Trust-Karaoké panoramique,d’après Trust de Falk Richter, mise en scène de Maëlle Dequiedt
Trust-Karaoké panoramique, d’après Trust de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort, mise en scène de Maëlle Dequiedt
L’office de production Prémisses et le Théâtre de la Cité internationale à Paris ont réalisé une opération de soutien aux jeunes artistes de théâtre, le dispositif Cluster. Les équipes choisies pour en bénéficier, La Phénoména et le collectif Marthe, sont entrées en résidence de création et d’action artistique pour trois saisons. Et programmées ce mois-ci et en janvier prochain. Avec un accompagnement du développement artistique et de la structuration de la compagnie et de la diffusion de ses spectacles.
Cette création d’après Trust de Falk Richter a été mise en scène de façon tonique par Maëlle Dequiedt dont la compagnie a un œil acéré sur notre société, à la façon narquoise de Falk Richter. La crise économique et l’ultra-libéralisme désagrègent la vie sociale et créent un pseudo-savoir vivre réservé à soi-même… une vision bien entendu erronée. D’où une perte de confiance dans un Etat qui ne protège pas les plus fragiles. Quelle est la valeur de l’argent quand il ne signifie plus rien, sinon pour les plus malins qui jonglent au mieux avec des opérations financières juteuses? S’ensuit donc une perte de confiance en l’autre et en ses propres sentiments amoureux. Vivre revient alors à s’unir et à se désunir, naturellement, et de plus en plus vite, dans un apprentissage égaré de soi qui fait de l’individualisme, un pseudo-idéal de liberté.
Un narrateur, micro en main, va et vient sur la scène (Youssouf Abi-Ayad), et suit les personnages pour les présenter au public, avant qu’ils ne s’expriment eux-mêmes avec détermination. Il y a ici un animateur karaoké, un directeur d’entreprise et un chef de groupe révolutionnaire. L’un plus âgé (Quentin Barbosa) joue au golf et raconte ses rencontres décevantes avec des jeunes gens qui ne pensent qu’à obtenir un contrat de travail. Un chercheur au bonnet vissé sur la tête (Romain Darrieu ou Romain Pageard, en alternance), une pile de journaux à ses pieds pour se documenter, écrit sur la crise. Les garçons et filles qui l’entourent, lancent des slogans.
Mathilde, une experte financière (Edith Mennetrier) traverse la planète avec sa valise roulante, et sûre de ses gains, rêve de faire sauter Wall Street. Une pianiste (Pauline Haudepin) joue avec tact des mélodies, entre autres de John Cage. Une jeune sportive (Maud Pourgeois) cherche de l’argent et un être à aimer. Tous se croisent, passent d’un espace à l’autre, et s’amusent de menus objets qu’ils fabriquent comme des billets de banque de couleur rouge, métaphore ironique des billets d’amour qui ne s’échangent plus guère, leur dévaluation étant trop manifeste… Les paroles se croisent à travers monologues et dialogues, dans des échanges verbaux et gestuels qui contribuent au rapprochement, puis au détachement physique.
Distanciation du jeu, ironie moqueuse et douleur sous-jacente : des postures éloquentes. Certains se sont aimés par le passé et ne se reconnaissent plus, poussés à vivre sexuellement, sans même s’assurer un minimum existentiel. Les personnages deviennent ainsi des marionnettes que l’on manipule. Perte de sens et de repères: ces jeunes gens disent ici toute leur souffrance, et lucides, revendiquent avec force une vie meilleure et plus sensible.
La scénographe Heidi Folliet a imaginé des espaces ouverts et exposés-on peut voir des scènes intimes derrière ces parois glissantes transparentes que l’on peut taguer- et ce sont aussi parfois des refuges pour les solitaires. Entre danse, chant, karaoké et déclamation, le spectacle a une belle énergie et un engagement de ses acteurs qui cherchent à savoir pourquoi leurs personnages vivent.
Véronique Hotte
Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris XIVème, du 8 au 22 décembre.T. : 01 43 13 50 50.