Wonderland, une histoire d’Alice et d’exil, texte et mise en scène de Céline Schnepf

©Un Château en Espagne

©Un Château en Espagne

 

Wonderland, une histoire d’Alice et d’exil, texte et mise en scène de Céline Schnepf

 

«C’est quoi, être seule ?». Cette nouvelle Alice au pays des merveilles, comme celle de Lewis Carroll, est  une jeune fille solitaire, en quête d’identité : plus tout à fait une enfant, pas encore une adulte. Valentine Basse, qu’on croirait volontiers tout juste sortie du collège, porte casque-audio, baskets, veste à capuche et sac-à-dos chargé d’espoir. Juvénile et primesautière, l’actrice campe avec justesse une adolescente d’aujourd’hui qui doit composer avec un corps en pleine métamorphose et évoluer dans un monde plus inquiétant que mirifique. L’ailleurs souterrain où elle a été catapultée, semble une sorte de taupinière terreuse et racinaire mais paradoxalement balayée par les vents. Dans ce pays d’ubris, le pouvoir excessif et les dérèglements incarnés par la fameuse Reine Rouge (très plastique et convaincante Gaëlle Mairet) trahissent un temps de crise.

Quand les termes  » droit d’asile» et « papiers d’identité » retentissent, on comprend que cette Alice est aussi un parangon de l’humanité sans terre. Créer un parallèle entre le sort des réfugiés et la crise adolescente paraît un peu tiré par les cheveux, mais pourquoi pas ? Même exil de soi, même difficulté à trouver sa place et sa voie, même lutte contre l’arbitraire, autant de pistes intéressantes. Comme dans de nombreux contes initiatiques, Alice fait donc l’expérience de la katabase, une descente aux enfers et en elle-même, pour mieux rejoindre son avenir à construire. Cette traversée est-elle la fin des illusions de l’enfance qui répudie les supers-héros ? Le dur apprentissage de l’appropriation d’un territoire ? Un rêve ? Un peu tout cela.

Intronisés par un lapin à lampe de poche descendu au-dessus de nos têtes, nous sommes séduits par l’univers visuel de la compagnie Un Château en Espagne, qui porte la marque de l’artiste Céline Schnepf. Son travail sur l’utopie et le cheminement vers les possibles est lisible dans les superbes mobiles qui tiennent de la mandragore anthropomorphe et des Monstres aux Plantes. On est aussi enchanté par l’accompagnement musical en direct qui fait figure de contrepoint humoristique aux saynètes. A jardin, sur un plateau avec batterie et cordes, deux musiciens apportent un peps burlesque et un swing entraînant, dignes d’une fête délirante de non-anniversaire (on croirait parfois entendre M-Mathieu Chedid).  Et les paroles de Frédéric Aubry sont fort intelligentes. Loin de certaines propositions commerciales bêbêtes, cet univers musical est inventif et cohérent. Conseillé à partir de treize ans, le spectacle peut être aussi savouré par des enfants un peu plus jeunes : nulle scène trop effrayante.

L’univers plastique, une vraie réussite à mi-chemin entre le cabinet de curiosités et les gravures illustrant Les Voyages Extraordinaires de Jules Verne, est émaillé par de nombreuses trouvailles visuelles, notamment les images féériques de la Grand’voile et de la Mare aux Larmes revisitée. Les jeux de masques font également mouche, mais la construction dramaturgique se révèle un peu répétitive. Dès lors qu’on a perçu les réécritures et accepté le parti-pris d’une Alice migrante, on aimerait voir certains épisodes resserrés, surtout  quand ils déploient beaucoup trop de bruit, de cris,  avec ventilateurs redondants et chorégraphies trop appuyées… sans véritable fureur libératrice. Il y a sans doute d’autres moyens de bousculer ordre, hiérarchie et pouvoir…

Ce rythme inégal sera sans doute corrigé au fil des représentations car sincérité et générosité, ici omniprésents, participent des projets poétiques menés sur le territoire par cette vaillante compagnie associée aux 2 Scènes de Besançon et au Théâtre du Merlan à Marseille. En regard des spectacles, elle offre en effet des ateliers qui tiennent à la fois du tissage et de la botanique : patience et nourriture pour les jeunes pousses, espaces où fleurit la merveille. Que pleure-t-on quand on est triste, s’interroge, par exemple, Céline Schnepf. Ne serait-ce pas le « non-sens » ? Plutôt que de choisir le désespoir, elle entraîne les habitants sur les chemins de traverse du «ré-enchantement » et invite à porter un regard neuf sur notre quotidien. Cela passe d’abord par de riches échanges en milieu scolaire dont témoigne une exposition de poèmes, gravures et récits sur le thème du rêve.

Ensuite et surtout, on vous recommande chaudement de télécharger l’application de photos conçue en écho à la création. My Wonderland, petit bijou graphique suranné, oasis de rêverie, lierre rampant dans l’urbain, il propose à chacun d’égayer des photos prises en bas de chez soi avec de petites illustrations en noir et blanc : planter un ballon dirigeable dans le ciel d’hiver, des hiboux, des cervidés et des gnomes sur nos toits, dresser une échelle au milieu de nulle part, draper un paysage ou un ami d’un rideau de théâtre… Le réel, ainsi customisé, célèbre la bizarrerie et nous rend plus attentifs à notre environnement.Egarez-vous dans les images de cette mine d’or, mais surtout participez : devenez aventurier du minuscule, chuchoteur de possibles ou défricheur de rêves !

Stéphanie Ruffier

Spectacle vu au Théâtre de l’Espace, 2 Scènes – Scène Nationale de Besançon.

Théâtre de Châtillon le 8 décembre, et au Merlan, Scène Nationale de Marseille, les 12 et 13 décembre.
 Le 6 mars à Ma Scène Nationale, Pays de Montbéliard, le 21 mars à l’Arc, Scène nationale du Creusot. Les 5 et 6 avril à la Comédie de Reims et le 7 juin aux 2 Scènes, L’Espace à Besançon.

Application gratuite : MyWonderland (ios et Android) www.mywonderland.fr


Archive pour 6 décembre, 2017

Construire le mur (Building the Wall) de Robert Shenkkan, mise en scène de Sean Devine

 

Construire le mur (Building the Wall) de Robert Shenkkan, mise en scène de Sean Devine

buildingapa_0144_2017-11-28_16-10-03 Cette pièce dont l’auteur américain, qui a obtenu de nombreux prix (Tony et Pulitzer), a aussi écrit des  scénarios pour le cinéma et la télévision qui ont retenu l’attention de tout le public  aux États-Unis. Construire le mur qui a déjà tourné aux États-Unis vient d’être créée au Canada (à Ottawa )et le public s’y  est précipité;  les œuvres de ce genre sont en effet rares chez nous!  Depuis l’arrivée de Donald Trump  au pouvoir, l’image du mur est devenu  le symbole  de son projet politico-idéologique :  une construction  qui enferme, interdit, exclut, rejette, isole, sépare…et assure une distance entre les êtres humains. La  pièce montre, avec une  simplicité  désarmante, notre glissement, presque imperceptible, vers une absence de conscience,  une indifférence qui  aboutit à la normalisation et la légitimité des gestes les plus horrifiants.  

 Rick, (Brad Long) est en prison aux États-Unis en 2019, après que l’administration ait mis en place sa  propre structure pour réaliser une «solution finale», pour se débarrasser des  nombreux indésirables qui remplissaient les prisons à la suite des lois mises en place: Rick avait en effet participé à des mises à mort. Ici, Gloria, une  chercheuse universitaire (Cassandre Mentor), l’interroge pendant soixante-quinze minutes, pour  comprendre  ses motivations. Il  avait accepté les plans les plus évidents de la droite : interdire l’arrivée des illégaux et des étrangers « qui prennent notre travail »,  et s’est retrouvé pris dans un engrenage de violence  dont il ne pouvait plus sortir. Mais il trouve toujours une justification logique à ses choix. Et quand cette logique a abouti à l’horreur imposée par l’Etat, il  était trop tard ! 

Le texte, sans être très subtil (nous comprenons exactement ce qui va se passer) révèle l’évolution de ces  politiques mises en place par des Etats totalitaires pour exterminer des  opposants réels ou  supposés tels. Un processus bien connu ! L’auteur s’inspire d’exemples récents comme ceux des sociétés chilienne, allemande, voire française pendant l’Occupation allemande. Un discours habituel dans les cinémas de ces pays  et un dénouement facile à prévoir ! Mais cette fois, il s’agit des États-Unis qui vit les premières étapes  de  la transformation d’une  société foncièrement démocratique en une sorte de camp de concentration. Et tout se passe sans que les  habitants se rendent vraiment compte de ce qui leur arrive.

Le plus bouleversant : la manière dont l’auteur montre, sans la moindre ambiguïté, l’effrayante naïveté de Rick : il ne cesse de répéter qu’il n’y pouvait  rien, puisqu’il n’avait personnellement aucun autre  choix.  Exposé à une vision du monde  qui légitime toute forme d’exclusion,  qui nourrit la peur, la méfiance  et qui  rend raciste sa population, les habitants, dont Rick  est comme  le porte-parole,  irrécupérables, deviennent  des robots que les politiques peuvent  facilement manipuler.   Rick pris dans un piège est convaincu qu’il n’a aucune responsabilité ! Le jeu de Brad Long, d’une extrême finesse,  apporte beaucoup  à cette  pièce qui aurait pu finir par une confrontation manichéenne. Il a un langage corporel, à la fois soumis et agressif,  et ses  yeux  semblent  trahir des  éclairs de douleur : il  nous incite  à  sympathiser avec ses hésitations  et son apparente impuissance : il se demande même si  la politique d’extermination  ne va trop loin!  Avec ce personnage  rendu encore plus choquant grâce à ces nuances,  Robert Shenkkan a créé le portrait d’un monstre qui était au fond, un homme tout à fait normal.  Et sans doute le plus inquiétant :  on  sent ici que des traces de cette folie reposent aussi chez nous!

 Ce portrait glace le sang: il nous fait comprendre que le « mur » du titre n’est  pas seulement une structure en fer et en béton mais une présence psychologique  et qu’il prend possession de  notre  conscience, pour  produire des créatures obéissantes incapables de voir ce qui se passe autour d’eux.  Ce grave avertissement nous frappe de plein fouet et nous incite à la vigilance. Mais trop tard! Aux Etats-Unis, le mal est déjà en marche et ceux qui partagent le monde de Rick, comme nombre d’Américains moyens, ne pourront plus revenir en arrière !

 Alvina Ruprecht

Le spectacle, produit par le Théâtre Horseshoes & Hand Grenades, a été joué au théâtre Gladstone à Ottawa, du 28 novembre au 3 décembre.

 

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