Festival Migrant’Scène

 

Festival Migrant’Scène

 La CIMADE qui s’occupe depuis longtemps des réfugiés, a organisé avec Culture et Démocratie une journée de débats et spectacles pour réfléchir à la pratique de l’art. R.E.S.F. s’occupe de jeunes majeurs menacés d’expulsion, et les premiers spectacles ont été présentés dans les réseaux militants depuis 2009, et des ateliers d’écriture ont été organisés chaque après-midi.

Les responsables de Clowns sans frontières créé en 1994 pendant la guerre en ex-Yougoslavie, font part de leur expérience. Ces professionnels bénévoles allaient dans les endroits de catastrophes, pour donner un peu de rire et de rêve aux enfants, et ce travail s’est prolongé pendant vingt-deux ans à l’étranger mais ils ont souvent aussi été appelés à Calais par Médecins du Monde mais aussi à Paris, dans le XIXème, où des enfants dorment dans la rue… Ces clowns font aussi un travail de lanceurs d’alerte en France…

Valérie de Saint-Do, critique et journaliste, évoque le travail de Good Chance Theater, dont les représentations ont permis des rencontres entre réfugiés.. Comment passer des témoignages à un plaidoyer politique? Comment arrêter des ordres ignobles? Il faut garder espoir et nous pouvons tous jouer un rôle. Alors que des milliards sont consacrés à la construction du Grand Paris qui risque de faire repousser les pauvres un peu plus loin en banlieue, il n’y a pas d’argent pour l’humain!

Le Nimis Groupe travaille en Belgique avec les sans-papiers. Au Centre ouvert de la Croix Rouge, il a créé Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut être pas vu, une pièce donnée pour impossible à mettre en scène, pour interpeller les politiques. Avec pour thème, la vie d’une jeune femme, qui, à l’image de tant d’autres, a tout quitté pour rejoindre l’Europe, le spectacle nous fait vivre la traversée de ces êtres privés du droit de vivre.
Quelle humanité reste-t-il sur notre continent, en matière de politique migratoire? Le Nimis Groupe montre ici tout le mécanisme compliqué des rouages d’entrée sur le territoire,  alors que les dirigeants politiques veulent nous éclairer sur les enjeux économiques de l’Europe… L’Art peut rendre visible ce qui est invisible, et il faut que les artistes amateurs aient aussi un droit de cité dans les lieux officiels. Les chiffres ne peuvent pas rendre compte de la valeur du symbolique…

Edith Rappoport

http://www.festivalmigrantscene.org/

Le Festival a eu lieu du  18 novembre au 10 décembre  à la Villa Mai d’Ici à Aubervilliers (Seine Saint-Denis)

Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut être pas vu, sera joué les 21 et 22 février à Arlon( Belgique). Et les 8 et 9 mars, au Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine, le ​17 mars au Chanel à Calais, et les 27 et 28 mars au Granit de Belfort.


Archive pour décembre, 2017

Adieu Ferdinand, de Philippe Caubère et Clémence Massart

 Adieu Ferdinand, texte et mise en scène de Philippe Caubère, après avoir été improvisé devant Jean-Pierre Tailhade et Clémence Massart 

 

(c) Gilles Vidal

(c) Gilles Vidal

Un long solo énigmatique à plus d’un titre et  en deux parties, par celui qui fut un pilier du Théâtre du Soleil de 1970 à 1977. Philippe Caubère  s’imposa ensuite dans une carrière personnelle, d’abord comme acteur avec Ottomar Krejca,  puis dans Le Roman d’un acteur, une suite de solos  qu’il joua pendant plus de dix ans… Mais ce nouveau spectacle, avec trois contes inédits du Roman d’un acteur, La Baleine, Le Camp naturiste et Le Casino de Namur,nous laisse sans voix.

Seul sur un plateau nu devant une chaise, il ose le ridicule dans une suite de gesticulations incompréhensibles. Il s’agirait de la première trahison sexuelle par Ferdinand-qui vivait avec Clémence-avec une comédienne du Théâtre du Soleil pendant la création de L’Âge d’or…Impossible de saisir un fil cohérent qui puisse nous maintenir concentrés.

Après un bref entracte, on retrouve Philippe Caubère dans un camp naturiste en compagnie d’une troupe de Belges. « Je déteste tout le monde, je n’aime plus que Marcel Proust ! ». Il s’est brûlé au quatrième degré, et il faut l’emmener à l’hôpital de Bordeaux ! Seuls Marcel Proust, Charlie Chaplin et un couple de Bordelais pervers essayeront de distraire Clémence et Ferdinand, en leur narrant les origines nazies de ce temple du naturisme… À n’y rien comprendre,  malgré quelques images réussies !

À la sortie, nous retrouvons des familiers du Théâtre du Soleil toujours aussi enthousiastes, et  amis de Philippe Caubère. qui nous avait pourtant bien souvent éblouis. Mais ici, quelle déception! Ce créateur et acteur n’est plus du tout celui que nous admirions.

Edith Rappoport

Théâtre de l’Athénée, Paris VIIIème, trois contes en deux soirées jusqu’au 14 janvier . T. : 01 53 05 19 19

Sous la glace de Frank Richter, mise en scène de Vincent Dussart

 

Sous la glace de Frank Richter, traduction d’Anne Monfort, mise en scène de Vincent Dussart

4608B74C-02D2-4512-AD21-F6BC112968D8Dramaturge allemand aujourd’hui bien connu, associé à la Schaubühne de Berlin et au Théâtre National de Strasbourg, Falk Richter a commencé à écrire en 2004 Das System  avec pour thème, les dysfonctionnements  du monde capitaliste… Ce texte (2011) avait été aussi monté l’an passé par Anne Monfort (voir l’article de Mireille Davidovici dans Le Théâtre du Blog). Notre amie Véronique Hotte vous avait aussi parlé dans ces colonnes avec beaucoup d’éloges de ce même spectacle présenté au Festival d’Avignon il y a deux ans, et repris aujourd’hui par Vincent Dussart dont nous avions vu  le mois dernier Pulvérisés d’Alexandra Badea. Cette parabole traite de la vie professionnelle, et privée (ou du moins de ce qu’il en reste) de trois consultants d’une société d’audit. En uniforme de cadre d’entreprise! Costume bleu, cravate noire et chemise blanche, ils sont entrés depuis longtemps dans le moule capitaliste. Quitte à brader leur identité. Et pour garder  un emploi sûrement bien payé, les trois hommes ,obsédés par l’obligation d’être, et surtout de rester compétitifs, sont prêts à tous les petits arrangements et coups fourrés.

Jean Personne, le plus âgé des trois devra laisser la place à ses deux autres collègues plus jeunes. Lui aussi, un battant de premier ordre quand il avait le pouvoir et n’avait eu aucun état d’âme à faire des charrettes de cadres qu’il considérait comme moins performants. Jean Personne évaluait sans pitié les autres-il n’avait pas le pouvoir de décision, ce qui le dédouanait-mais conseillait la direction de l’entreprise! Oui, mais voilà, il a vieilli, physiquement et surtout moralement, et n’a plus la même énergie, la même envie de se battre… Bref, morale de l’histoire: on est toujours le vieux de quelqu’un d’autre dans une entreprise, et surtout plus vite qu’on ne s’y attendait.

«Plus de revenus, plus de travail, plus de sexe, plus de plans de communication, plus de belles voitures, plus de performances, plus de sueurs, plus de fenêtres à ses bureaux, plus d’évaluation, plus de “rencontres interpersonnelles”, plus de bouffe, plus, plus, plus… » Et pour gagner quoi? Pour se perdre à jamais? L’impitoyable machine à produire des résultats financiers qui rassurent la Bourse et les actionnaires, fait aussi, et depuis longtemps, des ravages considérables sur les plan humain et sociétal.  Et ils le savaient bien en acceptant de déjeuner avec le diable mais ils faisaient semblant de l’oublier, ces jeunes cadres dynamiques et intelligents, mais moins sûrs d’eux et de leur identité soudain remise en question, quand ils se font virer sans aucun ménagement… au nom du sacro-saint management par un autre cadre, plus jeune et sans pitié aucune, et qui, à son tour et dans à peine dix ans, passera, lui aussi, à la trappe… La vie est un long fleuve tranquille, comme  dit l’Ancien Testament! 

 Su le plateau, une espèce de statue-robot en toile tendue,  avec une lumière rouge à l’endroit du cœur. Une heure durant, Xavier Czapla, Patrice Gallet et Stéphane Szestak, comédiens rigoureux à l’excellente diction, font leur boulot et déclament le texte de Frank Richter qui entend démontrer ici l’absurdité du système mis en place et accepté par la société. Et cela fonctionne? Pas vraiment. A cause d’abord d’un texte-monologue ou presque-qui reprend des choses déjà bien connues et qui surtout, ne fait pas sens au théâtre, même accompagné comme ici par une musique à la guitare électrique.

Le spectacle en Avignon avait peut-être “un jeu scénique éblouissant”, comme le trouvait Véronique Hotte mais nous ne serons  pas aussi généreux… Cette mise en scène sous des aspects contemporains, reste bien conventionnelle: fumigènes, éclairages latéraux, son de micro H F pénible surtout dans un aussi petit lieu, effets d’écho, et jeu immobile face public à la manière de Stanislas Nordey qui avait introduit Falk Richer en France. Bref, ce que l’on voit un partout… Et quand on y ajoute une mauvaise balance entre texte et accompagnement musical, le compte n’y est pas, et passées les dix premières minutes, on s’ennuie. Cyril Teste, en reprenant en partie un morceau de ce texte, avait eu plus d’imagination et avait mieux réussi son coup, quand, avec une partie filmique, il avait monté son superbe Nobody (voir Le Théâtre du Blog).

 Désolé, mais on ne trouve guère de raisons pour vous pousser à y aller voir …

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Opprimé, 78 rue du Charolais, Paris XIIème jusqu’au 22 décembre.

 

François d’Assise de Joseph Delteil, adaptation d’Adel Hakim et Robert Bouvier, mise en scène d’Adel Hakim

 

François d’Assise de Joseph Delteil, adaptation d’Adel Hakim et Robert Bouvier, mise en scène d’Adel Hakim

Crédit photo : Mario del Curto

Crédit photo : Mario del Curto

Robert Bouvier avait joué dans Prométhée Enchaîné et Le Parc, mises en scène par Adel Hakim.  Il  créera avec lui en 1994 François d’Assise de Joseph Delteil, un spectacle qui n’a jamais cessé de tourner en France et à l’étranger, avec, à ce jour, quatre cent représentations. Un succès éloquent.

Joseph Delteil, écrivain et poète, né en 1894 dans l’Aude, d’un père bûcheron-charbonnier, écrit à Paris, en 1922, son premier roman, Sur le fleuve Amour, qui subjugue les surréalistes. En 1927, Carl Dreyer réalise, d’après sa Jeanne d’Arc, un  film célèbre au titre éponyme. L’auteur populaire écrira nombre de romans, poèmes et biographies, avant de changer de vie en 1930. Avec son épouse Caroline Dudley, il quitte Paris, malade, pour s’installer à La Tuilerie, près de Montpellier.  Il y devient vigneron et écrit plus rarement ; en quatre décennies, il publiera quelques ouvrages seulement, dont François d’Assise (1960) et il meurt en 1978.

Ce fils de paysan préfère la proximité de la terre, une solitude dépouillée mais riche intérieurement, en compagnie du Christ auquel il voue une foi bien à lui. Ses héros, vrais ou imaginaires, suivent leur propre route avec entêtement. Dieu a ainsi choisi la vocation de François d’Assise. Initié par l’amour divin et mu par une morale juste : amour, charité, grandeur d’âme, sens du sacrifice, lois fortes et simples : comme un rappel de l’Évangile, Saint-François a connu, comme l’auteur, une enfance modeste, puis une réussite sociale, avant de faire le chemin inverse, jusqu’à la mise à distance de soi.

 L’écriture de Joseph Delteil est poétique, généreuse et colorée: il possède une langue bien particulière et affectionne tournures patoisantes et mots du terroir, signes d’une sagesse rustique et bon enfant; aussi les petits «françoisiers» sont-ils souvent évoqués à travers le sourire moqueur de  Robert Bouvier. Porter un regard naïf et candide sur la vie et le monde : ciel bleu, Nature, animaux  terrestres et célestes, jolies paysannes, et cuisine de Frère Jacqueline. A la manière du  de Dieu qui regarde ses créatures,  près du ruban d’argent des rivières et et au milieu de prés colorés, dans les parfums des fleurs et du foin, du goût des framboises de septembre et de la frangipane, et des musiques des chants d’oiseaux et des sources…

Yves Collet a imaginé une scénographie avec des châssis gris pour figurer une chapelle votive, un ciel de lumière et derrière un muret, une rangée amusée d’épis de blé.Le soleil d’une vie éclatante diffuse ici une chaleur radieuse, presque tactile. Robert Bouvier est le jeune François qui quitte sa ville d’Assise pour y revenir, âgé. Qu’il interpelle avec un rire dans les yeux et une gouaille communicative Frère Léon, ou bien qu’il coupe encore les longues mèches souples et bouclées de la séduisante Claire, il fait vibrer cet icône, entre verve populaire et pauses de silence.

Le comédien incarne son obstination et sa passion, sa joie d’être, et sa folie libre et désintéressée, il sait admirer les beautés et richesses éphémères qui reviennent d’une saison à l’autre, rituellement. Dévêtu puis rhabillé, l’acteur déploie un corps affranchi, ouvre les bras et simule le Christ en croix, amoureux de la vie et des désirs qu’elle provoque, mais sachant aussi y renoncer. Le saint profère sa colère avec une voix tonitruante, quand il veut signifier son désaccord. Mais il aime d’abord la vie et la nature.

Le texte est un éloge de l’existence rudimentaire qui s’accomplit dans le bonheur, en dépit des misères et dénuements consentis, et rêve d’un monde meilleur.  Avec ici, la présence d’Adel Hakim, récemment disparu, habité par l’art et la passion du théâtre, le goût de l’existence et des autres, et l’empathie pour le monde.

 Véronique Hotte

Manufacture des Œillets, Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National du Val-de-Marne jusqu’au 12 décembre. T : 01 43 90 11 11.

Théâtre Les Trois Pierrots, Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) le 11 janvier.

L’Atrium, Fort-de-France, les 26 et 27 janvier.

La Station, Théâtre La Mézière, les 2 et 3 février.

 

L’Éveil du printemps d’Aiat Fayez, mise en scène d’Alain Batis

 

©Jean-Bernard Scotto

©Jean-Bernard Scotto

L’Éveil du printemps d’Aiat Fayez, mise en scène d’Alain Batis

 

 © Image : Sasu Riikonen / Conception graphique : Chouette ! Thomas Daval

© Image : Sasu Riikonen / Conception graphique : Chouette ! Thomas Daval

L’Éveil du printemps de Frank Wedekind (1864-1918), une pièce publiée en 1891 et ironiquement sous-titrée Une tragédie enfantine, a pour thème l’éveil de la sexualité chez les adolescents dont le corps change; ils s’éveillent au désir sexuel et essayent d’arriver à vivre malgré les interdits de la société. La pièce sulfureuse et déjà expressionnistes fut comme les autres de son auteur, censurée par Guillaume 1er et son chancelier Bismark, et mise en scène seulement quinze ans plus tard par le grand metteur en scène berlinois Max Reinhardt. Sigmund Freud, puis Bertolt Brecht et plus tard, Jacques Lacan admirèrent l’auteur de la célèbre Lulu (voir Le Théâtre du Blog).  L’Eveil du Printemps a souvent été montée chez nous, et il y a six ans par Omar Porras. La pièce a aussi fait l’objet en 2006 aux Etats-Unis, d’une adaptation en comédie musicale par Steven Sater pour les chansons, et  Duncan Sheik pour la musique.

Ici, Ayat Fayez (voir Le Théâtre du Blog) un jeune auteur qui ne veut pas voir indiquer son pays d’origine- même si tout le monde le sait- on dira donc orientale, s’est inspiré du texte original de Frank Wedekind. Il a fait des études de philo à Paris puis s’est installé en Allemagne; ses pièces, éditées chez l’Arche comme De plus belles terres et Angleterre, Angleterre ont été mises en scène au Théâtre de Poche à Bruxelles. L’Éveil du printemps-pourquoi ce titre identique qui peut prêter à confusion?-raconte en une fable de quarante et une séquences, l’histoire de A. , un jeune homme qui souhaite vivre  son rêve mais qui se trouvent confronté à la nécessité absolue d’accepter  l’autre et donc de changer.

Dans une première partie, on voit ce jeune homme de dix-huit ans qui habite Platonium, une lointaine planète, belle et poétique. Il a la peau bleutée et parle français avec un accent prononcé,  comme son grand ami qui a dix-sept ans. Il y aussi une jeune fille du même âge, à qui A. ment un peu, voire beaucoup car il voudrait bien faire l’amour avec elle. Mais impossible ni chez ses parents, ni à l’hôtel où on exigerait de lui une certificat de mariage. Très vite, il ne supporte plus sa planète et rêve alors à notre Terre, tout à fait impressionnante qu’il voit par temps clair et où il veut à tout prix aller vivre : en Europe et surtout en France…

Un jour, il obtient enfin un visa et, dans cette deuxième partie de la pièce, il arrive chez nous pour faire des études dans une Université. Mais bon, lui l’étranger à la peau bleue va avoir du mal à s’intégrer et surtout à être accepté. Même si Anna, une jeune et belle Française, tombe très amoureuse de lui. Ici, dans cet autre monde, tout est différent mais aussi à la fois curieusement identique: il apprend à ses dépens qu’il lui va falloir trouver sa place,  et qu’être un autre, surtout quand on a la peau bleue, ce n’est pas facile à vivre au quotidien.

Il sent vite que, pour assumer sa nouvelle vie dans cette nouvelle utopie, il va lui falloir  lutter contre le racisme et l’exclusion dans son université, et pratiquer une discipline personnelle rigoureuse, s’adapter aux autres et s’inventer une nouvelle vie spirituelle, loin des anciennes habitudes acquises chez lui à Platonium. Bref, résister avec une volonté absolue  contre l’inertie, ne pas avoir peur du changement et-le plus dur-devenir en sorte quelqu’un d’autre… Et rompre avec les rêves et les désillusions. Comme le rappelle justement le philosophe allemand Peter Stloderdijk, dont Aiat Fayez s’est aussi visiblement inspiré: «Quand on visite ces hétérotopies, on sait qu’une fois arrivé, on doit parcourir plus de sentiers intérieurs, que de voies extérieures.»

Reste à traduire cela sur plateau et ce n’est pas des plus faciles, quand on s’empare d’une telle fable, teintée on l’aura compris, de philosophie et de poésie. Il y a du bon, et du moins bon, dans la mise en scène d’Alain Batis. D’abord une excellente direction d’acteurs: les quelque onze personnages grâce au jeu d’Emma Barcaroli, Geoffrey Dahm, Nassim Haddouche, Pauline Masse et Mathieu Saccucci sont tous crédibles. Et on entre sans effort dans cette fable contemporaine,  aux dialogues un peu faiblards.L’essentiel n’étant sans doute pas là pour lui…

Grâce à une remarquable scénographie, avec d’abord des images de la Terre de Mathias Delfau quand A. la contemple depuis Platonium, et à Sandrine Lamblin qui a conçu des projections d’extérieurs, murs, fenêtres, tout fait adaptées aux séquences et de quelques meubles en tubes très art minimal, inspirés sans doute de ceux de Robert Wilson. Pour une fois, la vidéo, intelligemment conçue comme ici, n’a rien d’envahissant et remplit une véritable fonction d’accompagnement du récit. Toute la partie technique est aussi  très maîtrisée, comme l’univers musical enregistré avec piano, guitare classique et alto, violoncelle, mais aussi électronique; le tout donne une tonalité poétique, indispensable quand on s’aventure sur un plateau dans un récit de science-fiction façon BD à visée philosophique.

Côté dramaturgie, en revanche, cela va moins bien. Curieuse idée de mettre des titres-souvent en plus pléonastiques numérotés-pour chacune des séquences!-on sait que cela ne fonctionne jamais. Et dans ce texte souvent trop bavard, il y a certains moments qu’Alain Batis aurait du couper sans scrupule, comme entre autres la visite de A. avec son amoureuse française chez ses parents. Mais il y a une belle scène d’anniversaire très bien réglée qui enthousiasme le public. Il y a, en tout cas, quinze bonnes minutes de trop dans la mise en scène de cette fable qui gagnerait à être abrégée et monterait ainsi sans aucun doute en puissance…

Côté mise en scène-mais cela peut s’arranger facilement-les éclairages trop faibles ne permettent pas toujours de bien voir le visage des acteurs, surtout au début de la pièce qui a du mal à prendre son envol. En grande partie à cause d’un découpage en trop courtes séquences et parce que les acteurs déménagent sans arrêt les meubles pour la scène suivante, ce qui donne un peu le tournis et casse un rythme déjà approximatif. Bon, c’était la première, mais Alain Batis doit absolument resserrer d’urgence les boulons, s’il veut que cette pièce, comme il dit «insuffle une véritable mécanique visuelle où l’homme et la parole soient au cœur d’un théâtre percutant et poétique.» Malgré ces réserves, vous pouvez aller découvrir cet auteur et y emmener vos ados préférés.

Philippe du Vignal

Spectacle vu au Carré de Forbach,  le 5 décembre.

Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes du 15 janvier au 25 février.
Puis au Festival Momix à Kingersheim, etc.

 

 

L’Empire des Lumières, d’après le roman de Kim Young-ha, mise en scène d’Arthur Nauziciel

Crédit Photo : Philippe Chancel

Crédit Photo : Philippe Chancel

 L’Empire des Lumières, d’après le roman de Kim Young-ha, adaptation de Valérie Mréjen et Arthur Nauzyciel, mise en scène d’Arthur Nauziciel, (en coréen surtitré en français)

A partir de ce roman emblématique et populaire, Arthur Nauziciel nous propose un tableau de la Corée contemporaine déchirée entre deux nations : celle du Nord et celle du Sud, avec l’histoire  d’un couple sud-coréen  qui se livre à un apprentissage mutuel de la lucidité. Malgré eux, ils ont fait l’épreuve du mensonge dans une drôle de vie commune. Lui, un «espion dormant», a été missionné par les services secrets de la Corée du Nord, en Corée du Sud l’ennemie, où les autorités donnaient à voir aux enfants des dessins animés  où les communistes du Nord étaient des loups sanguinaires. Le couple vit une vie tranquille et confortable et oublie lui, qu’il est un faux transfuge du Nord, et elle, une ancienne étudiante contestataire pro-communiste. La vie en Corée du Sud entre consumérisme et libéralisme, les endort et les questions qu’ils se posaient jeunes, n’ont plus cours, quand s’installe le sentiment factice de la réussite.

Lui, l’espion, n’a jamais dit la vérité à son épouse, si ce n’est le jour fatidique de son rappel. Et elle avoue rejoindre régulièrement, l’après-midi, un jeune amant, accompagné d’un second, dans un « love hôtel». C’est ici dent pour dent… L’idée d’étrangeté à soi et au monde est la métaphore qui traverse le roman de Kim Young-ha : nul n’est fidèle à soi, ni authentique, ni sincère, mais seulement flottant.

Arthur Nauzyciel, s’empare ici du thème du roman, un amour avec gâchis et séparation à la clé d’êtres qui mettent à distance toute union existentielle, comme les deux Corées. Réalité et fiction : ils restent insaisissables tels des spectres, entre vie et mort, présence au monde et pure abstraction, ce dont rend compte avec justesse une vidéo. Les comédiens, eux, assis à une table, attendent le moment opportun de leur surgissement dans la partition théâtrale.

 Les amants de l’épouse dansent ensemble, dans une infinie précaution mais on voit sur l’écran le visage de chacun. Les  acteurs semblent à peine vivre leur vie de personnage, tant l’appel de l’inconnu, de l’indécis dans leur existence s’avère fort et intense. Lenteur des gestes et marche chorégraphiés, le public pense assister et à la fois participer à un rêve, entre veille et sommeil, cherchant à extraire la qualité du sentiment de vivre. L’être ici n’existe pas, approximativement accompli entre quiproquos et mensonges. Plus que l’histoire d’un pays séparé, à la façon des deux ex-Allemagne de l’Est et de l’Ouest, c’est le récit du manque et du vide de la vie que l’on nous conte dans cette adaptation.

 Moon So-ri, une star du cinéma coréen, est une belle épouse, naturelle et gracieuse, élégante et réservée, toujours juste dans l‘ambiguïté même. L’espion est joué par le secret Ji Hyun-Joon, acteur de théâtre musical. Tous les acteurs sont précis, entre absence et présence, ce qui redouble et multiplie la tension sollicitée, côté scène et côté salle, exacerbant tous les esprits.

Ce voyage dans l’imaginaire des deux Corées nous rapproche de tous les sentiments universels d’appartenance à l’existence, politique ou amoureuse. Une œuvre délicatement tricotée  entre cinéma et théâtre, avec mailles à l’endroit et mailles à l’envers de la danse approximative de toute vie humaine…

 Véronique Hotte

MC93-Bobigny (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 10 décembre. T. : 01 41 60 72 72

 

Atelier 29, spectacle de fin d’études de 29ème promotion 2017-2018 du Centre National des Arts du Cirque


Atelier 29, spectacle de fin d’études de 29ème promotion 2017-2018 du Centre National des Arts du Cirque à Châlons-en Champagne, en collaboration avec l’ENSATT, mise en scène de Mathurin Bolze

2017_12_Atelier29_Chalons Etablissement supérieur de formation, de ressources et de recherche, le Centre national des arts du cirque, créé en 1985 à l’initiative du ministère de la Culture, a formé plus trois cent artistes… de quelque trente-cinq nationalités! Le Centre dispose de nouveaux locaux depuis 2015, complétant ceux du cirque historique.
 Le spectacle collectif de fin d’études, avec des étudiants déjà ainsi placés en position d’interprètes et créateurs,  est mis en scène chaque année par un professionnel reconnu, pour  une série de représentations, à Chalons puis à Paris, et dans la région du Grand Est. Derrière cette création, la meilleure de celles que nous avons pu voir depuis quelques années, il y a bien entendu un enseignement de haute qualité depuis des années à Chalons et dans d’autres écoles auparavant. Cela va sans doute sans dire mais va encore mieux en le disant…

Mathurin Bolze qui a été élève au Centre National des Arts du Cirque a suivi entre autres l’enseignement de Catherine Germain, l’excellente clown et du chorégraphe François Verret pour la danse. Puis avec sa compagnie, il a créé Fenêtres et Barons perchés… (voir Le Théâtre du Blog). Pas facile de parler en détail de cette mise en scène brillante, où les nombreux numéros s’enchaînent en douceur. Il y a d’abord comme une sorte de mise en bouche très réussie,  avec une plate-forme oscillante où quelques-uns des jeunes circassiens debout en costume blanc vont jouer une scène muette avec des accessoires que leurs camarades restés au sol, leur font passer et qu’ils leur rendent ensuite. Belle image que cette jeune acrobate sur son petit vélo blanc qui réussit à claquer une porte d’un coup de roué, puis monte  toujours en roulant sur la plate-forme de façon tout à fait “naturelle” et en redescend avec la complicité de ses camarades.

Ces trois plate-formes sont, bien entendu, élevées et descendues en totale coordination avec les numéros des circassiens, dont quelques-uns jouent aussi d’un instrument. Une des dernières images; les plate-formes situées à des hauteurs différentes sont reliées entre elles par des échelles. Et cela fait penser à une installation  très réussie d’art contemporain… qui ne dénoterait pas dans un musée d’art contemporain. Une des caractéristiques de ce spectacle en est l’indéniable beauté plastique. Comme le nouveau cirque nous y habitué mais rarement à ce point d’excellence.

 Il y a aussi des numéros plus traditionnels mais d’une rare élégance corporelle comme ces montées au mât chinois ou à la corde toutes très maîtrisées et d’une rare élégance… Ce qui caractérise ce travail collectif-il faut insister là-dessus-brillamment mis en scène:  extrême précision gestuelle, souplesse et rigueur absolue, fluidité et rythme, coordination et complicité, mise en valeur de la gravité du corps de ces jeunes interprètes à qui on bien appris à maîtriser l’espace-temps du chapiteau (cela se voit au premier coup d’œil) où ils ont formidablement à l’aise, précision, discipline et concentration absolue dans l’expression gestuelle individuelle et collective, unité de jeu et humilité absolument exemplaires (nombre de jeunes comédiens issus de grandes écoles qui ont tendance à jouer les vedettes pourraient en prendre de la graine!)  

Ces treize étudiants-déjà très professionnels-composent un merveilleux patchwork de quelque onze nationalités et neuf disciplines qu’il faut tous citer pour leur remarquable travail: le Français Antonin Bailles au mât chinois, l’Israélien Inbal Ben Haim à la corde, l’Anglais Fraser Borwick  aux sangles, l’acrobate français Corentin Diana, le Portugais Leonardo Duarte Ferreira au mât chinois, Anja Eberhart, équilibriste suisse sur une petite bicyclette, le français réunionnais Tommy Edwin Entresangle Dagour  au cercle, Joana Nicioli au mât chinois, la Finlandaise Noora Petronella Pasanen  à la corde, l’acrobate  français Thomas Pavon, Joana Nicioli, acrobate brésilienne, au mât chinois, le Péruvien Angel Paul Ramos Hernandez à la corde volante, l’acrobate chilienne Silvana Sanchirico aux  tissus,  et la française Emma Verbeke aux sangles.

Il  faut signaler les simples et beaux costumes blancs de Gabrielle Marty, la lumière très fine de Clément Soumy comme celle de la création sonore signée Robert Benz; côté scénographie, trois ingénieux et formidables plateaux en bois suspendus et flottants à géométrie et  hauteur variables, conçus par Camille Davy et Anna Ponziera. Le spectacle leur doit leur aussi beaucoup comme aux autres élèves apprentis-techniciens de l’ENSATT.

 « Quand on m’a proposé de les mettre en scène, dit Mathurin Bolze, j’ai immédiatement eu envie de leur faire rencontrer ceux de l’ENSATT. Je voulais partager avec eux, des mots sur les postures de travail physique et mental, sur leur engagement, sur le risque, je voulais parler métier. Pour remettre des enjeux, retendre l’idée de la scène et de la piste, la haute exigence d’être artiste. Et fonder cela, sur l’acte de présence, leur qualité d’être, leur vitalité créatrice, en cherchant une joie manifeste. Questionner ce désir de singularité et d’en commun d’avec les hommes, ce désir du cirque, éclaircir la voix de ceux qui chuchotent, aiguiser le trait de l’acrobatie, rendre possible qu’on y voit du sens, partager leurs exils… (…) Dans cette vacance  même, béance du temps (repos, blessure, chômage, dépaysement), ils trouveront l’essence, intime et politique, le fondement de cette nécessité de s’exprimer, de dire. Ils diront par le corps, le geste, l’espace, les mots, les ambiances, les images, les climats, les récits.Ils seront matière grise autant que matière première. Ils s’en feront les auteurs, les porteurs, les traducteurs, les interprètes.»

 Allez absolument voir ce spectacle d’une très rare qualité. Après les logorrhées théâtrales de ces derniers temps, cela  fait en tout cas le plus grand bien de voir ces jeunes gens de culture et de langue différente, réunis dans un seul et même travail physique-ô combien mais jamais en force-et très mental, un « collectif » comme on dit maintenant, au meilleur sens du terme, dont le dénominateur commun est bien l’expression par le geste et la maîtrise du corps, et si on a bien compris, d’une recherche d’une identité mais aussi de communauté artistique autour de quelque chose de primaire comme le corps. Si quelque chose est sacré écrivait Walt Whitman dans Feuilles d’herbe , le corps humain est sacré. »  Ce spectacle en est la preuve authentique.

  Ou oubliait, quitte à se répéter: Laurent Wauquiez, allez aussi voir ce spectacle à la Villette, vous qui n’aimez guère les écoles de cirque, cela vous changera des joutes politiques et des vaines ambitions de pouvoir… Et vous  constaterez qu’il y a là, grâce à ses jeunes gens-qui n’ont fait ni Normale Sup ni l’ENA mais une École d’un aussi haut niveau-un formidable terreau d’espoir et de vie indispensable à l’architecture démocratique d’un pays…

 Philippe du Vignal

Spectacle vu le 6 décembre  jusqu’au 17 décembre dans le cirque historique de Châlons-en-Champagne, en collaboration avec La Comète-Scène nationale (à partir de sept ans).

Parc de la Villette à Paris du 19 janvier au 11 février. T. : 01 40 03 75 75.
Le Safran, Scène conventionnée d’Amiens-Métropole et le Pôle national Cirque et Arts de la rue à Amiens du 21 au 23 février.

Le Manège, Scène nationale de Reims, du 3 au 5 mars, Théâtre  Municipal de Charleville-Mézières du 27 au  30 mars, sous le chapiteau du Cnac.

Cirque-Théâtre d’Elbeuf, Pôle national des arts du cirque de Normandie, dans le cadre du festival  Spring, du  13 au 15 avril. Festival Pisteurs d’Étoiles d’Obernai (67) du 27 au  29 avril.

La Garance-Scène nationale de Cavaillon (Vaucluse) du 11 au 13 mai.

Festival Les nuits d’Éole et les Écoles de Passage de Montigny-lès-Metz sous le chapiteau du Cnac, du 1er au 3 juin.

 

Je n’ai pas encore commencé à vivre par le Théâtre Knam de Komsomolsk-sur-Amour

 

Je n’ai pas encore commencé à vivre par le Théâtre Knam de Komsomolsk-sur-Amour, recherche documentaire et mise en scène de Tatiana Frolova

5.Je-nai-pas-encore-commencer-a-vivre-c-Theatre-KnAM-Alexey-Blazhin-1-400x400Tatiana Frolova avait animé pendant deux ans une  classe au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique et une autre avec Dimitrii Bocharov à l’E.N.S.A.T.T. à Lyon sur le théâtre documentaire et la vidéo. Nous avions été enthousiasmés par Endroit sec et sans eau et Une guerre personnelle mais aussi par Je suis qu’elle avait présentés au Festival Sens Interdits. Né dans «une petite ville de 300.000 habitants», cité militaire situé à l’extrême-orient de la Russie, le Théâtre Knam a travaillé d’après les témoignages des nouvelles génération qui ont perdu tout espoir de changement social. « J’ai retrouvé des photos, dit Tatiana Frolova, j’ai vu que le tragique était en moi, il est important de comprendre, de retrouver la confiance! »

La description de la saga soviétique fait froid dans le dos; après Staline, la Russie a en effet perdu  entre vingt  et quatre vingt millions  de personnes! «Le peuple ne connaît pas son passé, on dirait qu’il ne veut pas le connaître ! » (…) «On n’a pas d’État !» La perestroïka n’a rien arrangé, et le pays a été entièrement vidé de ses dissidents.  Le spectacle est interprété brillamment par Tatiana Folova et ses deux compagnons de toujours : Dimitrii Bocharov et Wladimir Dimitriev, et deux jeunes acteurs impressionnants, nouveaux venus au Théâtre Knam, Germain Iakovenko et Ludmila Smirnova. Projections vidéo et photos donnent un aspect réaliste au désespoir d’une révolution perdue pour ceux qui y ont cru. Un spectacle à ne pas manquer si vous le croisez près de chez vous!

Edith Rappoport

Spectacle vu à la Filature de Mulhouse, le 7 novembre.

Deux mille dix-sept, chorégraphie de Maguy Marin

 

Deux mille dix-sept, chorégraphie de Maguy Marin

©David Mambouch

©David Mambouch

 Après une brève et joyeuse farandole (celle de BiT, la création précédente de la chorégraphe), la fête se mue en une cérémonieuse et triste parade de riches, portant costumes extravagants, masques et perruques, coiffés d’une maquette de canon,  de yacht, d’une église ou des tours de Wall Street. Le capitalisme mondial étend son emprise : Danone échange des cadeaux avec Prada ou Hermès, et le plateau se couvre d’innombrables tombes, dans l’ombre d’un immense drapeau des Etats-Unis. Le ton est donné: la chorégraphe ouvre un terrifiant livre d’images pour montrer une humanité en déshérence, et une planète devenue un grand cimetière, à cause du contrôle absolu de quelques-uns manipulant les masses,  grâce au consumérisme. Ecrasant les populations, engendrant guerre et  pauvreté, semant la mort.

 «Il n’y a pas de crise économique, dit Maguy Marin, mais une capture des richesses collectives par une petit nombre d’initiés. Il ne s’agit donc pas juste de déplorer l’état des choses mais plutôt d’essayer de recharger du courage.  De réinsuffler de l’espoir et de l’envie.» En amont du spectacle, elle s’est beaucoup documentée et a consulté Propaganda, d’Edward Bernays, un petit guide pratique de «la fabrique du consentement ».  En 1928, il y exposait déjà les grands principes de manipulation mentale des masses, en les livrant pieds et poings liés à la société de consommation.  Maguy Marin a aussi lu Les rythmes et le politique de Pascal Michon, Capitalisme désir et servitude de Fréderic Lordon et les ouvrages de Walter Benjamin. Selon le philosophe, la catastrophe résulte de la participation, souvent tacite et silencieuse de tout le monde, et n’arrive pas par surprise mais dans l’ordinaire des arrangements et des accoutumances.

 Comment traduire cela ? Ici, dans une succession de tableaux, les danseurs se griment et composent une fresque vivante. Le spectacle, radical et militant, dresse un constat sans appel: on y voit, par exemple, l’Oncle Sam acheter à coups de dollars, les dictateurs Pinochet, Duvalier, Suharto, Branco… tandis que le peuple travaille de plus en plus dur sous les coups de gardes-chiourme. Dans la pénombre, les opprimés souffrent discrètement, face à l’activité ostentatoire des grands de ce monde. Mais mal éclairées, ces scènes sont peu lisibles… La danse, ici, se résume à la composition d’images parlantes et plastiquement très réussies. Maguy Marin veut « transmettre de la rage»:  « Je travaille beaucoup plus, dit-elle, sur les corps, que sur un style de mouvement dansé.(…) Je cherche des choses sensibles qui me parlent du monde.»

 Charlie Aubry avait signé la musique de BiT (voir Le Théâtre du blog). Présent sur le plateau, il déverse en continu des sons très agressifs, émaillés de  voix diffuses… à la limite du supportable, malgré les bouchons d’oreille distribués à l’entrée. 

Deux mille dix-sept ne prétend pas au traité d’économie politique mais veut créer un état de choc. Mission accomplie! Mais nous assistons, sans l’ombre d’une révolte, à une démonstration simpliste qui ne persuadera que les convertis. Et pourquoi ce très long épilogue de plus d’un quart d’heure où les interprètes érigent, sur les ruines du cimetière, un mur dont chaque brique porte le noms des géants de la finance et de l’industrie ?

Ce beau travail peut plaire par son esthétique, son urgence et sa vigueur mais ne nous a pas vraiment emballés.

 Mireille Davidovici

Maison des Arts de Créteil-Théâtre de la Ville hors les murs/Festival d’Automne à Paris jusqu’au 9 décembre.Opéra de Lille, les 20 et 21 février; Théâtre de Charleville-Mézières, le 24 février ; Les Hivernales d’Avignon, les  27 et 28 février.Maison de la Danse Lyon le 2 mars. MC2: Grenoble, les 16 et 17 avril.
Stadsschouwburg Amsterdam, les 16 et 17 mai.

 

La Fresque chorégraphie d’Angelin Preljocaj

 

La Fresque chorégraphie d’Angelin Preljocaj

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Photo Jean Couturier

Emmanuel Demarcy-Mota, le directeur du Théâtre de la Ville, avait demandé un ballet pour jeune public au chorégraphe qui a créé cette pièce d’après un célèbre conte chinois. Deux voyageurs trouvent refuge dans un temple et remarquent une fresque représentant un groupe de jeunes filles. Un des voyageurs tombe amoureux de l’image de l’une d’elles, et traverse cette fresque pour la rejoindre, et il y vit une romance amoureuse.

Laurence Loupe, en 1988 dans le Journal du Théâtre de la Ville présentait ainsi Angelin Preljocaj,  « Chez lui, la danse peut tout dire et faire sortir de l’inconscient, ce que le langage refoule. Et de l’histoire, ce que la mémoire des hommes n’a pas consigné ou n’a pas transmis». Ainsi la danse donne à voir l’invisible, et nous fait traverser le miroir. Pour le chorégraphe, elle crée les liens qui se nouent entre image fixe et mouvement, entre instantanéité et durée, entre vif et inerte. Derrière cette métaphore qui traverse le conte chinois, se profile la question de la représentation dans notre civilisation et la place de l’art dans la société d’aujourd’hui».

Plusieurs tableaux se succèdent et nous emportent dans une histoire teintée de surréalisme et  parfois d’une naïveté enfantine. D’autres tableaux sont très sensuels  avec ces cinq danseuses figurant la fresque derrière un voile, ou les bouleversants duos des amoureux, Yurié  Tsugawa et Jean-Charles Jousni.
Les danseurs, en costumes d’Azzedine Alaïa, sont traversés de multiples impulsions fluides et harmonieuses. Ce créateur disparu récemment s’était fait connaître du grand public  avec une robe aux couleurs du drapeau français portée par Jessye Norman  pur la célébration du bi-centenaire de 1789.  Il a toujours mis en valeur le corps féminin, comme Angelin Preljocaj, dont la danse est ici accompagnée ici d’une  belle création lumières d’Eric Soyer et d’un habillage vidéo de Constance Guisset. La musique de Nicolas Godin complète cette pièce d’une heure vingt pour dix danseurs, promise a un bel avenir.

Nous n’oublierons pas le solo plein d’énergie et de sensualité de Yurié Tsugawa, et il faut  remercier Angelin Preljocaj qui sait faire aimer la danse à un vaste public, grâce à une dramaturgie claire et  à une chorégraphie de qualité.

Jean Couturier

Théâtre de la Ville hors les murs au Théâtre National de la danse de Chaillot, 1 Place du Trocadéro Paris XVIème,  jusqu’au 22 décembre.

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