Festival quatre chemins (suite et fin)

 

Festival Quatre Chemins (suite et fin)

 Entretien avec Guy Régis Jr.

 guy régisGuy Régis Jr. a pris la direction artistique de ce festival en 2014, à la suite  de la Fokal, qui l’avait fondé à la demande d’artistes haïtiens: comédiens, musiciens, plasticiens, réunis en collectif, sous la houlette de Daniel Marcelin, metteur en scène et directeur du Petit Conservatoire jusqu’à sa fermeture en 2014. Le jeune artiste revenait d’un séjour de six ans en France. « J’ai quitté Haïti, dit-il pour croiser mon travail avec d’autres artistes, ici, je continue ».

Un long chemin parcouru depuis la création de sa première compagnie NOUS Théâtre,  avec des chanteurs, dessinateurs, acteurs, musiciens qui jouent dans la rue et sur les places comme beaucoup ici,  faute de salles. Ils rencontrent un vif succès avec Service Violence Série qui va tourner de 2001 à 2005 en France, Belgique, et aux États Unis. Ida, sa pièce la plus connue, souvent montée en Haïti et au-delà, est publiée par Vent d’ailleurs. De 2007 à 2012, en France, il est accueilli en résidence, d’abord aux Récollets à Paris où il écrit Mourir tendre. La pièce sera lue par Anne Alvaro aux Francophonies de Limoges en 2013 (voir Le Théâtre du Blog ), et publiée par les Solitaires Intempestifs comme la suite de ses œuvres…

En rentrant, Guy Regis Jr. rapporte dans ses bagages beaucoup de pièces, les siennes et celles d’autres auteurs, et aussi des artistes européens, dont Valère Novarina, venu mettre en scène  L’Acte inconnu avec les comédiens du NOUS Théâtre, pour une création aux Francophonies en Limousin 2015 (voir Le théâtre du Blog) , avant de jouer à la Maison des métallos puis en Haïti.
Nous retrouverons Guy Régis Jr. en France l’année prochaine, en résidence à la Maison des auteurs des Francophonies en Limousin, puis à la Cité Internationale à Paris pour terminer le premier volet de sa traduction en créole du Du côté de chez Swann de Marcel Proust. Enfin au Centre Inter-mondes de La Rochelle, pour un projet sur l’esclavage, à partir des archives du musée sur le trafic négrier.

  – M.D. : Pourquoi rentrer en Haïti ?

- G.R.Jr : En France, j’ai senti que les gens exerçaient un métier, ici il y a une nécessité à faire du théâtre. Je n’ai jamais rompu les ponts avec mon pays. Toutes les mises en scène que j’ai faites là-bas ont déjà fait étape en Haïti. J’ai surtout travaillé dans le milieu francophone, à Limoges, en Belgique, mais aussi à Avignon.  

 - M.D. :Comment fonctionne le Festival Quatre Chemins ?

4 chemin 2018- G.R.Jr : Il est bâti à partir d’un fil rouge et j’en profite pour organiser un mini-colloque et des ateliers  autour d’un thème. Cette année, la maltraitance des enfants; l’année prochaine « Pays Poëte Poëte Poëte, ou l’art et la politique ne font pas bon ménage ». Les ateliers dans les écoles et à l’institut Français se poursuivent toute l’année, ce qui permet de financer un peu le Festival, de faire travailler l’équipe et de payer les bureaux. Depuis le séisme du 12 janvier 2010, il n’y a plus de salles de spectacle à Port-au-Prince. La plupart des lieux investis autrefois par le Festival sont détruits. Plutôt que de le regretter, on va jouer partout.

Le Festival emploie seulement deux permanents et doit trouver chaque année les trois quarts de son budget pour le volet artistique. Majoritairement la Fokal, mais aussi Wallonie- Bruxelles International et l’Institut Français sont les principaux partenaires financiers de ce festival ouvert sur le monde. Des liens se sont tissés depuis longtemps avec le Québec, et les pays de la zone Caraïbe, mais aussi avec La Réunion.  Nouvellement, avec des artistes de la République dominicaine, le pays voisin en conflit de frontière permanent avec Haïti. Des liens existent, mais on passe son temps à regarder ce qui les délie.»  

 M.D. : Comment s’organise la formation théâtrale en Haïti ?

 G.R.Jr : A mon retour de France, j’ai a été directeur pendant deux ans de l’Ecole nationale des arts, aujourd’hui fermée, mais cela ne marchait pas vraiment. On y apprend un métier,  on ne devient pas forcément artiste.  Ici la formation des comédiens se fait par filiation. Les aînés prennent en main les plus jeunes. Daniel Marcelin a formé plus de deux mille artistes dans son Petit Conservatoire. Lionel Trouillot et Frankétienne m’ont formé :  ”C’est mon fils“ dit-il, à mon propos. Dans cette optique, Quatre Chemins propose aussi des résidences artistiques de recherche dans toutes les disciplines avec l’obligation de travailler en province, afin de décentraliser les activités culturelles. Cette année, un poète, un photographe et  un slameur ont bénéficié d’une bourse d’un mois pour rencontrer d’autres populations. »

 

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 Entretien avec Michèle Lemoine, chargée culturelle à Fokal

Festival quatre chemins (suite et fin) batiment-fokal La Fondation Connaissance et Liberté (Fokal) créée en 1995 est une fondation nationale financée principalement par L’Open Society Foundations, un réseau de fondations et d’initiatives établies à travers le monde par le financier hongrois américain Georges Soros et de promotion des valeurs démocratiques. Fokal reçoit aussi des financements de l’Union Européenne et de la coopération Française. La fondation est née pour favoriser l’accès à la connaissance et à la formation citoyenne. La lecture a été son premier cheval de bataille avec la création d’un réseau de bibliothèques de proximité dans toute l’île (acquisitions, action culturelle, formation d’animateurs). Elle intervient avec des subventions à des personnes ou des associations, dans les domaines de la culture, de l’enseignement, des médias indépendants, de la formation citoyenne, de l’environnement, et dans les secteurs marginalisés comme la paysannerie et les femmes.

Depuis 1999, Fokal soutient des artistes talentueux dans le domaine des arts et contribue au renforcement de la production littéraire et artistique haïtienne par des subventions et le renforcement des institutions locales (musées, fondations, écoles). Elle subventionne depuis le début Le Festival de Théâtre Quatre Chemins. Elle dispose aussi d’une salle de spectacle dans son bâtiment.

 Michèle Lemoine, sous l’égide de cette fondation, a dirigé le Festival Quatre Chemins au départ de Daniel Marcelin, avant de passer la main à Guy Régis Jr.  

 -M.D. : Comment a évolué ce festival depuis sa création en 2003 ?

 - M.L. : Le festival est né grâce à trois partenaires solides, Fokal , l’Institut Français et la Charge du Rhinocéros (association belge de coopération artistique). Depuis, l’Institut Français a peu de moyens, et la Charge du Rhinocéros s’est retirée ; heureusement, Wallonie-Bruxelles international et l’Ambassade de Suisse interviennent aussi. Mais, on le sait, les aides, toujours liées aux personnes à la tête des institutions, sont fluctuantes. Dès sa naissance, le festival réunit des hommes et des femmes de théâtre reconnus tels Syto Cavé, Magali Denis ou Daniel Marcelin, et d’autres, à l’orée d’un parcours artistique prometteur  comme Guy-Régis Jr et sa troupe NOUS. Le tremblement de terre a compliqué les choses  mais il a attiré l’attention mondiale sur Haïti et les artistes en ont bénéficié : des échanges se sont créés entre ceux qui sont venus ici et ceux partis à l’étranger. Pendant quelques années, la direction du Festival est retombée sur notre fondation, mais il fallait qu’elle revienne aux artistes sous forme de subventions à une association indépendante. Guy Régis Jr. a su le faire évoluer. Il a une marge de manœuvre plus large avec un grand réseaux d’artistes en Europe et en Amérique du Nord et du Sud. Il l’a aussi beaucoup ouvert sur la Caraïbe.

M.D. : Comment intervient le Ministère de la Culture ? Exerce-t-il une censure ?

M.L. Il est théoriquement partenaire, mais on ne sait jamais s’il va tenir ses engagements. Avec les troubles politiques, les caisses sont vides. Mais il n’exerce aucune censure. Les sectes religieuses protestantes parfois font parfois pression pour interdire telle ou telle manifestation, au nom de la morale…

 Mireille Davidovici

Festival Quatre Chemins à Port-au-Prince, du 20 novembre au 3 décembre. www.festival4chemins.com www.Fokal.org


Archive pour décembre, 2017

Wonderland, une histoire d’Alice et d’exil, texte et mise en scène de Céline Schnepf

©Un Château en Espagne

©Un Château en Espagne

 

Wonderland, une histoire d’Alice et d’exil, texte et mise en scène de Céline Schnepf

 

«C’est quoi, être seule ?». Cette nouvelle Alice au pays des merveilles, comme celle de Lewis Carroll, est  une jeune fille solitaire, en quête d’identité : plus tout à fait une enfant, pas encore une adulte. Valentine Basse, qu’on croirait volontiers tout juste sortie du collège, porte casque-audio, baskets, veste à capuche et sac-à-dos chargé d’espoir. Juvénile et primesautière, l’actrice campe avec justesse une adolescente d’aujourd’hui qui doit composer avec un corps en pleine métamorphose et évoluer dans un monde plus inquiétant que mirifique. L’ailleurs souterrain où elle a été catapultée, semble une sorte de taupinière terreuse et racinaire mais paradoxalement balayée par les vents. Dans ce pays d’ubris, le pouvoir excessif et les dérèglements incarnés par la fameuse Reine Rouge (très plastique et convaincante Gaëlle Mairet) trahissent un temps de crise.

Quand les termes  » droit d’asile» et « papiers d’identité » retentissent, on comprend que cette Alice est aussi un parangon de l’humanité sans terre. Créer un parallèle entre le sort des réfugiés et la crise adolescente paraît un peu tiré par les cheveux, mais pourquoi pas ? Même exil de soi, même difficulté à trouver sa place et sa voie, même lutte contre l’arbitraire, autant de pistes intéressantes. Comme dans de nombreux contes initiatiques, Alice fait donc l’expérience de la katabase, une descente aux enfers et en elle-même, pour mieux rejoindre son avenir à construire. Cette traversée est-elle la fin des illusions de l’enfance qui répudie les supers-héros ? Le dur apprentissage de l’appropriation d’un territoire ? Un rêve ? Un peu tout cela.

Intronisés par un lapin à lampe de poche descendu au-dessus de nos têtes, nous sommes séduits par l’univers visuel de la compagnie Un Château en Espagne, qui porte la marque de l’artiste Céline Schnepf. Son travail sur l’utopie et le cheminement vers les possibles est lisible dans les superbes mobiles qui tiennent de la mandragore anthropomorphe et des Monstres aux Plantes. On est aussi enchanté par l’accompagnement musical en direct qui fait figure de contrepoint humoristique aux saynètes. A jardin, sur un plateau avec batterie et cordes, deux musiciens apportent un peps burlesque et un swing entraînant, dignes d’une fête délirante de non-anniversaire (on croirait parfois entendre M-Mathieu Chedid).  Et les paroles de Frédéric Aubry sont fort intelligentes. Loin de certaines propositions commerciales bêbêtes, cet univers musical est inventif et cohérent. Conseillé à partir de treize ans, le spectacle peut être aussi savouré par des enfants un peu plus jeunes : nulle scène trop effrayante.

L’univers plastique, une vraie réussite à mi-chemin entre le cabinet de curiosités et les gravures illustrant Les Voyages Extraordinaires de Jules Verne, est émaillé par de nombreuses trouvailles visuelles, notamment les images féériques de la Grand’voile et de la Mare aux Larmes revisitée. Les jeux de masques font également mouche, mais la construction dramaturgique se révèle un peu répétitive. Dès lors qu’on a perçu les réécritures et accepté le parti-pris d’une Alice migrante, on aimerait voir certains épisodes resserrés, surtout  quand ils déploient beaucoup trop de bruit, de cris,  avec ventilateurs redondants et chorégraphies trop appuyées… sans véritable fureur libératrice. Il y a sans doute d’autres moyens de bousculer ordre, hiérarchie et pouvoir…

Ce rythme inégal sera sans doute corrigé au fil des représentations car sincérité et générosité, ici omniprésents, participent des projets poétiques menés sur le territoire par cette vaillante compagnie associée aux 2 Scènes de Besançon et au Théâtre du Merlan à Marseille. En regard des spectacles, elle offre en effet des ateliers qui tiennent à la fois du tissage et de la botanique : patience et nourriture pour les jeunes pousses, espaces où fleurit la merveille. Que pleure-t-on quand on est triste, s’interroge, par exemple, Céline Schnepf. Ne serait-ce pas le « non-sens » ? Plutôt que de choisir le désespoir, elle entraîne les habitants sur les chemins de traverse du «ré-enchantement » et invite à porter un regard neuf sur notre quotidien. Cela passe d’abord par de riches échanges en milieu scolaire dont témoigne une exposition de poèmes, gravures et récits sur le thème du rêve.

Ensuite et surtout, on vous recommande chaudement de télécharger l’application de photos conçue en écho à la création. My Wonderland, petit bijou graphique suranné, oasis de rêverie, lierre rampant dans l’urbain, il propose à chacun d’égayer des photos prises en bas de chez soi avec de petites illustrations en noir et blanc : planter un ballon dirigeable dans le ciel d’hiver, des hiboux, des cervidés et des gnomes sur nos toits, dresser une échelle au milieu de nulle part, draper un paysage ou un ami d’un rideau de théâtre… Le réel, ainsi customisé, célèbre la bizarrerie et nous rend plus attentifs à notre environnement.Egarez-vous dans les images de cette mine d’or, mais surtout participez : devenez aventurier du minuscule, chuchoteur de possibles ou défricheur de rêves !

Stéphanie Ruffier

Spectacle vu au Théâtre de l’Espace, 2 Scènes – Scène Nationale de Besançon.

Théâtre de Châtillon le 8 décembre, et au Merlan, Scène Nationale de Marseille, les 12 et 13 décembre.
 Le 6 mars à Ma Scène Nationale, Pays de Montbéliard, le 21 mars à l’Arc, Scène nationale du Creusot. Les 5 et 6 avril à la Comédie de Reims et le 7 juin aux 2 Scènes, L’Espace à Besançon.

Application gratuite : MyWonderland (ios et Android) www.mywonderland.fr

Construire le mur (Building the Wall) de Robert Shenkkan, mise en scène de Sean Devine

 

Construire le mur (Building the Wall) de Robert Shenkkan, mise en scène de Sean Devine

buildingapa_0144_2017-11-28_16-10-03 Cette pièce dont l’auteur américain, qui a obtenu de nombreux prix (Tony et Pulitzer), a aussi écrit des  scénarios pour le cinéma et la télévision qui ont retenu l’attention de tout le public  aux États-Unis. Construire le mur qui a déjà tourné aux États-Unis vient d’être créée au Canada (à Ottawa )et le public s’y  est précipité;  les œuvres de ce genre sont en effet rares chez nous!  Depuis l’arrivée de Donald Trump  au pouvoir, l’image du mur est devenu  le symbole  de son projet politico-idéologique :  une construction  qui enferme, interdit, exclut, rejette, isole, sépare…et assure une distance entre les êtres humains. La  pièce montre, avec une  simplicité  désarmante, notre glissement, presque imperceptible, vers une absence de conscience,  une indifférence qui  aboutit à la normalisation et la légitimité des gestes les plus horrifiants.  

 Rick, (Brad Long) est en prison aux États-Unis en 2019, après que l’administration ait mis en place sa  propre structure pour réaliser une «solution finale», pour se débarrasser des  nombreux indésirables qui remplissaient les prisons à la suite des lois mises en place: Rick avait en effet participé à des mises à mort. Ici, Gloria, une  chercheuse universitaire (Cassandre Mentor), l’interroge pendant soixante-quinze minutes, pour  comprendre  ses motivations. Il  avait accepté les plans les plus évidents de la droite : interdire l’arrivée des illégaux et des étrangers « qui prennent notre travail »,  et s’est retrouvé pris dans un engrenage de violence  dont il ne pouvait plus sortir. Mais il trouve toujours une justification logique à ses choix. Et quand cette logique a abouti à l’horreur imposée par l’Etat, il  était trop tard ! 

Le texte, sans être très subtil (nous comprenons exactement ce qui va se passer) révèle l’évolution de ces  politiques mises en place par des Etats totalitaires pour exterminer des  opposants réels ou  supposés tels. Un processus bien connu ! L’auteur s’inspire d’exemples récents comme ceux des sociétés chilienne, allemande, voire française pendant l’Occupation allemande. Un discours habituel dans les cinémas de ces pays  et un dénouement facile à prévoir ! Mais cette fois, il s’agit des États-Unis qui vit les premières étapes  de  la transformation d’une  société foncièrement démocratique en une sorte de camp de concentration. Et tout se passe sans que les  habitants se rendent vraiment compte de ce qui leur arrive.

Le plus bouleversant : la manière dont l’auteur montre, sans la moindre ambiguïté, l’effrayante naïveté de Rick : il ne cesse de répéter qu’il n’y pouvait  rien, puisqu’il n’avait personnellement aucun autre  choix.  Exposé à une vision du monde  qui légitime toute forme d’exclusion,  qui nourrit la peur, la méfiance  et qui  rend raciste sa population, les habitants, dont Rick  est comme  le porte-parole,  irrécupérables, deviennent  des robots que les politiques peuvent  facilement manipuler.   Rick pris dans un piège est convaincu qu’il n’a aucune responsabilité ! Le jeu de Brad Long, d’une extrême finesse,  apporte beaucoup  à cette  pièce qui aurait pu finir par une confrontation manichéenne. Il a un langage corporel, à la fois soumis et agressif,  et ses  yeux  semblent  trahir des  éclairs de douleur : il  nous incite  à  sympathiser avec ses hésitations  et son apparente impuissance : il se demande même si  la politique d’extermination  ne va trop loin!  Avec ce personnage  rendu encore plus choquant grâce à ces nuances,  Robert Shenkkan a créé le portrait d’un monstre qui était au fond, un homme tout à fait normal.  Et sans doute le plus inquiétant :  on  sent ici que des traces de cette folie reposent aussi chez nous!

 Ce portrait glace le sang: il nous fait comprendre que le « mur » du titre n’est  pas seulement une structure en fer et en béton mais une présence psychologique  et qu’il prend possession de  notre  conscience, pour  produire des créatures obéissantes incapables de voir ce qui se passe autour d’eux.  Ce grave avertissement nous frappe de plein fouet et nous incite à la vigilance. Mais trop tard! Aux Etats-Unis, le mal est déjà en marche et ceux qui partagent le monde de Rick, comme nombre d’Américains moyens, ne pourront plus revenir en arrière !

 Alvina Ruprecht

Le spectacle, produit par le Théâtre Horseshoes & Hand Grenades, a été joué au théâtre Gladstone à Ottawa, du 28 novembre au 3 décembre.

 

Testament d’après le roman de Vickie Gendreau, adaptation et mise en scène d’Anne-Marie Ouillet

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Testament, d’après le roman de Vickie Gendreau, adaptation et mise en scène d’Anne-Marie Ouillet

 En juin dernier, au  Centre des Arts d’Ottawa, Marie Brassard a monté un spectacle  à partir des textes de Nelly Arcan, une jeune écrivaine qui s’est suicidée à trente-six ans, à Montréal:  La Fureur de ce que je pense d’après son roman, premier jalon théâtral de la création auto-fictionnelle cette année, puisque l’école de théâtre de l’Université d’Ottawa  poursuit une expérience semblable.  

Selon les uns, les écrits de Nelly Arcan ont inspiré d’autres  jeunes  auteurs  et Testament, un roman de cette jeune femme dont la vie a fini aussi tragiquement, semble avoir été influencé par cette forme d’écriture; l’auteure ne manque pas de franchise et a aussi besoin de dévoiler la vérité enfouie au plus profond de son inconscient torturé.

 Vickie Gendreau est morte d’un cancer à vingt-quatre ans,  en 2013,  quelques mois après avoir écrit Testament. Les multiples voix narratrices  de ce spectacle, et bien au-delà de sa mort, nous font remonter à la dérive d’un esprit possédé par l’horreur, devant une situation sur laquelle elle n’a plus prise. Anne-Marie Ouellet, professeur au département d’études théâtrales à l’Université d’Ottawa, et responsable de ce groupe d’étudiants, a voulu cerner  cette folie  et ce désespoir  en  mettant scène une jeune  revenante,  pour que le groupe se livre à un processus d’improvisation  orale et corporelle  et ait ainsi un autre regard sur l’adaptation d’un roman à la scène. Un défi de taille surtout quand il faut gérer une dizaine de jeunes apprentis-comédiens qui ont peu d’expérience, et qui doivent partager des fragments d’un texte sans fil narratif. Avec des images qui renvoient à la vie de cette jeune femme, des phrases hachées qui cassent  la langage  avec des transformations paradigmatiques, un peu comme chez Ionesco, ce qui complique encore le travail. Curieusement, la langue de Vickie Gendreau semble renvoyer aux Chants de Maldoror de Lautréamont qui, selon André Breton, a marqué  une crise fondamentale de la littérature, en prévoyant la démission de la pensée logique et morale, un geste que les surréalistes allaient poursuivre avec férocité.  

Une écriture, beaucoup plus naïve et moins sombre que celle de Nelly Arcan, mais moins morbide que celle de Lautréamont… En tout cas,  cette adaptation s’inscrit tout à fait dans la  logique poétique d’un être qui n’en peut plus de vivre sa vie : la jeune femme a fait exploser toutes les barrières possibles. Et un refrain revient sans cesse chez elle : «Je ferme les yeux, j’ouvre les yeux ».

La mise en scène, comme la scénographie, à la fois ordonnée et chaotique, fait la part belle aux hallucinations, aux rêves, aux souvenirs  précis, ou aux images confuses.Les personnages eux passent de l’anglais au français, et  comme le texte de Vickie Gendreau, les costumes  évoquent  les  étapes de la vie transgressive de la jeune auteure. Frôlant parfois la monstruosité comme chez Lautréamont qui annonçait l’irrationnel surréaliste, les paroles de l’être inquiétant envahit la scène,  à la recherche de  rencontres  fortuites et dangereuses,  sur une table de dissection», entre «une machine à coudre et un parapluie». Dans un lent  affaiblissement, la jeune femme, moribonde, se détache des autres, et tous les corps autour d’elle respirent profondément, puis se mettent à chanceler et cessent de respirer,  et tout d’un coup, reprennent leur souffle et s’écroulent de nouveau, aussi vite.  La jeune revenante est déjà  morte et une torpeur envahit alors le plateau.

Certains étudiants articulent mal, même si d’autres  sont excellents! Même si la qualité des  volumes scéniques et des éclairages participent de cette poésie scénique, on sort un peu épuisé par l’effort de concentration nécessaire pour suivre le texte. Anne-Marie Ouillet qui a ici souvent travaillé à partir d’improvisations, aurait dû  supprimer  des répétitions dans les dernières trente minutes,  trop longues. (Mais les jeunes spectateurs étaient ravis!) Il faut quand même se laisser bercer par cet essai de mise en scène collective. Avec toute une pédagogie  corporelle et vocale, Anne-Marie Ouillet cherche à orienter ses étudiants vers un théâtre post-dramatique et on est tenté de suivre cette démarche… Son prochain spectacle est prévu au Centre national des Arts d’Ottawa !

 Alvina Ruprecht

Spectacle vu au Théâtre de l’Université d’Ottawa.

 

Antigone 82, d’après Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon, adaptation d’Arlette Namiand, mise en scène de Jean-Paul Wenzel

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Antigone 82, d’après Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon, adaptation d’Arlette Namiand, mise en scène de Jean-Paul Wenzel

 Le Quatrième Mur, prix Goncourt des Lycéens 2013 avait déjà été créé par Julien Bouffier (voir Le Théâtre du Blog). Il est ici adapté et mis en scène par deux bons connaisseurs de la chose scénique. Sur le plateau, souffle une aventure à la fois individuelle et collective, politique et existentielle. Antigone 82 relève d’un engagement pour les  valeurs humanistes d’un metteur en scène juif, Samuel Akounis, qui, en Grèce, a fui la dictature des Colonels et s’est réfugié à Paris. Il vit pour un idéal:  la réconciliation de toutes les communautés enfin apaisées. Avec une idée audacieuse mais non sans risques : mettre en scène Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth, en pleine guerre du Liban (1975-1990), avec des comédiens issus de toutes les communautés et factions ennemis.

 Chrétiens, chiites, palestiniens sunnites et druzes, joueront donc ensemble mais pour une seule et unique représentation, le temps d’une trêve militaire de trois heures, dans un cinéma délabré et situé sur une ligne de démarcation stratégique entre Beyrouth-Ouest et Beyrouth-Est.  Comme une métaphore géopolitique de tous les rapprochements. Mais Samuel Akounis  tombera malade et ce projet sera repris fidèlement par Georges, son ami, un metteur en scène français, marié et père d’un enfant. Au début, distant et attentif aux risques, il perd peu à peu réserve et prudence, pour vivre au plus près la violence que subissent les civils exposés aux tirs des snipers.

Est évoqué, ici entre autres événements tragiques, le massacre de Sabra et Chatila, perpétué, lors de la guerre du Liban, en septembre 1982, par les phalangistes chrétiens, contre les Palestiniens et les Libanais chiites. Et qu’on a supposé être une vengeance, après l’assassinat du président libanais Bachir Gemayel et le massacre de Damour. Les références historiques précises et documentées, sont portées par les comédiens dans les dialogues et récits appuyés par des indications furtives sur un écran vidéo. Dans une série de scènes qui captent l’attention du public, cerné par les  comédiens dans une disposition tri-frontale avec spectateurs à la fois dans la salle et sur le plateau. Une mise en abyme éclairante, avec théâtre dans le théâtre.

Les acteurs jouent plusieurs personnages, comme Pierre Devérines (Samuel) avec verve et énergie, Pauline Belle, son épouse amoureuse, ou Fadila Belkebla incarnant les médecins ou les femmes du peuple et s’exprimant au besoin en arabe. Hassan Abd Alrahman, musicien à l’oud, parle aussi les deux langues. Les répliques fusent ainsi violentes, en français et en arabe, et Hammou Graïa, (le guide de Beyrouth)  joue avec flamme, et réussit à introduire une tension inquiète, un doute permanent et le sentiment d’une menace proche. Il incarne l’Autre, un autre lui-même, face à Georges, héritier d’une mise en scène lourde de sens. Le guide accueille le Français et lui sert de chauffeur en zone dangereuse et lui apprend la vie en quelques scènes éloquentes, comme la conduite d’une voiture de sport dans une zone cernée par les snipers. Humour et comique, jeu distancié, profonde humanité, l’acteur est un spectacle en soi. Et ses camarades diffusent et font circuler cette capacité à s’émouvoir. Le public jeune-et moins jeune-est tétanisé.

A côté des Chiites, Chaldéens et Arméniens, et en face d’Hémon, un Maronite de Gemmayzé, et un Druze du Chouf joue Créon, roi Thèbes:  Antigone, elle, est palestinienne et interprétée par Lou Wenzel, précise et juste, qui danse et chante aussi sur des musiques orientales traditionnelles. Au-delà de la guerre et ses violences,  un beau spectacle, et réjouissant entre Histoire, pensée politique et vie quotidienne…

 Véronique Hotte

Spectacle vu au Théâtre du Figuier Blanc à Argenteuil (Val d’Oise) le 30 novembre.

L’Orange Bleue-Théâtre d’Eaubonne (95), 7 rue Jean Mermoz, le 8 décembre.

Théâtre Dijon Bourgogne/Centre Dramatique National de Dijon, du 16 au 19 janvier.

 

 

Festival Quatre Chemin à Port-au-Prince ( suite)

Festival Quatre Chemins  à Port-au-Prince (suite)

 25 novembre

 IMG_0163Debout de Nathalie Papin, lecture dirigée par l’auteure à l’issue d’un atelier avec des lycéens

Cette histoire d’enfant battu qui se cherche une nouvelle mère coïncide avec la thématique du Festival. Le gamin, découvert par le fossoyeur au fond d’un trou au cimetière parce qu’il veut mourir, va rencontre,r grâce au vieil homme, un aréopage de Mères. Difficile d’en choisir une de remplacement … Les enfants se sont approprié ce texte avec appétit, et en font ressortir la drôlerie et la poésie, sans gommer la gravité du destin de ce petit garçon baptisé debout par le fossoyeur. En parallèle, les filles ont aussi travaillé à la lecture de Mange moi, de la même autrice.

Ces ateliers menés toute l’année par l’équipe des Quatre Chemins en milieu scolaire donne accès à des textes de théâtre exigeants, et permettent un rapport  direct et vivant  à la langue française -seconde langue officielle après le créole-et contribue à la formation de futurs artistes et/ou spectateurs.

 Mount Olympus/To glorify the culture of tragedy réalisation de Jan Fabre, Dag Taedelman et Jersey Olyslaegers

Plus qu’une performance, c’est d’un exploit dont ce film est la trace. Vingt quatre heures de projection, pour un spectacle qui a la même durée: interprètes, machinistes et dramaturges ne quittent pas le plateau! Avec des moments de pause, de sommeil, de rêve… le public de la performance comme celui du film peut entrer,  sortir et revenir à sa convenance.

La construction de la pièce en longs tableaux le permet. Jan Fabre a toutes les audaces dans cette exploration en images des mythes et de la tragédie grecs. Cruauté et décadence orgiaques chez les Dieux, douleurs chez les humains. Du sang, beaucoup de sang sur scène, où s’amoncellent des pièces de boucherie. « Too much blood, too much gore, blood and gore will be everywhere » ( Trop de sang trop d’horreur, sang et horreur seront partout ). Parmi une quarantaine de dieux, on reconnaît Zeus, Déméter,  et bien entendu Dionysos présidant aux déchaînements de l’Olympe.

Parmi les personnages tragiques, Andromaque se lamente devant le corps de son fils, en rassemblant des abattis sanguinolents. Œdipe se crève les yeux et saigne … Saisissante aussi cette séquence où les divinités font l’amour avec des plantes. Point besoin de connaître tous les mythes et les toutes les tragédies pour saisir ces magnifiques tableaux, issus de l’art toujours renouvelé de l’artiste et chorégraphe belge. Un exploit esthétique mais aussi physique !
 On se souviendra longtemps de cette interminable séquence de saut à la corde avec des chaînes, jusqu’à épuisement des danseurs: «Oeil pour œil, le rythme de la vengeance est mon histoire…La lune est morte et le soleil va mourir »,   répètent-ils ad libitum jusqu’à ce que le public reprenne ces phrases en répons. Bien sûr, une séance de cinéma donne seulement une idée de ce que fut ce spectacle mais constitue un hommage à ce grand artiste. La participation de la Belgique (côté Wallonie Bruxelles) se trouve mise en avant  dans ce festival avec la présence  de Fabrice Murgia.

 27 novembre:

À la librairie La Pléiade

 photoCette grande librairie, entièrement reconstruite après le séisme de janvier  2010, s’ouvre régulièrement à des événements littéraires et à des signatures. Ses rayons offrent un grand choix de livres, surtout  en français et en créole.  Sa directrice, Solange Lafontant, libraire de père en filles, se bat avec sa sœur qui tient une succursale à Pétion-Ville, pour maintenir cette  librairie. Avec peu d’aides, sauf la prise en charge par  notre pays, d’une partie des frais de port des livres français. L’essentiel des revenus provient d’achats par les écoles, les bibliothèques et les universités. On y découvre aussi des CD de musique haïtienne.

 Une Enfance haïtienne, publication collective réunie par  Guy Régis Jr. , lecture et signature

 Dix écrivains haïtiens publient dans ce recueil,  de courts récits d’enfance. Qu’ils remontent aux sources de leur histoire ou de leur imaginaire, ils font entendre dans une langue inventive, des échos de leur jeunesse. On a pu en entendre cinq brefs extraits, un échantillon d’approches plurielles. Le livre est publié aux éditions Gallimard.

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reconstruction

 Reconstruction texte et mise en scène de Guy Régis Jr.

Programmée exceptionnellement hors Festival, cette farce politique savoureuse épingle un président et sa cour de ministres, tous corrompus, qui s’en mettent plein les poches avec l’argent donné au pays pour la reconstruction. La comédie politique en forme de vaudeville rencontre un grand succès public  et cette reprise, décidée au dernier moment, affiche complet au Yanvalou.
Conçue pour un théâtre de tréteau et destinée à être jouée en plein air, le pays manquant de salles, la mise en scène est simple, efficace, malgré le jeu souvent forcé de  certains acteurs.

 28 novembre:

Écorchée vivantes publication collective réunie par Martine Fidèle. Lecture et signature en présence  les auteures, à la Librairie La Pléiade

 

écorchées vivantes

écorchées vivantes

« Chair interdite, le sexe des  femmes attire le désir autant que la haine et la convoitise, autant que la peur. Neuf femmes haïtiennes tentent de dire les maux/mots tracés au scalpel dans le corps des femmes » écrit Yanick Lahens à propos de ce recueil. Chaque écrivaine évoque, à sa manière, les  violences faites au pays et en particulier, aux femmes : battues violées et prostituées. Avec des paroles crues mais pleines de tendresse et de poésie : « Je trébuche sur ton ciel. Je vomis la langue que je ne parle qu’en petites faims. Il m’arrive de vivre. De poignarder les rêves ( …) Je danse avec la saleté du quotidien, avec la rage des lunes disparues … » écrit Kermonde Lovely Fifi, dans la premier texte de ce recueil publié aux éditions Mémoire d’encre. Le texte de  Martine Fidèle clôt le livre avec ces mots :  « On roule ensemble dans l’anathème. J’affronte l’œil malsain des hommes. Je glisse dessus. Plonge dans ma chute. Demain est une quête d’horizon./ Depuis j’apprends à marcher.» L’ouvrage est ponctué de courts inserts comme : « Le pays est en proie au chaos depuis le tremblement de terre. La mère laisse la fille prendre part à la reconstruction de manière brutale. Et maintenant…». Un style concis, des phrases rythmées, une prose poétique, telle est la langue de ces jeunes femmes, entre pessimisme et foi en l’avenir

 Chemin de fer de Julien Mabiala Bissila, mise en scène et interprétation de Miracson Saint-Val.

Transposé dans le contexte haïtien, la pièce de l’auteur congolais, qui a reçu le prix RFI 2014 ( voir Le Théâtre du blog) prend une tonalité différente. Un homme raconte. Les trois mouvements, les trois   « souffles », du récit se déroulent d’abord aux urgences d’un hôpital , où  “une colline de cadavres s’empile à l’entrée »; puis, dans un train qui fuit les massacres, sorte de vaisseau fantôme «sur un chemin de chair, sans retrouver son chemin de fer » ; enfin, dans un hôtel pour une partie de jambes en l’air, interrompue par les bombardements. Au milieu de ce tohubohu, le protagoniste ne perd pas son humour.

 L’adaptation par Miracson Saint-Val de ce long monologue à voix multiples en une heure  seulement, privilégie des épisodes parlants pour le public d’ici, notamment le dialogue avec les morts. Le comédien s’appuie sur le vaudou, avec des chants empruntés à ce rituel qui ponctuent sa mise en scène. Même  pour un public non initié, les horreurs de la guerre civile au Congo renvoient à la dictature des Duvalier père et fils, accompagnés par ses Tontons macoutes qui sévirent  de 1958 à 1986… Avec un jeu très expressif, proche de la performance et parfois de la transe, le comédien établit une complicité presque charnelle avec un public très réactif,  par rapport au public occidental.

Miracson Saint-Val s’inspire, dit-il,  du dynamisme et de l’énergie du cérémonial vaudou»,  et de  «comment les gens en transe portent leurs corps, quand ils sont chevauchés». Dans cette arrière-salle de restaurant Yanvalou, exigüe et à l’acoustique difficile, on mesure quand même les potentialités de ce travail en cours qui trouvera sans doute son allure de croisière après ces deux premières représentations.

 30 novembre

Heimaten présentation de l’étape haïtienne d’un projet d’Antoine Laubin, à la Direction nationale du livre

Depuis la Belgique, Antoine Laubin interroge la notion de «chez moi» que chacun porte selon sa langue et son pays. Après un dialogue organisé entre deux acteurs belges francophones et deux acteurs allemands, en ex-RDA, il est venu en Haiti pour mettre en présence sa compatriote, l’actrice et auteure Caroline Berliner et le comédien haïtien Albert Moléon.
Ils  nous livrent ici une première étape de leur travail, en forme de conversation. Où l’on découvre, malgré les différences, beaucoup de points communs, quand leur histoire familiale converge avec l’Histoire. … La prochaine étape mènera Antoine Laubin en Egypte. En fin de parcours, naîtra un spectacle mais en 2020…

 La Faute à  la vie de Maryse Condé mise en  en scène de Billy Eleucien

 Deux femmes, l’une noire, volubile, alerte,  et l’autre blanche, mélancolique, clouée dans un fauteuil à la suite de plusieurs deuils…Au cours d’un dialogue d’abord quotidien, puis de plus en plus vif, elles vont creuser le passé et exhumer des secrets qui les unissent, autant qu’ils les séparent…

Elle creuse les rapports complexes qui se sont tissés dans cette amitié entre une intellectuelle blanche et une femme du peuple antillaise. Relations de classe, de race, mais aussi liens indéfectibles… La compagnie haïtienne Foudizè Théâtre, mise à l’honneur dans ce festival avec plusieurs spectacles, a coproduit La Faute à la vie avec Le Théâtre du bout des doigts basée à Agen: l’actrice et metteure en scène  Sylvie Laurent-Pourcel est une habituée des Quatre Chemins…

 Le spectacle, dans un décor du quotidien, parvient à accrocher le public, après un démarrage difficile aux dialogues un peu convenus . La grande écrivaine guadeloupéenne  est plus à l’aise dans ses romans que dans une écriture théâtrale, mais on retrouve au fil de la pièce, l’univers tendu et la complexité des personnages qu’elle porte en elle.  La comédienne haïtienne Joanne Joseph et Sylvie Laurent Pourcel forment un couple au physique et au caractère contrasté, où le jeu de la Française paraît un peu superficiel et composé.

 

IMG_0166Je suis Gaëlle de et par  Gaëlle Bien-Aimé

L’autrice et comédienne incarne une trentenaire  avec dreadlocks et aux idées non conventionnelles qui  se heurtent aux préjugés sociaux entravant la vie des femmes. L’humour croise la satire dans ce brillant solo: solide et hardie, la comédienne épingle sans concession, les petits et grands travers de son pays. Elle affirme son féminisme et se moque du mariage, du machisme, de la maternité, de l’école, des hommes politiques, des modes musicales … Avec un sens de la formule, tantôt en français, tantôt en créole, elle met le public dans sa poche: rires et commentaires fusent de la salle.  En une heure et demi, elle nous communique une belle énergie.

Gaëlle Bien-Aimé fait preuve de la même détermination dans la vie que sur scène, et s’apprête à fonder une école de comédie. Grâce à sa force de conviction, le projet est sur le point d’aboutir.

( À suivre)

 Mireille Davidovici

 

 

Les Autres, quatre courtes pièces de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Jean-Louis Benoit

 

Les Autres, quatre courtes pièces de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Jean-Louis Benoît

 

©Bohumil Kostohryz

©Bohumil Kostohryz

Dans la préface des Courtes de Jean-Claude Grumberg, Claude Roy note: «Ce qu’ont de commun les personnages quotidiens de Grumberg et les obscurs maniganceurs du destin, qui, dans la coulisse, perpètrent les guerres et les massacres, les pogroms et les camps, les tyrannies et les humiliations, c’est l’aveuglement. Les hommes ne savent pas ce qu’ils disent… Bien sûr, pour être capable de rire de la sottise ou de la naïveté des victimes et de la cécité des bourreaux, il faut une certaine distance. »

Ce spectacle est composé de quatre pièces courtes de Jean-Claude Grumberg : Michu et La Vocation créées en 1967 par Frédérique Ruchaud à L’Epée-de-Bois ; Les Vacances et La Rixe sont créées en 1968 à Amiens par Jean-Pierre Miquel, et La Rixe encore est présentée en 1971 à la Comédie-Française par Jean-Paul Roussillon.. Xénophobie, racisme, antisémitisme, homophobie, anticommunisme primaire comme haine viscérale des forces de police, ces pièces satiriques ont été écrites dans les années 1960 par un jeune homme attentif à l’Histoire qui pensait que les caricatures grotesques et dangereuses des travers populaires s’amoindriraient avec le temps.

Nulle  amélioration politique des consciences, mais, observation amère pour le spectateur, la permanence de points de vue réactionnaires d’une extrême droite populiste. Domine ici la sacro-sainte famille, avec l’autorité abusive paternelle, la soumission maternelle et des enfants à peine existants. Le père s’interroge dans Michu de ce que l’autre-un chef ou collègue -pense de lui : est-il pédéraste, communiste, juif ? En rêve, la nuit, Michu l’accuse, et l’épouse rassure le dormeur au matin, l’invitant toutefois à « remonter la pente ». Dans Les Vacances, le père, en grand seigneur, fait voyager sa famille en terre étrangère. Pourtant, pas facile de s’ouvrir à la langue des autres, à leurs cuisine,  culture et coutumes. Mieux vaut rester chez soi et ne pas essuyer de bévues. Et les quiproquos entre le serviteur autochtone et les touristes errants sont savoureux.

 Quant à La Rixe, une pièce facétieuse mi-figue mi-raisin, le père qui a peur des autres ou lui-même, s’en prend, pour une histoire de voiture et de priorité, à un conducteur maghrébin qu’il ne cesse d’accuser de tous les maux. Carabine à l’appui, il crache une logorrhée d’injures et d’insultes, et se replie dans son appartement cerné par la police. Le père pense évaluer le danger et, en en juge inapte et inepte, commente la situation.

 Le père encore, dans La Vocation,  veut soutenir son fils dans le métier qu’il choisira carrière mais pas  dans la police, ce que pourtant le fils désire . Face au veto paternel, le fils décide de quitter le foyer. Mésentente, méprises et maladresses, les êtres ne s’écoutent guère. Vie difficile ou maussade:ils sont  pleins de haine pour eux-mêmes,  désignent les autres comme coupables et jugés responsables de leurs propres maux.Réceptifs aux miroirs aux alouettes et à la voix des populistes qui stigmatisent si aisément les minorités, les personnages des Autres, figures à la fois comiques, burlesques et alarmantes et sinistres, inquiètent.

 La mise en scène de Jean-Louis Benoît, dans une remarquable scénographie de Jean Haas avec châssis mobiles,  lit, table de restaurant et portes qui claquent, provoque un rire amer ,compulsif, tant la vision du tableau est juste. Philippe Duquesne (le père)  rafle la mise, avec la composition d’un affreux bonhomme raciste, violent et incapable d’ouverture. Il prend un malin plaisir à noircir encore la laideur pitoyable de ce anti-héros. Nicole Max joue très bien cette épouse  qui ne s’en laisse pas conter et qui résiste aux attaques. Quant aux fils, (Pierre Cuq et Stéphane Robles), ils n’en mènent pas large, comme attendu, observateurs muets et le plus souvent craintifs face au père. Et le restaurateur autochtone d’un pays étranger, n’en fait qu’à sa tête. De l’humour noir à l’ironie étincelante… Cela résonne fortement avec les temps présents!

 Véronique Hotte

 Théâtre de l’Épée de bois,  à la Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 23 décembre. T: 01 48 08 39 74.

 

Clérambard de Marcel Aymé, mise en scène de Jean-Philippe Daguerre

 

Clérambard de Marcel Aymé, mise en scène de Jean-Philippe Daguerre

 

© Grégoire Matzneff

© Grégoire Matzneff

Marcel Aymé (1902-1967)  cet écrivain d’origine franc-comtoise est encore connu par ses Contes du chat perché mais aussi par certains de ses nombreux romans comme La Table aux crevés, La Vouivre, ou surtout Travelingue. Il a aussi écrit des pièces qui on l’a oubliées aujourd’hui mais qui connurent un grand succès dans les années cinquante. Comme entre autres, La Tête des autres,  un virulent plaidoyer contre la peine de mort mais aussi contre les procureurs, mais aussi Lucienne et le boucher, et  Clérambard, créé en 54 avec Jacques Dumesnil dans le rôle-titre, puis en 86 avec Jean-Pierre Marielle. Une autre reprise bien plus tard en 2008, avec Jean-Marie Bigard  fut un échec… Question de mise en scène, de distribution mais aussi sans doute de rencontre avec un public qui n’était plus du tout le même cinquante ans plus tard.

Même si le langage -le plus souvent très incisif- comme le scénario sont restés des plus truculents. Marcel Aymé, on l’oublie souvent, a aussi écrit le scénario de plusieurs films dont La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara et a traduit Arthur Miller et Tennessee Williams. L’écrivain pourtant a eu une carrière presque en marge des milieux littéraires parisiens, et fut cordialement détesté: dans son théâtre et ses romans, des plus caustiques, il n’épargna personne : snobs, magistrats, grand bourgeois ou nobliaux. D’abord réputé de gauche, mais plutôt inclassable sur le plan politique, il n’était jamais là où on l’attendait. Il soutint Mussolini quand il envahit l’Ethiopie mais travailla avec Louis Daquin, réalisateur marxiste et en même temps, ne se gêna pas pour écrire des articles -sans toutefois aucune connotation politique mais quand même!- dans Je suis partout, un journal des plus collaborationnistes!
Et il travailla à la Continental films, une agence sous direction allemande, ce qui lui valut des ennuis à la Libération. Et il soutint son ami Robert Brasillach qui fut tout de même condamné à mort et exécuté, puis Louis-Ferdinand Céline !

Donc, on dira plutôt anarchiste de droite… En homme méfiant et sans illusions sur la société, Marcel Aymé pourfend dans son théâtre, l’hypocrisie, les relations humaines sur fond de cupidité et d’injustice. Logique avec lui-même, il restera à l’écart des honneurs, des puissants et des politiques de tout bord, refusant d’entrer à l’Académie Française comme aux réceptions à l’Elysée. De quoi se faire bien voir par tout le monde!

Cette comédie grinçante se passe dans le milieu de la noblesse ruinée. Dans son château délabré qu’il veut à tout prix conserver, le comte de Clérambard est un tyran qui fait travailler sa  femme, son fils et sa belle-mère sur des métiers à tricoter et il vend les gilets à prix dérisoires. Pervers et méchant, il tue des animaux domestiques pour améliorer l’ordinaire de sa famille.
Le curé de la paroisse, délégué par Maître Galuchon, l’avoué local -autrefois officier ministériel et auxiliaire de justice- vient lui proposer un marché: Octave de Clérambard son fils, épouserait la plus jeune des Galuchon: ni très belle ni très futée, elle a cependant une « belle » dot comme on disait alors.
Il y a mieux parmi ses sœurs, mais ce serait plus cher ! Cette opération juteuse -il oubliera vite le cynisme du marché- lui permettrait en tout cas de sauver son château et de faire vivre sa famille. Un peu comme Georges Dandin, paysan qui veut s’allier à s’allier à l’aristocratie  et qui le payera cher, Galuchon rêve que sa fille puisse un jour devenir comtesse, même s’il faut y mettre le prix ! Vieille histoire humaine, encore valable sous des aspects différents…

Mais soudain, le comte va avoir une vision extraordinaire : Saint-François d’Assise lui apparait et lui reproche de ne pas bien traiter les siens et lui donne son livre à lire. Le comte alors comme foudroyé par la grâce,  décide en fou de Dieu qu’il est devenu, de protéger les animaux y compris les araignées dont son château pullule, d’acheter une roulotte pour y faire vivre toute sa famille et il ira sur les routes prêcher la bonne parole…
Et  il refusera aux Galuchon qui le prennent très mal, de marier son fils à leur fille. Il veut en effet se marier lui, avec une très jeune et belle prostituée du secteur, dite la Langouste, très à l’aise dans son activité qui ne lui déplait pas du tout. Clérambard, lui, la trouve charmante et considère qu’après tout, elle est victime de la société… Il serait même tout près de céder à ses charmes, comme le fait régulièrement lui, Maître Galuchon. On est ici en plein délire à la Georges Feydeau.

Et cela donne quoi sur le plateau, cette histoire à l’humour des plus noirs, sur fond d’extrémisme religieux et de bêtise humaine?  «Misant sur le nombre et la qualité des interprètes, dit Jean-Philippe Daguerre, la beauté et le réalisme des costumes, le spectacle file à un rythme très soutenu (…) la mise en scène balaye conventions et faux semblants avec une belle allégresse. » Malgré cette auto-congratulation, le résultat n’est pas tout à fait à la hauteur! Interprétation inégale, malgré Grégoire Bourbier (le curé et Saint-François d’Assise), Frank Desmet (Clérambard) et Antoine Guiraud (le vicomte), et surtout Flore Vannier-Moreau, tout à fait excellente dans un double rôle -toujours un merveilleux cadeau pour une jeune actrice- de la Langouste, pétillante et drôle et d’Evelyne, la fille sosotte des Galuchon.

Mise en scène honnête -les costumes sont malheureusement assez laids- mais sans grande invention et dramaturgie aux abonnés absents. Il aurait sans doute fallu couper en effet quelques scènes de cette comédie un peu longuette et accélérer le rythme. Et pourquoi ne pas avoir situé la pièce de nos jours? Cela aurait été plus convaincant, l’actualité nous en donne sans cesse des exemples… Par ailleurs, Jean-Philippe Daguerre aurait pu nous épargner ces petits scènes jouées dans la salle: cela fait vraiment faux théâtre d’avant-garde et n’étonne plus personne mais semble être la marque de fabrique du Théâtre 13 ! Et surtout cela manque totalement d’efficacité!

A voir, si vous n’êtes pas trop exigeant. Si vous voulez découvrir cette pièce maintenant bien peu connue mais qui n’a rien perdu de son mordant soixante ans après sa création, mieux vaut la lire ou voir le film qu’Yves Robert en avait tiré avec Philippe Noiret…

Philippe du Vignal

Théâtre 13/Jardin 103 A boulevard Auguste Blanqui, Paris XIII ème, jusqu’au 23 décembre.

 

Les Soliloques du Pauvre de Jehan Rictus, par Vîrus

 

Les Soliloques du Pauvre de Jehan Rictus, par Vîrus

 Poète des sans-voix et des «p’tits vannés parigots», Jehan Rictus fréquentait le Montmartre anarchiste d’avant 1900. De son vrai nom: Gabriel Randon, ce chansonnier invente et interprète ce personnage de Jehan Rictus (un presque anagramme de Jésus-Christ). Sa gouaille inimitable et son engagement lui valurent vite le succès. Il publiera Les Soliloques du pauvres en 1897, une poésie du bitume et des pauvres avec un langage argotique singulier.

Le rappeur Vîrus a puisé dans ce recueil pour en faire d’abord un disque, puis un spectacle/concert littéraire,  avec la participation de Jean-Claude Dreyfus, fin connaisseur du poète. Assis à la table, il lira quelques passages, et de sa voix grave ici sonorisée,  il hurle et éructe les mots de Jehan Rictus. Accompagné par un D. J., il enchaîne les titres : la langue du poète se marie bien avec le rap, même quelque cent vingt ans après, comme si ces vers avaient été écrits pour ce style de musique.  Vîrus ne cherche pas à interpréter un personnage mais  propose un concert brut de décoffrage, avec tous les attributs du rap. Rictus, c’est lui. On se souvient de Pierre Brasseur, interprète mémorable du Revenant,  dialogue entre  un clochard et Jésus.

 Avec un accompagnement musical pourtant peu original, Vîrus est «rentre-dedans» et sa rythmique simple  nous accroche vite. Jean-Claude Dreyfus, invité exceptionnel, apparait sporadiquement et on regrette que son personnage ne soit pas plus construit. Mais, malgré le manque de complicité scénique entre  eux, leurs univers-à priori éloignés-se rencontrent quand même. Outre le plaisir d’entendre la poésie de Jehan Rictus, cette proposition mélange les publics, comme ce soir, à la Maison de la Poésie, où de jeunes amateurs de rap côtoyaient  le public habituel des théâtres. Rien que pour cela,  le spectacle valait le coup !

 Julien Barsan

Spectacle vu le 28 novembre à la Maison de la Poésie, 157 Rue Saint-Martin, 75003 Paris. T: 01 44 54 53 00.

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Les Monstrueuses de Leïla Amis, mise en scène de Karim Hammiche

 

Les Monstrueuses de Leïla Amis, mise en scène de Karim Hammiche

lesmonstrueuses-5 Dans une quasi-obscurité, une silhouette féminine déambule lentement. Le silence se fait. Elle s’avance au centre du plateau, s’arrête, éclairée par une douche de lumière chaude. La Majmouna, la femme folle, la lune, les hyènes : tout un univers défile dans notre imaginaire à l’écoute du prologue, un texte  ancestral, proféré et dansé par cette jeune femme, dont les gestes  ont une gracieuse animalité : « Bientôt
 dehors
 on entrevoit dans le brouillard de l’aube, la folle sortir du campement en courant, à l’heure où les chèvres s’éveillent (…) »Dès les premiers instants, et jusqu’à la fin, un voyage, étrange, poétique, et messager de la condition féminine d’hier et d’aujourd’hui …«Le monstre vient à l’aube de l’enfance
. Le monstre vient le matin où la fille meurt pour que naisse la mère ».

 Il s’agit bien ici d’un voyage à travers plusieurs générations de femmes : femmes  du Yémen qu’elles quitteront pour la France, et  relations mère-fille inscrites dans un aller-retour constant entre les deux  pays. Leila Anis endosse avec virtuosité tous les personnages féminins de cette lignée familiale, de la fin du XIXème siècle jusqu’à nos jours. L’histoire commence au mois de mai 2008 : «Je m’appelle Ella, j’ai trente ans». L’espace-temps est ici fragmenté, et s’ajuste à l’état de conscience et à la mémoire d’Ella : -Le médecin:« Où êtes-vous née mademoiselle ? Vous êtes sûre de ne pas connaître Ella ? » Ella : « Je ne connais pas d’Ella. Je m’appelle Jeanne-Emilie Mouche, je suis née à Paris en 1893. Mon père m’a accompagné pour le voyage de Castres en 1910, Edouard-Paul Pelissin avait demandé ma main, par l’intermédiaire de mon oncle.(…) »

Ella fait vivre et devient-pourrait-on même penser-toutes les figures féminines de cette famille. Est-ce dû au traumatisme reçu en apprenant la nouvelle ? Ella est enceinte, et « les histoires de nos ventres sont des horreurs (…) tu ne choisis pas le monstre,
 tu le reçois des mains de ta mère, 
à ta fille tu le donneras. 
Monstre tu as été, Monstre tu engendreras (…) L’utilisation plastique et graphique des éclairages fluo avec des effets de lumière colorée, donnent une lisibilité temporelle,  spatiale, et psychique, à ces différents fragments de vie; à travers une succession de tableaux, à la manière de portraits existentiels animés,  l’espace mental d’Ella  est ainsi mis en représentation :  « (…) Le vent a la langue froide
 il lacère mes bras,
 je les replie sur mon ventre sec (…) Je sors du laboratoire un pas devant l’autre, 
ne tombe pas Ella,
 je ne respire plus
 des fourmis m’envahissent des orteils aux mollets, ne tombe pas, Ella ».

Comme le confirme l’autrice, nous entrons dans ce spectacle comme «à l’intérieur d’un rêve, à partir duquel surgissent et se déploient les époques et figures féminines de l’histoire». Pensées, sensations et  fantasmes de ces quatre femmes-sorte de personnages testamentaires- sont ici interprétés par Leïla Amis qui a aussi écrit le texte.  Dès lors, se forme un paysage de la condition des femmes et de son évolution (sur un siècle), de leur souffrance et de leur espérance. Tout ici possède une rare qualité anthropologique, politique et dramatique.

Il faut saluer ici le jeu remarquable de Karim Hammiche (le médecin) qui est aussi le metteur en scène de la pièce et de Leïla Anis remarquable, notamment quand elle chante Lhomme au piano  avec  une voix impressionnante de sensibilité. Très tôt, Ella s’identifie à Edith Piaf :  «Quand j’étais enfant, je me suis dit un jour  que je n’avais  jamais rien entendu de plus beau que la voix d’Edith Piaf». Le prénom de Rosa, autre personnage féminin de l’œuvre, rappelle une autre figure féminine engagée et légendaire, Rosa Luxemburg, ou bien encore le prénom de Jeanne… »
 Toutes ces femmes choisirent de prendre envers et contre tout, quitte à en mourir,  leur destinée en mains.

Le public est emporté dans le tourbillon de ces existences terribles, toutes marquées d’abord par l’obligation d’apprendre à se taire, par la honte et  la culpabilité.  Toutes aussi empreintes d’un désir de vivre coûte que coûte, d’un sens de l’honneur: celui d’être une femme. Et d’avoir accès en toute dignité à la parole, pour trouver la liberté d’être, tout simplement. Cette mise en scène participe de cette résilience, à travers une écriture poétique et sensuelle, exprimée avec beauté tout au long du spectacle !  

Elisabeth Naud 

Maison des Métallos 94 rue Jean-Pierre Timbaud,  Paris XIème. T01 47 00 25 20, jusqu’au 11 décembre.

Théâtre en Pièces  Eure et Loir, les 12 et 13 janvier .

Atelier à spectacle, Scène conventionnée de l’Agglomération du Pays de Dreux, le 13 février.Théâtre de Fresnes, le 16 février.   Théâtre de la Tête noire, Saran (Loiret) Scène conventionnée écritures contemporaines, les 15 et 16 mars. 

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