Festival Quatre Chemin à Port-au-Prince ( suite)
Festival Quatre Chemins à Port-au-Prince (suite)
25 novembre
Debout de Nathalie Papin, lecture dirigée par l’auteure à l’issue d’un atelier avec des lycéens
Cette histoire d’enfant battu qui se cherche une nouvelle mère coïncide avec la thématique du Festival. Le gamin, découvert par le fossoyeur au fond d’un trou au cimetière parce qu’il veut mourir, va rencontre,r grâce au vieil homme, un aréopage de Mères. Difficile d’en choisir une de remplacement … Les enfants se sont approprié ce texte avec appétit, et en font ressortir la drôlerie et la poésie, sans gommer la gravité du destin de ce petit garçon baptisé debout par le fossoyeur. En parallèle, les filles ont aussi travaillé à la lecture de Mange moi, de la même autrice.
Ces ateliers menés toute l’année par l’équipe des Quatre Chemins en milieu scolaire donne accès à des textes de théâtre exigeants, et permettent un rapport direct et vivant à la langue française -seconde langue officielle après le créole-et contribue à la formation de futurs artistes et/ou spectateurs.
Mount Olympus/To glorify the culture of tragedy réalisation de Jan Fabre, Dag Taedelman et Jersey Olyslaegers
Plus qu’une performance, c’est d’un exploit dont ce film est la trace. Vingt quatre heures de projection, pour un spectacle qui a la même durée: interprètes, machinistes et dramaturges ne quittent pas le plateau! Avec des moments de pause, de sommeil, de rêve… le public de la performance comme celui du film peut entrer, sortir et revenir à sa convenance.
La construction de la pièce en longs tableaux le permet. Jan Fabre a toutes les audaces dans cette exploration en images des mythes et de la tragédie grecs. Cruauté et décadence orgiaques chez les Dieux, douleurs chez les humains. Du sang, beaucoup de sang sur scène, où s’amoncellent des pièces de boucherie. « Too much blood, too much gore, blood and gore will be everywhere » ( Trop de sang trop d’horreur, sang et horreur seront partout ). Parmi une quarantaine de dieux, on reconnaît Zeus, Déméter, et bien entendu Dionysos présidant aux déchaînements de l’Olympe.
Parmi les personnages tragiques, Andromaque se lamente devant le corps de son fils, en rassemblant des abattis sanguinolents. Œdipe se crève les yeux et saigne … Saisissante aussi cette séquence où les divinités font l’amour avec des plantes. Point besoin de connaître tous les mythes et les toutes les tragédies pour saisir ces magnifiques tableaux, issus de l’art toujours renouvelé de l’artiste et chorégraphe belge. Un exploit esthétique mais aussi physique !
On se souviendra longtemps de cette interminable séquence de saut à la corde avec des chaînes, jusqu’à épuisement des danseurs: «Oeil pour œil, le rythme de la vengeance est mon histoire…La lune est morte et le soleil va mourir », répètent-ils ad libitum jusqu’à ce que le public reprenne ces phrases en répons. Bien sûr, une séance de cinéma donne seulement une idée de ce que fut ce spectacle mais constitue un hommage à ce grand artiste. La participation de la Belgique (côté Wallonie Bruxelles) se trouve mise en avant dans ce festival avec la présence de Fabrice Murgia.
27 novembre:
À la librairie La Pléiade
Cette grande librairie, entièrement reconstruite après le séisme de janvier 2010, s’ouvre régulièrement à des événements littéraires et à des signatures. Ses rayons offrent un grand choix de livres, surtout en français et en créole. Sa directrice, Solange Lafontant, libraire de père en filles, se bat avec sa sœur qui tient une succursale à Pétion-Ville, pour maintenir cette librairie. Avec peu d’aides, sauf la prise en charge par notre pays, d’une partie des frais de port des livres français. L’essentiel des revenus provient d’achats par les écoles, les bibliothèques et les universités. On y découvre aussi des CD de musique haïtienne.
Une Enfance haïtienne, publication collective réunie par Guy Régis Jr. , lecture et signature
Dix écrivains haïtiens publient dans ce recueil, de courts récits d’enfance. Qu’ils remontent aux sources de leur histoire ou de leur imaginaire, ils font entendre dans une langue inventive, des échos de leur jeunesse. On a pu en entendre cinq brefs extraits, un échantillon d’approches plurielles. Le livre est publié aux éditions Gallimard.
Reconstruction texte et mise en scène de Guy Régis Jr.
Programmée exceptionnellement hors Festival, cette farce politique savoureuse épingle un président et sa cour de ministres, tous corrompus, qui s’en mettent plein les poches avec l’argent donné au pays pour la reconstruction. La comédie politique en forme de vaudeville rencontre un grand succès public et cette reprise, décidée au dernier moment, affiche complet au Yanvalou.
Conçue pour un théâtre de tréteau et destinée à être jouée en plein air, le pays manquant de salles, la mise en scène est simple, efficace, malgré le jeu souvent forcé de certains acteurs.
28 novembre:
Écorchée vivantes publication collective réunie par Martine Fidèle. Lecture et signature en présence les auteures, à la Librairie La Pléiade
« Chair interdite, le sexe des femmes attire le désir autant que la haine et la convoitise, autant que la peur. Neuf femmes haïtiennes tentent de dire les maux/mots tracés au scalpel dans le corps des femmes » écrit Yanick Lahens à propos de ce recueil. Chaque écrivaine évoque, à sa manière, les violences faites au pays et en particulier, aux femmes : battues violées et prostituées. Avec des paroles crues mais pleines de tendresse et de poésie : « Je trébuche sur ton ciel. Je vomis la langue que je ne parle qu’en petites faims. Il m’arrive de vivre. De poignarder les rêves ( …) Je danse avec la saleté du quotidien, avec la rage des lunes disparues … » écrit Kermonde Lovely Fifi, dans la premier texte de ce recueil publié aux éditions Mémoire d’encre. Le texte de Martine Fidèle clôt le livre avec ces mots : « On roule ensemble dans l’anathème. J’affronte l’œil malsain des hommes. Je glisse dessus. Plonge dans ma chute. Demain est une quête d’horizon./ Depuis j’apprends à marcher.» L’ouvrage est ponctué de courts inserts comme : « Le pays est en proie au chaos depuis le tremblement de terre. La mère laisse la fille prendre part à la reconstruction de manière brutale. Et maintenant…». Un style concis, des phrases rythmées, une prose poétique, telle est la langue de ces jeunes femmes, entre pessimisme et foi en l’avenir
Chemin de fer de Julien Mabiala Bissila, mise en scène et interprétation de Miracson Saint-Val.
Transposé dans le contexte haïtien, la pièce de l’auteur congolais, qui a reçu le prix RFI 2014 ( voir Le Théâtre du blog) prend une tonalité différente. Un homme raconte. Les trois mouvements, les trois « souffles », du récit se déroulent d’abord aux urgences d’un hôpital , où “une colline de cadavres s’empile à l’entrée »; puis, dans un train qui fuit les massacres, sorte de vaisseau fantôme «sur un chemin de chair, sans retrouver son chemin de fer » ; enfin, dans un hôtel pour une partie de jambes en l’air, interrompue par les bombardements. Au milieu de ce tohubohu, le protagoniste ne perd pas son humour.
L’adaptation par Miracson Saint-Val de ce long monologue à voix multiples en une heure seulement, privilégie des épisodes parlants pour le public d’ici, notamment le dialogue avec les morts. Le comédien s’appuie sur le vaudou, avec des chants empruntés à ce rituel qui ponctuent sa mise en scène. Même pour un public non initié, les horreurs de la guerre civile au Congo renvoient à la dictature des Duvalier père et fils, accompagnés par ses Tontons macoutes qui sévirent de 1958 à 1986… Avec un jeu très expressif, proche de la performance et parfois de la transe, le comédien établit une complicité presque charnelle avec un public très réactif, par rapport au public occidental.
Miracson Saint-Val s’inspire, dit-il, du dynamisme et de l’énergie du cérémonial vaudou», et de «comment les gens en transe portent leurs corps, quand ils sont chevauchés». Dans cette arrière-salle de restaurant Yanvalou, exigüe et à l’acoustique difficile, on mesure quand même les potentialités de ce travail en cours qui trouvera sans doute son allure de croisière après ces deux premières représentations.
30 novembre
Heimaten présentation de l’étape haïtienne d’un projet d’Antoine Laubin, à la Direction nationale du livre
Depuis la Belgique, Antoine Laubin interroge la notion de «chez moi» que chacun porte selon sa langue et son pays. Après un dialogue organisé entre deux acteurs belges francophones et deux acteurs allemands, en ex-RDA, il est venu en Haiti pour mettre en présence sa compatriote, l’actrice et auteure Caroline Berliner et le comédien haïtien Albert Moléon.
Ils nous livrent ici une première étape de leur travail, en forme de conversation. Où l’on découvre, malgré les différences, beaucoup de points communs, quand leur histoire familiale converge avec l’Histoire. … La prochaine étape mènera Antoine Laubin en Egypte. En fin de parcours, naîtra un spectacle mais en 2020…
La Faute à la vie de Maryse Condé mise en en scène de Billy Eleucien
Deux femmes, l’une noire, volubile, alerte, et l’autre blanche, mélancolique, clouée dans un fauteuil à la suite de plusieurs deuils…Au cours d’un dialogue d’abord quotidien, puis de plus en plus vif, elles vont creuser le passé et exhumer des secrets qui les unissent, autant qu’ils les séparent…
Elle creuse les rapports complexes qui se sont tissés dans cette amitié entre une intellectuelle blanche et une femme du peuple antillaise. Relations de classe, de race, mais aussi liens indéfectibles… La compagnie haïtienne Foudizè Théâtre, mise à l’honneur dans ce festival avec plusieurs spectacles, a coproduit La Faute à la vie avec Le Théâtre du bout des doigts basée à Agen: l’actrice et metteure en scène Sylvie Laurent-Pourcel est une habituée des Quatre Chemins…
Le spectacle, dans un décor du quotidien, parvient à accrocher le public, après un démarrage difficile aux dialogues un peu convenus . La grande écrivaine guadeloupéenne est plus à l’aise dans ses romans que dans une écriture théâtrale, mais on retrouve au fil de la pièce, l’univers tendu et la complexité des personnages qu’elle porte en elle. La comédienne haïtienne Joanne Joseph et Sylvie Laurent Pourcel forment un couple au physique et au caractère contrasté, où le jeu de la Française paraît un peu superficiel et composé.
Je suis Gaëlle de et par Gaëlle Bien-Aimé
L’autrice et comédienne incarne une trentenaire avec dreadlocks et aux idées non conventionnelles qui se heurtent aux préjugés sociaux entravant la vie des femmes. L’humour croise la satire dans ce brillant solo: solide et hardie, la comédienne épingle sans concession, les petits et grands travers de son pays. Elle affirme son féminisme et se moque du mariage, du machisme, de la maternité, de l’école, des hommes politiques, des modes musicales … Avec un sens de la formule, tantôt en français, tantôt en créole, elle met le public dans sa poche: rires et commentaires fusent de la salle. En une heure et demi, elle nous communique une belle énergie.
Gaëlle Bien-Aimé fait preuve de la même détermination dans la vie que sur scène, et s’apprête à fonder une école de comédie. Grâce à sa force de conviction, le projet est sur le point d’aboutir.
( À suivre)
Mireille Davidovici