Adieu Jack Ralite
Adieu Jack Ralite
Il avait adhéré au Parti Communiste Français à dix-neuf ans en 1947, et avait élu député de la Seine-Saint-Denis en 1973 jusqu’en 1981. Puis maire d’Aubervilliers en Seine-Saint-Denis, de 1984 à 2003, et sénateur de ce département de 1995 à 2011. Il avait été aussi ministre de la Santé du gouvernement Pierre Mauroy de 1981 à 1983, et ministre Délégué à l’emploi de 1983 à 1984.
Grand amoureux des livres, de la musique et des spectacles, il fut animateur des Etats généraux de la Culture mais aussi président de l’association des Carnets Bagouet, et membre de nombreux conseils d’administration comme, entre autres, celui du Théâtre du Peuple à Bussang.
Il aura, dans son cher Aubervilliers, fondé le Théâtre de la Commune, mené une politique culturelle exemplaire et développé l’esprit de décentralisation avec passion mais aussi avec un grand respect pour les habitants de cette ville, l’une des moins riches de la région parisienne.
Notre collaboratrice et amie Edith Rappoport qui l’admire beaucoup, l’avait bien connue : «Il laisse un grand vide. Jeune journaliste engagée pour le festival d’Avignon 1968 à France Nouvelle, alors dynamique hebdomadaire du Parti Communiste Français, pour succéder à René Gaudy, j’avais eu la chance de le rencontrer et d’avoir de longues discussions avec lui. Il m’avait commandé une série d’articles Passeport pour la culture qui m’avaient permis d’élargir mon horizon. Et, depuis 1965, nous fréquentions régulièrement le magnifique Théâtre de la Commune d’Aubervilliers où Gabriel Garran nous fit découvrir nombre d’étonnants spectacles. Toujours aux côtés des plus démunis, toujours en lutte avec les armes de l’esprit, Jack Ralite, dont la culture était immense, adorait les citations dont il nous régalait. »
Il avait adressé une lettre formidable voici trois ans, à François Hollande, alors Président de la République que nous avions publiée et qui fit l’admiration de très nombreux lecteurs (voir Le Théâtre du Blog). Lettre qui n’a pas pris une ride et nous ne résistons pas au plaisir de vous citer au moins le début : «Par nos engagements culturels, artistiques et citoyens, nous sommes fidèlement attachés à la politique culturelle française que nous entendons voir se développer selon le principe d’invention de la perpétuelle ouverture. Or, nous constatons que cette démarche après avoir marqué le pas connaît notamment par la politique budgétaire de notre pays une situation s’aggravant de jour en jour. Beaucoup de ce qui avait été construit patiemment se fissure, voire se casse et risque même de disparaître. Le patrimoine dans sa diversité, le spectacle vivant dans son pluralisme, l’écriture, les arts plastiques, les arts de l’image et l’action culturelle sont en danger.
Faute de crédits suffisants, de personnels, de négociations, de considération et de reconnaissance du travail humain, du respect des métiers, se répandent des malaises, des souffrances, des colères. Le Ministère de la Culture risque de n’être plus le grand intercesseur entre les artistes et les citoyens. Il perd son pouvoir d’éclairer, d’illuminer. Les collectivités territoriales, dont le rôle est devenu immense en culture et en art, voient leurs finances brutalisées et réduites par Bercy. L’Europe continue d’avoir une médiocre politique culturelle alors même qu’elle négocie avec les Etats-Unis, un traité de libre échange, gravissime pour la culture. Google, l’un des accapareurs des nouvelles technologies à civiliser, limite les citoyens à n’être que des consommateurs et s’installe en Irlande, pour ne pas avoir à payer d’impôts en France. »
Jack Ralite, ce que je garde de lui? dit Jacques Livchine. « Dans le théâtre public, chaque animateur de compagnie qui s’implante dans un territoire ou une municipalité, devrait trouver son Ralite, un homme politique avec lequel il s’entend parfaitement. Essentiel et fondamental, le Ralite est un métal précieux. Il répétait toujours que rien ne se fera en politique sans les experts du quotidien. Au Théâtre de l’’Unité, nous en avons fait une règle d’or et la présence de ces experts du quotidien nous est indispensable pour que nos spectacles aient un sens. Avec Jack Ralite qui s’en va, s’en va presque aussi la fin du théâtre de la seconde moitié du XXème siècle-reste encore Gabriel Garran-mais nous sommes définitivement entrés dans une nouvelle histoire. Quand je parle aux jeunes acteurs de Jean Vilar, Roger Planchon, Jacques Copeau, Jean Dasté, Antoine Vitez… bref, de tous ceux qui nous ont fabriqués, leurs yeux se perdent dans le vague. “Adieu la vie ancienne, bonjour la vie nouvelle », écrivait Anton Tchekhov. C’est cela qui nous préoccupe: le théâtre des temps futurs.
« Dans les chagrins et les malheurs, dit très justement Marie Vitez, lire de la poésie soutient et accompagne, Jack Ralite aimait Philippe Jaccottet que j’aime beaucoup aussi. « Qu’il soit dans l’angle de la chambre. Qu’il mesure comme il l’a fait longtemps les lignes que j’assemble, interrogeant, me rappelant sa fin. Que sa droiture garde ma main d’errer, si elle tremble. » Ce texte que Jack avait écrit en regard de la photo (voir ci-dessus) prise par mon père, Antoine Vitez en juillet 89 à La Nogarède, cette ferme protestante au fond d’une vallée cévenole où, chaque été, en famille, il se retirait et où je venais régulièrement passer quelques moments, disent mieux que moi, le lien d’amitié qui le liait si profondément à mon père. C’était un homme merveilleux… »
Adieu Jack Ralite, et un très grand merci pour tout ce que vous aurez apporté au théâtre français et à la culture.
Philippe du Vignal
Un hommage sera rendu à Jack Ralite ces prochains jours.