Et Dieu ne pesait pas lourd de Dieudonné Niangouna, mise en scène de Frédéric Fisbach

 

Et Dieu ne pesait pas lourd… de Dieudonné Niangouna, mise en scène de Frédéric Fisbach

©Simon Gosselin

©Simon Gosselin

«Je ramasse ma vie comme un verre d’eau renversé sur le tapis»: Anton est né en banlieue à la fin des années soixante, à l’époque où « Dieu ne pesait pas lourd». Dieu n’était pas un problème alors. Anton se dit acteur et déroule les épisodes d’une existence déchirée et rocambolesque, s’adressant tour à tour,  à des juges, à des jihadistes,  et surtout  au public. Dans les geôles des barbus, comme dans celle des services secrets américains, il baratine et enjolive pour sauver sa peau, déroulant vingt-trois ans de «l’histoire d’un échoué».

Il est rare de voir des textes de Dieudonné Niangouna interprétés par d’autres que lui-même. Frédéric Fisbach lui a commandé une pièce il y a quelques années pour servir d’exutoire à la colère qu’il ressentait à l’époque. «Dido rentrait juste de Brazzaville, effondré par la situation politique de son pays.(…) Nous nous sommes retrouvés dans le sentiment de la colère.» Des quelque trois heures de spectacle livrées par l’écrivain congolais, le metteur en scène a tiré, avec l’aide de Charlotte Farcet, un monologue d’une heure vingt, qu’il interprète lui-même. Il ne s’agit pas d’une réécriture, mais du remodelage de ce long pamphlet pour trouver son chemin personnel dans une œuvre touffue et dense: «comme procéderaient des archéologues pour mettre à jour une histoire ».

Frédéric Fisbach campe un personnage à la fois radical, et plein d’humour et de fantaisie, en quête aussi de sa propre vérité à travers ses affabulations et ses dérapages contrôlés. Un solitaire, presque un sage, qui, depuis son observatoire, pourfend les injustices.  La parole est sa seule arme et la garantie de sa survie. Elle révèle aussi, chez  l’auteur, une urgence à dire le monde. Sa prose sonne ici plus âpre, plus mate, avec un lyrisme contenu, et laisse parfois le spectateur à distance, puis le rattrape au détour de morceaux de bravoure, quand  elle vire au pamphlet.

Sur le large plateau vide de la « nouvelle salle » modulable de la MC93, l’acteur paraît esseulé et manipule des éléments mobiles pour délimiter des espaces variés : un mur devient un écran de contrôle, épiant ses mouvements, et des rampes d’ampoules éclairent le fond et des recoins de scène, ou le public. On se transporte ainsi, sans véritable chronologie, d’une salle d’interrogatoire du FBI, à une boîte de nuit  à Seattle,  puis dans une prison du désert libyen, ou encore dans  les no man’s land de périphéries urbaines ou les paysages enneigés en Suisse.

Mêlant une colère rentrée au verbe flamboyant de Dieudonné Niangouna, ami de longue date avec qui a joué dans Shéda, l’année où le dramaturge fut artiste associé du festival d’Avignon, Frédéric Fisbach nous entraîne dans une traversée en solitaire d’une grande rigueur.

Mireille Davidovici  

MC 93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, 9 boulevard Lénine, Bobigny. T. 01 41 60 72 72, jusqu’au 28 janvier
4-6 avril, Comédie de Saint-Etienne du 4 au 6 avril.
Et Dieu ne pesait pas lourd est publié aux Solitaires Intempestifs


Archive pour 15 janvier, 2018

Géographie de l’enfer d’Alex Lorette, mise en scène d’Adrien Popineau

 

Géographie de l’enfer d’Alex Lorette, mise en scène d’Adrien Popineau

 geographie de l'enferUn jeune cadre en voiture puissante se perd dans la campagne. Une déviation lui fait quitter la route nationale et son véhicule glisse dans un fossé… Il est alors recueilli par une drôle de fratrie: un garçon taciturne qui voit cette intrusion d’un très mauvais œil, alors que son frère est enthousiaste mais un peu benêt. Arrive une jeune fille qui ne quitte jamais son logis rudimentaire  tenant plus d’une cabane forestière qu’elle s’occupe à tenir propre. Tout de suite, elle voit dans cet étranger, l’incarnation d’un désir qui ne pouvait s’exprimer dans le huis-clos familial habituel. Quand arrive ce jeune cadre, élément perturbateur, l’équilibre va se détruire et ce curieux personnage s’imposera peu à peu.

Le metteur en scène propose ici un théâtre du visuel: « Avec Géographie de l’enfer, je souhaite, dit-il, m’éloigner d’un discours concret, au profit d’une écriture du ressenti. Je commence un travail sur l’obscur, l’imperceptible où le sacré prédomine (…) Comment retranscrire, mettre en mouvement un ressenti et accepter que les réponses soient évanescentes ? A travers cette forme, je souhaite que le spectateur participe à un événement personnel, atypique. Qu’il puisse avoir une interprétation liée à ses sens plus qu’à sa pensée. (…) C’est un parcours initiatique pour qui saura lâcher prise et faire une place au sacré. »

Sur le  petit plateau du Théâtre de Belleville, une scène carrée délimitée par des bancs, avec de la terre au sol et des châssis en tulle symbolisant la cabane. Les spectateurs se serrent sur les trois côtés et sur le gradin. Dans ce beau travail,  Adrien Popineau a tout fait, dès le début, pour  créer une ambiance sombre et inquiétante : musique adaptée, lumière très faible. Mais le texte fait un peu moins dans la finesse: très écrit mais… pas très bien dialogué. Le personnage de la jeune fille (Jade Fortineau) semble en effet dépositaire de la «poésie» de cet univers masculin et âcre, mais sa partition sonne parfois faux ! La pièce n’échappe pas non plus à certains stéréotypes et les personnages manquent de profondeur : jeune fille succombant au désir dès les premiers instants,  paysans soit méchants et obtus, soit arriérés (Florent Hu et Maxime Le Gac Olanié).
Mais, comme le dit le metteur en scène, il faut ici faire un peu son chemin et accepter la part de sacré incarnée par le jeune cadre (Frédéric Baron). Comme dans Théorème de Pier Paolo Pasolini, il  va bouleverser une famille et révéler chez lui une mystique très forte. Jusque dans son corps,  l’acteur fait bien passer un changement d’attitude et son charisme.

Si on accepte de se laisser porter, on passe une bonne soirée avec cette Géographie de l’enfer qui devrait encore s’affiner au fil des représentations.

Julien Barsan

Théâtre de Belleville, rue du Faubourg du Temple, Paris XIème, jusqu’au 21 janvier. T. 01 48 06 72 34

Théâtre de l’Étincelle à Rouen en octobre.

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Les Chaises d’Eugène Ionesco, mise en scène de Jean-Paul Denizon

 Les Chaises d’Eugène Ionesco, mise en scène de Jean-Paul Denizon, traduction d’Hélène Papachristopoulou

ΚΑΡΕΚΛΕΣ 2Dans cette farce tragique (1952) règne un langage indomptable et une prolifération de la matière : ici, des chaises. Un Vieux et sa femme, Sémiramis, vivent seuls dans une maison, avec pour tout viatique, un amour usé.  Lui, un penseur et écrivain, a un message à livrer à l’humanité dont il a convoqué les meilleurs représentants pour une soirée mémorable.

Un à un, les invités arrivent, invisibles, matérialisés par les seules chaises. Est attendu aussi l’Orateur, dont la science de la parole doit permettre au message du Vieux d’être communiqué au monde entier. Dans ce néant encombré de fantômes, l’Empereur lui-même viendra mais les vieux, empêchés par les chaises qui finiront par les  engloutir ne le verront que de loin… Mais ils réussiront, sans pouvoir se rejoindre, à sauter chacun par une fenêtre alors que l’Orateur, sourd et muet, débite des mots incompréhensibles.

Jean-Paul Denizon  a surtout  travaillé sur l’axe syntagmatique de la narration pure et  illustré sa mise en scène avec de petits éléments insolites dans ce théâtre, dit de l’absurde: les chaises assurent un certain confort au corps humain mais l’espace autour d’elles diminue sans cesse… et en même temps, font augmenter le sentiment de l’attente chez le spectateur. L’espace devient alors très spectaculaire et naît une dialectique entre ceux qui regardent et ceux qui sont regardés. La conférence qui aura lieu dans la salle indiquée, est préparée de façon minutieuse par les responsables de cet événement culturel: Le Vieux et  son épouse ont depuis longtemps, acquis des habitudes devenues un  modus vivendi entre eux.

Quand Yannis Stamatiou et Hélène Papachristopoulou  reçoivent le public, on a l’impression furtive d’un «théâtre dans le théâtre ». Et  ils arrivent à construire le microcosme d’Eugène Ionesco avec exactitude…Une tension intérieure se reflète sur leur visage mais aussi sur leur comportement qui change, puisque le Vieux   et la Vieille sont censés interpréter de nombreux personnages, à mesure que  le public-fictif-entre en scène. Mais l’’Orateur est muet et se place du côté des présences/absences; il apparaît comme une marionnette-fantôme, symbole peut-être d’un ange de la mort semant la panique.
Jean-Paul Denizon a bien traduit ici le sentiment d’absurde qui règne dans le théâtre d’Eugène Ionesco teinté d’une ironie exaspérante et d’un humour «métaphysique», à la limite du tragique, cher à cet écrivain français d’origine roumaine.

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Ekstan, 5 rue Kaftantzoglou, Athènes.T :  0030 213 0210339.

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