Adieu Pierre Debauche
Adieu Pierre Débauche
Acteur, poète, auteur mais aussi metteur en scène et enseignant, Pierre Debauche était né à Namur, il y a quatre-vingt sept ans. Il avait créé en 1963 le Théâtre Daniel Sorano à Vincennes puis en 1965, doté d’une énergie sans limites, le Théâtre des Amandiers de Nanterre (Hauts-de-Seine) dans une sorte de hangar sur un terrain vague! Au lieu-dit Côte des Amandiers où il avait créé entre autres : Ah ! Dieu, Que la guerre est jolie, un remarquable spectacle sur la guerre de 1418, devenu culte pour toute une génération de théâtreux. Et dont nous nous souvenons encore avec précision.
Pierre Debauche eut droit ensuite mais en 1969 seulement de la part de l’Etat et de la Ville de Nanterre à une construction plus en dur mais provisoire et plutôt du genre rustique, tout près de l’actuel théâtre des Amandiers. Dans une zone de pauvreté où des H.L.M. était encore chauffés avec des poèles à charbon individuels et où existait tout près de là, un des plus grands bidonvilles d’Europe…
Dans cette Maison de la Culture, d’abord avec Pierre Laville, puis seul jusqu’en 1980, il créa nombre de spectacles et accueillit aussi des troupes étrangères, notamment le Berliner Ensemble avec la grande actrice Hélène Weigel dans La Mère de Maxime Gorki. Lui succédèrent ensuite Raoul Sangla et Monique Blin, puis Patrice Chéreau et Catherine Tasca, de 1982 à 1990, Jean-Pierre Vincent jusqu’en 2001…
Pierre Debauche dirigera ensuite une autre Maison de la Culture comme celle de Rennes, qui deviendra le Théâtre national de Bretagne (TNB). Il créa aussi le Festival du pont du Bonhomme, à Lanester, près de Lorient, en 1981. Et en 1984, fonda le festival des Francophonies en Limousin et dirigea le Centre Dramatique National de Limoges.
Il a aussi enseigné aussi pendant dix ans, dans les années 1970, au Conservatoire National d’Art Dramatique. Puis il s’installa à Agen où il créa en 1994, le Théâtre du Jour, à Agen (Lot-et-Garonne) qu’il dirigeait avec son épouse, la comédienne Françoise Danell, et une Ecole de comédiens, le Théâtre-Ecole d’Aquitaine.
Avec lui, disparaît un des derniers et des plus infatigables pionniers de ce mouvement la « décentralisation » et qui est l’objet d’un remarquable documentaire sorti l’été dernier ; (voir Le Théâtre du Blog). Adieu Pierre Debauche, sans vous, le théâtre contemporain ne serait pas celui qu’il est devenu un peu partout en France.
Philippe du Vignal
En 1966 j’ai vingt-trois ans et je vois une drôle d’affiche à Censier: on joue dans un théâtre dans un hangar délabré à Nanterre, un spectacle: Ah! Dieu que la guerre est jolie! …Une énorme équipe qui chante et qui danse, avec une poésie extrême, un théâtre de pionnier. Quelques années plus tard à l’inauguration de la Maison de la culture à Nanterre, dont il est l’initiateur et le directeur, je lui dis : « Votre hangar à avions avait de la poésie et de la classe, mais pas ce gros bunker de théâtre. Il me répondit furieux : si vous aimiez le théâtre, cher ami, vous ne toléreriez pas que votre spectacle soit traversé par le bruit des motos.
Mais c’est plus tard que je l’ai vraiment rencontré, quand j’ai reçu le Théâtre du Jour, son école de théâtre, au Centre d’art et de plaisanterie à Montbéliard que je dirigeais avec Hervée de Lafond .
Pierre, c’était une mitraillette à histoires, les unes plus édifiantes que les autres. Comme celle-ci : un jour, une délégation de l’administration du Théâtre des Amandiers de Nanterre débarque sur le plateau : « Monsieur Debauche, vous faites trop de bruit en répétant, et dans les bureaux, on ne peut pas travailler. Pierre m’a dit : j’ai démissionné le lendemain, j’avais compris que les grosses structures ne favoriseraient jamais les artistes mais que l’administration allait prendre le pas sur le théâtre.
Il me raconte les concours du Conservatoire National, il avait très vite compris que l’on n’engage pas un comédien sur l’audition d’une scène, mais sur un entretien sincère, et il ne s’est jamais trompé. Pierre Debauche, c’était une barre de vitamines, il transmettait force, passion, poésie. Mais il s’était mis à dos le Ministère de la culture: il lui avait fait en procès lors de la diminution de sa subvention au Centre Dramatique National de Rennes dont il était alors le directeur.
C’était un fonceur et l’exemple d’une passion constante, pas un homme de dossiers ou d’antichambre; il fondait des théâtres, partout où il passait. Lors d’une rencontre avec des lycéens à Montbéliard, il me demande dans l’escalier, s’il allait être rémunéré. J’étais étonné. Mais oui, me dit -il, je n’ai rien, mais vraiment rien. Même 20 €, cela me ferait du bien. Rien à dire de plus, un homme magnifique.
Jacques Livchine
L’Association des Amis d’Antoine Vitez et nous-mêmes Agnès, Jeanne et Marie avons la grande tristesse d’apprendre ( et peut-être de vous annoncer) la mort ce 23 décembre de Pierre Debauche. Nous aimions et rendons hommage à sa poésie, sa ténacité, son obstination joyeuse, sa personne toute entière si éminemment théâtrale. Nos pensées vont à Françoise et à ses amis proches ainsi qu’à tous ses élèves comédiens du Théâtre du Jour à Agen. Nous n’oublions pas qu’il fut un très cher et ancien compagnon de route d’Antoine-compagnon en textes, en gaité de travail, en visions politiques et intellectuelles, et aussi d’une façon plus cryptée mais réelle, et tendrement en « belgitude ».
Et en ces temps sombres d’hiver nous avons aussi appris la mort de Claude Lévêque qui joua dans Les Bains de Maïakovski, une des premières mises en scène d’Antoine. Nous rendons hommage à sa belle et longue carrière et pensons très fort à notre amie Evelyne Istria (une des trois magnifiques Electre d’Antoine) qui fut sa compagne et son épouse, et à leurs fils Guillaume et Raphaël.
Tendrement à tous.
Agnès, Jeanne et Marie Vitez