Clérambard de Marcel Aymé, mise en scène de Jean-Philippe Daguerre
Clérambard de Marcel Aymé, mise en scène de Jean-Philippe Daguerre
Marcel Aymé (1902-1967) cet écrivain d’origine franc-comtoise est encore connu par ses Contes du chat perché mais aussi par certains de ses nombreux romans comme La Table aux crevés, La Vouivre, ou surtout Travelingue. Il a aussi écrit des pièces qui on l’a oubliées aujourd’hui mais qui connurent un grand succès dans les années cinquante. Comme entre autres, La Tête des autres, un virulent plaidoyer contre la peine de mort mais aussi contre les procureurs, mais aussi Lucienne et le boucher, et Clérambard, créé en 54 avec Jacques Dumesnil dans le rôle-titre, puis en 86 avec Jean-Pierre Marielle. Une autre reprise bien plus tard en 2008, avec Jean-Marie Bigard fut un échec… Question de mise en scène, de distribution mais aussi sans doute de rencontre avec un public qui n’était plus du tout le même cinquante ans plus tard.
Même si le langage -le plus souvent très incisif- comme le scénario sont restés des plus truculents. Marcel Aymé, on l’oublie souvent, a aussi écrit le scénario de plusieurs films dont La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara et a traduit Arthur Miller et Tennessee Williams. L’écrivain pourtant a eu une carrière presque en marge des milieux littéraires parisiens, et fut cordialement détesté: dans son théâtre et ses romans, des plus caustiques, il n’épargna personne : snobs, magistrats, grand bourgeois ou nobliaux. D’abord réputé de gauche, mais plutôt inclassable sur le plan politique, il n’était jamais là où on l’attendait. Il soutint Mussolini quand il envahit l’Ethiopie mais travailla avec Louis Daquin, réalisateur marxiste et en même temps, ne se gêna pas pour écrire des articles -sans toutefois aucune connotation politique mais quand même!- dans Je suis partout, un journal des plus collaborationnistes!
Et il travailla à la Continental films, une agence sous direction allemande, ce qui lui valut des ennuis à la Libération. Et il soutint son ami Robert Brasillach qui fut tout de même condamné à mort et exécuté, puis Louis-Ferdinand Céline !
Donc, on dira plutôt anarchiste de droite… En homme méfiant et sans illusions sur la société, Marcel Aymé pourfend dans son théâtre, l’hypocrisie, les relations humaines sur fond de cupidité et d’injustice. Logique avec lui-même, il restera à l’écart des honneurs, des puissants et des politiques de tout bord, refusant d’entrer à l’Académie Française comme aux réceptions à l’Elysée. De quoi se faire bien voir par tout le monde!
Cette comédie grinçante se passe dans le milieu de la noblesse ruinée. Dans son château délabré qu’il veut à tout prix conserver, le comte de Clérambard est un tyran qui fait travailler sa femme, son fils et sa belle-mère sur des métiers à tricoter et il vend les gilets à prix dérisoires. Pervers et méchant, il tue des animaux domestiques pour améliorer l’ordinaire de sa famille.
Le curé de la paroisse, délégué par Maître Galuchon, l’avoué local -autrefois officier ministériel et auxiliaire de justice- vient lui proposer un marché: Octave de Clérambard son fils, épouserait la plus jeune des Galuchon: ni très belle ni très futée, elle a cependant une « belle » dot comme on disait alors.
Il y a mieux parmi ses sœurs, mais ce serait plus cher ! Cette opération juteuse -il oubliera vite le cynisme du marché- lui permettrait en tout cas de sauver son château et de faire vivre sa famille. Un peu comme Georges Dandin, paysan qui veut s’allier à s’allier à l’aristocratie et qui le payera cher, Galuchon rêve que sa fille puisse un jour devenir comtesse, même s’il faut y mettre le prix ! Vieille histoire humaine, encore valable sous des aspects différents…
Mais soudain, le comte va avoir une vision extraordinaire : Saint-François d’Assise lui apparait et lui reproche de ne pas bien traiter les siens et lui donne son livre à lire. Le comte alors comme foudroyé par la grâce, décide en fou de Dieu qu’il est devenu, de protéger les animaux y compris les araignées dont son château pullule, d’acheter une roulotte pour y faire vivre toute sa famille et il ira sur les routes prêcher la bonne parole…
Et il refusera aux Galuchon qui le prennent très mal, de marier son fils à leur fille. Il veut en effet se marier lui, avec une très jeune et belle prostituée du secteur, dite la Langouste, très à l’aise dans son activité qui ne lui déplait pas du tout. Clérambard, lui, la trouve charmante et considère qu’après tout, elle est victime de la société… Il serait même tout près de céder à ses charmes, comme le fait régulièrement lui, Maître Galuchon. On est ici en plein délire à la Georges Feydeau.
Et cela donne quoi sur le plateau, cette histoire à l’humour des plus noirs, sur fond d’extrémisme religieux et de bêtise humaine? «Misant sur le nombre et la qualité des interprètes, dit Jean-Philippe Daguerre, la beauté et le réalisme des costumes, le spectacle file à un rythme très soutenu (…) la mise en scène balaye conventions et faux semblants avec une belle allégresse. » Malgré cette auto-congratulation, le résultat n’est pas tout à fait à la hauteur! Interprétation inégale, malgré Grégoire Bourbier (le curé et Saint-François d’Assise), Frank Desmet (Clérambard) et Antoine Guiraud (le vicomte), et surtout Flore Vannier-Moreau, tout à fait excellente dans un double rôle -toujours un merveilleux cadeau pour une jeune actrice- de la Langouste, pétillante et drôle et d’Evelyne, la fille sosotte des Galuchon.
Mise en scène honnête -les costumes sont malheureusement assez laids- mais sans grande invention et dramaturgie aux abonnés absents. Il aurait sans doute fallu couper en effet quelques scènes de cette comédie un peu longuette et accélérer le rythme. Et pourquoi ne pas avoir situé la pièce de nos jours? Cela aurait été plus convaincant, l’actualité nous en donne sans cesse des exemples… Par ailleurs, Jean-Philippe Daguerre aurait pu nous épargner ces petits scènes jouées dans la salle: cela fait vraiment faux théâtre d’avant-garde et n’étonne plus personne mais semble être la marque de fabrique du Théâtre 13 ! Et surtout cela manque totalement d’efficacité!
A voir, si vous n’êtes pas trop exigeant. Si vous voulez découvrir cette pièce maintenant bien peu connue mais qui n’a rien perdu de son mordant soixante ans après sa création, mieux vaut la lire ou voir le film qu’Yves Robert en avait tiré avec Philippe Noiret…
Philippe du Vignal
Théâtre 13/Jardin 103 A boulevard Auguste Blanqui, Paris XIII ème, jusqu’au 23 décembre.