Les Soliloques du Pauvre de Jehan Rictus, par Vîrus

 

Les Soliloques du Pauvre de Jehan Rictus, par Vîrus

 Poète des sans-voix et des «p’tits vannés parigots», Jehan Rictus fréquentait le Montmartre anarchiste d’avant 1900. De son vrai nom: Gabriel Randon, ce chansonnier invente et interprète ce personnage de Jehan Rictus (un presque anagramme de Jésus-Christ). Sa gouaille inimitable et son engagement lui valurent vite le succès. Il publiera Les Soliloques du pauvres en 1897, une poésie du bitume et des pauvres avec un langage argotique singulier.

Le rappeur Vîrus a puisé dans ce recueil pour en faire d’abord un disque, puis un spectacle/concert littéraire,  avec la participation de Jean-Claude Dreyfus, fin connaisseur du poète. Assis à la table, il lira quelques passages, et de sa voix grave ici sonorisée,  il hurle et éructe les mots de Jehan Rictus. Accompagné par un D. J., il enchaîne les titres : la langue du poète se marie bien avec le rap, même quelque cent vingt ans après, comme si ces vers avaient été écrits pour ce style de musique.  Vîrus ne cherche pas à interpréter un personnage mais  propose un concert brut de décoffrage, avec tous les attributs du rap. Rictus, c’est lui. On se souvient de Pierre Brasseur, interprète mémorable du Revenant,  dialogue entre  un clochard et Jésus.

 Avec un accompagnement musical pourtant peu original, Vîrus est «rentre-dedans» et sa rythmique simple  nous accroche vite. Jean-Claude Dreyfus, invité exceptionnel, apparait sporadiquement et on regrette que son personnage ne soit pas plus construit. Mais, malgré le manque de complicité scénique entre  eux, leurs univers-à priori éloignés-se rencontrent quand même. Outre le plaisir d’entendre la poésie de Jehan Rictus, cette proposition mélange les publics, comme ce soir, à la Maison de la Poésie, où de jeunes amateurs de rap côtoyaient  le public habituel des théâtres. Rien que pour cela,  le spectacle valait le coup !

 Julien Barsan

Spectacle vu le 28 novembre à la Maison de la Poésie, 157 Rue Saint-Martin, 75003 Paris. T: 01 44 54 53 00.

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Archive pour 1 décembre, 2017

Les Monstrueuses de Leïla Amis, mise en scène de Karim Hammiche

 

Les Monstrueuses de Leïla Amis, mise en scène de Karim Hammiche

lesmonstrueuses-5 Dans une quasi-obscurité, une silhouette féminine déambule lentement. Le silence se fait. Elle s’avance au centre du plateau, s’arrête, éclairée par une douche de lumière chaude. La Majmouna, la femme folle, la lune, les hyènes : tout un univers défile dans notre imaginaire à l’écoute du prologue, un texte  ancestral, proféré et dansé par cette jeune femme, dont les gestes  ont une gracieuse animalité : « Bientôt
 dehors
 on entrevoit dans le brouillard de l’aube, la folle sortir du campement en courant, à l’heure où les chèvres s’éveillent (…) »Dès les premiers instants, et jusqu’à la fin, un voyage, étrange, poétique, et messager de la condition féminine d’hier et d’aujourd’hui …«Le monstre vient à l’aube de l’enfance
. Le monstre vient le matin où la fille meurt pour que naisse la mère ».

 Il s’agit bien ici d’un voyage à travers plusieurs générations de femmes : femmes  du Yémen qu’elles quitteront pour la France, et  relations mère-fille inscrites dans un aller-retour constant entre les deux  pays. Leila Anis endosse avec virtuosité tous les personnages féminins de cette lignée familiale, de la fin du XIXème siècle jusqu’à nos jours. L’histoire commence au mois de mai 2008 : «Je m’appelle Ella, j’ai trente ans». L’espace-temps est ici fragmenté, et s’ajuste à l’état de conscience et à la mémoire d’Ella : -Le médecin:« Où êtes-vous née mademoiselle ? Vous êtes sûre de ne pas connaître Ella ? » Ella : « Je ne connais pas d’Ella. Je m’appelle Jeanne-Emilie Mouche, je suis née à Paris en 1893. Mon père m’a accompagné pour le voyage de Castres en 1910, Edouard-Paul Pelissin avait demandé ma main, par l’intermédiaire de mon oncle.(…) »

Ella fait vivre et devient-pourrait-on même penser-toutes les figures féminines de cette famille. Est-ce dû au traumatisme reçu en apprenant la nouvelle ? Ella est enceinte, et « les histoires de nos ventres sont des horreurs (…) tu ne choisis pas le monstre,
 tu le reçois des mains de ta mère, 
à ta fille tu le donneras. 
Monstre tu as été, Monstre tu engendreras (…) L’utilisation plastique et graphique des éclairages fluo avec des effets de lumière colorée, donnent une lisibilité temporelle,  spatiale, et psychique, à ces différents fragments de vie; à travers une succession de tableaux, à la manière de portraits existentiels animés,  l’espace mental d’Ella  est ainsi mis en représentation :  « (…) Le vent a la langue froide
 il lacère mes bras,
 je les replie sur mon ventre sec (…) Je sors du laboratoire un pas devant l’autre, 
ne tombe pas Ella,
 je ne respire plus
 des fourmis m’envahissent des orteils aux mollets, ne tombe pas, Ella ».

Comme le confirme l’autrice, nous entrons dans ce spectacle comme «à l’intérieur d’un rêve, à partir duquel surgissent et se déploient les époques et figures féminines de l’histoire». Pensées, sensations et  fantasmes de ces quatre femmes-sorte de personnages testamentaires- sont ici interprétés par Leïla Amis qui a aussi écrit le texte.  Dès lors, se forme un paysage de la condition des femmes et de son évolution (sur un siècle), de leur souffrance et de leur espérance. Tout ici possède une rare qualité anthropologique, politique et dramatique.

Il faut saluer ici le jeu remarquable de Karim Hammiche (le médecin) qui est aussi le metteur en scène de la pièce et de Leïla Anis remarquable, notamment quand elle chante Lhomme au piano  avec  une voix impressionnante de sensibilité. Très tôt, Ella s’identifie à Edith Piaf :  «Quand j’étais enfant, je me suis dit un jour  que je n’avais  jamais rien entendu de plus beau que la voix d’Edith Piaf». Le prénom de Rosa, autre personnage féminin de l’œuvre, rappelle une autre figure féminine engagée et légendaire, Rosa Luxemburg, ou bien encore le prénom de Jeanne… »
 Toutes ces femmes choisirent de prendre envers et contre tout, quitte à en mourir,  leur destinée en mains.

Le public est emporté dans le tourbillon de ces existences terribles, toutes marquées d’abord par l’obligation d’apprendre à se taire, par la honte et  la culpabilité.  Toutes aussi empreintes d’un désir de vivre coûte que coûte, d’un sens de l’honneur: celui d’être une femme. Et d’avoir accès en toute dignité à la parole, pour trouver la liberté d’être, tout simplement. Cette mise en scène participe de cette résilience, à travers une écriture poétique et sensuelle, exprimée avec beauté tout au long du spectacle !  

Elisabeth Naud 

Maison des Métallos 94 rue Jean-Pierre Timbaud,  Paris XIème. T01 47 00 25 20, jusqu’au 11 décembre.

Théâtre en Pièces  Eure et Loir, les 12 et 13 janvier .

Atelier à spectacle, Scène conventionnée de l’Agglomération du Pays de Dreux, le 13 février.Théâtre de Fresnes, le 16 février.   Théâtre de la Tête noire, Saran (Loiret) Scène conventionnée écritures contemporaines, les 15 et 16 mars. 

Qu’est-ce que le théâtre ? d’Hervé Blutsch et Benoît Lambert

 

©V.Arbelet Qu'est-ce que le théâtre ? © V.Arbelet Qu'est-ce que le théâtre ? © V.Arbelet

© V.Arbelet

Qu’est-ce que le théâtre ? d’Hervé Blutsch et Benoît Lambert

 Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le théâtre sans jamais oser le demander. Un objectif ambitieux que visent Hervé Blutsch et Benoît Lambert avec cette conférence de moins d’une heure, destinée à être présentée partout, mais surtout là où le théâtre ne va pas, notamment dans les lycées. Le Théâtre Dijon-Bourgogne Centre Dramatique National poursuit sa mission de décentralisation avec cette petite forme.

 Deux conférenciers se présentent, incarnés par Nathalie Matter et Emmanuel Vérité, et rassurent tout de suite les inquiets. Ils sont là pour nous parler du théâtre et nous tranquilliser sur une sortie qui au théâtre qui peut paraître un Everest à certains. Ils débutent par une analyse très sérieuse comportant les statistiques du ministère de la Culture qu’ils inscrivent sur un  tableau de papier: on apprend par exemple que la durée moyenne d’un spectacle est d’une heure trente-huit. On quitte rapidement les chiffres officiels pour la notion de « PAR » : perspective/angoisse/renoncement, pour traduire le circuit habituel d’une sortie au théâtre : d’abord on s’y intéresse, ensuite on se trouve toutes sortes d’excuses, et enfin on renonce.

 Suit une série de questions. A-t-on le droit de dormir au théâtre ? Doit-on se préparer quand on est spectateur ? Doit-on venir seul ou en groupe ? Quand deux acteurs s’embrassent, est-ce qu’ils mettent la langue ? Pour illustrer leurs propos les comédiens vont jouer des extraits d’une pièce d’un certain Friedrich Nach, auteur autrichien. Du théâtre dans le théâtre pour parler du théâtre ! Il est question d’un couple en exil : la sœur de la femme les accompagne et va semer la zizanie dans leur union…

 Mais ces conférenciers censés être farfelus ne sont pas assez fous, et les blagues restent un peu convenues. On aimerait que cela déraille vraiment, que cela décolle, d’autant plus que l’humour, ici clairement affiché, laisse vite deviner que cette séance participe d’un simulacre théâtral. Qui a vu Emmanuel Vérité incarner Charles Courtois-Pasteur, un personnage plein de folie  rappelant Marcel Proust et Fedor Dostoïevski, connaît sa fantaisie et sa capacité à transformer de toutes petites choses en histoires épiques. Mais ici, ce plaidoyer pour le théâtre à l’attention de ceux qui n’y vont pas, se prive d’être un spectacle à part entière. Les interprètes auraient pu nous emmener bien plus loin et donner la pleine mesure de leur talent.

 Julien Barsan

 Théâtre Dijon Bourgogne-Centre Dramatique National du 4 au 8 décembre dans le cadre du Temps Fort : Jouer Partout en direction de la jeunesse. T. : 03 80 30 12 12.

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