Géographie de l’enfer d’Alex Lorette, mise en scène d’Adrien Popineau
Géographie de l’enfer d’Alex Lorette, mise en scène d’Adrien Popineau
Un jeune cadre en voiture puissante se perd dans la campagne. Une déviation lui fait quitter la route nationale et son véhicule glisse dans un fossé… Il est alors recueilli par une drôle de fratrie: un garçon taciturne qui voit cette intrusion d’un très mauvais œil, alors que son frère est enthousiaste mais un peu benêt. Arrive une jeune fille qui ne quitte jamais son logis rudimentaire tenant plus d’une cabane forestière qu’elle s’occupe à tenir propre. Tout de suite, elle voit dans cet étranger, l’incarnation d’un désir qui ne pouvait s’exprimer dans le huis-clos familial habituel. Quand arrive ce jeune cadre, élément perturbateur, l’équilibre va se détruire et ce curieux personnage s’imposera peu à peu.
Le metteur en scène propose ici un théâtre du visuel: « Avec Géographie de l’enfer, je souhaite, dit-il, m’éloigner d’un discours concret, au profit d’une écriture du ressenti. Je commence un travail sur l’obscur, l’imperceptible où le sacré prédomine (…) Comment retranscrire, mettre en mouvement un ressenti et accepter que les réponses soient évanescentes ? A travers cette forme, je souhaite que le spectateur participe à un événement personnel, atypique. Qu’il puisse avoir une interprétation liée à ses sens plus qu’à sa pensée. (…) C’est un parcours initiatique pour qui saura lâcher prise et faire une place au sacré. »
Sur le petit plateau du Théâtre de Belleville, une scène carrée délimitée par des bancs, avec de la terre au sol et des châssis en tulle symbolisant la cabane. Les spectateurs se serrent sur les trois côtés et sur le gradin. Dans ce beau travail, Adrien Popineau a tout fait, dès le début, pour créer une ambiance sombre et inquiétante : musique adaptée, lumière très faible. Mais le texte fait un peu moins dans la finesse: très écrit mais… pas très bien dialogué. Le personnage de la jeune fille (Jade Fortineau) semble en effet dépositaire de la «poésie» de cet univers masculin et âcre, mais sa partition sonne parfois faux ! La pièce n’échappe pas non plus à certains stéréotypes et les personnages manquent de profondeur : jeune fille succombant au désir dès les premiers instants, paysans soit méchants et obtus, soit arriérés (Florent Hu et Maxime Le Gac Olanié).
Mais, comme le dit le metteur en scène, il faut ici faire un peu son chemin et accepter la part de sacré incarnée par le jeune cadre (Frédéric Baron). Comme dans Théorème de Pier Paolo Pasolini, il va bouleverser une famille et révéler chez lui une mystique très forte. Jusque dans son corps, l’acteur fait bien passer un changement d’attitude et son charisme.
Si on accepte de se laisser porter, on passe une bonne soirée avec cette Géographie de l’enfer qui devrait encore s’affiner au fil des représentations.
Julien Barsan
Théâtre de Belleville, rue du Faubourg du Temple, Paris XIème, jusqu’au 21 janvier. T. 01 48 06 72 34
Théâtre de l’Étincelle à Rouen en octobre.