Un Cœur Moulinex de Simon Grangeat, mise en scène de Claude Viala

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© Pierre Nasti

© Pierre Nasti

Un Cœur Moulinex de Simon Grangeat, mise en scène de Claude Viala

Coeur-Moulinex-700x1050Qui n’a jamais découvert, dans un grenier ou un placard, un vieux moulin-légumes à manivelle, avec sa poignée rouge en bois et ses grilles interchangeables ? «Je veux travailler pour les femmes », décide Jean Mantelet en 1932. Cet obscur bricoleur de Bagnolet, propriétaire d’une usine d’emboutissage, invente l’ustensile qui fera sa fortune… Ainsi commence la saga Moulinex, avec la naissance d’un empire industriel qui s’effondrera soixante-neuf ans plus tard.

Simon Grangeat conte cette aventure à la française, à travers ses protagonistes : le fondateur et sa femme, les ouvrières de l’usine, le dessinateur industriel, et les financiers. L’auteur décrit les mécanismes économiques en jeu et montre, à travers les personnages, les ressorts du capitalisme familial paternaliste, protégé par les barrières douanières, l’ouverture des marchés et une violente concurrence : «Toujours vendre à meilleur prix, déclarait Georges Pompidou en 1967, c’est la seule raison d’être du libéralisme. Nous serons donc en risque permanent.» On connait la suite : délocalisations, mondialisation, avènement d’un capitalisme financier prédateur…

Très documenté, le texte n’a pourtant rien de didactique et  Simon Grangeat s’amuse avec cette histoire, en multipliant les points de vue, les adresses au public et  les intermèdes ludiques. La metteuse en scène s’empare de ce récit choral avec énergie et invention. Sur le plateau nu, quelques meubles figurent les différents espaces:  la salle à manger de Jean Mantelet, son bureau de P.D.G., l’usine où travaillent les ouvrières et où se nouent les conflits sociaux, et bureaux des financiers requins et des politiques.  Les six interprètes passent habilement d’un rôle à l’autre, avec des accessoires et costumes dans le style des époques traversées:  un chapeau, un livre, un tablier, un costume-trois pièces…

 Ici, les intermèdes publicitaires prennent la forme de numéros de cabaret burlesques, avec des clins d’œil au cinéma.  Le tout, sur des compositions de Christian Roux -également comédien-  au piano et à la guitare.  «L’épopée Moulinex, dit-il, c’est aussi la traversée d’un siècle. Je voudrais faire sentir cette traversée par les styles de musique (…) Le ragtime des années 30, le rock en 1950, la pop psychédélique  vers 1960, le punk des années 70, le disco et la techno en  80, 90… » Comme le moulin-légumes, au fil du siècle, la musique s’électrifie, puis monte en violence avec les machines électroniques.

Le tempo, vif, va crescendo jusqu’à la chute finale: quand  Moulinex dépose le bilan, les usines sont rachetées ou démantelées et le personnel licencié.  Les dirigeants successifs, eux, quittent le navire avec des parachutes dorés. Pour conclure, une émouvante exposition Moulinex où chacun peut reconnaître une cafetière, un grille-pain, un aspirateur ou un robot ménager… Des ustensiles familiers qui ont accompagné le quotidien de plusieurs générations et continuent à «libérer la femme », dans l’imaginaire collectif…

Après Les Sept jours du Simon Labrosse, (voir Le Théâtre du Blog), Claude Viala et sa compagnie Aberratio Mentalis qui a aussi un atelier de formation d’acteurs, se saisissent avec humour d’un thème brûlant. Une histoire exemplaire, mais aussi instructive et drôle.

Mireille Davidovici

Spectacle présenté en avant-première, le 19 octobre et qui sera joué du 8 au 26 novembre, au Théâtre de l’Opprimé, 78 rue du Charolais, Paris XlI ème. T. : 01 43 45 81 20.


Archive pour 22 octobre, 2017

Odyssée , adaptation d’après Homère et mise en scène de Pauline Bayle

Blondine Soulage

Blondine Soulage

Odyssée, adaptation d’après l’œuvre d’Homère et mise en scène de Pauline Bayle

Après Iliade, remarquable spectacle à mains nues déjà toute en intelligence et finesse, Pauline Bayle avait persisté et signé Odyssée On connaît tous ce fabuleux scénario où Homère fait le récit du très long voyage d’Ulysse, à la fois terrible et merveilleux. Cette épopée qui a fait l’objet de nombreuses thèses, a été traduit dans toutes les langues, adapté sur toutes les scènes du monde, filmée par nombre de cinéastes et peinte par nombre de peintres et auteurs de BD. Pour Pauline Bayle, c’est l’occasion de renouer avec Homère et de faire  aussi «l’éloge de la ruse et le portrait d’un anti-héros avant l’heure. En creux, dit-elle, se pose la question ouverte de la place laissée au danger et à l’aventure dans nos vies. Un regard décapant sur une épopée fondatrice de notre culture générale» Fatigué par dix longues années de guerre  de Troie, où il  a perdu nombre de ses compagnons, Agamemnon, Patrocle, Achille, etc.  Nestor et Ménélas eux sont repartis pour la Grèce , et du coté troyen, Hector l’ennemi respecté est mort.  Ulysse a vieilli de dix ans, on l’oublie trop souvent mais à l’époque peinte par Homère, c’est énorme, et il veut rentrer dans sa chère petite Ithaque, et retrouver sa Pénélope. Mais bien sûr, le destin en décidera autrement: il va encore errer des années sur les mers, avant de les rejoindre mais vingt ans se seront écoulés. Il  vivra de fabuleuses aventures qui ont fasciné des dizaines de milliers  d’auditeurs d’abord, puis de lecteurs, et ensuite de spectateurs.  «

« Chez Homère, nous disait souvent notre chère prof Jacqueline de Romilly, l’épopée est un art fait de simplicité mais aussi de souplesse et où des moyens réduits sont employés, de manière à rendre avec force, la complexité et la portée émouvante de l’aventure humaine. » Dans L’Odyssée c’est aussi le temps des mortels mais en temps de paix. Certains sont morts,  comme entre autres, Achille et Agamemnon, ou bien rentrés en Grèce comme Nestor et Ménélas. Ulysse, le  dernier à repartir avec ses compagnons, devra encore subir encore la haine de Poséïdon qui ne lui pardonne pas d’avoir aveuglé son fils, le cyclope Polyphème. Ulysse est un beau guerrier intelligent et rusé mais il est fasciné par les femmes qui le séduisent facilement : ainsi la belle et terrible magicienne Circé qui le retiendra prisonnier, puis la déesse- donc immortelle- Calypso, sur une île… Puis Nausicaa la Phéacienne qui, enfin, le laissera partir. Plus tard, après bien des aventures, il retrouvera, comme on le sait, sa Pénélope qui, a aussi vieilli mais qui est restée sans doute malgré l’éloignement, la plus proche de lui. Dans ce périple en Méditerranée, il aura souvent peur mais  trouvera encore assez d’énergie pour aller à Ithaque rejoindre les siens.  Même si bien conscient qu’après tant d’épreuves, il n’est plus tout à fait le jeune et brillant guerrier qu’il a été à cause de cette longue guerre.

Il parviendra à rentrer chez lui incognito, après s’être vengé en massacrant tous les prétendants de sa femme, et sera à nouveau roi d’Ithaque, époux de Pénélope et père de Télémaque. La boucle est bouclée et la vie pourra reprendre normalement, loin du bruit et de la fureur de la guerre, dans l’ordre et la paix rétablis. «Ils sont cinq pour jouer vingt-sept personnages, dit Pauline Bayle, et tous les enjeux reposeront sur la clarté de leur pensée et sur leur agilité dans les ruptures. L’histoire  pourra se raconter à la condition que les acteurs soient familiarisés et aguerris, aussi bien avec leur propre parcours qu’avec la dramaturgie globale», dit la jeune metteuse en scène, partie du texte original mais aussi des traductions libres de droit de Leconte de Lisle (1893) et Victor Bérard (1924) pour écrire cette adaptation qui respecte, non la totalité du récit mais bien son esprit! En mettant l’accent sur le concept de danger et sur la peur, à la fois à l’échelle de la construction individuelle et d’une société. Sur le plateau nu, six chaises alignées de chaque côté et cinq dans le fond, au centre, un plateau de bois rectangulaire des projecteurs latéraux. Energie, concentration maximales et rigueur  absolue dans la direction d’acteurs.

Dans l’exacte lignée des fameux spectacles de Jerzy Grotowski, que Pauline Bayle du haut de ses trente ans, n’a pu voir qu’en vidéo. Mais la parenté est évidente. Quelques accessoires, et des costumes simples: pantalons de toile et T. shirts pour tous, filles et garçons qui jouent indistinctement personnages masculins ou féminins.  Comme dans Iliade, mais Pauline Bayle a évolué et progressé : la gestuelle est plus ample et l’unité de jeu encore plus radicale. Et ces jeunes comédiens jouent avec un plaisir évident un spectacle constitué à la fois de courts récits mais aussi de dialogues sans aucun temps mort.

Il y a ici la même intelligence du texte chez la metteuse en scène, les mêmes trouvailles pour dire la violence et le sang…tous à la diction et à la gestuelle impeccables- et ils nous emmènent dans la fable d’Homère avec humilité et  passion pendant une heure et demi. Tout cela sans micros H. F.  salle de la Ferme du Buisson puis en 2018 au Théâtre de la Bastille. Manque sans doute une explication nette des enjeux de chaque camp mais bon c’est une adaptation revendiquée comme telle et une heure comment faire mieux?

Philippe du Vignal

Spectacle vu à la Ferme du Buisson

 

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