Toute ma vie j’ai fait des choses que je ne savais pas faire
Toute ma vie j’ai fait des choses que je ne savais pas faire de Rémi de Vos, mise en scène de Christophe Rauck
« C’est pas moi qui ai commencé, le type, il en avait après moi et je ne saurai jamais pourquoi », profère une voix d’outre-tombe, tandis qu’un corps gît à terre, immobile devant un écran blanc. Pour tout décor, une chaise renversée. Bientôt, le personnage se meut lentement et déroule le récit d’une rixe dans un bar dont on devine, par la silhouette dessinée à la craie blanche au sol, qu’elle a mal tourné.
Juliette Plumecocq-Mech va nous dire comment : « Je ne l’avais jamais vu de ma vie (…) Il s’est planté là entre moi et la porte, et il a commencé à me dire que, des mecs dans mon genre, il n’avait jamais pu les blairer…» De toute sa puissance retenue, l’actrice incarne cet homme tombé, victime d’une violence aveugle. «Comme actrice, dit-elle, je me considère comme véhicule poétique et le genre a peu à voir là-dedans. »
Ambiguïté de l’interprète, ambiguïté du personnage et renversement de la situation; la violence va, à la fin, se retourner contre l’agresseur. Le narrateur raconte comment il a massacré le type : “La partie du verre avait disparu dans sa gorge et le reste qui se trouvait dans la partie du verre encore visible et le verre, est devenu rouge ». Traqué par les copains de la victime, il plaide sa cause auprès d’eux et s’adresse en même temps au public, avant d’être, lui aussi, mis à mort. Au- delà du fait divers, la pièce aborde des questions comme : Que se joue-t-il dans une agression ? Que faire, face à la violence ? Qu’est-ce qui nous fait basculer de la peur vers la terreur ?
Christophe Rauck, a commandé ce monologue à Rémi De Vos. L’auteur, complice de longue date du metteur en scène, l’accompagne à la tête d’un collectif d’auteurs, depuis qu’il a pris la direction du Théâtre du Nord, à Lille. Il réussit là un monologue où la parole se délivre en vagues successives, ressassante, passant au crible les mécanismes de la violence et de la peur, exacerbées. La mise en scène combine une chorégraphie de la parole, avec de brefs extraits des Sonates de Beethoven (un clin d’œil à Orange mécanique ?).
La gestuelle de Juliette Plumecocq-Mech, d’une très grande précision, couplée à sa voix rauque sonorisée avec justesse, créent une tension dramatique jamais relâchée. On se trouve comme happé par cette histoire, suspendu aux moindres mouvements de la comédienne, la plupart au ras du sol. Si, par bonheur, vous avez l’occasion d’assister à ce spectacle, un conseil : placez-vous dans les premiers rangs pour voir ce solo exceptionnel qui, par la qualité de l’écriture et la virtuosité de l’interprétation, restera dans nos mémoires.
Mireille Davidovici
Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt Paris VIIIème. T. : 01 44 95 98 21. www.theatredurondpoint.fr
Les 8 et 9 février, Scènes du Jura/Dole ; le 13 février, Espace Jean Vilar, Arcueil (Val de Marne); le 15 février, Théâtre de Lisieux (Calvados). Et du 20 au 23 février, Théâtre 140, à Bruxelles.