Festival des Quatre Chemins à Port-au-Prince
Festival des Quatre Chemins à Port-au-Prince
«Et si les arts pouvaient d’un coup, arrêter les mains qui battent, tuent! » Placée en exergue de ce quatorzième festival, la phrase interroge sur le sens de l’art. «À quoi, cela sert l’art dans un pays, dans un monde où l’on martyrise, torture, massacre, tue? « écrit Guy Régis Jr., directeur artistique du festival des Quatre Chemins dans son éditorial.
Anfans san maltretans sera l’un des thèmes de la programmation, accompagnée par une série de conférences sur les violences infligées aux enfants en Haïti et de par le monde. Au carrefour des arts plastiques, de la performance, du théâtre de rue et de texte, de la danse, cet événement est aussi un point de rencontre entre artistes haïtiens et francophones : lors de soirées organisées à la résidence de l’ambassadeur de Suisse, la parole est donnée à tous les créateurs présents. «On cherche encore, écrit Dany Laferrière, à propos de son pays natal, la raison d’une pareille concentration d’artistes sur un espace aussi restreint. » Haïti occupe en effet la moitié d’une île dans les Caraïbes, qu’elle partage avec la République dominicaine. Incontestablement, Haïti compte de nombreux talents et le festival offre une programmation aussi polyvalente et originale que le sont les artistes.
Fidèle aux principes de la Fokal (Fondation Connaissance et Liberté) qui porta le projet en 2003, avant de le confier à une association indépendante, le festival Quatre Chemins accorde une large part à l’éducation artistique et demande aux créateurs étrangers invités, d’offrir leurs compétences dans des ateliers en milieu scolaire, ou avec de jeunes professionnels, débouchant sur une représentation publique
Peu de salles de spectacles et éloignées les unes des autres à Port-au-Prince : on y accède en voiture, en suivant des itinéraires tortueux, du haut en bas de la ville, au milieu d’énormes embouteillages. Mais cela permet au moins de prendre la pouls de la métropole où persistent encore les cicatrices du séisme de 2010 qui, selon Dany Laferrière, a marqué à jamais l’histoire du pays. Une population affairée circule sur les trottoirs défoncés et des groupes d’enfants en uniforme se pressent sagement sur le chemin de l’école.
mardi 21 novembre
Le Chagrin des ogres, texte et mise en scène de Fabrice Murgia
On retrouve avec plaisir six ans plus tard, cette jeune mariée sur une balançoire qui raconte l’atroce histoire d’un roi qui, pour garder le pouvoir, dévora tous ses enfants, sauf un. «A vingt-cinq ans, Fabrice Murgia réussit là un coup magistral, sans la moindre esbroufe, sans la moindre concession-ici la vidéo, pour une fois, est justifiée -et il a une connaissance du plateau, une maîtrise du temps et de l’espace, et un savoir-faire étonnants », pouvait-on lire dans Le Théâtre du blog en 2011, quand ce spectacle, primé au festival Impatience 2010, fut repris au Théâtre de l’Odéon à Paris. Par la suite, il fit le tour de monde et n’a rien perdu de sa radicalité.
Derrière l’actrice qui déambule ou est assise sur sa balançoire, unique élément de décor, on découvre, relayés par des images vidéo mais aussi sur la scène, des personnages issus de faits divers qui ont marqué l’enfant belge qu’était le metteur en scène dans les années 1980 et à qui l’on interdisait de sortir à cause de l’affaire Dutroux. Il s’est en effet inspiré pour tisser ces cauchemars d’adolescents, du blog laissé par Bastian Bosse, un jeune Allemand qui avait ouvert le feu dans son ancien lycée avant de se donner la mort, et d’une interview de Natascha Kampusch, jeune Autrichienne enfermée et violée pendant plus de dix ans. Le Chagrin des Ogres explore la solitude des enfants maltraités sous la forme d’un conte cruel. Il s’adresse directement à la sensibilité du spectateur qui retrouve ses peurs enfantines grâce aux interactions vidéo-plateau, au travail des voix au micro et à la musique électro. Si, pour Fabrice Murgia, cela sonne « vintage» la distance avec l’univers des adolescents de l’époque donne du champ à l’onirisme qui marque encore aujourd’hui le style du metteur en scène, devenu entre temps directeur du Théâtre National à Bruxelles.
After, à la résidence de l’ambassadeur de Suisse
Pour que les différents artistes et invités des Quatre Chemins se rencontrent, une tribune est offerte à chacun : dix minutes, le temps de presenter ses projetsn et son travail et d’échanger.
Guy Régis Jr, grand ordonnateur de ce festival est aussi metteur en scène et auteur et à ce titre, nous lit un texte coup de poing, et s’en prend aux sénateurs : «Ils ont voté une loi pour brider les libertés, y compris celles des homosexuels ». Mais, conclut-il dans une langue au rythme impressionnant, «Ta loi se retournera contre toi! » Hassan Kouyaté, issu d’une famille de griots mandingues, conteur de son état mais aussi directeur de l’Atrium-Scène nationale de Martinique nous parle de son art en nous donnant des exemples. Il a souvent été partenaire de ce festival, et apprécie l’ambiance d’Haiti : » Ici, ça me rappelle mon Afrique natale, l’énergie volcanique en plus.» Nous verrons bientôt son travail avec un groupe de personnes à qui il enseigne son art.
Nathalie Papin, auteure surtout pour le jeune public et présente depuis dix jours pour animer un atelier avec des lycéens, dit qu’elle «fait le pari de l’intelligence des enfants », ce qui lui vaut une belle écoute de leur part. Pour elle, » le théâtre apprivoisé la sauvagerie du conte » et ses textes abordent des sujets apres, sans concession, avec un bel imaginaire poétique. Sa pièce Léonie et Noëlie a reçu le Grand Prix de littérature dramatique à Paris en 2016 . Nous la retrouverons dans ce Journal avec des lectures d’autres pièces…
A suivre.
Mireille Davidovici
Festival Quatre Chemins, Port-au-Prince, Haïti du 20 novembre au 3 décembre.
www.festival4chemins.com