L’Empire des Lumières, d’après le roman de Kim Young-ha, mise en scène d’Arthur Nauziciel

Crédit Photo : Philippe Chancel

Crédit Photo : Philippe Chancel

 L’Empire des Lumières, d’après le roman de Kim Young-ha, adaptation de Valérie Mréjen et Arthur Nauzyciel, mise en scène d’Arthur Nauziciel, (en coréen surtitré en français)

A partir de ce roman emblématique et populaire, Arthur Nauziciel nous propose un tableau de la Corée contemporaine déchirée entre deux nations : celle du Nord et celle du Sud, avec l’histoire  d’un couple sud-coréen  qui se livre à un apprentissage mutuel de la lucidité. Malgré eux, ils ont fait l’épreuve du mensonge dans une drôle de vie commune. Lui, un «espion dormant», a été missionné par les services secrets de la Corée du Nord, en Corée du Sud l’ennemie, où les autorités donnaient à voir aux enfants des dessins animés  où les communistes du Nord étaient des loups sanguinaires. Le couple vit une vie tranquille et confortable et oublie lui, qu’il est un faux transfuge du Nord, et elle, une ancienne étudiante contestataire pro-communiste. La vie en Corée du Sud entre consumérisme et libéralisme, les endort et les questions qu’ils se posaient jeunes, n’ont plus cours, quand s’installe le sentiment factice de la réussite.

Lui, l’espion, n’a jamais dit la vérité à son épouse, si ce n’est le jour fatidique de son rappel. Et elle avoue rejoindre régulièrement, l’après-midi, un jeune amant, accompagné d’un second, dans un « love hôtel». C’est ici dent pour dent… L’idée d’étrangeté à soi et au monde est la métaphore qui traverse le roman de Kim Young-ha : nul n’est fidèle à soi, ni authentique, ni sincère, mais seulement flottant.

Arthur Nauzyciel, s’empare ici du thème du roman, un amour avec gâchis et séparation à la clé d’êtres qui mettent à distance toute union existentielle, comme les deux Corées. Réalité et fiction : ils restent insaisissables tels des spectres, entre vie et mort, présence au monde et pure abstraction, ce dont rend compte avec justesse une vidéo. Les comédiens, eux, assis à une table, attendent le moment opportun de leur surgissement dans la partition théâtrale.

 Les amants de l’épouse dansent ensemble, dans une infinie précaution mais on voit sur l’écran le visage de chacun. Les  acteurs semblent à peine vivre leur vie de personnage, tant l’appel de l’inconnu, de l’indécis dans leur existence s’avère fort et intense. Lenteur des gestes et marche chorégraphiés, le public pense assister et à la fois participer à un rêve, entre veille et sommeil, cherchant à extraire la qualité du sentiment de vivre. L’être ici n’existe pas, approximativement accompli entre quiproquos et mensonges. Plus que l’histoire d’un pays séparé, à la façon des deux ex-Allemagne de l’Est et de l’Ouest, c’est le récit du manque et du vide de la vie que l’on nous conte dans cette adaptation.

 Moon So-ri, une star du cinéma coréen, est une belle épouse, naturelle et gracieuse, élégante et réservée, toujours juste dans l‘ambiguïté même. L’espion est joué par le secret Ji Hyun-Joon, acteur de théâtre musical. Tous les acteurs sont précis, entre absence et présence, ce qui redouble et multiplie la tension sollicitée, côté scène et côté salle, exacerbant tous les esprits.

Ce voyage dans l’imaginaire des deux Corées nous rapproche de tous les sentiments universels d’appartenance à l’existence, politique ou amoureuse. Une œuvre délicatement tricotée  entre cinéma et théâtre, avec mailles à l’endroit et mailles à l’envers de la danse approximative de toute vie humaine…

 Véronique Hotte

MC93-Bobigny (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 10 décembre. T. : 01 41 60 72 72

 


Archive pour 9 décembre, 2017

Atelier 29, spectacle de fin d’études de 29ème promotion 2017-2018 du Centre National des Arts du Cirque


Atelier 29, spectacle de fin d’études de 29ème promotion 2017-2018 du Centre National des Arts du Cirque à Châlons-en Champagne, en collaboration avec l’ENSATT, mise en scène de Mathurin Bolze

2017_12_Atelier29_Chalons Etablissement supérieur de formation, de ressources et de recherche, le Centre national des arts du cirque, créé en 1985 à l’initiative du ministère de la Culture, a formé plus trois cent artistes… de quelque trente-cinq nationalités! Le Centre dispose de nouveaux locaux depuis 2015, complétant ceux du cirque historique.
 Le spectacle collectif de fin d’études, avec des étudiants déjà ainsi placés en position d’interprètes et créateurs,  est mis en scène chaque année par un professionnel reconnu, pour  une série de représentations, à Chalons puis à Paris, et dans la région du Grand Est. Derrière cette création, la meilleure de celles que nous avons pu voir depuis quelques années, il y a bien entendu un enseignement de haute qualité depuis des années à Chalons et dans d’autres écoles auparavant. Cela va sans doute sans dire mais va encore mieux en le disant…

Mathurin Bolze qui a été élève au Centre National des Arts du Cirque a suivi entre autres l’enseignement de Catherine Germain, l’excellente clown et du chorégraphe François Verret pour la danse. Puis avec sa compagnie, il a créé Fenêtres et Barons perchés… (voir Le Théâtre du Blog). Pas facile de parler en détail de cette mise en scène brillante, où les nombreux numéros s’enchaînent en douceur. Il y a d’abord comme une sorte de mise en bouche très réussie,  avec une plate-forme oscillante où quelques-uns des jeunes circassiens debout en costume blanc vont jouer une scène muette avec des accessoires que leurs camarades restés au sol, leur font passer et qu’ils leur rendent ensuite. Belle image que cette jeune acrobate sur son petit vélo blanc qui réussit à claquer une porte d’un coup de roué, puis monte  toujours en roulant sur la plate-forme de façon tout à fait “naturelle” et en redescend avec la complicité de ses camarades.

Ces trois plate-formes sont, bien entendu, élevées et descendues en totale coordination avec les numéros des circassiens, dont quelques-uns jouent aussi d’un instrument. Une des dernières images; les plate-formes situées à des hauteurs différentes sont reliées entre elles par des échelles. Et cela fait penser à une installation  très réussie d’art contemporain… qui ne dénoterait pas dans un musée d’art contemporain. Une des caractéristiques de ce spectacle en est l’indéniable beauté plastique. Comme le nouveau cirque nous y habitué mais rarement à ce point d’excellence.

 Il y a aussi des numéros plus traditionnels mais d’une rare élégance corporelle comme ces montées au mât chinois ou à la corde toutes très maîtrisées et d’une rare élégance… Ce qui caractérise ce travail collectif-il faut insister là-dessus-brillamment mis en scène:  extrême précision gestuelle, souplesse et rigueur absolue, fluidité et rythme, coordination et complicité, mise en valeur de la gravité du corps de ces jeunes interprètes à qui on bien appris à maîtriser l’espace-temps du chapiteau (cela se voit au premier coup d’œil) où ils ont formidablement à l’aise, précision, discipline et concentration absolue dans l’expression gestuelle individuelle et collective, unité de jeu et humilité absolument exemplaires (nombre de jeunes comédiens issus de grandes écoles qui ont tendance à jouer les vedettes pourraient en prendre de la graine!)  

Ces treize étudiants-déjà très professionnels-composent un merveilleux patchwork de quelque onze nationalités et neuf disciplines qu’il faut tous citer pour leur remarquable travail: le Français Antonin Bailles au mât chinois, l’Israélien Inbal Ben Haim à la corde, l’Anglais Fraser Borwick  aux sangles, l’acrobate français Corentin Diana, le Portugais Leonardo Duarte Ferreira au mât chinois, Anja Eberhart, équilibriste suisse sur une petite bicyclette, le français réunionnais Tommy Edwin Entresangle Dagour  au cercle, Joana Nicioli au mât chinois, la Finlandaise Noora Petronella Pasanen  à la corde, l’acrobate  français Thomas Pavon, Joana Nicioli, acrobate brésilienne, au mât chinois, le Péruvien Angel Paul Ramos Hernandez à la corde volante, l’acrobate chilienne Silvana Sanchirico aux  tissus,  et la française Emma Verbeke aux sangles.

Il  faut signaler les simples et beaux costumes blancs de Gabrielle Marty, la lumière très fine de Clément Soumy comme celle de la création sonore signée Robert Benz; côté scénographie, trois ingénieux et formidables plateaux en bois suspendus et flottants à géométrie et  hauteur variables, conçus par Camille Davy et Anna Ponziera. Le spectacle leur doit leur aussi beaucoup comme aux autres élèves apprentis-techniciens de l’ENSATT.

 « Quand on m’a proposé de les mettre en scène, dit Mathurin Bolze, j’ai immédiatement eu envie de leur faire rencontrer ceux de l’ENSATT. Je voulais partager avec eux, des mots sur les postures de travail physique et mental, sur leur engagement, sur le risque, je voulais parler métier. Pour remettre des enjeux, retendre l’idée de la scène et de la piste, la haute exigence d’être artiste. Et fonder cela, sur l’acte de présence, leur qualité d’être, leur vitalité créatrice, en cherchant une joie manifeste. Questionner ce désir de singularité et d’en commun d’avec les hommes, ce désir du cirque, éclaircir la voix de ceux qui chuchotent, aiguiser le trait de l’acrobatie, rendre possible qu’on y voit du sens, partager leurs exils… (…) Dans cette vacance  même, béance du temps (repos, blessure, chômage, dépaysement), ils trouveront l’essence, intime et politique, le fondement de cette nécessité de s’exprimer, de dire. Ils diront par le corps, le geste, l’espace, les mots, les ambiances, les images, les climats, les récits.Ils seront matière grise autant que matière première. Ils s’en feront les auteurs, les porteurs, les traducteurs, les interprètes.»

 Allez absolument voir ce spectacle d’une très rare qualité. Après les logorrhées théâtrales de ces derniers temps, cela  fait en tout cas le plus grand bien de voir ces jeunes gens de culture et de langue différente, réunis dans un seul et même travail physique-ô combien mais jamais en force-et très mental, un « collectif » comme on dit maintenant, au meilleur sens du terme, dont le dénominateur commun est bien l’expression par le geste et la maîtrise du corps, et si on a bien compris, d’une recherche d’une identité mais aussi de communauté artistique autour de quelque chose de primaire comme le corps. Si quelque chose est sacré écrivait Walt Whitman dans Feuilles d’herbe , le corps humain est sacré. »  Ce spectacle en est la preuve authentique.

  Ou oubliait, quitte à se répéter: Laurent Wauquiez, allez aussi voir ce spectacle à la Villette, vous qui n’aimez guère les écoles de cirque, cela vous changera des joutes politiques et des vaines ambitions de pouvoir… Et vous  constaterez qu’il y a là, grâce à ses jeunes gens-qui n’ont fait ni Normale Sup ni l’ENA mais une École d’un aussi haut niveau-un formidable terreau d’espoir et de vie indispensable à l’architecture démocratique d’un pays…

 Philippe du Vignal

Spectacle vu le 6 décembre  jusqu’au 17 décembre dans le cirque historique de Châlons-en-Champagne, en collaboration avec La Comète-Scène nationale (à partir de sept ans).

Parc de la Villette à Paris du 19 janvier au 11 février. T. : 01 40 03 75 75.
Le Safran, Scène conventionnée d’Amiens-Métropole et le Pôle national Cirque et Arts de la rue à Amiens du 21 au 23 février.

Le Manège, Scène nationale de Reims, du 3 au 5 mars, Théâtre  Municipal de Charleville-Mézières du 27 au  30 mars, sous le chapiteau du Cnac.

Cirque-Théâtre d’Elbeuf, Pôle national des arts du cirque de Normandie, dans le cadre du festival  Spring, du  13 au 15 avril. Festival Pisteurs d’Étoiles d’Obernai (67) du 27 au  29 avril.

La Garance-Scène nationale de Cavaillon (Vaucluse) du 11 au 13 mai.

Festival Les nuits d’Éole et les Écoles de Passage de Montigny-lès-Metz sous le chapiteau du Cnac, du 1er au 3 juin.

 

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