Julia d’après Mademoiselle Julie d’August Strindberg, mise en scène et réalisation du film de Christiane Jatahy
Julia d’après Mademoiselle Julie d’August Strindberg, mise en scène et film de Christiane Jatahy
L’union sexuelle durable entre personnes de classe sociale et de couleur de peau différentes, semble bien difficile, même si les esprits sont aujourd’hui plus ouverts. « Je me suis laissé séduire par un sujet, qu’on peut dire étranger aux luttes partisanes d’aujourd’hui, dit August Strindberg, puisque le problème de la grandeur ou de la décadence, le conflit du haut et du bas, du bon et du mauvais, de l’homme et de la femme restera d’un intérêt durable… Mais tout d’abord, il n’y a pas de mal absolu. La ruine d’une race fera le bonheur d’une autre qui s’élèvera, et les alternances d’ascension et de chute sont un des principaux agréments de la vie, puisque le bonheur ne tient qu’à une comparaison ». Cela en a dit long sur les mentalités des années 1880!
August Strindberg donnait plusieurs explications à la triste destinée de Julie: le suicide de sa mère, une éducation paternelle erronée, et «sa propre nature et la puissance de suggestion que le fiancé exerce sur un cerveau faible et dégénéré». C’est la nuit de fête de la Saint-Jean et le père de Julia est absent mais il y a aussi l’excitation de la danse, le pouvoir érotique des fleurs, une chambre retirée et l’audace d’un mâle surexcité. La Brésilienne Christiane Jatahy transpose les personnages d’August Strindberg, dans la luxuriance d’une grande propriété carioca : un abîme entre la nymphette Julia, une aristocrate blanche et Nelson, le domestique noir de son père.
Théâtre, et film avec des images du passé enregistrées, et celles du présent…Paulo Camacho, assis ou allongé, tourne, caméra à la main, les scènes les plus significatives, et les acteurs, placés comme pour un tournage, jouent aussi en direct les personnages. Sur l’écran central, l’intérieur d’une favela dans les quartiers chics de Rio-de-Janeiro. La petite Julia est filmée dans le jardin du domaine familial-théâtre dans le théâtre-alors que l’enfant noir du jardinier en est exclu, hors-champ!
Devenue une riche jeune femme-interprétée avec fougue et sincérité par Julia Bernat, Julia a conscience de sa supériorité sur le chauffeur noir de son père (Rodrigo Dos Santos) l’adolescent d’autrefois. Le châssis central s’ouvre et laisse apparaître d’autres espaces: la cuisine où sévit Cristina, l’épouse de Jelson (Tatiana Tiburcio) dans les images de la vidéo, car la fidèle et loyale cuisinière n’apparaîtra jamais sur le plateau, mais on peut voir aussi la chambre du chauffeur et celle de Julia, refuges où les partenaires se rejoindront. Dans une chaleur torride, propice à un désir sexuel des plus crus, que capte la caméra…
Julia, lassée et désespérée, demandera au cadreur de cesser de filmer avec autant d’impudeur. Impudique, elle l’est en effet, avec une envie d’en découdre avec le chauffeur mais elle n’en évalue pas les conséquences: elle sera rejetée par les autres car elle a transgressé l’interdiction quand son père s’est absenté. Une fois l’acte sexuel consommé-que nous observons comme des voyeurs-la jeune femme est de nouveau dominante, ce qu’elle n’était pas quand elle faisait l’amour. Elle insulte et humilie maintenant son partenaire habité par un instinct d’infériorité et qui se tait. Mais la violence de cet accouplement sexuel s’arrête, quand les partenaires se parlent; ici, la brutalité et les coups ne sont jamais montrés ni incarnés…
Julia, une belle performance avec des artistes engagés.
Véronique Hotte
Le spectacle a été joué au CENTQUATRE, 5 rue Curial, Paris XIX ème, du 18 au 22 octobre.
Teatro Nacional Donna Maria II à Lisbonne, du 4 au 6 mai.