Les Trois Sœurs d’après Anton Tchekov, mis en scène de Simon Stone
Les Trois Sœurs d’après Anton Tchekov, mis en scène de Simon Stone
Sur un plateau tournant dans l’ombre qui ne tourne pas encore, on entend très mal-malgré les micros HF-les conversations d’un groupe d’hommes et de femmes, devant une maison à étage qui comprend, au rez-de chaussée un salon avec un piano droit et une cuisine assez grande pour y prendre un repas, et aussi une terrasse au sol en planches de bois, avec une grande table et un barbecue. Et au premier étage, deux petites chambres et une salle de douche lavabo/w. c.
Ce plateau tournant, dispositif scénographique coûteux (de l’ordre de 140.000 € (sic)!d’après nos polices parallèles en général bien informées)-a heureusement été récupéré!: c’est en effet à peu de choses près, celui d’Ibsen Huis qu’avait mis en scène Simon Stone au dernier festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog).
Il tourne lentement: après tout, c’est son rôle à lui de tourner, et il le fait très bien. Alors, on cela regarde avec plaisir comme on regarde un manège avec ses chevaux autrefois en bois maintenant en plastique, avec ses petites lumières et sa musique. Cela donne un petit sentiment d’éternité, comme quand est assis à une terrasse de café, en voyant nos congénères marcher, manger boire, et faire l’amour.
Il y a sans doute aussi un côté modèle réduit avec des tas de petits détails dans les accessoires qui nous fascinent toujours autant, même si et surtout si cela n’a rien de surprenant (voir Claude Lévi-Strauss. Une douche qui fonctionne, une porte qui claque, un poste de radio allumé, voire un plat qui chauffe… Avec un effet de réel (voir cette fois Roland Barthes) la fonction du texte étant alors d’affirmer une grande proximité avec le monde matériel bien réaliste et qui autorise ainsi la vraisemblance. Personne n’est dupe mais cela fait plaisir, et ce tour de passe-passe sémiologique paye toujours au théâtre-c’est même un des éléments essentiels du boulevard-et il fait passer le temps, surtout quand on entend très mal un texte… par ailleurs indigent.
Et Les Trois Sœurs dans tout cela ? Il est bien indiqué dans le programme: d’après Les Trois Sœurs! Mais c’est un peu comme la pub sur les affiches dans le métro : en anglais avec de gros caractères et en très petits, en français. Il y a un peu tromperie sur la marchandise, et il serait plus juste d’écrire : « Inspiré de… Il reste sans doute en effet quelque chose de la trame de la pièce mais guère plus, et les silhouettes des personnages principaux. D’abord ces fameuses trois sœurs : Irina (Eloïse Mignon,) Macha (Céline Salette), Olga (Amira Casar) et Natacha leur insupportable belle-sœur (excellente Servane Ducorps) mais vivant à l’époque actuelle. Et Andreï leur frère, ici défoncé (Eric Caravaca)…
Pour le reste, on comprend que la maison n’a pas été habitée depuis plusieurs années, que leur père est mort depuis cinq ans, et qu’on va fêter l’anniversaire d’Irina. Le langage employé ici n’a rien à voir avec celui de la pièce originale : on parle d’Internet, des attentats et de tout ce qui fait le monde contemporain, de Donald Trump aux émigrés syriens, et bien sûr, de sexe et d’amour… sur fond de tragédie. «Je me suis réveillée ce matin, dit Irina, tellement pleine d’espoir. J’ai vingt-et-un ans aujourd’hui mais regarde-moi. La plupart des gens de mon âge gâchent leur temps ou en s’envolant pour Berlin, le week-end. J’en avais fini avec ça quand j’avais quinze ans. »
Les dialogues originaux, Simon Stone les a transposés dans un langage soi-disant contemporain. Il croit que son texte «fonctionne uniquement parce que c’est soi-même qu’on voit et pas quelques Russes bizarres agissant de façon absurde à la fin du XIXème siècle ». Non, cela ne fonctionne pas et on ne se voit pas soi-même, à moins d’être crédule! Ce que le public est rarement. Et de plus, aucun jeune ne parle aujourd’hui comme cela. Ici les pseudo-dialogues qu’il a concoctés, proches de certains mauvais sketches ou séries télé. Pourquoi ? «Parce que Tchekhov fait commencer toute ses pièces en indiquant qu’elles se déroulent dans le temps présent, et à cet égard, je le prend au mot. De son vivant, il aurait lui-même souhaité que ses drames soient situés dans le présent, y compris dans des mises en scènes plus tardives ». Elémentaire, mon cher Anton Tchekhov! Mais il n’y a aucune raison d’être indulgent devant ce qui est proche d’un mini-scandale, prendre l’auteur au mot participe d’une approche dramaturgique un peu naïve !
Rien de très passionnant en effet, même si Simon Stone respecte l’architecture de cette pièce mythique et organise bien les choses! Mais désolé, ces Trois Sœurs mérite mieux que cette mise en scène sans grande imagination (voir entre autres, en vidéo celle brillantissime de Matthias Langhoff ). Ici, c’est aux comédiens de monter encore davantage au créneau, pour donner si possible, en se parlant, une petite consistance à ces avatars d’avatars des personnages originaux. Rien à dire, ils font le boulot et ce ne doit pas être facile de se parler d’un étage à l’autre, sans toujours se voir, de faire entrées et sorties au bon moment sur un plateau qui tourne presque sans arrêt!
Bref, tous aux abris: le nouveau théâtre de boulevard est arrivé et Simon Stone utilise aussi, comme au boulevard, un décor très construit dont on se ressert à l’occasion, vu son prix exorbitant. Et le résultat ? Très moyen! Et un peu ennuyeux. On peut quand même essayer de croire à l’histoire de ces trois jeunes femmes-déjà en avance sur leur temps-et qui pourraient être de notre époque: Macha, qui mariée mais indépendante ne ressent aucune culpabilité d’avoir une liaison avec un homme, lui aussi marié, Olga, terriblement seule qui voudrait bien elle, se marier ou aujourd’hui, au moins être pacsée et Irina, elle, très féministe.
Notre amie Christine Friedel, elle, assise dans les premiers rangs, a assisté à une représentation quelques jours après cette première où il fallait sans cesse tendre l’oreille, et a donc bien entendu le texte. Depuis le son transmis par les micros H.F. mais d’une très mauvaise qualité, a dû sans doute être amélioré. Mais de toute façon, les dialogues de ce spectacle, surtout une fois passé le premier quart d’heure où on regarde cette belle scénographie, n’ont rien de très convaincant.
Pourquoi ce très jeune metteur en scène et auteur a-t-il voulu absolument réécrire un texte célèbre pour cette création française, d’après celle originale qu’il avait faite au Théâtre de Bâle? Pour être plus en phase avec l’actualité? Mais tout cela a quelque chose d’un peu racoleur et on ne gagne jamais à tirer les choses par le bas! Simon Stone, maintenant artiste associé au Théâtre de l’Odéon, décline tout le texte au présent, dans une conversation de tous les jours, comme s’il s’agissait d’une urgence absolue: «Il est très difficile de prendre du recul sur cette notion, puisque nous sommes en perpétuelle adhésion avec le présent. Nous réécrivons alors le passé, pour mieux saisir ce qui nous arrive. »
Mais désolé, cela ne fonctionne pas du tout, sauf à de très rares moments, et ne nous concerne pas. Simon Stone avait mieux réussi son coup la saison dernière avec Médéa (voir Le Théâtre du Blog). Si vous n’êtes vraiment pas trop difficile, vous pouvez aller voir cette chose assez prétentieuse qui se voudrait d’avant-garde mais qui ne l’est pas. Et on comprend mal qu’elle ait pu atterrir au Théâtre de l’Odéon dont Simon Stone est par ailleurs artiste associé ! Franchement, malgré quelques belles images dues surtout au petit effet magique de ce plateau tournant où on voit les acteurs comme en gros plan, y compris dans un lit en train de faire l’amour, ou aux toilettes!
Qu’on se le dise: la vie est courte, et vous pouvez vous épargner cette chose qui ne fera pas date dans le théâtre contemporain…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon Paris VI ème. T: 01 44 85 40 40 , jusqu’au 22 décembre.