Sous la glace de Frank Richter, mise en scène de Vincent Dussart
Sous la glace de Frank Richter, traduction d’Anne Monfort, mise en scène de Vincent Dussart
Dramaturge allemand aujourd’hui bien connu, associé à la Schaubühne de Berlin et au Théâtre National de Strasbourg, Falk Richter a commencé à écrire en 2004 Das System avec pour thème, les dysfonctionnements du monde capitaliste… Ce texte (2011) avait été aussi monté l’an passé par Anne Monfort (voir l’article de Mireille Davidovici dans Le Théâtre du Blog). Notre amie Véronique Hotte vous avait aussi parlé dans ces colonnes avec beaucoup d’éloges de ce même spectacle présenté au Festival d’Avignon il y a deux ans, et repris aujourd’hui par Vincent Dussart dont nous avions vu le mois dernier Pulvérisés d’Alexandra Badea. Cette parabole traite de la vie professionnelle, et privée (ou du moins de ce qu’il en reste) de trois consultants d’une société d’audit. En uniforme de cadre d’entreprise! Costume bleu, cravate noire et chemise blanche, ils sont entrés depuis longtemps dans le moule capitaliste. Quitte à brader leur identité. Et pour garder un emploi sûrement bien payé, les trois hommes ,obsédés par l’obligation d’être, et surtout de rester compétitifs, sont prêts à tous les petits arrangements et coups fourrés.
Jean Personne, le plus âgé des trois devra laisser la place à ses deux autres collègues plus jeunes. Lui aussi, un battant de premier ordre quand il avait le pouvoir et n’avait eu aucun état d’âme à faire des charrettes de cadres qu’il considérait comme moins performants. Jean Personne évaluait sans pitié les autres-il n’avait pas le pouvoir de décision, ce qui le dédouanait-mais conseillait la direction de l’entreprise! Oui, mais voilà, il a vieilli, physiquement et surtout moralement, et n’a plus la même énergie, la même envie de se battre… Bref, morale de l’histoire: on est toujours le vieux de quelqu’un d’autre dans une entreprise, et surtout plus vite qu’on ne s’y attendait.
«Plus de revenus, plus de travail, plus de sexe, plus de plans de communication, plus de belles voitures, plus de performances, plus de sueurs, plus de fenêtres à ses bureaux, plus d’évaluation, plus de “rencontres interpersonnelles”, plus de bouffe, plus, plus, plus… » Et pour gagner quoi? Pour se perdre à jamais? L’impitoyable machine à produire des résultats financiers qui rassurent la Bourse et les actionnaires, fait aussi, et depuis longtemps, des ravages considérables sur les plan humain et sociétal. Et ils le savaient bien en acceptant de déjeuner avec le diable mais ils faisaient semblant de l’oublier, ces jeunes cadres dynamiques et intelligents, mais moins sûrs d’eux et de leur identité soudain remise en question, quand ils se font virer sans aucun ménagement… au nom du sacro-saint management par un autre cadre, plus jeune et sans pitié aucune, et qui, à son tour et dans à peine dix ans, passera, lui aussi, à la trappe… La vie est un long fleuve tranquille, comme dit l’Ancien Testament!
Su le plateau, une espèce de statue-robot en toile tendue, avec une lumière rouge à l’endroit du cœur. Une heure durant, Xavier Czapla, Patrice Gallet et Stéphane Szestak, comédiens rigoureux à l’excellente diction, font leur boulot et déclament le texte de Frank Richter qui entend démontrer ici l’absurdité du système mis en place et accepté par la société. Et cela fonctionne? Pas vraiment. A cause d’abord d’un texte-monologue ou presque-qui reprend des choses déjà bien connues et qui surtout, ne fait pas sens au théâtre, même accompagné comme ici par une musique à la guitare électrique.
Le spectacle en Avignon avait peut-être “un jeu scénique éblouissant”, comme le trouvait Véronique Hotte mais nous ne serons pas aussi généreux… Cette mise en scène sous des aspects contemporains, reste bien conventionnelle: fumigènes, éclairages latéraux, son de micro H F pénible surtout dans un aussi petit lieu, effets d’écho, et jeu immobile face public à la manière de Stanislas Nordey qui avait introduit Falk Richer en France. Bref, ce que l’on voit un partout… Et quand on y ajoute une mauvaise balance entre texte et accompagnement musical, le compte n’y est pas, et passées les dix premières minutes, on s’ennuie. Cyril Teste, en reprenant en partie un morceau de ce texte, avait eu plus d’imagination et avait mieux réussi son coup, quand, avec une partie filmique, il avait monté son superbe Nobody (voir Le Théâtre du Blog).
Désolé, mais on ne trouve guère de raisons pour vous pousser à y aller voir …
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Opprimé, 78 rue du Charolais, Paris XIIème jusqu’au 22 décembre.