Festival Quatre Chemin à Port-au-Prince ( suite)

Festival Quatre Chemins  à Port-au-Prince (suite)

 25 novembre

 IMG_0163Debout de Nathalie Papin, lecture dirigée par l’auteure à l’issue d’un atelier avec des lycéens

Cette histoire d’enfant battu qui se cherche une nouvelle mère coïncide avec la thématique du Festival. Le gamin, découvert par le fossoyeur au fond d’un trou au cimetière parce qu’il veut mourir, va rencontre,r grâce au vieil homme, un aréopage de Mères. Difficile d’en choisir une de remplacement … Les enfants se sont approprié ce texte avec appétit, et en font ressortir la drôlerie et la poésie, sans gommer la gravité du destin de ce petit garçon baptisé debout par le fossoyeur. En parallèle, les filles ont aussi travaillé à la lecture de Mange moi, de la même autrice.

Ces ateliers menés toute l’année par l’équipe des Quatre Chemins en milieu scolaire donne accès à des textes de théâtre exigeants, et permettent un rapport  direct et vivant  à la langue française -seconde langue officielle après le créole-et contribue à la formation de futurs artistes et/ou spectateurs.

 Mount Olympus/To glorify the culture of tragedy réalisation de Jan Fabre, Dag Taedelman et Jersey Olyslaegers

Plus qu’une performance, c’est d’un exploit dont ce film est la trace. Vingt quatre heures de projection, pour un spectacle qui a la même durée: interprètes, machinistes et dramaturges ne quittent pas le plateau! Avec des moments de pause, de sommeil, de rêve… le public de la performance comme celui du film peut entrer,  sortir et revenir à sa convenance.

La construction de la pièce en longs tableaux le permet. Jan Fabre a toutes les audaces dans cette exploration en images des mythes et de la tragédie grecs. Cruauté et décadence orgiaques chez les Dieux, douleurs chez les humains. Du sang, beaucoup de sang sur scène, où s’amoncellent des pièces de boucherie. « Too much blood, too much gore, blood and gore will be everywhere » ( Trop de sang trop d’horreur, sang et horreur seront partout ). Parmi une quarantaine de dieux, on reconnaît Zeus, Déméter,  et bien entendu Dionysos présidant aux déchaînements de l’Olympe.

Parmi les personnages tragiques, Andromaque se lamente devant le corps de son fils, en rassemblant des abattis sanguinolents. Œdipe se crève les yeux et saigne … Saisissante aussi cette séquence où les divinités font l’amour avec des plantes. Point besoin de connaître tous les mythes et les toutes les tragédies pour saisir ces magnifiques tableaux, issus de l’art toujours renouvelé de l’artiste et chorégraphe belge. Un exploit esthétique mais aussi physique !
 On se souviendra longtemps de cette interminable séquence de saut à la corde avec des chaînes, jusqu’à épuisement des danseurs: «Oeil pour œil, le rythme de la vengeance est mon histoire…La lune est morte et le soleil va mourir »,   répètent-ils ad libitum jusqu’à ce que le public reprenne ces phrases en répons. Bien sûr, une séance de cinéma donne seulement une idée de ce que fut ce spectacle mais constitue un hommage à ce grand artiste. La participation de la Belgique (côté Wallonie Bruxelles) se trouve mise en avant  dans ce festival avec la présence  de Fabrice Murgia.

 27 novembre:

À la librairie La Pléiade

 photoCette grande librairie, entièrement reconstruite après le séisme de janvier  2010, s’ouvre régulièrement à des événements littéraires et à des signatures. Ses rayons offrent un grand choix de livres, surtout  en français et en créole.  Sa directrice, Solange Lafontant, libraire de père en filles, se bat avec sa sœur qui tient une succursale à Pétion-Ville, pour maintenir cette  librairie. Avec peu d’aides, sauf la prise en charge par  notre pays, d’une partie des frais de port des livres français. L’essentiel des revenus provient d’achats par les écoles, les bibliothèques et les universités. On y découvre aussi des CD de musique haïtienne.

 Une Enfance haïtienne, publication collective réunie par  Guy Régis Jr. , lecture et signature

 Dix écrivains haïtiens publient dans ce recueil,  de courts récits d’enfance. Qu’ils remontent aux sources de leur histoire ou de leur imaginaire, ils font entendre dans une langue inventive, des échos de leur jeunesse. On a pu en entendre cinq brefs extraits, un échantillon d’approches plurielles. Le livre est publié aux éditions Gallimard.

reconstruction

reconstruction

 Reconstruction texte et mise en scène de Guy Régis Jr.

Programmée exceptionnellement hors Festival, cette farce politique savoureuse épingle un président et sa cour de ministres, tous corrompus, qui s’en mettent plein les poches avec l’argent donné au pays pour la reconstruction. La comédie politique en forme de vaudeville rencontre un grand succès public  et cette reprise, décidée au dernier moment, affiche complet au Yanvalou.
Conçue pour un théâtre de tréteau et destinée à être jouée en plein air, le pays manquant de salles, la mise en scène est simple, efficace, malgré le jeu souvent forcé de  certains acteurs.

 28 novembre:

Écorchée vivantes publication collective réunie par Martine Fidèle. Lecture et signature en présence  les auteures, à la Librairie La Pléiade

 

écorchées vivantes

écorchées vivantes

« Chair interdite, le sexe des  femmes attire le désir autant que la haine et la convoitise, autant que la peur. Neuf femmes haïtiennes tentent de dire les maux/mots tracés au scalpel dans le corps des femmes » écrit Yanick Lahens à propos de ce recueil. Chaque écrivaine évoque, à sa manière, les  violences faites au pays et en particulier, aux femmes : battues violées et prostituées. Avec des paroles crues mais pleines de tendresse et de poésie : « Je trébuche sur ton ciel. Je vomis la langue que je ne parle qu’en petites faims. Il m’arrive de vivre. De poignarder les rêves ( …) Je danse avec la saleté du quotidien, avec la rage des lunes disparues … » écrit Kermonde Lovely Fifi, dans la premier texte de ce recueil publié aux éditions Mémoire d’encre. Le texte de  Martine Fidèle clôt le livre avec ces mots :  « On roule ensemble dans l’anathème. J’affronte l’œil malsain des hommes. Je glisse dessus. Plonge dans ma chute. Demain est une quête d’horizon./ Depuis j’apprends à marcher.» L’ouvrage est ponctué de courts inserts comme : « Le pays est en proie au chaos depuis le tremblement de terre. La mère laisse la fille prendre part à la reconstruction de manière brutale. Et maintenant…». Un style concis, des phrases rythmées, une prose poétique, telle est la langue de ces jeunes femmes, entre pessimisme et foi en l’avenir

 Chemin de fer de Julien Mabiala Bissila, mise en scène et interprétation de Miracson Saint-Val.

Transposé dans le contexte haïtien, la pièce de l’auteur congolais, qui a reçu le prix RFI 2014 ( voir Le Théâtre du blog) prend une tonalité différente. Un homme raconte. Les trois mouvements, les trois   « souffles », du récit se déroulent d’abord aux urgences d’un hôpital , où  “une colline de cadavres s’empile à l’entrée »; puis, dans un train qui fuit les massacres, sorte de vaisseau fantôme «sur un chemin de chair, sans retrouver son chemin de fer » ; enfin, dans un hôtel pour une partie de jambes en l’air, interrompue par les bombardements. Au milieu de ce tohubohu, le protagoniste ne perd pas son humour.

 L’adaptation par Miracson Saint-Val de ce long monologue à voix multiples en une heure  seulement, privilégie des épisodes parlants pour le public d’ici, notamment le dialogue avec les morts. Le comédien s’appuie sur le vaudou, avec des chants empruntés à ce rituel qui ponctuent sa mise en scène. Même  pour un public non initié, les horreurs de la guerre civile au Congo renvoient à la dictature des Duvalier père et fils, accompagnés par ses Tontons macoutes qui sévirent  de 1958 à 1986… Avec un jeu très expressif, proche de la performance et parfois de la transe, le comédien établit une complicité presque charnelle avec un public très réactif,  par rapport au public occidental.

Miracson Saint-Val s’inspire, dit-il,  du dynamisme et de l’énergie du cérémonial vaudou»,  et de  «comment les gens en transe portent leurs corps, quand ils sont chevauchés». Dans cette arrière-salle de restaurant Yanvalou, exigüe et à l’acoustique difficile, on mesure quand même les potentialités de ce travail en cours qui trouvera sans doute son allure de croisière après ces deux premières représentations.

 30 novembre

Heimaten présentation de l’étape haïtienne d’un projet d’Antoine Laubin, à la Direction nationale du livre

Depuis la Belgique, Antoine Laubin interroge la notion de «chez moi» que chacun porte selon sa langue et son pays. Après un dialogue organisé entre deux acteurs belges francophones et deux acteurs allemands, en ex-RDA, il est venu en Haiti pour mettre en présence sa compatriote, l’actrice et auteure Caroline Berliner et le comédien haïtien Albert Moléon.
Ils  nous livrent ici une première étape de leur travail, en forme de conversation. Où l’on découvre, malgré les différences, beaucoup de points communs, quand leur histoire familiale converge avec l’Histoire. … La prochaine étape mènera Antoine Laubin en Egypte. En fin de parcours, naîtra un spectacle mais en 2020…

 La Faute à  la vie de Maryse Condé mise en  en scène de Billy Eleucien

 Deux femmes, l’une noire, volubile, alerte,  et l’autre blanche, mélancolique, clouée dans un fauteuil à la suite de plusieurs deuils…Au cours d’un dialogue d’abord quotidien, puis de plus en plus vif, elles vont creuser le passé et exhumer des secrets qui les unissent, autant qu’ils les séparent…

Elle creuse les rapports complexes qui se sont tissés dans cette amitié entre une intellectuelle blanche et une femme du peuple antillaise. Relations de classe, de race, mais aussi liens indéfectibles… La compagnie haïtienne Foudizè Théâtre, mise à l’honneur dans ce festival avec plusieurs spectacles, a coproduit La Faute à la vie avec Le Théâtre du bout des doigts basée à Agen: l’actrice et metteure en scène  Sylvie Laurent-Pourcel est une habituée des Quatre Chemins…

 Le spectacle, dans un décor du quotidien, parvient à accrocher le public, après un démarrage difficile aux dialogues un peu convenus . La grande écrivaine guadeloupéenne  est plus à l’aise dans ses romans que dans une écriture théâtrale, mais on retrouve au fil de la pièce, l’univers tendu et la complexité des personnages qu’elle porte en elle.  La comédienne haïtienne Joanne Joseph et Sylvie Laurent Pourcel forment un couple au physique et au caractère contrasté, où le jeu de la Française paraît un peu superficiel et composé.

 

IMG_0166Je suis Gaëlle de et par  Gaëlle Bien-Aimé

L’autrice et comédienne incarne une trentenaire  avec dreadlocks et aux idées non conventionnelles qui  se heurtent aux préjugés sociaux entravant la vie des femmes. L’humour croise la satire dans ce brillant solo: solide et hardie, la comédienne épingle sans concession, les petits et grands travers de son pays. Elle affirme son féminisme et se moque du mariage, du machisme, de la maternité, de l’école, des hommes politiques, des modes musicales … Avec un sens de la formule, tantôt en français, tantôt en créole, elle met le public dans sa poche: rires et commentaires fusent de la salle.  En une heure et demi, elle nous communique une belle énergie.

Gaëlle Bien-Aimé fait preuve de la même détermination dans la vie que sur scène, et s’apprête à fonder une école de comédie. Grâce à sa force de conviction, le projet est sur le point d’aboutir.

( À suivre)

 Mireille Davidovici

 

 


Archive pour 3 décembre, 2017

Les Autres, quatre courtes pièces de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Jean-Louis Benoit

 

Les Autres, quatre courtes pièces de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Jean-Louis Benoît

 

©Bohumil Kostohryz

©Bohumil Kostohryz

Dans la préface des Courtes de Jean-Claude Grumberg, Claude Roy note: «Ce qu’ont de commun les personnages quotidiens de Grumberg et les obscurs maniganceurs du destin, qui, dans la coulisse, perpètrent les guerres et les massacres, les pogroms et les camps, les tyrannies et les humiliations, c’est l’aveuglement. Les hommes ne savent pas ce qu’ils disent… Bien sûr, pour être capable de rire de la sottise ou de la naïveté des victimes et de la cécité des bourreaux, il faut une certaine distance. »

Ce spectacle est composé de quatre pièces courtes de Jean-Claude Grumberg : Michu et La Vocation créées en 1967 par Frédérique Ruchaud à L’Epée-de-Bois ; Les Vacances et La Rixe sont créées en 1968 à Amiens par Jean-Pierre Miquel, et La Rixe encore est présentée en 1971 à la Comédie-Française par Jean-Paul Roussillon.. Xénophobie, racisme, antisémitisme, homophobie, anticommunisme primaire comme haine viscérale des forces de police, ces pièces satiriques ont été écrites dans les années 1960 par un jeune homme attentif à l’Histoire qui pensait que les caricatures grotesques et dangereuses des travers populaires s’amoindriraient avec le temps.

Nulle  amélioration politique des consciences, mais, observation amère pour le spectateur, la permanence de points de vue réactionnaires d’une extrême droite populiste. Domine ici la sacro-sainte famille, avec l’autorité abusive paternelle, la soumission maternelle et des enfants à peine existants. Le père s’interroge dans Michu de ce que l’autre-un chef ou collègue -pense de lui : est-il pédéraste, communiste, juif ? En rêve, la nuit, Michu l’accuse, et l’épouse rassure le dormeur au matin, l’invitant toutefois à « remonter la pente ». Dans Les Vacances, le père, en grand seigneur, fait voyager sa famille en terre étrangère. Pourtant, pas facile de s’ouvrir à la langue des autres, à leurs cuisine,  culture et coutumes. Mieux vaut rester chez soi et ne pas essuyer de bévues. Et les quiproquos entre le serviteur autochtone et les touristes errants sont savoureux.

 Quant à La Rixe, une pièce facétieuse mi-figue mi-raisin, le père qui a peur des autres ou lui-même, s’en prend, pour une histoire de voiture et de priorité, à un conducteur maghrébin qu’il ne cesse d’accuser de tous les maux. Carabine à l’appui, il crache une logorrhée d’injures et d’insultes, et se replie dans son appartement cerné par la police. Le père pense évaluer le danger et, en en juge inapte et inepte, commente la situation.

 Le père encore, dans La Vocation,  veut soutenir son fils dans le métier qu’il choisira carrière mais pas  dans la police, ce que pourtant le fils désire . Face au veto paternel, le fils décide de quitter le foyer. Mésentente, méprises et maladresses, les êtres ne s’écoutent guère. Vie difficile ou maussade:ils sont  pleins de haine pour eux-mêmes,  désignent les autres comme coupables et jugés responsables de leurs propres maux.Réceptifs aux miroirs aux alouettes et à la voix des populistes qui stigmatisent si aisément les minorités, les personnages des Autres, figures à la fois comiques, burlesques et alarmantes et sinistres, inquiètent.

 La mise en scène de Jean-Louis Benoît, dans une remarquable scénographie de Jean Haas avec châssis mobiles,  lit, table de restaurant et portes qui claquent, provoque un rire amer ,compulsif, tant la vision du tableau est juste. Philippe Duquesne (le père)  rafle la mise, avec la composition d’un affreux bonhomme raciste, violent et incapable d’ouverture. Il prend un malin plaisir à noircir encore la laideur pitoyable de ce anti-héros. Nicole Max joue très bien cette épouse  qui ne s’en laisse pas conter et qui résiste aux attaques. Quant aux fils, (Pierre Cuq et Stéphane Robles), ils n’en mènent pas large, comme attendu, observateurs muets et le plus souvent craintifs face au père. Et le restaurateur autochtone d’un pays étranger, n’en fait qu’à sa tête. De l’humour noir à l’ironie étincelante… Cela résonne fortement avec les temps présents!

 Véronique Hotte

 Théâtre de l’Épée de bois,  à la Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 23 décembre. T: 01 48 08 39 74.

 

Clérambard de Marcel Aymé, mise en scène de Jean-Philippe Daguerre

 

Clérambard de Marcel Aymé, mise en scène de Jean-Philippe Daguerre

 

© Grégoire Matzneff

© Grégoire Matzneff

Marcel Aymé (1902-1967)  cet écrivain d’origine franc-comtoise est encore connu par ses Contes du chat perché mais aussi par certains de ses nombreux romans comme La Table aux crevés, La Vouivre, ou surtout Travelingue. Il a aussi écrit des pièces qui on l’a oubliées aujourd’hui mais qui connurent un grand succès dans les années cinquante. Comme entre autres, La Tête des autres,  un virulent plaidoyer contre la peine de mort mais aussi contre les procureurs, mais aussi Lucienne et le boucher, et  Clérambard, créé en 54 avec Jacques Dumesnil dans le rôle-titre, puis en 86 avec Jean-Pierre Marielle. Une autre reprise bien plus tard en 2008, avec Jean-Marie Bigard  fut un échec… Question de mise en scène, de distribution mais aussi sans doute de rencontre avec un public qui n’était plus du tout le même cinquante ans plus tard.

Même si le langage -le plus souvent très incisif- comme le scénario sont restés des plus truculents. Marcel Aymé, on l’oublie souvent, a aussi écrit le scénario de plusieurs films dont La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara et a traduit Arthur Miller et Tennessee Williams. L’écrivain pourtant a eu une carrière presque en marge des milieux littéraires parisiens, et fut cordialement détesté: dans son théâtre et ses romans, des plus caustiques, il n’épargna personne : snobs, magistrats, grand bourgeois ou nobliaux. D’abord réputé de gauche, mais plutôt inclassable sur le plan politique, il n’était jamais là où on l’attendait. Il soutint Mussolini quand il envahit l’Ethiopie mais travailla avec Louis Daquin, réalisateur marxiste et en même temps, ne se gêna pas pour écrire des articles -sans toutefois aucune connotation politique mais quand même!- dans Je suis partout, un journal des plus collaborationnistes!
Et il travailla à la Continental films, une agence sous direction allemande, ce qui lui valut des ennuis à la Libération. Et il soutint son ami Robert Brasillach qui fut tout de même condamné à mort et exécuté, puis Louis-Ferdinand Céline !

Donc, on dira plutôt anarchiste de droite… En homme méfiant et sans illusions sur la société, Marcel Aymé pourfend dans son théâtre, l’hypocrisie, les relations humaines sur fond de cupidité et d’injustice. Logique avec lui-même, il restera à l’écart des honneurs, des puissants et des politiques de tout bord, refusant d’entrer à l’Académie Française comme aux réceptions à l’Elysée. De quoi se faire bien voir par tout le monde!

Cette comédie grinçante se passe dans le milieu de la noblesse ruinée. Dans son château délabré qu’il veut à tout prix conserver, le comte de Clérambard est un tyran qui fait travailler sa  femme, son fils et sa belle-mère sur des métiers à tricoter et il vend les gilets à prix dérisoires. Pervers et méchant, il tue des animaux domestiques pour améliorer l’ordinaire de sa famille.
Le curé de la paroisse, délégué par Maître Galuchon, l’avoué local -autrefois officier ministériel et auxiliaire de justice- vient lui proposer un marché: Octave de Clérambard son fils, épouserait la plus jeune des Galuchon: ni très belle ni très futée, elle a cependant une « belle » dot comme on disait alors.
Il y a mieux parmi ses sœurs, mais ce serait plus cher ! Cette opération juteuse -il oubliera vite le cynisme du marché- lui permettrait en tout cas de sauver son château et de faire vivre sa famille. Un peu comme Georges Dandin, paysan qui veut s’allier à s’allier à l’aristocratie  et qui le payera cher, Galuchon rêve que sa fille puisse un jour devenir comtesse, même s’il faut y mettre le prix ! Vieille histoire humaine, encore valable sous des aspects différents…

Mais soudain, le comte va avoir une vision extraordinaire : Saint-François d’Assise lui apparait et lui reproche de ne pas bien traiter les siens et lui donne son livre à lire. Le comte alors comme foudroyé par la grâce,  décide en fou de Dieu qu’il est devenu, de protéger les animaux y compris les araignées dont son château pullule, d’acheter une roulotte pour y faire vivre toute sa famille et il ira sur les routes prêcher la bonne parole…
Et  il refusera aux Galuchon qui le prennent très mal, de marier son fils à leur fille. Il veut en effet se marier lui, avec une très jeune et belle prostituée du secteur, dite la Langouste, très à l’aise dans son activité qui ne lui déplait pas du tout. Clérambard, lui, la trouve charmante et considère qu’après tout, elle est victime de la société… Il serait même tout près de céder à ses charmes, comme le fait régulièrement lui, Maître Galuchon. On est ici en plein délire à la Georges Feydeau.

Et cela donne quoi sur le plateau, cette histoire à l’humour des plus noirs, sur fond d’extrémisme religieux et de bêtise humaine?  «Misant sur le nombre et la qualité des interprètes, dit Jean-Philippe Daguerre, la beauté et le réalisme des costumes, le spectacle file à un rythme très soutenu (…) la mise en scène balaye conventions et faux semblants avec une belle allégresse. » Malgré cette auto-congratulation, le résultat n’est pas tout à fait à la hauteur! Interprétation inégale, malgré Grégoire Bourbier (le curé et Saint-François d’Assise), Frank Desmet (Clérambard) et Antoine Guiraud (le vicomte), et surtout Flore Vannier-Moreau, tout à fait excellente dans un double rôle -toujours un merveilleux cadeau pour une jeune actrice- de la Langouste, pétillante et drôle et d’Evelyne, la fille sosotte des Galuchon.

Mise en scène honnête -les costumes sont malheureusement assez laids- mais sans grande invention et dramaturgie aux abonnés absents. Il aurait sans doute fallu couper en effet quelques scènes de cette comédie un peu longuette et accélérer le rythme. Et pourquoi ne pas avoir situé la pièce de nos jours? Cela aurait été plus convaincant, l’actualité nous en donne sans cesse des exemples… Par ailleurs, Jean-Philippe Daguerre aurait pu nous épargner ces petits scènes jouées dans la salle: cela fait vraiment faux théâtre d’avant-garde et n’étonne plus personne mais semble être la marque de fabrique du Théâtre 13 ! Et surtout cela manque totalement d’efficacité!

A voir, si vous n’êtes pas trop exigeant. Si vous voulez découvrir cette pièce maintenant bien peu connue mais qui n’a rien perdu de son mordant soixante ans après sa création, mieux vaut la lire ou voir le film qu’Yves Robert en avait tiré avec Philippe Noiret…

Philippe du Vignal

Théâtre 13/Jardin 103 A boulevard Auguste Blanqui, Paris XIII ème, jusqu’au 23 décembre.

 

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