Le Marchand de Venise (Business in Venice) de William Shakespeare, mise en scène de Jacques Vincey

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

 

Le Marchand de Venise (Business in Venice) de William Shakespeare, mise en scène de Jacques Vincey, texte français et adaptation de Vanasay Khamphommala

Pièce-piège, pièce à problème et à prendre avec des pincettes,  et difficile à monter. Aux fêtes de carnaval, le jeune Bassanio  tombe amoureux fou de la belle (et sage, on verra à quel point !) Portia, héritière avisée d’un père non moins avisé.
Pour lui faire la cour, il lui faut des sous : ça a toujours coûté cher de fréquenter les riches! Circulation de l’argent et cascade financière : il emprunte à son ami Antonio, le marchand, qui, lui-même, a investi tous ses capitaux et doit donc emprunter au juif Shylock, qui leur fera, si possible, payer le prix fort à tous les deux. Une livre de la chair d’Antonio, s’il ne rembourse pas en temps et en heure. Les affaires de cœur, elles, vont bien et Bassanio saura déchiffrer l’énigme qui lui soumet Portia. Mais…

Dans un décor de supermarché où la jeunesse de Venise vient se servir, Jacques Vincey choisit franchement le parti de la comédie et prend donc le risque que les personnages-légers-deviennent ici un peu lourds… Mais on ne lui reprochera pas un prologue en forme de «stand up» de Pierre-François Doireau en Lancelot, le bouffon. Il dégoupille la pièce pour mieux jouer sur nos attentes, en un extrait délicieusement agaçant, drôle et efficace. Ou comme dans la scène où Portia, en poupée Barbie (Océane Mozas, irrésistible) reçoit ses prétendants-le choix du coffret d’or, d‘argent ou de plomb, avec déchiffrement de l’énigme et à la clé : la main de la belle-se fait sur un podium de jeu télévisé avec images virtuelles, spots clignotants et ritournelle sonnant l’échec ou la victoire.

Joute verbale au procès où Shylock réclame son dû et comédie galante au domaine enchanté de Belmont. Ici, tout  se joue sur différents registres mais sans perdre de sa gravité. Cela tient au malaise provoqué par le mépris presque naturel d’Antonio et de sa petite cour pour le juif Shylock.  Mais surtout au jeu particulièrement sobre des principaux adversaires, le mélancolique Antonio et le Juif condamné à l’amertume.
Jean-René Lemoine, en homme qui n’aime plus la vie mais qui l’accepte, y compris dans le sacrifice de sa “livre de chair“ ou dans ’arrangement final qui l’enrichit aux dépens du Juif, et Jacques Vincey/Shylock, font preuve de la même intériorité, de la même dignité. En ennemis fraternels…

À la fin du procès, la victoire écrasante des chrétiens-conversions forcées et confiscation des biens-nous montre ce dont sont capables les “bons», contre les “méchants“. Nous connaissons cela, à l’échelle de la planète. Épilogue : une fois l’harmonie du monde rétablie avec cette brutalité, le moment est venu de la rétablir aussi dans les couples amoureux : la soumission traditionnelle des femmes fondée sur l’obéissance absolue des hommes aux épreuves imposées: subtilités précieuses…

Grâce à ces bizarreries, l’œuvre échappe peut-être à un débat simplificateur: est-elle, oui ou non, antisémite ? Ou: jusqu’où laisser la parole à des personnages antisémites ? Malheur au perdant! Ce n’est pas un programme mais un constat. Tempéré par la compassion, selon Portia.
Fin de partie : rien n’a changé, mais reste la vraie question  des rapports de forces.  Voilà pourquoi, sans doute, cette lecture du Marchand de Venise n’a pas provoqué pas-du moin ce soir-là -ni scandale ni agitation. Le public reconnaît trop bien ces jeux de pouvoir et d’argent, soulignés par le sous-titre du spectacle, pour se focaliser sur la figure du Juif. Et il en apprécie la comédie.

Christine Friedel

Théâtre 71-Scène Nationale, Malakoff (Hauts-de Seine), jusqu’au 20 octobre.

Comédie de Reims-Centre Dramatique National, du 7 au 9 novembre; NEST-Centre Dramatique National de Thionville, les 15 et 16 novembre ; Théâtre Dijon Bourgogne-Centre Dramatique National du 21 au 24 novembre.
Comédie de Saint-Etienne-Centre Dramatique National, du 29 novembre au 1er décembre.

Hexagone de Meylan, Scène  nationale, les 6 et 7 décembre et Maison de la Culture de Bourges-Scène nationale, du 12 au 14 décembre.

 

 

 


Archive pour 19 octobre, 2017

Le Marchand de Venise (Business in Venice) de William Shakespeare, mise en scène de Jacques Vincey

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

 

Le Marchand de Venise (Business in Venice) de William Shakespeare, mise en scène de Jacques Vincey, texte français et adaptation de Vanasay Khamphommala

Pièce-piège, pièce à problème et à prendre avec des pincettes,  et difficile à monter. Aux fêtes de carnaval, le jeune Bassanio  tombe amoureux fou de la belle (et sage, on verra à quel point !) Portia, héritière avisée d’un père non moins avisé.
Pour lui faire la cour, il lui faut des sous : ça a toujours coûté cher de fréquenter les riches! Circulation de l’argent et cascade financière : il emprunte à son ami Antonio, le marchand, qui, lui-même, a investi tous ses capitaux et doit donc emprunter au juif Shylock, qui leur fera, si possible, payer le prix fort à tous les deux. Une livre de la chair d’Antonio, s’il ne rembourse pas en temps et en heure. Les affaires de cœur, elles, vont bien et Bassanio saura déchiffrer l’énigme qui lui soumet Portia. Mais…

Dans un décor de supermarché où la jeunesse de Venise vient se servir, Jacques Vincey choisit franchement le parti de la comédie et prend donc le risque que les personnages-légers-deviennent ici un peu lourds… Mais on ne lui reprochera pas un prologue en forme de «stand up» de Pierre-François Doireau en Lancelot, le bouffon. Il dégoupille la pièce pour mieux jouer sur nos attentes, en un extrait délicieusement agaçant, drôle et efficace. Ou comme dans la scène où Portia, en poupée Barbie (Océane Mozas, irrésistible) reçoit ses prétendants-le choix du coffret d’or, d‘argent ou de plomb, avec déchiffrement de l’énigme et à la clé : la main de la belle-se fait sur un podium de jeu télévisé avec images virtuelles, spots clignotants et ritournelle sonnant l’échec ou la victoire.

Joute verbale au procès où Shylock réclame son dû et comédie galante au domaine enchanté de Belmont. Ici, tout  se joue sur différents registres mais sans perdre de sa gravité. Cela tient au malaise provoqué par le mépris presque naturel d’Antonio et de sa petite cour pour le juif Shylock.  Mais surtout au jeu particulièrement sobre des principaux adversaires, le mélancolique Antonio et le Juif condamné à l’amertume.
Jean-René Lemoine, en homme qui n’aime plus la vie mais qui l’accepte, y compris dans le sacrifice de sa “livre de chair“ ou dans ’arrangement final qui l’enrichit aux dépens du Juif, et Jacques Vincey/Shylock, font preuve de la même intériorité, de la même dignité. En ennemis fraternels…

À la fin du procès, la victoire écrasante des chrétiens-conversions forcées et confiscation des biens-nous montre ce dont sont capables les “bons», contre les “méchants“. Nous connaissons cela, à l’échelle de la planète. Épilogue : une fois l’harmonie du monde rétablie avec cette brutalité, le moment est venu de la rétablir aussi dans les couples amoureux : la soumission traditionnelle des femmes fondée sur l’obéissance absolue des hommes aux épreuves imposées: subtilités précieuses…

Grâce à ces bizarreries, l’œuvre échappe peut-être à un débat simplificateur: est-elle, oui ou non, antisémite ? Ou: jusqu’où laisser la parole à des personnages antisémites ? Malheur au perdant! Ce n’est pas un programme mais un constat. Tempéré par la compassion, selon Portia.
Fin de partie : rien n’a changé, mais reste la vraie question  des rapports de forces.  Voilà pourquoi, sans doute, cette lecture du Marchand de Venise n’a pas provoqué pas-du moin ce soir-là -ni scandale ni agitation. Le public reconnaît trop bien ces jeux de pouvoir et d’argent, soulignés par le sous-titre du spectacle, pour se focaliser sur la figure du Juif. Et il en apprécie la comédie.

Christine Friedel

Théâtre 71-Scène Nationale, Malakoff (Hauts-de Seine), jusqu’au 20 octobre.

Comédie de Reims-Centre Dramatique National, du 7 au 9 novembre; NEST-Centre Dramatique National de Thionville, les 15 et 16 novembre ; Théâtre Dijon Bourgogne-Centre Dramatique National du 21 au 24 novembre.
Comédie de Saint-Etienne-Centre Dramatique National, du 29 novembre au 1er décembre.

Hexagone de Meylan, Scène  nationale, les 6 et 7 décembre et Maison de la Culture de Bourges-Scène nationale, du 12 au 14 décembre.

 

 

 

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