Les Chaises d’Eugène Ionesco, mise en scène de Jean-Paul Denizon
Les Chaises d’Eugène Ionesco, mise en scène de Jean-Paul Denizon, traduction d’Hélène Papachristopoulou
Dans cette farce tragique (1952) règne un langage indomptable et une prolifération de la matière : ici, des chaises. Un Vieux et sa femme, Sémiramis, vivent seuls dans une maison, avec pour tout viatique, un amour usé. Lui, un penseur et écrivain, a un message à livrer à l’humanité dont il a convoqué les meilleurs représentants pour une soirée mémorable.
Un à un, les invités arrivent, invisibles, matérialisés par les seules chaises. Est attendu aussi l’Orateur, dont la science de la parole doit permettre au message du Vieux d’être communiqué au monde entier. Dans ce néant encombré de fantômes, l’Empereur lui-même viendra mais les vieux, empêchés par les chaises qui finiront par les engloutir ne le verront que de loin… Mais ils réussiront, sans pouvoir se rejoindre, à sauter chacun par une fenêtre alors que l’Orateur, sourd et muet, débite des mots incompréhensibles.
Jean-Paul Denizon a surtout travaillé sur l’axe syntagmatique de la narration pure et illustré sa mise en scène avec de petits éléments insolites dans ce théâtre, dit de l’absurde: les chaises assurent un certain confort au corps humain mais l’espace autour d’elles diminue sans cesse… et en même temps, font augmenter le sentiment de l’attente chez le spectateur. L’espace devient alors très spectaculaire et naît une dialectique entre ceux qui regardent et ceux qui sont regardés. La conférence qui aura lieu dans la salle indiquée, est préparée de façon minutieuse par les responsables de cet événement culturel: Le Vieux et son épouse ont depuis longtemps, acquis des habitudes devenues un modus vivendi entre eux.
Quand Yannis Stamatiou et Hélène Papachristopoulou reçoivent le public, on a l’impression furtive d’un «théâtre dans le théâtre ». Et ils arrivent à construire le microcosme d’Eugène Ionesco avec exactitude…Une tension intérieure se reflète sur leur visage mais aussi sur leur comportement qui change, puisque le Vieux et la Vieille sont censés interpréter de nombreux personnages, à mesure que le public-fictif-entre en scène. Mais l’’Orateur est muet et se place du côté des présences/absences; il apparaît comme une marionnette-fantôme, symbole peut-être d’un ange de la mort semant la panique.
Jean-Paul Denizon a bien traduit ici le sentiment d’absurde qui règne dans le théâtre d’Eugène Ionesco teinté d’une ironie exaspérante et d’un humour «métaphysique», à la limite du tragique, cher à cet écrivain français d’origine roumaine.
Nektarios-Georgios Konstantinidis
Théâtre Ekstan, 5 rue Kaftantzoglou, Athènes.T : 0030 213 0210339.