Lenz, de Georg Büchner, mise en scène de Jacques Osinski
Lenz, de Georg Büchner, traduction de Georges-Arthur Goldschmidt, mise en scène de Jacques Osinski
Cette nouvelle (1835) est le récit de l’errance dans les vallées vosgiennes du poète et dramaturge allemand Lenz, contemporain du jeune Gœthe, et évoque sa marche vers la folie. Représentant du préromantisme allemand et souffrant de troubles psychiques récurrents, Lenz séjourne chez le pasteur Oberlin dès 1.777. A partir de son Journal, de témoignages, et de la correspondance de Lenz, Georg Büchner écrit un récit libre mais qui restera inachevé, proche par ses enjeux esthétiques, de son héros voué à un destin tragique.
Jacques Osinski s’est emparé de ce texte, à la fois abîme d’un paysage avec ses chaos, et abîme insaisissable d’un moi intérieur. Lenz (Johan Leysen) livre au public les soubresauts de son âme, perdu dans les vertiges d’une nature hivernale somptueuse, avec perspectives enneigées et sommets montagneux. Balades, errances choisies et assumées, il a une disposition à se perdre loin de la société dans une nature qui engouffre l’être en ses profondeurs : «Un matin il sortit, de la neige était tombée pendant la nuit, dans la vallée la lumière d’un soleil éclatant, mais plus loin le paysage à moitié dans le brouillard. Il s’écarta vite du chemin et monta sur une légère hauteur, plus de traces de pas, il se dirigeait vers la lisière d’un bois de sapins, le soleil découpait des cristaux, la neige était légère, floconneuse… » Des traces de gibier, un oiseau qui volète, un arc-en-ciel, la nature exactement perçue, touche le promeneur au plus vif de son être.
Sur les murs en coin, sont projetées les images d’une nature majestueuse, filmée par Yann Chapotel, qui reflète le trouble intérieur de Lenz, soumis aux distorsions de sa perception qui l’écarte de lui-même. L’acteur semble se tenir au bord du gouffre, tandis que les images défilent avec une lenteur sereine ou bien avec une soudaine accélération. Vision près d’un chemin, d’une église villageoise perchée, et contemplation radieuse de jeunes filles vêtues de sombre, un missel et un petit mouchoir blanc à la main, se frayant un passage sur les chemins escarpés. En 1835, Büchner veut en finir comme son héros avec l’idéalisme: «Les poètes dont on prétend qu’ils rendent la réalité sont loin de la comprendre ; cependant ils sont encore plus supportables que ceux qui s’attachent à la transfigurer. » William Shakespeare, des chants populaires et Gœthe (1742-1839) sont les rares cités.
Lenz est poussé à l’athéisme quand il constate l’impuissance divine face aux souffrances humaines, comme Büchner, collaborateur du Messager hessois à Darmstadt. Dissident politique il dut s’enfuir à Strasbourg, ville libre. Les temps modernes fraient désormais avec le matérialisme, vertus et travers compris. Mais, à vouloir être réaliste, Lenz reste un croyant paradoxal puisque sans Dieu, un athée fervent qui rencontre l’ennui, sentiment qui domine aussi dans toute l’œuvre de Georg Büchner : «La plupart des hommes prient par ennui, aiment par ennui ; par ennui, les uns sont vertueux, d’autres vicieux, moi, je ne suis rien, je n’ai même pas envie de mettre fin à mes jours : c’est trop ennuyeux.»
Lenz comme Georg Büchner, de culture religieuse, philosophique et littéraire, rejette le pathos. Empêché d’assouvir ses tendances suicidaires, enchaîné le long du chemin qui le mène à Strasbourg, le soir sous l’or de la lune contemplée, il arrive à destination, par un matin pluvieux. Il semble calme, se conduit normalement mais ressent un grand vide. Représentant l’instinct vital, l’isolement onirique, mais se souciant aussi du peuple, ce Lenz décrit ici avec une précision clinique le sentiment immense-indifférence, révolte et ennui-de la perte existentielle.
Véronique Hotte
Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national, 7 avenue Pablo Picasso Nanterre (Hauts-de-Seine) du 23 novembre au 3 décembre. T : 01 46 14 70 00
Comédie de Reims, du 17 au 27 janvier.