Livres et revues
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Conseils du Théâtre de l’Unité à ne pas suivre, Lettre à Charlotte de Jacques Livchine avec Hervée de Lafond
Il y a d’abord une préface de Jean-Pierre Marcos, président du Centre National des Arts du Cirque, de la rue et du théâtre qui résume bien ce livre : » Une belle leçon de théâtre pour tous les jeunes artistes un recueil d’histoires extraordinaires, pour que la création hors les murs puisse se poursuivre et se nourrisse aux sources de leurs imaginaires. Avec son humour noir habituel, les premières lignes annoncent la couleur : « Oui, dit Jacques Livchine, au delà de soixante-dix ans, on entre dans le couloir des condamnés, le couloir des pré-décédés. » C’est un peu dans la lignée de Louis Jouvet de ses fameux cours au Conservatoire ou d’Ecoute, mon ami , une sorte méditation sur l’apprentissage, le métier et la vocation de l’acteur. Un texte adressée à Charlotte apprentie-comédienne et prototype de tous les jeunes gens qui veulent faire du théâtre.
Un texte lumineux, plein de bon sens comme on disait autrefois, d’un metteur en scène clairvoyant qui a eu, dit-il, une carrière à rebours, ce qui est parfaitement faux. Mais depuis une quarantaine d’années que nous le connaissons, le Théâtre de l’Unité qu’il a fondé et qu’il dirige avec Hervée de Lafond, sa complice de toujours, aura donné des lettres de noblesse au théâtre dit « de rue » comme au théâtre en salle.
Il recommande à Charlotte de lire Stanislavski, Mikaïl Tchekhov, Jean Vilar, de faire attention au surjeu, de jouer avec son corps tout entier, comme le recommandait le grand Jacques Lecoq. Il y a aussi au fil des pages, des grains de sel d’Hervée de Lafond avec des réflexions d’une rare intelligence théâtrale faites au cours de ses nombreuses mises en scène. Elle parle notamment de la concentration , de la nécessité absolue de se faire entendre quand est à l’extérieur, de captiver le public. De faire attention à son costume, d’une énorme faute technique commise après quarante ans de carrière. (L’humilité n’est pourtant pas un des points forts des gens de théâtre!) .
Jacques Livchine parle aussi de la difficulté pour de jeunes comédiens de s’adapter à un autre style de spectacle que celui appris lors de leurs études, de l’influence d’un seul bon papier dans la presse et des prédictions que l’on peut faire de l’avenir de tel acteur. Il nous souvient de cette jeune fille venue d’une toute petite école de province et montée à Paris puis entrée à aux ateliers du soir de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot. Pas très jolie, très réservée, regardée de haut par ses camarades de promotion, elle prétendait passer le très difficile concours du Conservatoire national. Ricanement général! On lui reconnaissait juste ses qualités de bosseuse mais guère plus. Et pourtant elle réussit à passer allègrement les trois tours!
Hervée de Lafond parle elle dans un très beau petit texte, de la nécessité pour le créateur d’avoir à faire face à l’adversité, en particulier financière: « Pas assez d’argent, conclut-elle lucide, c’est destructeur mais trop d’argent, c’est paniquant. » Ces indispensables grains de sel complètent les points de vue théoriques et pratiques de Jacques Livchine qui parle avec une belle lucidité des mauvais côtés de son métier. Comme les indispensables dossiers administratifs à faire, les angoisses terribles quand deux acteurs manquent à l’appel à cause d’une voiture tombée en panne mais aussi des grandes joies après une dure traversée du désert quand arrivent de la région 50.000 € inespérés. Mais aussi du réel plaisir que ces formidables pédagogues ont eu à former de jeunes comédiens, de la naissance de leur désormais fameux « kapouchnik » un cabaret mensuel très couru par les habitants d’Audincourt (Doubs), de ces tentations que sont l’argent et la notoriété. Et ils ont abandonné une juteuse proposition de TF I: vendre son âme au diable, cela rapporte gros très vite mais à long terme, se paye cher en terme d’identité!
Le Théâtre de l’Unité n’a jamais été bien riche mais a toujours réussi à vivre et à aller jouer dans le monde entier. Cette rigueur dans la pratique d’un métier et cette intransigeance morale donne à réfléchir. Jacques Livchine résume brillamment et avec drôlerie, la série des quatorze obstacles qu’il faut franchir pour réussir à faire jouer un spectacle: la ténacité, cela fait aussi et surtout partie du métier!Une des plus belles phrases du livre : « Nous devons placer notre théâtre sous le signe de la résistance » dit-il un peu en conclusion à toutes les Charlottes qui veulent être actrices et/ou faire de la mise en scène. Le livre est complété par un ensemble de photos et un résumé des spectacles du Théâtre d’ l’Unité. Nous en avons vu la presque totalité et cela donne une assez bonne idée de la démarche d’une compagnie souvent regardée avec condescendance par nombres d’institutions et de Centres Dramatiques Nationaux. Cela aussi, Charlotte, est indispensable à savoir quand il faut-règle d’or de ces vieux complices-savoir se fixer un objectif !
Comme l’avais fait Brigitte Jaques, avec Elvire Jouvet 40, ce livre est matière à un très beau petit spectacle… En attendant lisez-le: en ces temps de doute sur le théâtre et sur la Culture en général, cela fait le plus grand bien. Et on le conseille en particulier à Laurent Wauquiez, cela lui évitera peut-être de dire une bêtise de plus sur les écoles artistiques!
Philippe du Vignal
Editions de l’Harmattan. 16, 50 €
Accents toniques/ Journal de théâtre (1973-2017) de Jean-Marie Piemme
Une année Jean-Marie Piemme : nombre de créations et de reprises des pièces de cet auteur belge sont à l’affiche (voir Le Théâtre du Blog), et il publie ses notes rédigées au fil du temps. A la fois dramaturge, critique éclairé, écrivain et pédagogue, il rassemble ici trente-cinq ans d’aventures théâtrales et personnelles, intimement liées. «Où donc finit le théâtre, où commence la vie ?», se demandait Jean Renoir dans son beau Carrosse d’or, par la bouche d’Anna Magnani. «On est dans le théâtre, oui, certainement, mais surtout dans la vie, dans la rue, dans le réel», écrit Stanislas Nordey, en préface à ces quatre cent pages.
Un livre chronologique en trois parties: 1973-1986; les années d’apprentissage. Dramaturge, il travaille, avec Marc Liebens et Michèle Fabien, à un théâtre engagé. Nourri, comme beaucoup de sa génération, à la mamelle de Bertolt Brecht : «Nous n’avions pas seulement le souci de la politique. Nous avions également celui de la politique culturelle. (…) «Lorsque le Théâtre National Populaire (dirigé alors par Georges Wilson à Paris) décida d’abandonner sa politique d’abonnements, il perdit très vite une importante partie de son public. Voilà qui ouvre des horizons à une réflexion sur le public. »
Jean-Marie Piemme a fait partie de la nouvelle vague du théâtre en Belgique et entama avec le metteur en scène Philippe Sireuil un compagnonnage de longue durée, mais éprouva très vite les limites de la dramaturgie: «qui n’est pas la voie royale de l’écriture scénique (…) mais un matériau parmi d’autres.» Il en dénonce les dérives de l’époque: «Nous devons d’abord revendiquer notre travail sur le plateau avant de le revendiquer comme des textes annexes. »
1987-2000 : au milieu des années quatre-vingt, l’écriture s’impose à Jean-Marie Piemme avec dit-il, « l’envie de produire du langage.» Très vite, en 1988, Actes Sud-Papiers publie Neige en décembre et se partagera ses écrits avec les éditions Lansman. Avec Eddy Merkx a marché sur la lune, sa dernière pièce en date, (voir Le Théâtre du Blog), il en a écrit plus de soixante-dix, pratiquement toutes montées. «Le théâtre est un art du mensonge qui dit la vérité». Ses fictions sont ancrées dans une certaine réalité mais analysée, recomposée. « Faire voir le monde en soi et soi dans le monde (…) Ecrire, c’est boxer, coincer le réel entre ses genoux et lui refaire la tronche.» Malgré la rigueur acquise lors de ses années de dramaturge, Jean-Marie Piemme cherche à faire la part belle au jeu des acteurs, «pour que le plateau soit libre ».
Pour lui, le texte participe d’une «architecture sonore», et au metteur en scène de s’en débrouiller : «Mon rôle, ce n’est pas d’écrire la mise en scène, je ne vois pas rien, j’entends des rythmes, des voix. (…) L’écriture, une urgence tardive. J’ai presque quarante-deux ans, il faut s’y mettre. Depuis, j’écris comme si j’avais engagé une course contre la montre. «J’écris un théâtre hétérogène. La structure de la pièce, la construction sont assimilables à des morceaux de monde proposés au regard et à l’écoute. (…) Une mosaïque.»
2000-2017 : Accents toniques en prend la forme avec des notes brèves, non datées mais toutes titrées, afin que le lecteur se repère dans cette traversée au long cours. Rien d’un donneur de leçons chez cet artiste resté d’un grande modestie. Plutôt des réflexions à vif sur son époque : ses rencontres, lectures, et expériences de spectateur… En trente-cinq ans, il en aura vu des spectacles et des films, rencontré des comédiens, écrivains, des metteurs en scène !
Ses années d’enseignement à l’I.N.S.A.S., à former des jeunes artistes, lui ont aussi ouvert les portes de la transmission : des futurs acteurs et metteurs en scène, il apprend, autant qu’il leur apprend. Il y a de quoi puiser dans ce volumineux ouvrage où l’écrivain nous donne en partage ses points de vue-sans illusions, et toujours prêt à s’interroger:«L’art ne transforme pas directement le monde, seuls les grands mouvements sociaux le peuvent. Mais l’art peut mettre chacun de nous, au pied du mur».
Mireille Davidovici
Alternatives théâtrales 2017. Prix : 12 €.