Ceux qui restent, paroles de Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson recueillies par David Lescot
Ceux qui restent, paroles de Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson recueillies par David Lescot
Cousins, ils ont joué ensemble dans la cour d’un immeuble du Ghetto à Varsovie qui sera plus tard incendié par les nazis. Ils ont pu être “exfiltrés“ par la Résistance juive, le BUND, elle avec sa sœur jumelle, en franchissant le mur, et lui avec son frère, en passant par les égouts de la ville. Leurs familles ont été dispersées et anéanties. Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson font partie des rares et derniers survivants de ce ghetto.
Ces récits croisés nous rappellent une réalité : pour un enfant qui les a vécus, subis, la persécution, le harcèlement, la peur, la violence et la mort sont des choses “normales“. Comme le dit tranquillement Paul Felenbok aujourd’hui, au nom du petit Paul : «La vie, c’est la mort, la mort, c’est la vie», en un raccourci saisissant de la destinée humaine. Pour Wlodka, enfant et adolescente, perdre un proche n’a qu’un sens et qu’une évidence : sa mort. Si l’on pense à l’angoisse d’un enfant quand sa mère s’éloigne, cela fait froid dans le dos… Ballottés de cache en cache, de famille d’accueil en famille d’accueil (rémunérée, le plus souvent, en ces temps de pénurie générale!), ces enfants ne croient plus aux retrouvailles. Peur de perdre à nouveau celui qu’on vient de retrouver, dialogue impossible… Wlodka Blit-Robertson raconte: quand elle revoit après six ans, son père réfugié à Londres, ils n’arrivent pas à se parler.
Ce qu’enfants, ils ont vécu, souligne un aspect essentiel, à ne jamais oublier, des récits de la Shoah. Six millions de morts: soit six millions de fois, une mort, une vie singulière anéantie. Et les aventures héroïques, effrayantes, du retour des survivants que Primo Levi raconte dans La Trève portent toutes la même charge de douleurs et d’incroyable résistance, et chacune est unique, singulière. Tout comme le retour à l’enfance, après la guerre : Paul Felenbok aurait pu rencontrer Robert Bober et les colonies de vacances de la Commission Centrale de l’Enfance, mais sa vie en “maison d’enfants“ l’a emmené ailleurs… Ils ont en commun une chose : enfants, ils jouaient, allaient à l’école, et ne parlaient pas de «ça».
Il faut donc entendre les récits de Ceux qui restent, repris pour la troisième fois depuis sa création en 2014. Ce témoignage unique, personnel, ne dit pas tout, de l’Histoire, mais constitue un document pour l’Histoire. Et, comme le dit Paul Felenbok, il «allège le sac à dos» pour la personne qui a fini par oser raconter. Il fallait la médiation d’un homme de théâtre : David Lescot a suscité, organisé le double récit. Il a choisi le dispositif le plus simple, le plus nu : les comédiens, assis face à nous, alternent les rôles de celui qui interroge et de celui qui raconte. Marie Desgranges et Antoine Mathieu exemplaires, ne “jouent“ pas le récit, ils l’incarnent au présent, à la naissance des mots. Nulle autre distance que celles d’un plateau et de l’âge de ceux qui parlent. Ils rendent l’étrange douceur émanant de personnes qui ont «fait avec» les souvenirs longtemps enfouis.
Paul et Wlodka-on a envie de les appeler par leur prénom, après avoir partagé avec eux, toute cette vie- sont vraiment des survivants, plus vivants que n’importe qui. Comme si la vie finissait par tuer la mort… Mais on sait que l’ogre est toujours là, et que ce n’est pas un conte. À voir et à revoir comme le trésor de vies sauvées.
Christine Friedel
Théâtre Dejazet, 41 boulevard du Temple, Paris IIIème. T. 01 48 87 52 55 à 19h, jusqu’au 28 octobre ; puis du 7 novembre au 9 décembre.