Deux mille dix-sept, chorégraphie de Maguy Marin
©David Mambouch
Après une brève et joyeuse farandole (celle de BiT, la création précédente de la chorégraphe), la fête se mue en une cérémonieuse et triste parade de riches, portant costumes extravagants, masques et perruques, coiffés d’une maquette de canon, de yacht, d’une église ou des tours de Wall Street. Le capitalisme mondial étend son emprise : Danone échange des cadeaux avec Prada ou Hermès, et le plateau se couvre d’innombrables tombes, dans l’ombre d’un immense drapeau des Etats-Unis. Le ton est donné: la chorégraphe ouvre un terrifiant livre d’images pour montrer une humanité en déshérence, et une planète devenue un grand cimetière, à cause du contrôle absolu de quelques-uns manipulant les masses, grâce au consumérisme. Ecrasant les populations, engendrant guerre et pauvreté, semant la mort.
«Il n’y a pas de crise économique, dit Maguy Marin, mais une capture des richesses collectives par une petit nombre d’initiés. Il ne s’agit donc pas juste de déplorer l’état des choses mais plutôt d’essayer de recharger du courage. De réinsuffler de l’espoir et de l’envie.» En amont du spectacle, elle s’est beaucoup documentée et a consulté Propaganda, d’Edward Bernays, un petit guide pratique de «la fabrique du consentement ». En 1928, il y exposait déjà les grands principes de manipulation mentale des masses, en les livrant pieds et poings liés à la société de consommation. Maguy Marin a aussi lu Les rythmes et le politique de Pascal Michon, Capitalisme désir et servitude de Fréderic Lordon et les ouvrages de Walter Benjamin. Selon le philosophe, la catastrophe résulte de la participation, souvent tacite et silencieuse de tout le monde, et n’arrive pas par surprise mais dans l’ordinaire des arrangements et des accoutumances.
Comment traduire cela ? Ici, dans une succession de tableaux, les danseurs se griment et composent une fresque vivante. Le spectacle, radical et militant, dresse un constat sans appel: on y voit, par exemple, l’Oncle Sam acheter à coups de dollars, les dictateurs Pinochet, Duvalier, Suharto, Branco… tandis que le peuple travaille de plus en plus dur sous les coups de gardes-chiourme. Dans la pénombre, les opprimés souffrent discrètement, face à l’activité ostentatoire des grands de ce monde. Mais mal éclairées, ces scènes sont peu lisibles… La danse, ici, se résume à la composition d’images parlantes et plastiquement très réussies. Maguy Marin veut « transmettre de la rage»: « Je travaille beaucoup plus, dit-elle, sur les corps, que sur un style de mouvement dansé.(…) Je cherche des choses sensibles qui me parlent du monde.»
Charlie Aubry avait signé la musique de BiT (voir Le Théâtre du blog). Présent sur le plateau, il déverse en continu des sons très agressifs, émaillés de voix diffuses… à la limite du supportable, malgré les bouchons d’oreille distribués à l’entrée.
Deux mille dix-sept ne prétend pas au traité d’économie politique mais veut créer un état de choc. Mission accomplie! Mais nous assistons, sans l’ombre d’une révolte, à une démonstration simpliste qui ne persuadera que les convertis. Et pourquoi ce très long épilogue de plus d’un quart d’heure où les interprètes érigent, sur les ruines du cimetière, un mur dont chaque brique porte le noms des géants de la finance et de l’industrie ?
Ce beau travail peut plaire par son esthétique, son urgence et sa vigueur mais ne nous a pas vraiment emballés.
Mireille Davidovici
Maison des Arts de Créteil-Théâtre de la Ville hors les murs/Festival d’Automne à Paris jusqu’au 9 décembre.Opéra de Lille, les 20 et 21 février; Théâtre de Charleville-Mézières, le 24 février ; Les Hivernales d’Avignon, les 27 et 28 février.Maison de la Danse Lyon le 2 mars. MC2: Grenoble, les 16 et 17 avril.
Stadsschouwburg Amsterdam, les 16 et 17 mai.