Lenz, de Georg Büchner, mise en scène de Jacques Osinski

 

Lenz, de Georg Büchner, traduction de Georges-Arthur Goldschmidt, mise en scène de Jacques Osinski

Crédit Photo : Alexander Popelier

Crédit Photo : Alexander Popelier

 Cette nouvelle (1835) est le récit de l’errance dans les vallées vosgiennes du poète et dramaturge allemand Lenz, contemporain du jeune Gœthe, et évoque sa marche vers la folie. Représentant du préromantisme allemand et souffrant de troubles psychiques récurrents, Lenz séjourne chez le pasteur Oberlin dès 1.777. A partir de son  Journal, de témoignages,  et de la correspondance de Lenz, Georg Büchner écrit un récit libre  mais qui restera inachevé, proche par ses enjeux esthétiques, de son héros voué à un destin tragique.

Jacques Osinski s’est emparé de ce texte, à la fois abîme d’un paysage avec ses chaos,  et abîme insaisissable d’un moi intérieur. Lenz (Johan Leysen)  livre au  public les soubresauts de son âme, perdu dans les vertiges d’une nature hivernale somptueuse, avec  perspectives enneigées et sommets montagneux. Balades, errances choisies et assumées, il  a une disposition à se perdre loin de la société dans une nature qui engouffre l’être en ses profondeurs : «Un matin il sortit, de la neige était tombée pendant la nuit, dans la vallée la lumière d’un soleil éclatant, mais plus loin le paysage à moitié dans le brouillard. Il s’écarta vite du chemin et monta sur une légère hauteur, plus de traces de pas, il se dirigeait vers la lisière d’un bois de sapins, le soleil découpait des cristaux, la neige était légère, floconneuse… » Des traces de gibier, un oiseau qui volète, un arc-en-ciel, la nature exactement perçue, touche le promeneur au plus vif de son être.

Sur les murs en coin, sont projetées les images d’une nature majestueuse, filmée par Yann Chapotel,  qui reflète le trouble intérieur de Lenz, soumis aux distorsions de sa perception qui l’écarte de lui-même. L’acteur semble se tenir au bord du gouffre, tandis que les images défilent  avec une lenteur sereine ou bien avec une soudaine accélération. Vision près d’un chemin, d’une église villageoise perchée, et contemplation radieuse de jeunes filles vêtues de sombre, un missel et un petit mouchoir blanc à la main, se frayant un passage sur les chemins escarpés. En 1835, Büchner veut en finir comme son héros avec l’idéalisme: «Les poètes dont on prétend qu’ils rendent la réalité sont loin de la comprendre ; cependant ils sont encore plus supportables que ceux qui s’attachent à la transfigurer. » William Shakespeare, des chants populaires et  Gœthe (1742-1839) sont les rares cités.

 Lenz est poussé à l’athéisme quand il constate l’impuissance divine face aux souffrances humaines, comme Büchner, collaborateur du Messager hessois à Darmstadt. Dissident politique  il dut s’enfuir à Strasbourg, ville libre. Les temps modernes fraient désormais avec le matérialisme, vertus et travers compris. Mais, à vouloir être réaliste, Lenz reste un croyant paradoxal puisque sans Dieu, un athée fervent qui rencontre l’ennui, sentiment qui domine aussi dans toute l’œuvre de Georg Büchner : «La plupart des hommes prient par ennui, aiment par ennui ; par ennui, les uns sont vertueux, d’autres vicieux, moi, je ne suis rien, je n’ai même pas envie de mettre fin à mes jours : c’est trop ennuyeux.»

 Lenz comme Georg Büchner, de culture religieuse, philosophique et littéraire, rejette le pathos. Empêché d’assouvir ses tendances suicidaires, enchaîné le long du chemin qui le mène à Strasbourg, le soir sous l’or de la lune contemplée, il arrive à destination, par un matin pluvieux. Il semble calme, se conduit normalement mais ressent un grand vide. Représentant l’instinct vital, l’isolement onirique, mais se souciant aussi du peuple, ce Lenz décrit ici avec une précision clinique le sentiment immense-indifférence, révolte et ennui-de la perte existentielle.

 Véronique Hotte

 Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national, 7 avenue Pablo Picasso Nanterre (Hauts-de-Seine) du 23 novembre au 3 décembre. T : 01 46 14 70 00

Comédie de Reims, du 17 au 27 janvier.


Archive pour novembre, 2017

Festival des Quatre Chemins à Port-au-Prince

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Festival des Quatre Chemins à Port-au-Prince

«Et si les arts pouvaient d’un coup, arrêter les mains qui battent, tuent! » Placée  en exergue de ce quatorzième festival, la phrase interroge sur le sens de l’art. «À quoi, cela sert l’art dans un pays, dans un monde où l’on martyrise, torture, massacre, tue? « écrit Guy Régis Jr., directeur artistique du festival des Quatre Chemins dans son éditorial.

Anfans san maltretans  sera l’un des thèmes de la programmation, accompagnée par une série de conférences sur les violences infligées aux enfants en Haïti et de par le monde. Au carrefour des arts plastiques, de la performance, du théâtre de rue et de texte, de la danse, cet événement est aussi un point de rencontre entre artistes haïtiens et francophones : lors de soirées organisées à la résidence de l’ambassadeur de Suisse, la parole est donnée à tous les créateurs présents. «On cherche encore, écrit Dany Laferrière, à propos de son pays natal, la raison d’une pareille concentration d’artistes sur un espace aussi restreint. » Haïti occupe en effet la moitié d’une île dans les Caraïbes, qu’elle partage avec la République dominicaine.  Incontestablement, Haïti compte de nombreux talents et le festival offre une programmation aussi polyvalente et originale que le sont les artistes.

Fidèle aux principes de la  Fokal (Fondation Connaissance et Liberté) qui porta le projet en 2003, avant de le confier à une association indépendante, le festival Quatre Chemins accorde une large part à l’éducation artistique et demande aux créateurs étrangers invités,  d’offrir leurs compétences dans des ateliers en milieu scolaire, ou avec de jeunes professionnels,  débouchant sur une représentation publique

 Peu de salles de spectacles et éloignées les unes des autres à Port-au-Prince : on y accède en voiture, en suivant des itinéraires tortueux, du haut en bas de la ville, au milieu d’énormes embouteillages. Mais cela permet au moins de prendre la pouls de la métropole où persistent encore les cicatrices du séisme de 2010 qui, selon Dany Laferrière, a marqué à jamais l’histoire du pays. Une population affairée circule sur les trottoirs défoncés et des groupes d’enfants en uniforme se pressent sagement sur le chemin de l’école.

 mardi 21 novembre

©Samuel lameri

©Samuel lameri

Le Chagrin des ogres, texte et mise en scène de Fabrice Murgia

On retrouve avec plaisir six ans plus tard, cette jeune mariée sur une balançoire qui raconte l’atroce histoire d’un roi qui, pour garder le pouvoir, dévora tous ses enfants, sauf un. «A vingt-cinq ans, Fabrice Murgia réussit là un coup magistral, sans la moindre esbroufe, sans la moindre concession-ici la vidéo, pour une fois, est justifiée -et il a une connaissance du plateau, une maîtrise du temps et de l’espace, et un savoir-faire étonnants »,  pouvait-on lire dans  Le Théâtre du blog en 2011, quand ce spectacle, primé au festival Impatience 2010, fut repris au Théâtre de l’Odéon à Paris. Par la suite, il fit le tour de monde et n’a rien perdu de sa radicalité.

Derrière l’actrice qui déambule ou  est assise sur sa balançoire, unique élément de décor, on découvre, relayés par des images vidéo mais aussi  sur la scène, des personnages issus de faits divers qui ont marqué l’enfant belge qu’était le metteur en scène dans les années 1980 et à qui l’on interdisait de sortir à cause de l’affaire Dutroux. Il s’est en effet  inspiré pour tisser  ces  cauchemars d’adolescents, du blog laissé par Bastian Bosse, un jeune Allemand qui avait ouvert le feu dans son ancien lycée avant de se donner la mort, et d’une interview de Natascha Kampusch,  jeune Autrichienne enfermée et violée pendant plus de dix ans.  Le Chagrin des Ogres explore la solitude des enfants maltraités sous la forme d’un conte cruel. Il s’adresse directement à la sensibilité du spectateur qui retrouve ses peurs enfantines grâce aux interactions vidéo-plateau, au travail des voix au micro et à la musique électro. Si, pour Fabrice Murgia, cela sonne « vintage» la distance avec l’univers des adolescents de l’époque donne du champ à l’onirisme qui marque encore aujourd’hui le style du metteur en scène, devenu entre temps directeur du Théâtre National à Bruxelles.

 

After,  à la résidence de l’ambassadeur de Suisse

Pour que les différents artistes et invités des Quatre Chemins se rencontrent, une  tribune est offerte à chacun : dix minutes, le temps de presenter ses projetsn et son travail et d’échanger.

 Guy Régis Jr, grand ordonnateur de ce festival est aussi metteur en scène et auteur et à ce titre, nous lit un texte coup de poing, et s’en prend aux sénateurs : «Ils ont voté une loi pour brider les libertés, y compris celles des homosexuels ». Mais,  conclut-il dans une langue au rythme impressionnant, «Ta loi se retournera contre toi! » Hassan Kouyaté, issu d’une famille de griots mandingues, conteur de son état mais aussi directeur de l’Atrium-Scène nationale de Martinique nous parle de son art en nous donnant des exemples.  Il a souvent été partenaire de ce festival, et apprécie l’ambiance d’Haiti : » Ici, ça me rappelle mon Afrique natale, l’énergie volcanique en plus.» Nous verrons bientôt son travail avec un groupe de personnes à qui il enseigne son art.

Nathalie Papin, auteure  surtout pour le jeune public et présente depuis dix jours pour animer un atelier avec des lycéens, dit qu’elle «fait le pari de l’intelligence des enfants », ce qui lui vaut une belle écoute de leur part. Pour elle, » le théâtre apprivoisé la sauvagerie du conte » et ses textes abordent des sujets apres, sans concession, avec un bel imaginaire poétique.  Sa pièce Léonie et Noëlie a reçu le Grand Prix de littérature dramatique à Paris en 2016 .  Nous la retrouverons dans ce Journal avec des lectures d’autres pièces…

A suivre.

Mireille Davidovici

Festival Quatre Chemins, Port-au-Prince, Haïti du 20 novembre au 3 décembre.
www.festival4chemins.com

 

 

Asura, chorégraphie de Naomi Muku

 

Asura, chorégraphie de Naomi Muku

 

©Jean Couturier

©Jean Couturier

La compagnie de butô Dairakudakan, accueillie par la Maison de la Culture du Japon à Paris, avec, à sa tête,  l’emblématique septuagénaire Akaji Maro, fête ses  quarante-cinq ans avec d’abord Asura, et ensuite Paradise .

Les huit statues Asura, de taille humaine, tricéphales et à six bras, du temple bouddhiste Kôfukuji de Nara, (une des anciennes capitales du Japon), ont inspiré la jeune chorégraphe et danseuse Naomi Muku qui ressemble à l’une d’elles. Elle est originaire de cette ville, comme son maître Akaji Maro qui assume la direction artistique d’Asura. «Le corps lui-même, dit-il, est déjà une œuvre. Même à vingt ans, il est riche de strates mémorielles et chaque danseur porte sur son dos, la beauté et la laideur de sa vie. Cela ne m’intéresse pas de voir une maîtrise époustouflante. Je veux voir des choses qui dépassent du cadre.»

 Comme ici, avec les corps de sept danseurs et de Naomi Muku qui va donner vie à une de ces statues, et libérer ainsi toutes ses pulsions vitales, humaines comme animales.  En quatre-vingt minutes, nous assistons à sa transformation corporelle,  grâce à plusieurs rituels. «Le butô, dit Akaji Maro, danse insaisissable et absurde, peut être ressentie de plusieurs façons, selon le regard du spectateur». Naomi Muku, après une chute, sort d’un cocon, le corps maquillé du fard blanc utilisé par les acteurs de kabuki et les geishas, et rencontre deux femmes riant, et des divinités aux masques grotesques.

La chorégraphe dit avoir été très marquée quand un journaliste japonais a été décapité par Daesh en 2015,  comme le rappellent certaines images d’Asura: dans ce rituel de transformation, elle sera maculée de rouge sang. Une création musicale originale de Keita Matsumiya l’accompagne, en particulier quand Asura devient statue, une musique baroque occidentale : plus familière à son oreille puisque Naomi Muku a suivi une formation classique. Entre danse et performance, Asura fait partie d’une série de «kochûten» dont la chorégraphie est confiée de manière tournante par Akaji Maro à un danseur de sa compagnie.

Une frêle danseuse japonaise sera statufiée pour l’éternité dans notre mémoire sensorielle. Après avoir vu ce spectacle, vous pouvez aller à Nara et ressentir ce que ces statues vous inspirent personnellement. En attendant, découvrez à la fin du mois, la vision du Paradis qu’en a Akaji Maro, avec Paradise, une pièce iconoclaste. Après l’élève, le maître nous surprendra sans doute une fois de plus.

Jean Couturier

Maison de la Culture du Japon, Paris XVème, Asura,  du 23 au 25 novembre. Et Paradise, du 30 novembre au 9 décembre.

www.mcjp.fr

Maison de la musique de Nanterre : Crazy Camel, les 15 et 16 décembre.

www.maisondelamusique.eu

El Baile, chorégraphie de Mathilde Monnier et Alan Pauls

 

El Baile, chorégraphie de Mathilde Monnier et Alan Pauls

© Nicolas Roux

© Nicolas Roux

En juin dernier notre amie Christine Friedel-qui n’est vraiment pas du tout du même avis que-nous vous avait parlé de ce ballet… Il y a quarante ans, les compagnies n’envoyaient des invitations sur papier,  mais ni dossiers de presse ni extraits vidéo par courriel pour se faire connaître, et espéraient qu’un directeur de salle ou un producteur viendrait et aurait un coup de cœur pour leur spectacle. Ettore Scola était ainsi venu voir lui-même à Antony (Hauts-de-Seine) Le Bal, mise en scène de Jean-Claude Penchenat, avec ses comédiens du Théâtre du Campagnol qui eut un fameux succès.

Cette brillante aventure théâtrale et dansée qui racontait l’histoire de la France avant la guerre et depuis la Libération, par le biais d’un  bal populaire, va devenir en 1983 avec ces mêmes acteurs ou presque, un film couronné de nombreux prix. Librement inspiré de ce Bal, cela se passe à Buenos-Aires et ce que disait à l’époque, le réalisateur, reste aussi vrai ici :«Les gens qui se retrouvent dans une salle de bal, ne se connaissent pas et n’ont pas de raison de communiquer par la parole. A travers leurs regards, leur manière de s’asseoir, d’inviter à danser et d’accompagner les dames, ils cherchent plutôt un langage différent de la parole, une façon de communiquer et de vivre autre chose que l’échange de mots».

Les sept danseuses et cinq danseurs, tous Argentins, ont de belles personnalités. Mais pendant  cette petite heure, ils nous paraissent un peu perdus sur ce grand plateau. Chants, musiques enregistrées et chorégraphie inspirée des danses populaires de rue se succèdent  mais  les interprètes n’arrivent pas à trouver de liens entre ces éléments. «Ensemble, dit Mathilde Monnier, nous avons composé une sorte d’abécédaire  avec lequel nous avons déconstruit toutes les danses traditionnelles». Déconstruites…  mais plus guère  reconnaissables et l’émotion ne passe pas la rampe. Déception!

Sur la fin, un tango avec deux danseurs se transforme en farandole avec l’ensemble du groupe, et l’émotion est alors palpable. Une farandole qui se construit et se déconstruit sous nos yeux, rappelant celle de Kontakthof de Pina Bausch (1978), qui avait sans doute inspiré la première version du Bal de Jean-Claude Penchenat. La boucle est bouclée! «Il nous appartient dans cette nouvelle pièce d’aborder l’histoire d’un pays, non à partir de la grande histoire des évènements mais plutôt de mettre en scène ce que l’Histoire ne retient pas, ce qu’elle ne montre pas, ce qu’elle oublie» dit la chorégraphe.

La lisibilité de l’histoire contemporaine de l’Argentine avec différents épisodes marquants croisés avec les histoires personnelles des douze artistes est ici peu évidente. Une soirée avec une impression en demi-teinte: il ne faut mieux pas chercher à retrouver nos émotions du passé ni nos fragiles souvenirs !

Jean Couturier

Théâtre National de la Danse de Chaillot, 1 Place du Trocadéro, Paris XVIème, du 22 au 25 novembre.

www.theatre-chaillot.fr

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Price de Steve Tesich,mise en scène de Rodolphe Dana

 

Price de Steve Tesich, traduction de Jeanine Hérisson, adaptation et dramaturgie de Rodolphe Dana et Nadir Legrand, mise en scène de Rodolphe Dana

©jean-louis Fernandez

©jean-louis Fernandez

Cet auteur américain, mal connu en Europe, est né en 1942  dans l’actuelle Serbie et mort en 1996 au Canada. Scénariste, dramaturge et romancier, il avait eu l’Award du Meilleur scénario original en 1979, pour le film La Bande des Quatre.

Price, roman-culte aux Etats-Unis et dans une large mesure, autobiographique, se passe à East Chicago, une banlieue industrielle  pauvre, vers 1960. Dans un gymnase, un tout jeune homme, Daniel Price fait le point sur son échec à une compétition avec son entraîneur. Seul, assez désemparé, il a deux bons copains  qui, comme lui,  ne veulent absolument pas de la vie terne de leurs parents habitant cette  banlieue où les jeunes sont condamnés au chômage.

Daniel a une drôle de famille : un père violent avec lui, qui avoue à son fils avoir été trahi par la mère : un soir d’été, elle aurait souri à un autre homme. Sans doute une brève histoire d’amour… Et Price a aussi une mère qui le fascine. Mais le père, un ouvrier usé par son travail à l’usine et très malade, finira par mourir. Daniel, lui, tombe amoureux d’une belle jeune fille, Rachel. Miracle qui lui permet d’échapper un peu à la lente agonie de son père et à la grisaille quotidienne. Conscient de la fin de son adolescence, il n’est plus aussi seul, mais Rachel lui a menti et le quittera. Encore une désillusion pour Daniel qui devra construire sa vie, en quittant sa mère devenue veuve, ce qu’il réussira à faire par le biais de l’écriture.

« Steve Tesich dépeint, de manière si singulière et si mature, dit  Rodolphe Dana, les tourments traversés par ce jeune homme, qu’immédiatement, l’identification a lieu. Nous devenons Daniel Price, nous nous reconnaissons en lui. Nous percevons le monde à travers ses sensations. Nous vivons avec lui chaque événement et chaque événement le modifie. » Oui, sans doute dans le roman, mais cela donne quoi sur le plateau ? Rien de bien passionnant ni convaincant. «Et ne nos inducas in tentationem», aurait de se rappeler Rodolphe Dana, séduit par ce roman d’initiation mais qui n’aurait jamais dû le porter sur un plateau… A partir d’un matériau romanesque-on sait les grandes difficultés qu’il y a à réussir ce type d’opération-il a le plus grand mal à construire une dramaturgie et à réaliser une mise en scène qui tiennent la route.
Rien ici n’est vraiment dans l’axe: une scénographie minimale mal conçue avec quelques lignes au sol d’un gymnase, et des cadres métalliques pour signifier les différents lieux de l’action, des bancs de vestiaire en lattes de bois; quant aux petites séquences se succèdent à un rythme cahotant, peu convaincantes et sans autre véritable fil rouge que le personnage de Daniel. Et cela rame pendant deux heures: tout ici, reste sec dans un grand espace tristounet.

Et Rodolphe Dana aurait pu nous épargner ces vieilles ficelles du théâtre contemporain comme encore et toujours les micros HF, le jeu dans la salle, ou les comédiens qui restent assis en scène quand ils ne jouent pas ! Et il n’y a pas un gramme d’émotion dans cette mise en scène assez conventionnelle, sauf à de bien rares moments quand, par exemple, Daniel et Rachel font l‘amour. Les comédiens font ce qu’ils peuvent pour incarner ces silhouettes et sauver les meubles, en particulier Inès Cassigneul (Rachel), remarquable comme Françoise Gazio (la mère)  et Antoine Kahan (Daniel), presque tout le temps sur le plateau. Mais bon, rien à faire, le compte n’y est pas! Conseil d’ami: mieux vaut lire ou relire le roman.

 Philippe du Vignal

 T2G rue des  Grésillons Gennevilliers jusqu’au 2 décembre. 
Théâtre du Nord, Lille, du  5  au 9 décembre.

Du 10 au janvier, Théâtre Garonne, Toulouse. Les 2 et 3  février, 
TNBA, Bordeaux. Le  7 avril 
 La Scène Watteau, Nogent-sur-Marne.

Le texte est publié aux Editions Monsieur Toussaint Louverture.

 

 

Les Enfants Tanner, adaptation du roman de Robert Walser et mise en scène d’Hugues de la Salle

Les Enfants Tanner, traduction de Jean Launay, adaptation du roman de Robert Walser et mise en scène d’Hugues de la Salle

© Lisa Lesourd

© Lisa Lesourd

 Simon se distingue par sa proximité avec la nature qu’il sait lire, observer et de qui il apprend. D’une humeur aventureuse et poétique, il croque dans la vie, à sa façon : très personnelle, comme un artiste préromantique pour qui la Nature « crée éternellement des formes nouvelles, écrivait Goethe, tout est nouveau et c’est pourtant toujours la chose ancienne. Nous vivons en plein milieu d’elle, et lui sommes étrangers.»

 Au lointain, un écran vidéo comme recouvert d’un voile, support d’images en noir et blanc d’une forêt dont les cimes des arbres dont les branches mobiles s’élèvent au ciel. Leurs feuillages tremblants varient selon les vents et les saisons qui passent. Prétexte à la rêverie, l’arbre est une figure du vivant sur lequel le temps n’a pas de prise.
Et Simon s’engage d’instinct dans une contemplation presque inconsciente, et l’arbre lui fait voir le mouvement de la vie avec son cycle annuel, image de l’éternel recommencement.A ce paysage boisé, le jeune homme s’associe en secret. Le spectacle de la nature élève l’âme, et comme dans les voyages d’hiver des romantiques allemands; entre sensations émotives et intuitions, s’imposent la mélancolie et l’errance, le froid et la blancheur du ciel mais aussi le mal-être.  Mais Simon lui, ne souffre d’aucun malaise et affronte l’extérieur et les règles sociales.

La nature généreuse est une métaphore de son dynamisme, quand il surgit devant un rideau d’arbres : «Je m’appelle Tanner, Simon Tanner, et j’ai quatre frères et sœurs ; je suis le plus jeune de la famille et celui qui porte le moins d’espérances… » Enclin à lire et à écrire, Simon recherche un emploi chez un libraire, et se vante de posséder, malgré sa grande jeunesse, une certaine connaissance des hommes. « En un mot : sur ma balance de vendeur, l’amour des hommes sera en parfait équilibre avec la raison commerciale, laquelle me paraît tout aussi importante et nécessaire à la vie, qu’une âme aimante et généreuse. Je saurai trouver le juste milieu, soyez-en dès maintenant, convaincu. »

Un discours argumenté et convaincant avec des propos forts. Pourtant, le scénario se répètera, et Simon (Jonas Marmy) quittera volontairement  cet emploi, comme les suivants. Le docteur Klaus, son frère, lui inculque mais en vain le principe de réalité. S’enfermer dans l’ennui d’une fonction ou le vide d’un emploi, ne convient pas à Simon qui va aller libre, sans la moindre garantie financière, loger chez la rêveuse Klara, la fée et l’amante, avec un frère plus proche, Kaspar, artiste peintre. Sur scène, une lumière tamisée de suspensions, et sur les murs latéraux, d’anciennes petites lampes derrière un rideau de tulle tremblant ; des canapés, quelques chaises, une petite table et une lampe de chevet.

 Hedwig, leur sœur, institutrice, accueille  aussi Simon  mais lui dit de ne pas lui écrire quand il va partir: «Il ne faut pas que tu te croies obligé de me tenir au courant de tes futurs exploits. Néglige-moi comme tu l’as fait avant. A quoi bon nous écrire tous les deux ? » Un désenchantement qui prouve l’attachement réciproque de ces frères et sœurs depuis l’enfance. Simon revendique une vulnérabilité de perdant, l’ humilité d’un anonyme dans une âpre réalité, tout près du non-engagement voire de échec, et milite d’instinct contre ces temps brutaux où  les gens croient au pouvoir de l’argent. Plutôt que la réussite, le rêveur, lui, choisit la grâce poétique.

 Dans ce roman à la résonance orale comme le dit  le metteur en scène, s’entrecroisent des monologues sensibles, presque musicaux avec toute la fraîcheur et la spontanéité de la langue, introspective et poétique ; ou bien virulente et contestataire dans les dialogues. Le récit est transcrit sur l’écran vidéo, quand on passe d’un tableau à l’autre. Simon, ce jeune homme qui pourrait être le Robert Walser de son autobiographie est très attiré par les pouvoirs de la vie –hors de tout cabinet de travail- c’est à dire la promenade, l’errance,  et une curiosité profonde pour le monde et les hommes.

 Malicieux et enjoué, Simon sait écouter ceux qui l’aiment, et se tait. Le  roman est celui de la réalité sociale des emplois subalternes,  mais aussi un conte initiatique avec ses étapes d’apprentissage ; à travers les dialogues de théâtre, résonne ici une parole, et un jeu distancié, plein d’humour et d’ironie. Simon  a le mystère d’un jeune être qui veut en découdre, énergique, discoureur mais attentif, ou encore amoureux. Klaus et Kaspar (Alain Carbonnel et Romaric Séguin) sont deux frères, l’un réfléchi, et l’autre libre et passionné par l’art.

Klara (Laurène Brun) toute de bonté et  douceur, est la fée et la princesse de ce conte , un personnage presque irréel qui éprouve un amour intense pour Simon.Quant Hedwig, (Jeanne Vimal à la voix acidulée), elle manifeste un bonheur jubilatoire et un vrai sentiment pour ce frère subtil. Cette adaptation des Enfants Tanner mise en scène Hugues de La Salle, est une invitation littéraire à un voyage existentiel, où il dessine avec délicatesse et pertinence les personnages de Robert Walser.

Véronique Hotte

Studio-Théâtre, 18 avenue de l’Insurrection Vitry-sur-Seine (Essonne) jusqu’au 21 novembre. T. : 01 46 81 75 50.
Le texte est publié aux éditions Gallimard.

Mon Amour fou d’Elsa Granat et Roxane Kaperski, mise en scène d’Elsa Granat

 

 

Mon Amour fou d’Elsa Granat et Roxane Kaperski, mise en scène d’Elsa Granat

 

© Sébastien Godefroy

© Sébastien Godefroy

L’amour peut-il rendre fou ? Personne ne viendra contredire cette affirmation. Il suscite en chacun de nous, des sentiments contraires : heureux ou malheureux. Constructif ou destructif. Mon amour fou, ces mots sonnent comme la conclusion d’une histoire, son épilogue. Suite à un « chagrin » d’amour, (« traumatisme» serait plus juste),  Roxane Kasperski,  avec ce soliloque, nous invite à partager sa crise psychique et sa reconstruction personnelle.

Pourtant, la rencontre avec un homme s’annonçait comme venue du ciel : «Je dis à une amie, cet homme, c’est l’homme de ma vie, ce sera mon mari, et on va vivre une histoire extraordinaire.»… Mais la «maladie d’amour» va vite se muer en maladie mentale: folie et obsession. Devant l’incompréhensible, Roxane Kasperski, elle-même, soignera l’homme aimé : «Maternage qui, dans mon cas, a été doublé d’une irrésistible envie de me changer en héroïne de roman.
 Madame Bovary, Marguerite Gautier, Anna Karénine, Adèle Blanc-Sec.
 J’arrive.» Quelle en sera l’issue ? Monologue autobiographique, l’actrice «cicatrise en direct », et à travers ses mots, nous fait partager charnellement, ces thèmes complexes et universels que sont l’amour et la folie. Riche matière dramatique mais délicate. Ici, nous sommes en présence d’une folie profondément tragique.

Des sacs-poubelle blancs en rang sur tout l’espace, une table, une chaise… et la façon dont Roxane Kasperski joue avec son vêtement, tout cela entre en parfaite résonance avec ses paroles agitées, et nous conduit à l’intérieur de son cerveau ; elle ressasse, médite, appelle… Les vidéos, comme celle projetée sur le ventre de l’actrice, la rencontre sur la plage dans Un Homme et une femme de Claude Lelouch, ou bien des moments de silence, évoquent avec intensité la solitude de cette femme en détresse, blessée et isolée. Il y a ici une réelle maîtrise du rythme, entre texte fragmenté, lumière, son et corporalité : la tension et l’émotion ne cessent de grandir au fil du récit. Malgré une diction parfois un peu exagérée, la pièce se construit au fur et à mesure comme un puzzle, et le public se sent vite touché et concerné par cette histoire.

Le texte, écrit dans un premier temps puis joué par Roxane Kasperski, a été pour Elsa Granat une source dramatique hors du commun… En effet, dans le passage à la scène, elle a vécu avec  la metteuse en scène comme une seconde rencontre avec cette pièce. Et elles sont intervenues ensemble sur cette écriture autobiographique : «Je n’avais encore jamais monté de monologue, mais ce qu’elle me proposait, était tellement bouleversant (…) On a donc travaillé ensemble à réécrire son texte. (…) Mais, pour en faire du théâtre, il fallait trouver le bon endroit. ».

Pour Elsa Granat, la catharsis  qui semble opérer ici avec efficacité sur le public, est toujours possible  dans l’écriture contemporaine : «Comment, dit-elle, en partant d’une histoire personnelle, on pouvait faire un théâtre qui ait une puissance cathartique renouvelée. ». L’apparition de la crise psychique et l’évolution qui s’empare de l’actrice-témoin-il s’agit de sa propre déchirure et de celle de l’être aimé, un mari atteint de bipolarité-sont ici transposés théâtralement, avec une sensibilité et une justesse qui évitent pathos, clichés ou commentaires pesants : « Ça ? C’est une alliance. Oui, je suis mariée. C’est un peu compliqué, en fait. Oui. Comme tout le monde. Mon mari est bipolaire. Comme ta cousine ? C’est formidable. »  Et de façon progressive, comme dans le tracé d’une spirale, la conscience de cette jeune femme va se réveiller. «Tu vas me sauver, je suis tiré d’affaire. » Voilà. C’est cette phrase qui aurait dû faire remonter en moi, un vomi compulsif. Oui.» Mais cette lucidité, rendue aveugle par le sentiment amoureux, ne va pas revenir à nouveau, sans chaos, comme entre autres, un voyage de noces à Goa, en Inde, où lors d’une crise violente de son mari, elle se retrouve, loin de tout,  dans une situation tragique qu’elle doit seule maîtriser, coûte que coûte ! 

Face à l’incompréhensible, plusieurs questions sont évoquées, toutes en nuances au sein d’une parole fragmentée : comment  ai-je pu en arriver là ? Qui et quoi détruisent qui? Comment lutter contre ce manteau noir qui me poursuit, et «qui symbolise la résignation, selon Elsa Granat, en référence au «manteau noir de la mélancolie » dans Hamlet. » Et comment renaître ? Ce spectacle participe aussi d’un regard critique sur la façon dont on peut traiter, nommer, utiliser dans le langage quotidien et en société, les troubles mentaux et la souffrance endurée par cette maladie.

Pour ces artistes, il y a là une nécessité politique et éthique de rendre aux malades leur dignité, en respectant leur souffrance, et en sachant la nommer avec les justes mots : « C’est quoi être bipolaire? (…) L’ancien terme maniaco-dépressif, c’était bien plus clair, ça faisait peur, c’était pour eux, pour les vrais. Personne ne disait qu’il était maniaco-dépressif juste comme ça. C’est maintenant, c’est avec bipolaire qu’on ne sent plus la maladie. C’est devenu ordinaire. »

La pièce parle d’amour et de folie avec clairvoyance et humanité mais montre aussi à quel point la souffrance empêche cruellement le rapport à l’autre, aussi désiré soit-il. Un spectacle d’une belle et profonde interrogation existentielle. A voir !

Elisabeth Naud

Théâtre de la Cité internationale, 17 boulevard Jourdan Paris XIV ème. T. :  01 43 13 50 50, jusqu’au 21 novembre.

 

Notre Carmen d’après Georges Bizet, mise en scène de Franziska Kronfoth

 

Notre Carmen d’après Georges Bizet, par le collectif Hauen und stechen, mise en scène de Franziska Kronfoth

« Notre objectif, dit ce collectif berlinois, est de rajeunir le public de l’opéra et de demeurer un laboratoire performatif dans ce genre musical ! » Depuis 2012, il développe donc un théâtre musical qui entend dépasser les limites traditionnelles du genre. « Notre Carmen est un affront, elle devient monstrueuse, et ne croit plus à une liberté promise quelle qu’elle soit, mais exige une libération de cette implacable idéologie, qui sait même pervertir tout refus. Experte en travestissement, géante ébouriffée, ou vieille malodorante, notre Carmen développe des stratégies inédites et paie pour son audace effrontée, le prix de l’exclusion sociale. Elle n’est d’aucune fête, et n’est pas invitée. »

Les acteurs entrent derrière un porteur de lanterne qui présente les musiciens au fond du plateau, le chef d’orchestre a des oreilles de lapin, on voit une marche de personnages en noir et blanc vers la fabrique de tabac, des projections vidéo inondées de fumée, et une course en sac… «L’argent comme le tabac détruit le monde!» C’est, si on a bien compris  une sorte de déconstruction programmée de l’opéra de Georges Bizet et en plus des extraits directement diffusés sur scène, le collectif s’est aussi inspiré  de  Prénom Carmen de Jean-Luc Godard.

Le  rôle principal est interprété par différents acteurs et actrices : «Il s’agit d’exploser et d’exagérer à la fois cette image paradigmatique de la femme dans l’opéra » On veut bien mais on erre à la recherche de Carmen dont on parvient à retrouver des bribes dans la deuxième partie ! Mais entre temps la salle de l’Athénée s’est vidée de plus de la moitié du public après un entracte bienvenu.

Étrange spectacle ! Franziska Kronfoth la metteuse en scène et Julia Lwowski chorégraphe ont étudié la mise en scène d’opéra à l’école Hanns Eisler de Berlin, mais on a bien du mal à saisir le fil de ce spectacle déroutant …

 Edith Rappoport

Le spectacle s’est joué au Théâtre de l’Athénée, du 13  au 19 novembre. T : 01 53 05 19 19.

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Ateliers d’élèves du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique

 

250px-Theatre_du_Conservatoire_Paris_CNSADAteliers d’élèves  du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique

 On a pu voir cette semaine les élèves de troisième année dans un texte  de Laurent Gaudé, écrit  spécialement pour eux et dans Les Trois Sœurs d’Anton Tchekhov. Une manière d’explorer plusieurs facettes de leur travail.

b076341f-d760-4268-b881-67a0ed50d08e Et les Colosses tomberont de Laurent Gaudé, mise en scène de Jean-Louis Martinelli

 Colosses aux pieds d’argile, les dictatures arabes ont été balayées par la vindicte populaire. « Qu’est-ce qui transforme une foule, en peuple ? », s’interroge l’auteur. Misant sur l’énergie des quinze jeunes acteurs, il leur a proposé un travail sur le thème de la Révolution : « Pour parler de cet élan, de cet appétit, de cette irrévérence tantôt joueuse, tantôt enragée de la jeunesse ». Le propos s’est vite resserré sur les printemps arabes, partis de la révolte tunisienne, et a pris la forme d’un récit collectif à voix multiples.

Jean-Louis Martinelli a construit un spectacle choral, où chacun prend la parole et existe aussi sur scène parmi une foule de personnages. Avec des costumes homogènes, mais légèrement différents les uns des autres qui vont aussi dans le sens d’une recherche sur la notion de collectivité. L’intérêt de solliciter des auteurs vivants est d’obtenir des textes sur mesure qui traitent de  thèmes en prise avec la réalité contemporaine et de réfléchir sur notre aujourd’hui. Les comédiens, très impliqués, se sont lancés dans cette aventure avec une grande maîtrise vocale et corporelle. L’auteur définit l’enjeu premier de ce travail : «Comment exister pleinement sur scène, comment inventer sa présence individuelle,  tout en étant une foule ? »

En évitant de développer des egos surdimensionnés, Jean-Louis Martinelli fait exister chaque personnalité avec une juste distance au public mais aussi entre chacun des interprètes. Quelques discours importés dans la pièce, comme celui de Louise Michel Aux citoyens de Paris, ou celui de La Boétie, Sur la Servitude volontaire, élargissent le propos et donnent l’occasion aux comédiens d’étoffer leur rôle. Mais, malgré une interprétation intelligente et habile, cela allonge inutilement le spectacle qui s’éternise. En intermède, The Times they’re a changing, une chanson de Bob Dylan offre, elle, une respiration et l’occasion de montrer les talents musicaux des jeunes acteurs.

63990993-91a4-48e9-9d9a-d35f86c3586a Les Trois Sœurs (Presque tout) d’Anton Tchekhov, mise en scène de Claire Lasne-Darcueil, accompagnée d’Anne Sée et d’Emmanuelle Wion

 Encore Les Trois Sœurs, dira-t-on! (voir Le Théâtre du Blog)  Mais ici, la pièce trouve une belle énergie, dans une version allégée  et avec une scénographie minimale:  sur un plateau nu, à jardin, un grand piano aux musiques porteuses d’ambiances. Quelques personnages comme Protopopov, Saliony, des serviteurs, ont été supprimés pour des questions de distribution. Pour les mêmes raisons, les trois sœurs sont dédoublées, avec une habile passage de relais après l’incendie. «À l’acte III, ce qui couvait, se met à brûler, ils sont tous en situation de crise, et ensuite, restent des ruines. », écrivait Alain Françon, quand il a monté la pièce.  Alors que tout bascule, le temps qui a passé sur les demoiselles, se concrétise ici par un changement de comédiennes : «Cette nuit, j’ai vieilli de dix ans », dit Olga.

  La pièce dans cette adaptation en deux petites heures, effectuée sous la supervision d’André Markowicz, auteur, avec Françoise Morvan de la traduction française, se resserre sur l’entourage immédiat des protagonistes, et gagne en énergie et en clarté. L’intrigue se développe sur quatre ans, et, pour symboliser le passage des saisons , des pétales de fleurs, la neige, des feuilles mortes tombent des cintres, offrant de belles atmosphères soulignées par Thomas Lavoine, au piano. D’un acte à l’autre, l’ensemble de la troupe se lance dans de gracieux intermèdes dansés.

 Dans cet espace épuré, les comédiens  jouent avec une grande justesse. Claire Lasne-Darcueil a privilégié les contacts physiques entre les personnages. Au début de l’acte l, Olga, Irina et Macha entrent en scène dans une étroite accolade et resteront longtemps groupées. Elles ne font qu’un,  avant d’exprimer leur individualité. Les , embrassades sont fréquentes, et ce travail corporel permet aux élèves d’exprimer d’abord la légèreté des premières séquences, puis, au fur et à mesure, les désillusions des trois sœurs  qui attendant l’amour, et le mal-être de leurs proches qui végètent dans ce trou de province,. Espoirs déçus, jeunesse envolée, mariages ratés ! Reste le travail…  Anton Tchekhov (1864-1904) évoque la détresse de la bourgeoisie russe de la fin du XIX ème siècle, et la clairvoyance de ses héroïnes, que nous transmettent les six comédiennes, semble annonciatrice des révolutions à venir : « Une tempête se prépare, elle balayera la paresse, dans trente ans tout au plus, chaque homme travaillera », dit l’un des personnages. « Il faut travailler, travailler », répète Irina, quand s’éteignent ses rêves de jeune fille…

 Rien de pesant ici, malgré une certaine amertume : « Je suis resté en arrière comme un vieil oiseau migrateur qui ne peut plus voler », philosophe le vieux docteur.  « Une vie manquée », dit Macha, quand son amant Verchinine s’en va. La direction d’acteurs et la dramaturgie mettent en valeur les principaux enjeux de la pièce et permettent d’apprécier le beau potentiel de ces apprentis-comédiens. Mais dommage ! Il y a eu seulement quatre représentations…

 Mireille Davidovici

Ateliers d’élèves du 15 au 18 novembre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, 2 bis rue du Conservatoire, Paris IXème T. : 01 42 46 12 91.

 

Dom Juan de Molière, mise en scène de Marie-José Malis

Dom Juan de Molière, mise en scène  de Marie-José Malis

 

 

photo : Willy Vainqueur

photo : Willy Vainqueur

La Commune-Centre dramatique National d’Aubervilliers- que beaucoup de ses fidèles aimeraient  voir porter le nom de Jack Ralite, depuis la disparition la semaine dernière de l’homme de culture et ancien maire ( voir Le Théâtre du Blog) est dirigé par Marie-José Malis. Elle nous offre une vision pertinente de la rencontre amoureuse dans Dom Juan : « Il se tient, au seul instant de la rencontre. Il est l’homme qui est entièrement disponible à la puissance de capture, de captation par l’autre, du désir de la femme qui est autre. Il s’en tient là… »

 Molière  fait ici l’éloge du moment d’une rencontre entre deux êtres, avec la puissance d’altération de l’un par l’autre que cela suppose. L’amour se place d’emblée  à une hauteur sublime, composant ainsi une puissance existentielle majeure : il constitue l’être et lui fait mal à la fois. La passion ? Des parcelles dont on n’atteint jamais la dimension d’ensemble…

 Ce Dom Juan n’est pas celui de Tirso de Molina, un  Burlador sévillan, un abuseur qui ment, trompe et séduit. Car, ici,  à chaque fois qu’il parle, « l’épouseur du genre humain »selon Sganarelle, dit la vérité.  C’est «un homme qui est là pour dire qu’on peut aimer plusieurs femmes à la fois et qu’on peut fonder là-dessus une nouvelle éthique », hors de toute fidélité. Un pas en avant par rapport à l’époque de Molière, une tension vers le temps futur selon la metteuse en scène..

Le mythe de ce personnages subversif est moderne et les artistes le convoquent régulièrement dans leur œuvre, tel Rainer Werner Fassbinder à la fin du XX ème siècle,  Chez ce personnages la vie dépend de son seul désir,  et il n’a de comptes à rendre à personne, partenaire ou proche. Et honorer la nature en soi, la jouissance, selon un matérialisme philosophique pré-XVIII ème siècle, c’est se choisir une vie impossible de paria, quand bien même le séducteur se prévaut de rendre hommage à la dignité singulière de l’autre. Ainsi, il se dédouane librement de tout méfait imposé au partenaire/adversaire, en déclarant qu’il initie l’autre à la découverte de son propre désir…

Elvire et les paysannes Charlotte et Mathurine pourraient remercier le séducteur de les avoir révélées à elles-mêmes,  d’être enfin des  consciences désirantes -,  et de ne pas lui en vouloir. Le Pauvre (Amidou Berte) ne renie pas sa foi,  et recèle une humanité que Dom Juan admire. Et quand Dom Louis, son  père, répète à  son fils indigne que « La naissance n’est rien où la vertu n’est pas », ce libertin  de Dom Juan se défend de toute culpabilité, et se lance dans une déclamation sur l’hypocrisie des dévots, extraite du Tartuffe.

Le spectacle-près de cinq heures ! -est monté avec une précision d’horlogerie, mais bien entendu le rythme,vers la fin, s‘épuise. Malgré le  jeu des comédiens fidèles à Marie-José Malis, comme Olivier Horeau, en Sganarelle représentant d’une condition sociale qu’il analyse intelligemment, et qui le joue avec humour. En costume d’époque à l’espagnole, il retire puis remet sa perruque,  presque lucide quand aux  jeux qui se passent autour de lui, même quand Dom Juan le siffle comme un chien. Juan Antonio Crespillo, l’interprète en bellâtre désenchanté à la mise soignée. Il esquisse quelques pas de flamenco, rappelant à ses proches comme  au public quel seigneur il est,  pour faire preuve de courage, quand les frères d’Elvire viennent la venger.

Sylvia Etcheto  joue une Elvire, épouse outragée, en costume simple et majestueux, qui reste naturellement digne et œuvre au salut de son époux qu’elle n’abandonne jamais à l‘enfer. Discourant et argumentant, elle ne se décourage guère, à la mesure de l’adversaire.Sandrine Rommel et Lou Chrétien- Février, les paysannes,  et Victor Ponomarev  en Pierrot , donnent au drame une fraîcheur et un humour bienvenus.

Des rideaux et plafonds s’ouvrent ou se ferment dans le bruit, et des toiles peintes se déroulent Les perches dans les hauteurs s’abaissent, se haussent ou se mettent en oblique, et menacent le libertin  comme les milles lances dans La Bataille de San Romano de Paolo Uccello.  Et le tombeau blanc-aussi loufoque-du Commandeur, avec  son portrait, atténue la dimension tragique de la pièce.

Rythme lent, parler méthodique qui fait sonner le verbe, pauses longues et silences qui tardent, musiques lointaines comme des vagues sonores enivrantes, personnages statufiés, qui se déplacent  du lointain au proscenium, et montent les quelques marches qui séparent la salle de la scène… Marie-José Malis invite le public à suivre son projet. Mais la dernière partie, après une dégustation de gâteaux offerts aux spectateurs, ni tenue ni tendue,  se délite! Sganarelle, prisonnier d’un rouleau de papier-toilette ne sait pas s’en défaire ( farce oblige) et Dom Juan fait le beau sans arriver à s’imposer.

Le public, lui, se lasse, et attend, un peu épuisé, une fin qui ne vient pas…

Véronique Hotte

La Commune-Centre Dramatique national d’Aubervilliers, 2 rue Edouard Poisson Aubervilliers (Seine-Saint-Denis)  jusqu’au 29 novembre. T. : 01 48 33 16 16

 

 

 

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