Festival Mesure pour Mesure: Modules Dada mise en scène d’Alexis Forestier
Festival Mesure pour Mesure:
Modules Dada mise en scène d’Alexis Forestier
Le mouvement Dada nait à Zurich en 1913, donc pendant la Grande Guerre, dans une obscure boîte de nuit de la Spiegelgasse (ruelle du Miroir), autour du peintre roumain Marcel Janco, du poète allemand Hugo Ball, auxquels se joignent, entre autres, l’écrivain et poète roumain Tristan Tzara et le sculpteur et poète allemand devenu français, Jean Arp.
Non loin de là, vit Lénine alors en exil, qui rêve de fomenter une révolution en Suisse. A-t-il mis les pieds au Cabaret Voltaire et rencontré ces jeunes gens en colère venus des quatre coins de l’Europe ? Que pensait-il de ce mouvement qui se revendiquait de l’anarchiste russe, le géographe Pierre Kropotkine ?
Plus tard, Dada s’exportera à Berlin, alors en pleine révolution spartakiste, via deux de ses membres fondateurs, Hugo Ball et Richard Huelsenbeck… L’architecte Joannes Baader aux théories fantaisistes et autoproclamé Oberdada (Super-Dada), fit scandale dans la cathédrale de Berlin, avec un spectacle jugé blasphématoire, Christus ist euch Wurst (On s’en fout du Christ).
Alexis Forestier revisite Dada à l’aune du contexte agité de l’époque, de sa naissance à son évolution depuis cent ans : «Ressaisir l’essence de Dada, écrit-il, ne peut se faire sans une mise au point sur les prémisses et turbulences originelles du mouvement. (…) Sous cet angle, nous sommes amenés à scruter la toile de fond politique, à viser les points de connexion et de divergence avec la pensée, les révolutions et les bouleversements en cours. »
Le spectacle est constitué d’un enchaînement de modules titrés, indépendants les uns des autres, avec écrits théoriques et tableaux poétiques, textes dadaïstes, compositions bruitistes, descriptions d’événements historiques… On entend ainsi le Manifeste Dada d’Hugo Ball, des «poèmes signématiques» et des chansons révolutionnaires. Mais aussi des extraits de textes d’Arthur Cravan, Erich Vuillard, et Alexandre Soljenitsyne, à côté de ceux de Dada… Pour finir avec une apologie de Dada par le philosophe Henri Lefebvre, qui fut exclu du Parti Communiste Français pour ses idées d’avant-garde…
Cette exploration quasi-archéologique avec des séries d’images, s’appuie sur une scénographie complexe: châssis mobiles, machines bricolées avec poulies et filins, tuyaux transformés en cheminées à fumée… La musique procède du même principe de collage, et juxtapose des sons, bruitages, compositions hétéroclites de John Cage à Karlheinz Stockhausen, bandes-son de Pierre Schaeffer et autres archives sonores.
Le montage induit certains temps morts ce dont les cinq interprètes aménagent l’espace scénique. Et parfois, le rythme se casse: ces deux heures trente, dont un faux entracte pour se dégourdir les jambes et entendre quelques textes Dada dans les couloirs du théâtre, traînent un peu en longueur. Etait-il bien nécessaire de citer Franz Kafka, qui, dans son Journal, évoque une rencontre dans un train de nuit avec Georges Grosz, au prétexte que ce peintre participa à la révolution spartakiste et fut membre du mouvement Dada? Fallait-il pendant la représentation simuler une alerte à l’incendie ?…
Reste un spectacle aussi inventif, intelligent et passionnant que ce mouvement artistique qui bouleversa le XX ème siècle. Fidèle à sa toute première pièce, Cabaret Voltaire (1993), Alexis Forestier, artiste musicien et bricoleur, est présent sur scène avec Clara Bonnet, Jean-François Favreau, Itto Mehdaoui et Barnabé Perrotey. Même si une partie du public quitte la salle, il embarque ceux qui persévèrent dans son univers musical, plastique et polyphonique et nous donne autant à voir qu’à réfléchir : Dada n’est pas mort et nous parle encore.
Mireille Davidovici
Nouveau Théâtre de Montreuil, 10 place Jean Jaurès, ou 63 rue Victor Hugo. T. : 01 48 70 48 90.
www. nouveau-theatre-montreuil.com
Le festival Mesure pour Mesure a lieu jusqu’au 22 décembre.