottent à mes mains (…) La rivière coule rouge, de tout le sang versé. (…) « Et mon impuissance. Je suis un petit jouet de l’histoire dans une boîte. (…) Je comprends que je ne suis rien, je suis vide, prisonnier de la puissance du monde. » Au terme du périple, arrivé au kilomètre zéro, paradoxalement là où le fleuve se jette dans la mer, après 2.882 kilomètres, il conclut : «Le voyage est une longue quête vers un moi qui ne m’appartient pas. »
Et nous voilà dans la cour de la Folie Moulins, sur les traces d’Allan Stone, un personnage de fiction inventé et joué par Alexandre Goldinchtein. Comme échappé du Bon,la Brute et le Truand, chapeau de cuir et cache-poussière, le double de l’auteur d’I am a poor lonesome car-boy nous entraîne, avec sa vieille bagnole rouge – fidèle cheval d’acier-, dans le désert de Tabernas, en Andalousie. Hauts lieux du cinéma hollywoodien où furent jadis tournés westerns et peplums, les anciens villages de cowboys sont en ruine, ou exploités pour le tourisme, la région livrée aux chasseurs : “Coto de Caza” annoncent des pancartes. Un Indien acrobate rejoint le héros. Alexandre Goldinchtein rapporte dans ses bagages une brillante performance d’acteur, en partie improvisée, doublée d’une belle proposition scénique.
Caroline Fouilhoux a choisi Sienne. Sur le blason de la ville italienne, une louve rappelle celle de Romulus et Remus. Elle recherche son jumeau perdu, qui aurait dû naître en même temps qu’elle. Elle ne trouvera sa propre identité qu’après mille et un travestissements, changeant de nom et de genre comme de chemise, au fil de ses rencontres et déambulations dans les rues sombres et les bars. Sa pièce grouille de tous ces personnages, et chaque séquence est ponctuée par de très belles lettres à sa mère. Elle se sent maintenant à l’aise entre ces deux moi. Mais elle avoue que, pour voyager, c’est plus commode d’être un garçon….
Morgane El Ayoubi dialogue avec une voix venue des coulisses : son genou malade. « Qui a dit que j’ai voyagé seule sur le chemin ? », dit-elle. Son genou n’était pas d’accord, et le lui fait savoir haut et fort. Mais elle n’en a cure : « On est parti sur la route de Saint-Jacques de Compostelle pour chercher le miracle. On vous raconte ensemble. » Même si elle ne croit pas au miracle, elle marche vers la guérison. En route, le genou proteste : « Je ne veux pas que tu oublies le goût de ma douleur. » Puis il se tait. Sa voix lui manque. Mais il y a les rencontres, les rires, « Et puis il y a l’océan, la fin des terres ». « Le poids de ton sac, c’est le poids de ta peur », lui dit encore la voix. La comédienne a choisi de suivre le Camino Frances pour apprivoiser sa douleur et apprendre à maîtriser son corps fragile dans son apprentissage de la scène… Elle en joue avec grâce.
Cyril Metzger, lui, ira au hasard : il s’en remet aux dés, et joue à pile ou face pour avancer. Avec comme règle du jeu : pendant trente jours, toute décision sera prise en lançant sa pièce de cinq francs suisses, un format commode. Oui ou non, entrera- t-il dans ce bar ? Couchera-t-il dans cette auberge de jeunesse de Budapest? Non, répond la pièce. Et le voilà dans un palace, à dépenser le reste de son pécule… Le comédien applique au public le même régime. A tour de rôle, les spectateurs, choisis à pile ou face, tirent au sort, dans un sac, un petit papier où s’inscrit le titre d’une anecdote. Quand arrive le mot FIN, il arrête de nous raconter ses aventures rencontrées à chaque étape. A itinéraire interactif, spectacle interactif. En parfaite adéquation, et malicieux.
« Celui qui voyage sans rencontrer, l’autre ne voyage pas, il se déplace», pensait Alexandra David-Neel. Ce que découvre Etienne Toqué en Albanie. Seule contrainte au départ : «Passer le plus de temps avec des Albanais. » La langue n’a pas été une barrière. Il a pu vivre une semaine dans la montagne avec des paysans, et partager leur quotidien. Son texte s’adresse à eux : « Vos vie sont dures mais vos esprits légers.(…) La religion vous rend beaux tous les deux. » De cette religion qui enferme les femmes, il se demande : « Est ce que ma mère est plus heureuse que ta femme qui ne peut pas aller au café ? » «Homme nouveau devant les choses inconnues, je marchais…Je suis face à mon ignorance et je me bats pour ne pas faire de généralité » écrit-il.
Depuis son retour, Etienne se pose bien des questions sur la forme que prendra sa pièce : «J’essaye de livrer avec minutie ce que j’ai observé. Est-ce le travail de l’acteur ? Le désir du spectateur ? Faire de l’art pour dire ou pour distraire ? C’est les deux et c’est bien comme ça. » Et sur son métier : « Comme acteur est-ce bien de se cacher derrière un personnage ? » Il conclut : « Plus j’avançais, plus je me rendais compte que je ne savais rien, dit-il. Je reviens blanc avec des questions parce que je suis entouré de gens qui se positionnent. Ne pas avoir d’avis, c’est accepter de se faire surprendre. »
Faute d’avoir pu voir l’ensemble des projets, il faut citer tous les autres : Alexandra Gentil sur les traces de son grand-père, de Graz en Autriche jusqu’au Pirée ; Margot Madec embarquée sur un bateau en Méditerranée ; Peio Berterretche dans la Bucarest des noctambules ; Victoire Goupil perdue dans la foule et les bruits de Berlin et de Cracovie, submergée par ses émotions ; Corentin Hot à la rencontre de la jeunesse chrétienne à Malte…
« En route, le mieux c’est de se perdre, lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises, et c’est alors, mais alors seulement, que le voyage commence. » écrivait Nicolas Bouvier. Christophe Rauck et son l’équipe de l’Ecole du Nord envisagent une nouvelle présentation des travaux d’élèves avant la fin de leur scolarité. En attendant, les inscriptions au concours pour la prochaine promotion seront ouvertes du 1er novembre au 1er février. On recrutera douze élèves comédiens et quatre élèves-auteurs, parrainés cette fois par Alain Françon. A suivre donc.
Mireille Davidovici
Présentation publique les 14 et 15 octobre, à Lille. www.ecoledunord.theatredunord.fr
Beau parcours que j’aurais aimé partager dans cette ville de Lille où j’ai fait mes premières armes de conseiller sous la direction d’Alain Van der Malière. J’aime dette ville !