Festival quatre chemins (suite et fin)
Festival Quatre Chemins (suite et fin)
Entretien avec Guy Régis Jr.
Guy Régis Jr. a pris la direction artistique de ce festival en 2014, à la suite de la Fokal, qui l’avait fondé à la demande d’artistes haïtiens: comédiens, musiciens, plasticiens, réunis en collectif, sous la houlette de Daniel Marcelin, metteur en scène et directeur du Petit Conservatoire jusqu’à sa fermeture en 2014. Le jeune artiste revenait d’un séjour de six ans en France. « J’ai quitté Haïti, dit-il pour croiser mon travail avec d’autres artistes, ici, je continue ».
Un long chemin parcouru depuis la création de sa première compagnie NOUS Théâtre, avec des chanteurs, dessinateurs, acteurs, musiciens qui jouent dans la rue et sur les places comme beaucoup ici, faute de salles. Ils rencontrent un vif succès avec Service Violence Série qui va tourner de 2001 à 2005 en France, Belgique, et aux États Unis. Ida, sa pièce la plus connue, souvent montée en Haïti et au-delà, est publiée par Vent d’ailleurs. De 2007 à 2012, en France, il est accueilli en résidence, d’abord aux Récollets à Paris où il écrit Mourir tendre. La pièce sera lue par Anne Alvaro aux Francophonies de Limoges en 2013 (voir Le Théâtre du Blog ), et publiée par les Solitaires Intempestifs comme la suite de ses œuvres…
En rentrant, Guy Regis Jr. rapporte dans ses bagages beaucoup de pièces, les siennes et celles d’autres auteurs, et aussi des artistes européens, dont Valère Novarina, venu mettre en scène L’Acte inconnu avec les comédiens du NOUS Théâtre, pour une création aux Francophonies en Limousin 2015 (voir Le théâtre du Blog) , avant de jouer à la Maison des métallos puis en Haïti.
Nous retrouverons Guy Régis Jr. en France l’année prochaine, en résidence à la Maison des auteurs des Francophonies en Limousin, puis à la Cité Internationale à Paris pour terminer le premier volet de sa traduction en créole du Du côté de chez Swann de Marcel Proust. Enfin au Centre Inter-mondes de La Rochelle, pour un projet sur l’esclavage, à partir des archives du musée sur le trafic négrier.
– M.D. : Pourquoi rentrer en Haïti ?
- G.R.Jr : En France, j’ai senti que les gens exerçaient un métier, ici il y a une nécessité à faire du théâtre. Je n’ai jamais rompu les ponts avec mon pays. Toutes les mises en scène que j’ai faites là-bas ont déjà fait étape en Haïti. J’ai surtout travaillé dans le milieu francophone, à Limoges, en Belgique, mais aussi à Avignon.
- M.D. :Comment fonctionne le Festival Quatre Chemins ?
- G.R.Jr : Il est bâti à partir d’un fil rouge et j’en profite pour organiser un mini-colloque et des ateliers autour d’un thème. Cette année, la maltraitance des enfants; l’année prochaine « Pays Poëte Poëte Poëte, ou l’art et la politique ne font pas bon ménage ». Les ateliers dans les écoles et à l’institut Français se poursuivent toute l’année, ce qui permet de financer un peu le Festival, de faire travailler l’équipe et de payer les bureaux. Depuis le séisme du 12 janvier 2010, il n’y a plus de salles de spectacle à Port-au-Prince. La plupart des lieux investis autrefois par le Festival sont détruits. Plutôt que de le regretter, on va jouer partout.
Le Festival emploie seulement deux permanents et doit trouver chaque année les trois quarts de son budget pour le volet artistique. Majoritairement la Fokal, mais aussi Wallonie- Bruxelles International et l’Institut Français sont les principaux partenaires financiers de ce festival ouvert sur le monde. Des liens se sont tissés depuis longtemps avec le Québec, et les pays de la zone Caraïbe, mais aussi avec La Réunion. Nouvellement, avec des artistes de la République dominicaine, le pays voisin en conflit de frontière permanent avec Haïti. Des liens existent, mais on passe son temps à regarder ce qui les délie.»
M.D. : Comment s’organise la formation théâtrale en Haïti ?
G.R.Jr : A mon retour de France, j’ai a été directeur pendant deux ans de l’Ecole nationale des arts, aujourd’hui fermée, mais cela ne marchait pas vraiment. On y apprend un métier, on ne devient pas forcément artiste. Ici la formation des comédiens se fait par filiation. Les aînés prennent en main les plus jeunes. Daniel Marcelin a formé plus de deux mille artistes dans son Petit Conservatoire. Lionel Trouillot et Frankétienne m’ont formé : ”C’est mon fils“ dit-il, à mon propos. Dans cette optique, Quatre Chemins propose aussi des résidences artistiques de recherche dans toutes les disciplines avec l’obligation de travailler en province, afin de décentraliser les activités culturelles. Cette année, un poète, un photographe et un slameur ont bénéficié d’une bourse d’un mois pour rencontrer d’autres populations. »
Entretien avec Michèle Lemoine, chargée culturelle à Fokal
La Fondation Connaissance et Liberté (Fokal) créée en 1995 est une fondation nationale financée principalement par L’Open Society Foundations, un réseau de fondations et d’initiatives établies à travers le monde par le financier hongrois américain Georges Soros et de promotion des valeurs démocratiques. Fokal reçoit aussi des financements de l’Union Européenne et de la coopération Française. La fondation est née pour favoriser l’accès à la connaissance et à la formation citoyenne. La lecture a été son premier cheval de bataille avec la création d’un réseau de bibliothèques de proximité dans toute l’île (acquisitions, action culturelle, formation d’animateurs). Elle intervient avec des subventions à des personnes ou des associations, dans les domaines de la culture, de l’enseignement, des médias indépendants, de la formation citoyenne, de l’environnement, et dans les secteurs marginalisés comme la paysannerie et les femmes.
Depuis 1999, Fokal soutient des artistes talentueux dans le domaine des arts et contribue au renforcement de la production littéraire et artistique haïtienne par des subventions et le renforcement des institutions locales (musées, fondations, écoles). Elle subventionne depuis le début Le Festival de Théâtre Quatre Chemins. Elle dispose aussi d’une salle de spectacle dans son bâtiment.
Michèle Lemoine, sous l’égide de cette fondation, a dirigé le Festival Quatre Chemins au départ de Daniel Marcelin, avant de passer la main à Guy Régis Jr.
-M.D. : Comment a évolué ce festival depuis sa création en 2003 ?
- M.L. : Le festival est né grâce à trois partenaires solides, Fokal , l’Institut Français et la Charge du Rhinocéros (association belge de coopération artistique). Depuis, l’Institut Français a peu de moyens, et la Charge du Rhinocéros s’est retirée ; heureusement, Wallonie-Bruxelles international et l’Ambassade de Suisse interviennent aussi. Mais, on le sait, les aides, toujours liées aux personnes à la tête des institutions, sont fluctuantes. Dès sa naissance, le festival réunit des hommes et des femmes de théâtre reconnus tels Syto Cavé, Magali Denis ou Daniel Marcelin, et d’autres, à l’orée d’un parcours artistique prometteur comme Guy-Régis Jr et sa troupe NOUS. Le tremblement de terre a compliqué les choses mais il a attiré l’attention mondiale sur Haïti et les artistes en ont bénéficié : des échanges se sont créés entre ceux qui sont venus ici et ceux partis à l’étranger. Pendant quelques années, la direction du Festival est retombée sur notre fondation, mais il fallait qu’elle revienne aux artistes sous forme de subventions à une association indépendante. Guy Régis Jr. a su le faire évoluer. Il a une marge de manœuvre plus large avec un grand réseaux d’artistes en Europe et en Amérique du Nord et du Sud. Il l’a aussi beaucoup ouvert sur la Caraïbe.
M.D. : Comment intervient le Ministère de la Culture ? Exerce-t-il une censure ?
M.L. Il est théoriquement partenaire, mais on ne sait jamais s’il va tenir ses engagements. Avec les troubles politiques, les caisses sont vides. Mais il n’exerce aucune censure. Les sectes religieuses protestantes parfois font parfois pression pour interdire telle ou telle manifestation, au nom de la morale…
Mireille Davidovici
Festival Quatre Chemins à Port-au-Prince, du 20 novembre au 3 décembre. www.festival4chemins.com www.Fokal.org