Les Transis de Luc Petton, chorégraphie de Marilen Iglesias Breuker et Luc Petton
Les Transis de Luc Petton, chorégraphie de Marilen Iglesias Breuker et Luc Petton
Après Yann Bourgeois au Panthéon (voir Le Théâtre du blog), le programme Monuments en mouvement a proposé à la compagnie Le Guetteur d’investir le château de Pierrefonds. Imposant, il a été construit au XIV ème siècle par le duc Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI, aux confins de la forêt de Compiègne, puis remanié de fond en comble par Eugène Viollet-le-Duc. L’architecte, contesté aujourd’hui pour avoir restauré à sa façon Notre-Dame de Paris et autres monuments, a laissé libre cours à son invention style néo-gothique. Il passa vingt ans à reconstruire, sur ordre de Napoléon III, ce château volontairement ruiné par Louis XIII après le Fronde. Tout en respectant les plans d’origine, Eugène Viollet-le-Duc a réinventé des ornements baroques, en particulier la statuaire, dont un bestiaire de pierre étonnant, « à la manière de »… dans un style très personnel.
Cette architecture médiévale fantasmée, peuplée de monstres grotesques ne pouvaient qu’inspirer Luc Petton et Marilen Iglesias Breuker Breuker car leur prochaine création, Ainsi la nuit, se focalise sur « la poétique de l’effroi ». Les Transis est une adaptation inédite de cette pièce pour le château et une tournée dans d’autres monuments. Ici, ce n’est pas des cygnes ou des grues de Mandchourie que ce passionné d’ornithologie met en scène avec ses danseurs, comme dans Swan ou Light Birds (voir Le Théâtre du Blog) : des animaux bien plus inquiétants vont se mêler aux interprètes. « Enfant, j’ai longtemps été habité par une sainte horreur du noir dans lequel je craignais d’être happé et de disparaître, confie le chorégraphe. Ces terreurs m’anéantissaient d’autant qu’elles surgissaient parfois à l’issue d’épisodes somnambulesques accompagnés de sensations physiques déconcertantes, comme si mon corps s »expansait » ». Des sensations qu’il entend nous faire revivre dans ce vrai-faux château, digne de Walt Disney.
Dans la Cour d’honneur à la tombée du jour, d’étranges personnages se glissent comme des voleurs, en juste-au-corps noir et long manteau sombre. Deux danseurs se livrent un combat acrobatique ; un loup trottine aux trousses des danseuses, puis s’immobilise. Temps suspendu. Silence. «Le loup, avec son aura de peur viscérale, fait surgir l’effroi d’être dépossédé de notre statut de chasseur pour devenir proie ! ».
On suit la troupe en haut du donjon. Dans une grande salle voûtée, les interprètes se lovent contre les murs, comme sortis de la pierre. Créatures nocturnes, ils évoluent lentement, suspendent leurs gestes puis s’effacent derrière les tentures. Et réapparaissent en compagnie de rapaces de toute taille. Babylone, la grande chouette lapone, piaille et déploie ses ailes. Rose, le faucon gerfaut, fait cligner ses yeux perçants, et une colonie de petites chouettes effraies se disputent la nourriture sur les bras des artistes. Un gros vautour vorace glisse son bec dans les poches de la veste d’une danseuse. Et chaque oiseau y va de son cri particulier, sans distraire les artistes de leurs mouvements.
Les Transis, ce titre suggère les gisants conçus par l’art funéraire à la fin du Moyen-Âge et à la Renaissance, pendant la Grande Peste et la guerre de Cent ans, mais le spectacle n’a rien de macabre, et conjure nos peurs, plus qu’il ne provoque l’effroi. Les danseuses ont un petit air d’Irma Vep, l’héroïne du film Les Vampires de Louis Feuillade (1915), et les danseurs développent d’étranges mimiques. La présence des oiseaux n’empêche pas la danse d’advenir: ainsi le solo feutré de Sun-A Lee fait suite à un duo plus aigu d’Aurore Godfroy et Anais Michelin.
Adalberto Fernandez Torres réalise, lui, un impressionnant numéro de contorsionniste et Pieradolfo Ciuilli s’y entend pour parler italien aux oiseaux. Chouettes, loups et vautours jouent le jeu. Il aura fallu un patient travail pour habituer les animaux aux danseurs, et inversement. Depuis leur naissance ils les côtoient, les connaissent et partagent une complicité sans être pour autant dressés comme des bêtes savantes.
La musique de Xavier Rosselle, qu’il interprète en douceur au saxophone accompagné par quelques percussions, renforce cette atmosphère étrange, en demi-teinte. Les oiseaux ont été habitués à ces sons dès leur sortie de l’œuf, et comme les danseurs et les circassiens, ils apprivoisent leurs peurs respectives. Sous la direction attentive d’animaliers, eux aussi très investis dans le spectacle. « Imaginer un instant être destitué du statut de prédateur – l’homme-pour n’être plus que celui de proie et, comme le dit Claude Regy, devenir “un régal pour les vautours » , écrit Luc Petton. »
Mireille Davidovici
Les Transis, a été créée le 21 octobre pour le Centre des Monuments historiques et sera déclinée pendant trois ans en différents lieux de l’opération Monuments en Mouvement. https://www.monuments-nationaux.fr/
Ainsi la nuit : Spectacle pilote : les 21 et 22 décembre à l’Opéra de Reims.
Le 13 janvier, Le Volcan, Le Havre; le 3 février, Théâtre municipal de Fontainebleau ; 16 mars, Centre culturel Saint-Ayoul de Provins.
Création les 15 et 16 mai Le Bateau de Feu à Dunkerque.