Macbeth de William Shakespeare, adaptation et mis en scène de Stéphane Braunschweig

 

Macbeth de William Shakespeare, traduction de Daniel Loayza et Stéphane Braunschweig, mise en scène de Stéphane Braunschweig

 

©ELIZABETH CARECCHIO

©ELIZABETH CARECCHIO

Cette tragédie du grand Will écrite vers 1599, retrace le règne sanglant de ce Macbeth qui, au XIème siècle, fut le sauveur de l’Ecosse; un criminel dévoré d’ambition mais que le sentiment de culpabilité  fera sombrer peu à peu, lui et son épouse, dans la folie absolue. Au début, il y a un orage furieux et trois sorcières disent qu’elles vont bientôt rencontrer Macbeth et lui annoncer qu’il va devenir roi et que Banquo aura des enfants qui le deviendront. On annonce à Macbeth que le roi l’a nommé thane de Cawdor. Le roi Duncan proclame héritier son fils Malcolm,  et dit qu’il va passer passer la nuit chez Macbeth. Sa Lady le pousse à tuer le roi, et Macbeth accepte. Ils  vont enivrer ses proches du roi pour qu’il se taisent, et ensuite les accuser du meurtre le lendemain.

Macbeth poignardera le roi endormi. Lady Macbeth enduira de sang les proches de Duncan ivres pour les rendre coupables. Le lendemain matin, Macduff, arrive au château. Le portier l’introduit, et il découvre le corps du roi. Et Macbeth tue aussi  ses proches par précaution, avant qu’ils n’aient le temps de protester de leur innocence. Les deux fils de Duncan, Malcolm et Donalbain s’enfuient. Macbeth  prend le pouvoir mais Banquo rappelle ce qu’ont prophétisé les sorcières. Macbeth  qui a alors très peur  de perdre le pouvoir, veut faire assassiner Banquo et son fils Fléance. Mais Banquo seul mourra, et Macbeth en proie à des hallucinations voit alors son fantôme  à sa place. Lady Macbeth effrayée demande aux convives de  partir…

Macbeth demande aux sorcières de lui dire la vérité. Elles lui disent de folles prophéties  non réalisables rassurent Macbeth, mais  quand il demande si les descendants de Banquo règneront, il voit des rois qui ressemblent à son ami assassiné. Les sorcières disparaissent ensuite. On annonce à Macbeth que Macduff s’est enfui en Angleterre. Il fait alors assassiner sa femme et son fils.

Traumatisée, et rongée par la culpabilité, Lady Macbeth  est atteinte de somnambulisme  et veut laver le sang de ses crimes qu’elle croit voir sur ses mains. En Angleterre, Macduff que soutiennent les nobles écossais, apprend la mort de ses proches et va alors marcher avec son armée contre Macbeth… Armé qui se camoufle sous des branches d’arbre. Lady Macbeth en proie à la folie se suicidera et lui; lucide et désespéré, ne voit plus aucun sens à la vie et commence à avoir peur, mais en même temps pense aussi qu’il n’a rien à craindre. Dans la bataille Macbeth retrouve Macduff. Macbeth de son côté, sent bien que la mort approche, et Macduff effectivement  réussira à  le tuer. Malcolm dit simplement qu’enfin l’ordre règne et qu’il est devenu roi.

Cette tragédie du grand Will avec plus d’une vingtaine de personnages-très difficile à monter- fait toujours rêver de nombreux metteurs en scène mais peu sont arrivés à en donner une version crédible… Dans la dizaine de Macbeth que nous avons vue, nous avons encore le souvenir de celle de Jean Vilar, surtout pour l’interprétation: il jouait le rôle-titre avec la grande Maria Casarès. Et celle de Matthias Langhoff sur le grand plateau nu à Chaillot. Et enfin, pas entièrement réussie mais très impressionnante, la réalisation dans une vraie forêt près de Montbéliard, d’Hervée de Lafond et Jacques Livchine (voir Le Théâtre du Blog).

 Ici, sur le plan technique, c’est du beau travail, comme les techniciens des grands théâtres savent faire mais cette mise en en scène tourne à vide. Cela commence mal. Dans un haut décor de murs aux carrelage blanc, les trois sorcières enceintes assises sur un seau débitent leur texte sans y croire-on les voit ensuite accoucher d’un bébé en plastique! (Rien ici, décidément ne nous sera épargné!) Et il faut ensuite se pincer pour croire une seconde à un climat de guerre civile. Et  quelques fracas de tonnerre n’y suffisent pas. Une fois de plus, Stéphane Braunschweig a cédé à sa fascination de concevoir lui-même un beau décor-ici envahissant et sans doute coûteux-qui bouffe littéralement les acteurs. Mais de véritable scénographie qui les aiderait dans leur jeu…Que nenni ! Et il n’y a guère d’empathie avec le public des personnages qui se trouvent souvent en fond de scène.

On a ainsi droit à une salle à manger d’apparat, avec des motifs dorés sur les murs blancs-ceux de la Royauté à Versailles, ou de la République à l’Elysée? Mais un peu nouveau riche-avec un grande toile représentant  une femme dénudée mais assez mal peinte (volontairement?), deux cheminées en marbre côtés cour et jardin.  Il y a aussi une grande salle toute carrelée de blanc qui figurera un temps une cuisine avec grand réfrigérateur et évier en inox; sur le mur, une barre magnétique pour couteaux (histoire de bien montrer que la tuerie n’est jamais loin?). Un déor qui a dû coûter fort cher, à la limite du scandaleux pour un théâtre national! Des nuages  passent par moments sur ces murs blancs: la vidéo a encore frappé comme partout sur les plateaux de l’hexagone. Quant à la forêt, elle est figurée en fond de plateau, par une rangée ridicule de hauts sapins… Et plusieurs fois, ce qui n’arrange rien et qui casse un rythme déjà défaillant, un rideau noir descend le temps de changer le décor, alors que tout pourrait se faire à vue !

Tout est triste et atone dans cette réalisation où le metteur en scène a situé cette tragédie du pouvoir dans le monde contemporain, et en faisant de son terrible personnage, un dictateur africain. Une idée mais le compte n’y est pas… Chloé Réjon, épouse de Stéphane Braunschweig,  et Adama Diop font le boulot mais ce couple mythique ne fonctionne pas bien: on ne la « voit » pas vraiment en Lady Macbeth et lui,  n’a rien de monstrueux. Et pendant presque trois longues, longues heures (avec un entracte inutile, où on s’ennuie, les scènes défilent, ternes.  On ne sent pas un instant, la violence, la cruauté du pouvoir  ni la fureur des règlements de compte entre grands de ce royaume. Quant au texte-assez charcuté, notamment les scènes avec les sorcières, dans l’adaptation (sic) du metteur en scène-on l’entend comme de loin! Les fameuses tirades de Macbeth, comme aussi la très belle scène du Portier, ou celle de Lady Macbeth errant somnambule, deviennent ici inodores et sans saveur. Et Stéphane Brausnchweig ne nous aura même pas épargné une scène au balcon parmi le public, comme on en a vu des centaines! Quel académisme et quelle tristesse ! Et ce ne sont pas les modernisations de la pièce, avec des phrases un peu vulgaires mais pas vraiment crues comme dans le texte original, ou cette allusion au Brexit, qui sauveront cette création…  dont on ne comprend  vraiment pas  les intentions de mise en scène…

Que peut-on sauver du désastre? Parfois quelques belles images comme ce Macbeth en treillis militaire assis dans son fauteuil doré, ses bottes de combat laissées sur le beau parquet XVIIème… Mais c’est bien tout et on reste sur sa faim.  Et mieux vaut ne pas y emmener des lycéens ou des étudiants: c’est à les dégoûter à jamais du théâtre contemporain. Depuis la première, même si le metteur en scène a sans doute resserré un peu les choses, on ne voit pas bien comment ce spectacle pourrait réussir à prendre son envol: il y a ici trop d’approximations et  aucun parti-pris dans cette mise en scène trop sage, aseptisée, faute sans doute d’une véritable dramaturgie  qui nous  surprendrait. Il aurait sans doute aussi fallu un autre cadre que celui de l’Odéon… Dommage !

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon, Paris VIème jusqu’au 10 mars.

 


Archive pour janvier, 2018

Soirée française Serge Lifar et Roland Petit, par le ballet et l’orchestre de l’Opéra de Rome

Soirée française Serge Lifar et Roland Petit, par le ballet et l’orchestre de l’Opéra de Rome

©Jean Couturier

©Jean Couturier

Eleonora Abbagnato, directrice du ballet de l’Opéra de Rome redonne vie à ces pièces historiques  Suite en blanc, créée en 1943 sous l’Occupation allemande par Serge Lifar, alors directeur de la danse à l’Opéra de Paris, se compose de solos, duos, trios, scènes d’ensemble de la chorégraphie classique par des interprètes en tutu ou en collant blancs. La musique d’Edouard Lalo accompagne les différents tableaux, très bien dansés, malgré leur difficulté technique, par les jeunes danseurs de la troupe et par Eleonora Abbagnato, sous le regard attentif de Claude Bessy, ancienne directrice de l’école  à l’Opéra de Paris et ici, maîtresse de ballet.

 Serge Lifar confia au jeune Roland Petit le rôle-titre dans L’Amour Sorcier. Quelque temps après, il quitte l’Opéra et, au lendemain de la Libération, soutenu par Jean Cocteau, Boris Kochno et Christian Bérard, il crée les Ballets des Champs-Elysées. En 1945, il signe sa première chorégraphie : Les Forains, musique d’Henri Sauguet, décors et costumes de Christian Bérard. Souvent qualifié d’artiste plus proche du théâtre que du ballet, et esprit novateur, il présentera au public marseillais en 1972, Pink Floyd ballet, sur une musique jouée en direct par le fameux groupe rock qui commençait à être mondialement connu, les Pink Floyd, à qui en ce moment, une exposition  après Londres et Milan, rend hommage à Rome. *

Cette pièce, reprise ici sur une musique enregistrée et avec Luigi Bonino comme maître de ballet, révèle toute la sensualité provocatrice de Roland Petit. Rayons de lumière laser et fumigènes enveloppent les quarante-cinq danseurs, tout de blanc vêtus. Très jeunes et appliqués mais… peut-être pas assez fous. Une reprise remarquable de cette chorégraphie qui mériterait d’être découverte par un large public au-delà de l’Italie… Et qui témoigne du talent de Roland Petit, malgré ce qu’en a dit Serge Lifar dans Ma vie (1965) qu’il écrivit pour se défendre des accusations de collaboration avec  les Allemands : «Quelques jours se sont à peine écoulés, quand j’apprends que Roland Petit, alors à peine petit sujet dans la troupe de l’Opéra, et qui fut mon élève et mon protégé, réclame ma place de maître de ballet. (…) Mais j’appris que, cette fois, Jacques Rouché, (alors directeur de l’Opéra depuis trente ans et jusqu’en 1945) n’avait pas faibli et que, répondant au désir du corps de ballet, il avait envoyé promener l’impétrant, en lui jetant : “Mon petit, cette place n’est pas pour vous vous. Il faut d’abord gagner la gloire de Lifar. Employez-vous y donc“.  

Roland Petit comprit la leçon, et sa carrière dépassa peut-être celle du maître. Et c’est un vrai bonheur de voir ces représentants du patrimoine culturel français associés, devant un public d’abord curieux, puis conquis.

Jean Couturier

Opéra de Rome, les 28 et 30 janvier, 1er, 2 et 3 février. Operaroma.it  
Exposition Pink Floyd, 138 via Nizza, 00198 Rome

 

Play Bach, Loom, Eddies, chorégraphie d’Yuval Pick

Play Bach, Loom et Eddies, chorégraphies d’Yuval Pick

 

event_playbach-loom-eddies-de-yuval-pick_870668Ces trois courtes pièces présentées au festival Faits d’Hiver, dans l’ordre chronologique de leur création, sont autant de jalons dans le parcours de l’artiste israélien ; ils  nous révèlent comment s’est construit son style si particulier, issu de la Batsheva Dance Company. Style que nous avions particulièrement apprécié lors de sa dernière création Acta est fabula (voir Le Théâtre du blog).

 Dans Play Bach, Thibault Desaules, Adrien Martins et Madoka Kobayashi composent une série de duos vifs et précis, sous le regard du ou de la troisième resté(e) en touche. Ils évoluent dans la symétrie d’un carré blanc cerné d’une bande noire, en diagonales ou en carrés, et leur gestuelle sinueuse contraste avec leurs trajectoires en ligne droite.  Sur des extraits de musiques de Jean-Sébastien Bach, ils changent de partenaire à chaque morceau : « La musique de Bach, dit Yuval Pick, m’a permis de travailler sur l’horizontalité et le verticalité de l’espace. »

 Très différent, Loom met en présence Julie Charbonnier et Madoka Kobayashi, dans un duo haletant. Plantées au sol, elles oscillent l’une face à l’autre, comme en miroir, sans jamais entrer en contact, le corps soulevé par la puissance de leur souffle. Une chorégraphie organique de vingt-cinq minutes fondée sur l’interaction des interprètes. Quand l’une vient à faiblir et s’écroule, l’énergie de l’autre la remet sur pied. La musique de Nico Muhly se superpose , par intermittence, au bruit des respirations, constituant un univers sonore étrange.

 Eddies rassemble les deux hommes et les deux femmes dans une chorégraphie plus fluide que les précédentes. Ces danseurs exceptionnels évoluent en électrons libres mais on retrouve cette même tension entre les corps qui s’aimantent et se repoussent sans jamais se toucher. Comme si l’espace entre eux, tour à tour se dilatait et s’expandait. Le noir du plateau et des costumes définit un univers sans limites, où les corps se déploient et s’élancent de toute leur envergure. Ils se cherchent, se rapprochent et s’éloignent les uns des autres. Une musique pop, trouée de plages de silence, rythme cette choralité qui se brise et se reconstitue. Pour notre plus grand plaisir…

 Directeur du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape, depuis 2011, Yuval Pick mène avec son équipe des ateliers de danse auprès des jeunes de cette banlieue périphérique lyonnaise difficile, et a constitué avec eux une troupe locale.

Ces trois pièces (un trio, un duo et un quatuor) constituent chacune à sa manière un hymne au souffle vital et au mouvement.

Mireille Davidovici

Théâtre de la Cité Internationale, boulevard Jourdan Paris XlVème  dans le Cadre du festival Faits d’Hiver les 29 et 30 janvier.

Le 6 mars, Lux à Valence (Drôme) ; les 10 et 11 mars, Osaka (Japon) ; le 17 mars CCNR Biennale Musique en scène de Rillieux-la-Pape (Rhône).
Le 13 avril, Espace Culturel Tabourot des Accords, Saint-Apollinaire (Côte-d’Or).
Le 16 mai, Maison pour la  Danse, Festival des Musiques, Marseille (Bouches-du -Rhône) ; le 18 mai, Espace Paul Eluard, Montbard (Côte-d’Or).
 Et le 8 juin, Centre Chorégraphique national de Tours, Festival Tours d’Horizons (Indre-et-Loire).

 Le festival Faits d’Hiver se poursuit jusqu’au 17 février dans dix théâtres partenaires à Paris et en Île-de-France. T. : 01 72 38 83 77.  www.faitsdhiver.com

 

 

Cold Blood de Thomas Gunzig, mise en scène de Michèle Anne de Mey, Jaco Van Dormael et le collectif Kiss & Cry

 

Cold Blood de Thomas Gunzig, mise en scène de Michèle Anne de Mey, Jaco Van Dormael et le collectif  Kiss & Cry

 jpegAprès le succès de Kiss & Cry, créé en 2011, Michèle Anne de Mey et le réalisateur Jaco Van Dormael eurent la tentation ,de se lancer dans une nouvelle création, Cold Blood : «On s’est jeté à l’eau. Nous avons décidé de faire comme avec l’autre, ne rien décider à l’avance, improviser, collectionner, et écrire la pièce et le scénario à la fin ».

Ce nouveau et merveilleux spectacle se présente comme une œuvre d’art animée par la mécanique et par les corps. Ici, les doigts des mains ont volé la vedette à l’acteur, avec une théâtralité hors du commun. Est-ce encore du théâtre, ou de la danse, du cinéma, de la performance ? La chorégraphe, le réalisateur et le collectif Kiss & Cry convoquent en effet tous ces arts à la fois, et s’en amusent avec grâce et humour. Le thème du spectacle, la mort, est un sujet profond et pas des plus réjouissants, mais c’est là tout l’intérêt et l’originalité de cette deuxième création, d’une invention débordante, notamment avec  ce qu’ils appellent « la nanodanse » (déjà là dans le premier spectacle).

Cold Blood nous offre une rencontre avec la mort, troublante et à multiples facettes, par moment décalée, plutôt joyeuse et très onirique sous forme de sept micro-fictions dramatiques. Il s’agit là, précisément, de représenter ce moment ultime, si mystérieux qui  «nous interroge sur la fragilité de l’existence en explorant cet instant juste avant le dernier souffle où l’existence bascule ». En préambule, nous sommes invités à une séance d’hypnose collective. Et nous voilà partis pour cet ailleurs, intervalle entre la vie et la mort : «Vous allez vivre sept morts. Sans peur et sans crainte. Chaque mort est étonnante. Chaque mort est la première. Et puis après, vous reviendrez sain et sauf d’où aucun voyageur ne revient ». 

Très vite, nous sommes émerveillés par l’adresse avec laquelle les techniciens et les danseurs (Michèle Anne de Mey, Grégory Grosjean et Gabriella Lacono) jouent avec les machines, les caméras et les objets. En effet sur le plateau, les éléments  miniatures,  figurines, maquettes, etc., sont manipulés à vue, filmés en direct et projetés sur l’écran géant placé au-dessus du dispositif technique. L’image en devient magique  et le terme de « nanodanse » prend ici tout son sens : « Mariage de chorégraphies des mains et des doigts exécutées dans un micro-univers d’objets inanimés et filmé en direct sur le plateau ».

Superbe et ingénieuse invention de Michèle Anne de Mey. Et comme le remarque le cinéaste Jaco Van Dormael : «Ce spectacle est aussi un hommage aux techniciens, d’habitude invisibles ». On aimerait citer toutes les séquences, très différentes les unes des autres comme cette troisième mort, intitulé Mort érotique : «C’est une mort en 85b. (…) Ce soir, vous vous sentez déprimé. (…) Vous savez exactement où aller. Le problème, c’est que chaque fois après, vous êtes encore plus déprimé. (…) Et puis votre dernière image, cette fille avec qui vous n’avez passé que trois minutes. Trois minutes qui valent une éternité ».

 Une bande-son au registre varié et subtil, accompagne ou dialogue (pas toujours) avec chaque situation. Le texte, à la fois délicat et piquant et la musique font corps pour donner sens  et émotion à ces sept rencontres avec la mort. Avec Sonatina II de  György Ligeti, Little Girl Blue de Nina Simone, interprétée par elle puis par Janis Joplin, ou Perfect Day de Lou Reed, ou encore un tube comme le langoureux slow Sag Warum, interprété par Camillo Felden sur une musique de Phil Spector en 1959…  Le grand voyage est ici porté avec une diversité esthétique étonnante.

 Dans chacune de ces micro-fictions théâtrales, un univers prend forme, qu’il soit poétique, mélancolique, drôle ou absurde : «La mort finalement, c’est assez bien pensé. Seulement la mort, c’est un peu froid. Vous vous dites : «J’aurais dû prendre un pull».  Le public quitte petit à petit, son angoisse face à cette immense question existentielle, et tombe sous le charme de la faucheuse. Comment ne pas être fasciné et ne pas retrouver un parfum d’enfance, quand on voit le duo Fred Astaire et Ginger Rogers, dansé avec les mains, chaque doigt coiffé d’un dé à coudre argenté en guise de costume et aussi de claquettes. Enchanteur !

Ces rendez-vous successifs avec la mort finissent, pour notre plus grand bonheur, par nous désarçonner.  Sommes-nous en compagnie de la vie ou de la mort ? N’est-ce pas là un coup de théâtre ? Notre esprit divague agréablement et l’effroi s’en est allé. La mort soudain s’annonce plus douce, devient presque une amie comme pour nous emmener vers un ailleurs inconnu des humains et qui n’a plus rien de terrifiant. Comble de l’histoire, la vie l’emporte : n’y voyez là aucun message religieux mais juste la force de l’art et de la poésie. Après ce Cold Blood, le sang n’est plus froid !  La transfiguration esthétique a eu lieu, une forme de catharsis, et l’on sort de ce voyage sensoriel, léger, attendri et plein de vie !

Elisabeth Naud

Spectacle vu au Théâtre de Carouge-Atelier, 39 rue Ancienne, 1227 Carouge-Genève. T. : +41 22 343 43 43, jusqu’au 3 février. Les 23 et 24 février, Centre culturel de Hasselt (Belgique).
Du 1 au 3 mars, Centre culturel de Wolubilis, Bruxelles.

 

La Fusillade sur une plage d’Allemagne de Simon Diard, mise en scène de Marc Lainé

 

La Fusillade sur une plage d’Allemagne de Simon Diard, mise en scène de Marc Lainé

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Un petit groupe de gens : une famille, debout autour d’une tombe dans une forêt : l’image crée une inquiétude archaïque, liée aux légendes de la forêt maudite, autant qu’à l’obsédante fascination contemporaine pour le crime. De cette minute de silence, monte tout un récit angoissé : le père se trouve pris en rêve dans une tuerie de masse et s’est vu lui-même abattre sa femme et ses enfants, «comme pour les sauver».

Des images d’une vidéo familiale, naissent d’autres récits: le plus jeune fils voit son frère, magnifique nageur, disparaître soudain comme aspiré par le vertige des profondeurs, et n’a aucun moyen pour alerter les adultes et appeler les secours. Sur la plage paisible, «cette seconde est parfaite, tout comme la précédente et celle qui va suivre»: un adolescent, équipé d’une Gopro (une mini-caméra) sur le torse, se met à tirer sur les baigneurs.

Inutile de raconter cette pièce, tissée de récits et de visions et qui n’a rien de linéaire: c’est bien de cela qu’il est question. Où est la frontière entre le fantasme et le souvenir, entre images fabriquées et  vie réelle? Parler ainsi de la vie, c’est déjà lui ôter sa réalité et en faire le produit de l’industrie du divertissement. Massacre dans un lycée de Columbine au Colorado (États-Unis), tuerie sur une plage de Tunisie, attentats de novembre 2015 à Paris… Il faut faire l’effort de se cramponner aux faits et à leur analyse, pour ne pas se noyer dans le grand cinéma virtuel. Le temps lui-même est perturbé par cet effacement des limites. Tout le cauchemar, tous les récits tiennent dans les secondes qui séparent la décision et le geste : tuer un présumé terroriste…

Cela peut paraître très abstrait mais le spectacle ne l’est pas, loin de là, entre la matérialité de la terre, les images de la forêt et la présence presque opaque des comédiens : pour eux, il ne s’agit pas de montrer, juste d’être là, dans la force de la sensation. Dans leurs costumes à peine outrés, dessinant une famille d’archétypes, ils décalent assez leur récit pour ouvrir à chacun sa propre fabrique d’images. Les interventions de la vidéo font partie de l’écriture et de la fiction même, concrètement : ici, la forme est le fond, avec exactitude.

Cette Fusillade, si proche de nous et si éloignée dans l’insaisissable, provoque des vagues d’émotions, entre l’inquiétude, la gêne, le trouble et «cette minute parfaite» donnée par la rigueur de la mise en scène. Marc Lainé, metteur et scène et scénographe, a vraiment donné corps à la poésie de Simon Diard. C’est fort.

Christine Friedel

Théâtre Ouvert, 4 bis Cité Véron, Paris XVIIIème. T. : 01 42 55 55 50,  jusqu’au 10 février.

Du 14 au 23 février,  le Théâtre National de Strasbourg invite Théâtre Ouvert avec la mise en espace de Sur/Exposition d’Aurore Jacob, maître d’œuvre François Wastiaux avec les élèves du Groupe 44.  Et avec la mise en voix de quatre tapuscrits:  Onysos le furieux de Laurent Gaudé, par Blandine Savetier; Par les routes de Noëlle Renaude, par Grégoire Strecker; Convulsions, d’Hakim Bah, par Rémi Barché; C’est ma maison de Frédéric Vossier, par Simon Delétang.

Le texte est publié dans la collection Tapuscrits.

 

Baby de Jane Anderson, adapté de l’américain par Camille Japy, mise en scène d’Hélène Vincent

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Baby de Jane Anderson, adapté de l’américain par Camille Japy, mise en scène d’Hélène Vincent

 Louisiane été 1989. Un jeune couple, Wanda et Al vit sans travailn sans argent dans un camping miteux au milieu de plus pauvres qu’eux, des  “négros », comme Al les appelle. Ces petits Blancs du Sud des Etats-Unis tolèrent mal cette promiscuité mais n’ont pas le choix. Pas d’autre choix non plus que d’abandonner leur cinquième enfant à naître. Ils  répondent à une annonce de Rachel et Richard: «Enceinte? Couple marié, épanoui, cultivé et très à l’aise financièrement, veut offrir à enfant blanc en parfaite santé une vie heureuse. Différentes formes d’aide envisageables.” 

 Une transaction douloureuse aura lieu entre ces  couples de milieux socio-culturel, idées et façon de vivre si différents. Larvés ou violents, des conflits vont les opposer: ils ont des points de vue différents sur le monde, depuis des choses banales comme l’alimentation, jusqu’à des questions de société, comme la condition des afro-américains. «Vous qui êtes pour les droits civiques, comment ça se fait que vous voulez un bébé blanc», lance Al à Rachel qui s’offusque de ses propos racistes sur les Noirs, et il la met ainsi face à son inconséquence. Il s’en prendra aussi à Richard, son mari, pour les mêmes raisons.

Cinéaste, dramaturge et scénariste, Jane Anderson écrit pour le théâtre The Baby dance en 1992, avant même les débats actuels sur les mères porteuses et le trafic d’enfants. Elle en réalisera un téléfilm en 1998. «La nécessité d’écrire cette pièce s’est imposée à moi, quand l’une de mes amies m’a annoncé qu’elle s’envolait avec son mari pour le Texas, assister à la naissance de leur “bientôt » fille adoptive. Saisie par cette situation complexe, j’ai imaginé ce qui pourrait se passer quand des personnes, aux antipodes de l’échelle sociale, sont obligées de partager ce qu’elles ont de plus personnel et de plus intime.»

 Jane Anderson nous fait entrer dans le vécu et les contradictions des personnages, sans prendre position, nous laissant libres de nous faire une opinion cette histoire: «Je me dois d’amener mes personnages au bord de l’abîme (…) Ce ne sont pas des gens mauvais mais simplement des âmes blessées ». Baby n’est pas une pièce univoque, ni politiquement correcte et, à cause de l’ambigüité des protagonistes, il y a de brusques retournements de situation.  Hélène Vincent a travaillé dans ce sens, en entomologiste, observant les personnages à la loupe: «Ce travail, dit-elle, je l’envisage comme une accompagnement sensible “à fleur de peau“ ( …). J’entraînerai chacun(e) à prendre farouchement parti pour son personnage, et à se tenir jusqu’au bout, sur le ligne de crête des émotions. »

On entre de plain pied dans le mobile-home de Wanda et Al, déployé en coupe latérale au ras du cadre de scène, sur toute l’ouverture du plateau ; on ressent dans le jeu des comédiens la chaleur caniculaire, insupportable pour Wanda enceinte, comme pour Rachel, habituée, elle, à la climatisation de sa luxueuse maison californienne avec piscine. Mais rien de démonstratif dans l’interprétation. Juste de petits gestes significatifs. La rencontre entre Wanda et Rachel dans la caravane est particulièrement réussie. La présence solaire d’Isabelle Carré, son jeu à la fois retenu et émotif donnent une épaisseur existentielle à Wanda. En contrepoint, Camille Japy compose une Rachel plutôt cérébrale, mais sur les nerfs. L’irruption d’Al cristallise les tensions entre les deux femmes.

La seconde partie du spectacle après l’entracte, située dans les murs froids et impersonnels d’une clinique, est plus condensée, plus nerveuse avec l’apparition de Richard (Bruno Solo) et de son avocat (Cyril Couton), spécialiste de l’adoption et véritable maquignon qui vend des enfants sur mesure. Le contraste entre ces deux hommes d’affaires roublards, et Al (Vincent Deniard), plus naïf mais qui ne s’en laisse pas compter, est patent et la scène va vite tourner à l’affrontement physique… Au-delà d’une histoire intime, celle de ces couples autour d’un enfant à naître, la pièce soulève des questions plus profondes : qu’est-ce que le désir d’enfant et la maternité, quels sont les enjeux d’une adoption?  Mais aussi  des problèmes éthiques: l’achat d’enfant à des mères porteuses ne relève-t-il pas du trafic d’êtres humains et de l’esclavage moderne ? Baby révèle surtout la fracture sociale, dans une démocratie aussi inégalitaire que les Etats-Unis d’Amérique, et par extension, dans la nôtre…

 Mené avec rigueur, joué avec sensibilité mais sans effets de manche ni pathos, le spectacle nous tient en haleine pendant une heure vingt.

 Mireille Davidovici

 Théâtre de l’Atelier,1 Place Charles Dullin, Paris XVIIIème. T. : 01 46 06 49 24, jusqu’au 13 mai.

 

Nouvelle page (Chapter Two) de Neil Simon, traduction et mise en scène de Yannis Moschos

 

Nouvelle page (Chapter Two) de Neil Simon, traduction et mise en scène de Yannis Moschos

 

 

©giannispriftis.

©giannispriftis.

Cet auteur dramatique américain   écrit des pièces  à la fois le comiques et  dramatiques. Sa préoccupation majeure : la mise en relief  d’une vision du monde avec toutes les couleurs possibles,  et à la fin,   avec une teinte oscillant entre le blanc et le noir. Neil Simon observe ses personnages comme de l’intérieur et il s’agit  pour lui de retracer des moments de sa vie  et de ses rencontres, furtives ou plus stables. Cela dit, la sociabilité des personnages-anaphores de Neil Simon  est associée ici à un temps qui marche de pair, avec celui vertigineux où vivent les héros de ses pièces.  Les Etats-Unis étant associés à l’idée d’utopie que  noue en avons, et le fameux « rêve américain » traverse toute  leur dramaturgie, qu’elle soit tragique ou romantique souvent, mais surtout légère.

Neil Simon peut être considéré comme le Georges Feydeau de là-bas. Si à Paris, on s’amuse encore aujourd’hui  mais rarement avec des blagues autour d’un cocuage, à New York, on se laisse aller à d’exaspérants gags  autour  de la chose, disons « kinky . Or, même s’il s’agit d’un couple de gays, la douleur est  identique. Neil  Simon parle aujourd’hui du mariage des homosexuels mais défend la cause des victimes, c’est-à-dire de tous les blessés, torturés, et vaincus de la «guerre du sexe ».

 Dans  cette pièce (1977), Georges Schneider, un écrivain veuf, n’ose et ne veut plus connaître une autre femme, de peur de la perdre comme la précédente.  Cela en devient même une obsession majeure, excentrique, amusante, et enfin ridicule. De même, Jennie Malone, une comédienne, évite absolument les rendez-vous organisés par ses proches. Et  après ce qu’elle vient de vivre après son  divorce, elle préfère goûter ce sentiment à la liberté absolue.
Neil Simon a actualisé  Nouvelle page que l’on a déjà vue, comme ses autres pièces, à Athènes , et il a réussi à garder toute la fraîcheur d’une  texte qu’on aurait pu considérer comme périmé. Mais  le  traducteur et metteur en scène  a travaillé sur le langage comme sur le jeu, et surtout la gestuelle. Yannis Moschos obtient ainsi un résultat exquis ; ainsi Georges porte une veste vieillie par le temps. Au contraire, tous les costumes de Tina Tzoka, comme ceux de Léo, son frère, un gay, ont des couleurs vivantes qui expriment la vivacité  de celui qui sert d’intermédiaire entre  ce frère et la femme qu’il lui propose. Taxiarhis Hanos (Georges Schneider) s’exprime avec beaucoup de « fausse » sentimentalité, un outil généreux quand on pratique ce genre de théâtre léger. Associé au frère, (Anguélos Bouras), Taxiarchis Hanos a une corporalité plutôt statique, à la limite du trapu.  Et Léo de Bouras met en situation sa légèreté d’être, mais avec des gestes  un peu trop  fréquents.

L’harmonie du spectacle est assurée par les remarquables Maria Kallimani (Jennie Malone) et Andrie Théodotou (Faye Medwick)… Deux femmes malmenées par leur mariage et leur relation avec les hommes. Cette Nouvelle page  est un spectacle amusant et riche de moments d’humour. Sur une musique de Luigi Boccherini, actualisée aussi, et qui fonctionne comme un commentaire parfois osé… mais bien dosé.    

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Théâtre Mikro Gloria, 7 rue Ippokratous, Athènes, T. : 0030 210 36 42 334 

 

 

 

Les Soldats d’après Jakob Michael Reinhold Lenz, et Lenz d’après Georg Büchner, adaptation et mise en scène d’Anne-Laure Liégeois

©Christophe Raynaud de Lage

©Christophe Raynaud de Lage

Les Soldats d’après Jakob Michael Reinhold Lenz et Lenz d’après Georg Büchner, adaptation et mise en scène d’Anne-Laure Liégeois

 

On connaît peu cette pièce formidable (1775) mais rarement jouée et devenue mythique depuis que le tout jeune Patrice Chéreau (vingt-quatre ans !) l’avait montée en 67, à Chaillot, dans le cadre du concours des jeunes compagnies et qui lui avait valu le prix. Cette mise en scène l’avait consacré. Il nous souvient encore assez bien d’une réalisation, avec des acteurs encore un peu inexpérimentés mais profondément intelligente et pleine d’audace, avec un belle scénographie de Richard Peduzzi et de formidables costumes de Jacques Schmidt (décédé en 1996), collaborateurs auxquels il restera fidèle toute sa vie.

 Sur le plateau du Théâtre 71, face public un dispositif plastiquement très réussi, celui d’une salle de spectacle avec des loges en bas et, au premier niveau,  quelques gradins  avec des chaises en velours rouge. Mais la scène est absolument nue: aucun rideau, aucun pendrillon, juste des portants pour quelques costumes côté cour, et quelques chaises côté jardin, et une table au centre du plateau. La salle va rester éclairée pendant un bon moment… Et cela commence et finit assez joyeusement avec une ouverture et un final composés par Bernard Cavanna, joués par un orchestre de quelque vingt acteurs et musiciens réunis (flûte traversière, trombone, grosse caisse, trompette,  bandonéon, cymbales, clarinette, violoncelle…).   Et il y a ensuite un  extrait des Notes sur le Théâtre de Lenz écrites en 1776 : «Ce qui rend la vie intéressante, c’est l’imitation de la nature…». Mais bien mal dit, et comme récité!

Puis on en arrive à la pièce elle-même, l’histoire d’un jeune soldat en permission, et d’une très jeune fille, Marie, fille de commerçant en tissu à Armentières, qui aime Stolzius, un  garçon de son âge. Bref, l’espoir solide d’un “beau mariage”, comme on disait autrefois, du moins, tel que le voient les Wesener, ces parents très autoritaires. Mais voilà… Marie est fascinée par un jeune capitaine qui veut l’emmener au théâtre, ce qui pour elle, est synonyme d’émancipation et de liberté. Désobéissant à son père qui s’oppose formellement à cette sortie, au motif qu’une fille de son âge n’a pas à fréquenter ce genre d’endroit « douteux »… La jeune fille rentrera du théâtre, folle de joie, et déjà amoureuse  mais son père est furieux et l’enverra sans manger dans sa chambre. Et Marie se disputera avec sa sœur Charlotte…

Le capitaine a quand même signé une promesse de mariage à son père, et va faire l’amour avec Marie mais il l’abandonnera vite, et sans aucun état d’âme. Marie, humiliée et psychologiquement cassée, se mettra alors à coucher, comme par dépit, avec nombre d’autres officiers, puis sera violée par un domestique et deviendra alors la pute habituelle de toute une bande de soldats  brutaux d’un régiment et sexuellement frustrés. Appartenant à une sorte de caste toute puissante, ils considèrent en toute impunité les femmes comme des proies faciles. Marie se retrouvera vite détruite par ces jeunes gens qui n’ont pas une bien haute idée de la vie humaine et surtout des femmes, entraînés qu’il sont à tuer selon la loi militaire… qui leur convient parfaitement. Ici, les rapports sociaux et entre sexes différents sont d’une dureté absolue. Et les nobles, bien entendu, méprisent  la classe bourgeoise. Comme cette Comtesse  qui lancera de haut à Marie: « Pauvre enfant, comment en êtes-vous venue à vous chercher un mari au-dessus de votre condition? »  La très jeune femme  est bien la victime  désignée de  l’autorité paternelle et d’une société  d’hommes qui ont un pouvoir quasi-absolu sur les femmes… Et un jour, horreur absolue: on retrouvera  près d’une rivière et dans la neige le corps de Marie qui a été tuée sans doute par un pervers. Son père qui rêvait d’en faire une dame, l’aura perdue à jamais…

« Lors de la traduction et de l’adaptation du texte, dit Anne-Laure Liégeois, j’ai pris toutes les libertés : réadaptation de scènes, création de scènes silencieuses, interprétation inévitable du sens et éclaircissement de celui-ci selon certaines directions, transformation de certains personnages, mort de certains et naissance d’autres, réécriture des didascalies. » (…)« Il n’a pas été question de trahir le texte ni dans son exceptionnelle forme, ni dans son fond. » Pas question de mettre en doute l’honnêteté des intentions  de la metteuse en scène qui a cassé l’unité de temps. Oui, mais voilà, il y a ici trop d’erreurs: d’abord, on ne comprend pas bien cette scénographie qui, assez réussie sur le plan plastique, reste bien académique: du genre brechtien comme on en voyait souvent encore dans les années 80. Vaste plateau donc comme on l’a dit, avec absence de rideaux et de pendrillons, non-figuration des lieux, simulacre de théâtre en fond de scène, petite scène sur roulettes circulant sur la  vaste scène, éclairée par une petite guirlande lumineuse, et servantes au début de la représentation… Et acteurs toujours en fond de scène et qui écoutent leurs camarades, vieux procédé plus qu’usé et qui renforce le côté déjà assez statique de la mise en scène. Sans doute pour dire le « théâtre dans le théâtre ». Mais bon, de ce côté-là, on a beaucoup donné.  Et Anne Laure-Liégeois, à partir d’un texte aussi fort où Lenz a développé une véritable critique sociale, a sans doute voulu en dire trop . “Le silence, le mouvement et l’immobilité, dit-elle, auront une place dramaturgique. Il deviendra possible, pour construire des passerelles entre les actions, entre les temps, de recréer des moments de vie sourde, faits de regards et de danse. Un espace libre pour le jeu silencieux et l’image.”

On veut bien, mais, désolé, cela fonctionne peut-être à la lecture et dans un rêve théâtral à la table, mais pas vraiment sur un grand plateau. Et cette dématérialisation du temps et surtout de l’espace, ne sert pas la mise en scène. Les voix se perdent à cause de l’absence de rideaux qui ne les réverbèrent pas, et du coup, on comprend mal les jeunes acteurs qui ne font guère d’efforts pour se faire entendre et qui … ont une diction très approximative. Nous ne sommes sans doute pas tombés sur le bon jour et dans un salle à moitié vide, ce qui n’arrangeait pas les choses!  Mais, si Elsa Canovas incarne Marie avec une belle présence et une gestuelle impeccable, elle boule souvent son texte et surtout articule très mal. Donc on la comprend très mal:  ennuyeux quand il s’agit d’un rôle principal! La faute à qui?  D’abord à l’enseignement qu’ils ont reçu dans des écoles pourtant pilotées par les services du Ministère de la Culture qui ne sont pas assez vigilants mais aussi à la direction d’acteurs: en revanche, on entend très bien en revanche ces impeccables comédiens que sont Agnès Sourdillon, Isabelle Gardien,  Didier Sauvegrain et Véronika Varga (qui jouent très bien le Père et la Mère)
Autre erreur: un manque de rythme que ralentissent encore les inutiles petites scènes muettes! Si bien que, malgré tout l’intérêt du texte, l’ennui pèse assez vite… Il y a, cela dit, des moments où cette mise en scène fonctionne, par exemple quand les soldats écoutent  leur camarade raconter ses “exploits”,  ou quand Marie se fait violer.  Et les scènes remarquablement chorégraphiées par Sylvain Groud sont de toute beauté: à ce moment-là, il se passe vraiment quelque chose sur le plateau. Mais pour le reste, même si Anne-Laure Liégeois n’a pas trahi le texte, on reste quand même sur sa faim… Christine Friedel a pris le relais pour la seconde partie du spectacle.

 Philippe du Vignal

 Lenz,  épilogue aux Soldats

 Anne-Laure Liégeois a choisi d’encadrer le drame Les Soldats entre deux textes qui doivent l’éclairer : les Notes sur le théâtre de Lenz lui-même, et une nouvelle : Lenz, de Büchner, écrite une quarantaine d’années plus tard. Son lien direct avec Les Soldats : au milieu de cette étrange crise que traverse Jakob Lenz chez le pasteur Oberlin,  il est question d’art et de théâtre : « Ce que je réclame en tout, c’est la vie, la possibilité de l’existence, et alors c’est bien; nous n’avons pas à demander ensuite si c’est beau ou laid. Le sentiment d’avoir créé quelque chose de vivant l’emporte sur la beauté ou la laideur, et constitue l’unique critérium dans les choses de l’art. Cette vie, d’ailleurs, ne se rencontre que rarement : nous la trouvons dans Shakespeare, elle renaît avec toute sa puissance dans les chants populaires, parfois aussi dans Gœthe. On peut jeter le reste au feu. » Du reste, le personnage de Lenz renie presque sa vie antérieure de dramaturge : «Je suis un ami de ***  et je viens vous saluer de sa part. » — « Votre nom, s’il vous plaît? » — « Lenz. » — « Ah, ah, ah ! n’est-il pas imprimé ? N’ai-je pas lu quelques drames attribués à un monsieur de ce nom? » — « Oui, mais je vous en prie, ne me jugez pas là-dessus ». 

L’essentiel de la nouvelle parle de tout autre chose : ce délire, cette crise, décrite minutieusement, d’un homme on dirait aujourd’hui “bipolaire“ entre exaltation et abattement, avec une sensibilité aiguë aux sensations, dans une sorte de fusion presque extatique avec la Nature. Devant leurs partenaires, attentifs et immobiles, deux comédiens des Soldats, Olivier Dutilloy, puis Agnès Sourdillon endossent successivement cette parole. Le premier, qui a lu au public, en ouverture, les Notes sur le théâtre, joue cette fois son texte de profil, sonorisé sans vraie précision, avec un lyrisme qui touche parfois au pléonasme ; la seconde retrouve le caractère très concret du texte, avec le dynamisme de la quête qui le constitue.

Cela ne suffit pas pour que cela marche. On comprend le désir d’Anne-Laure Liégeois d’offrir au public et à deux des comédiens « un cadeau, un objet plus intime offert dans la nuit sur le grand plateau désert », son envie de partager ce qui a pu être un document de travail et un plaisir de lecture. Mais ce Lenz  mérite mieux que la fatigue du spectateur, mieux qu’un respect un peu forcé après les secousses des Soldats. Le drame parle de lui-même: laissons le spectateur avec l’amertume des cloisonnements de classes sociales, avec la pitié pour toutes les Marie qui ont plus de cœur que de tête, avec les lâchetés et les trahisons. Il n’a pas besoin de consolation : la meilleure et donnée par l’auteur, c’est la réflexion.

Christine Friedel

Théâtre 71 à Malakoff ( Hauts-de-Seine) jusqu’au 2 février.

Du 6 au 10 février au Grand T-Nantes

Les 13 et 14 février au Volcan-Scène nationale du Havre. Les 20 et 21 février, à Mars-Mons Arts de la Scène.

Le 3 mars aux 3T-Théâtres de Châtellerault ; les 7 et 8 mars au Cratère-Scène nationale d’Alès. Du 20 au 22 mars au Théâtre de l’Union-Limoges. Et du 27 au 29 mars au Théâtre Dijon-Bourgogne.

 

 

Une éternité d’Hélène François et Emilie Vandenameele, d’après une rencontre avec Virginie van Wassenhove

binome

Une éternité d’Hélène François et Emilie Vandenameele, d’après une rencontre avec Virginie van Wassenhove, mise en lecture de Florian Sitbon

La compagnie Le Sens des mots présente le festival : Binôme/Le poète et le savant, au Carreau du Temple.

Nous vous avons déjà souvent rendu compte de ce travail qui se situe entre poésie et pédagogie, avec à ce jour, trente-trois pièces. Rappelons- en le principe : après une rencontre entre un(e) écrivain(e) et un(e) scientifique, chaque binôme aboutit à une mise en espace théâtrale, suivie d’un débat.

Ici, en préambule, dans une vidéo, on nous explique la règle du jeu et on nous présente la rencontre  entre Virginie van Wassenhove, chercheuse, et Hélène François et Emilie Vandenameele. La scientifique étudie le fonctionnement du cerveau par le biais de l’imagerie cérébrale, et nous montre des appareils de mesure sophistiqués qui, munis de capteurs, permettent d’apprécier les fonctions cognitives des individus. Cette directrice de recherche en neurosciences cognitives a pour spécialité l’étude de la notion du temps et possède des outils traduisant les champs magnétiques du cerveau en signaux électriques lisibles sur écran.
Il s’agissait pour  les deux réalisatrices de transformer ces concepts savants en théâtre, ce qui, disent-elles, ne fut pas une mince affaire. Mais après cette entrevue de cinquante minutes avec la scientifique et un mois et demi de travail plus tard, elles réussissent à écrire une pièce qui brasse toutes ces notions, dans une fiction où l’intime rejoint l’universel.

binome2Une jeune femme, Virginie, rend visite à sa grand-mère qui sombre lentement dans la sénilité. La vieillesse n’est pas une maladie, lui dit le médecin. Elle qui vit à toute allure,  se trouve confrontée à une autre temporalité : la vieille dame confond en effet passé et présent, perd la mémoire et vit dans un monde spatio-temporel chaotique. Virginie finit par admettre cet état de fait, grâce aux explications d’un médecin un peu séducteur.

Noyée dans le flux permanent des images diffusées par la télévision, la grand-mère vieillit en accéléré : «Si le temps passe si vite, ça aide à supporter qu’on est vieux », constate la jeune femme. Rien de pathétique dans cette histoire émouvante, où l’humour affleure dans les situations cocasses qu’engendre le chaos mémoriel.

Après la lecture de cette pièce, on écoute une courte réaction de Virginie van Wassenhove, satisfaite du résultat et émue : son message est passé. Mission accomplie aussi pour les artistes.

Mireille Davidovici

Lecture-spectacle vue au Carreau du Temple,  4 rue Eugène-Spuller Paris IIIème,  le 26 janvier.

*Binôme Le poète et le savant volume 1, à paraître aux Editions Les Solitaires Intempestifs en mars.

Dans la peau de Don Quichotte, d’après Miguel de Cervantès, conception et mise en scène de Méthilde Weyergans et Samuel Hercule

Dans la peau de Don Quichotte, d’après Miguel de Cervantès, conception et mise en scène de Méthilde Weyergans et Samuel Hercule

don quichotteUne fois encore, nous ne sommes pas déçus par la programmation du Nouveau théâtre de Montreuil : dans le cadre de l’Age des possibles, la compagnie de la Cordonnerie y présente une adaptation de Don Quichotte en fable moderne, mêlant intimement théâtre et cinéma, avec les acteurs du spectacle qui accompagnent la projection, en direct sur scène. Ils recréent l’univers sonore du film muet avec de nombreux instruments et objets hétéroclites, et prêtent aussi leur voix aux personnages, comme lors d’une post-synchronisation. En complément, deux musiciens insufflent leur rythme aux scènes filmées.

Nous sommes ici à la veille de l’an 2000, dans une petite ville de Picardie dont on ne retient jamais le nom. Sur l’écran, apparaît Michel Alonzo, un terne bibliothécaire qui a lu et numérisé tous les livres de son établissement en prévision d’un grand bug informatique, annoncé au changement de millénaire. Mais sa vie monotone est aussi perturbée par la visite, à la bibliothèque, d’une mystérieuse lectrice de Don Quichotte. En cette nuit de la Saint-Sylvestre, tout bascule : les systèmes informatiques ne  disjonctent pas, mais Michel Alonzo, si ! On va le retrouver en Don Quichotte dans les paysages  de la Mancha, suivi d’un collègue de travail, devenu Sancho Panza!

A l’instar d’Alonzo Quichano, transformé en Don Quichotte par Miguel de Cervantès,  ce chevalier des temps modernes, monté sur sa Rosinante, assisté de Sancho sur son âne, et mu par son amour pour Dulcinée, accumule les hauts faits. Comme dans le roman espagnol, il vole le plat à barbe d’un coiffeur, le prenant pour l’Armet de Mambrin, casque mythique des romans de chevalerie. Puis, il sauve un jeune homme, du fouet de son patron,  et rencontre la belle Marcela, incarnée par une employée de la bibliothèque de la petite ville de Picardie…

Bientôt, l’exotique désert de la Mancha du film muet, va se changer en morne plaine du Nord. Les deux compères poursuivent leur route à bicyclette… Les éoliennes deviennent des moulins à vent géants contre lesquels l’hidalgo croyait se battre. Le TGV rugit comme le serpent de fer et déchaîne l’ire du héros… D’échec en échec, et de méprise en méprise, le Chevalier errant à la triste figure ne rencontrera jamais sa Dulcinée. Il défraye la chronique régionale et, pris pour un fou,  deviendra la risée du pays…

Le décalage entre cinéma et théâtre s’opère à vue. Les bruitages obtenus par des ustensiles de fortune (presse-citron électrique, moulinet de canne à pêche, béquilles…), et les voix superposées au film et la musique déportent le roman vers un univers plus contemporain mais non moins poétique. Les artistes de la Cordonnerie utilisent tout un appareillage technique qui ne vide pas la fiction de sa substance, même s’il la transpose radicalement. Passés maîtres dans la technique de ce qu’ils appellent le «ciné-spectacle», ils nous offrent une heure trente de plaisir théâtral avec une habileté hors du commun. Une proposition passionnante.

Mireille Davidovici

Nouveau Théâtre de Montreuil , 10 place Jean Jaurès Montreuil ( Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 70 48 90 jusqu’au 10 février.

Les 27 et 28 février,  Théâtre de Villefranche-sur-Saône .
Les 7 et 8 mars, Le Granit Belfort ; les 13 et 14 mars Les 2 Scènes de Besançon.
 Du 4 au  6 avril, Comédie de Caen ; les 10 et 11 avril,  Maison de la Culture de Bourges.
Du  4 au  6 mai,  Théâtre Am Stram Gram, Genève.
Du  15 au  19 mai,  Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon ; le 25 mai,  L’Apostrophe- Cergy-Pontoise et Val d’Oise /Théâtre de Jouy-le-Moutier. 
Du 1er  au 9 juin, Théâtre des Abbesses, Paris.

L’Age des possibles, se poursuit jusqu’au 16 février, au Nouveau Théâtre de Montreuil.

 

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