Comme il vous plaira de William Shakespeare, mise en scène de Christophe Rauck
Comme il vous plaira de William Shakespeare, traduction de Jean-Michel Déprats, mise en scène de Christophe Rauck
La pièce, écrite vers 1599, n’est pas très souvent jouée, même dans nos théâtres officiels -la mise en scène de Luis Pasqual à la Comédie-Française remonte à 1989… Mais les adaptations au cinéma et à la télévision, surtout anglaises, ont commencé dès 1908 ! Chez nous, on voit Comme il vous plaira parfois au théâtre mais en format poche, avec quelques acteurs et montée par un “collectif”. En cause: une bonne quinzaine de personnages et un texte long avec une intrigue compliquée, pas facile du tout à mettre en scène où le grand auteur s’amuse à mettre en abyme des situations. Et où les comédiens jouent des personnages… qui jouent eux, à être quelqu’un d’autre.
Comme il vous plaira participe d’une belle parabole sur l’amour, avec, entre autres, la célèbre tirade de Rosalinde qui demande à Orlando combien de temps il l’aimera encore, après l’avoir possédée. Il lui dit: “Toujours, plus un jour”. Ce à quoi, elle répond finement: “Dites un jour et supprimez: toujours; non, non, Orlando, les hommes sont Avril quand ils font la cour et Décembre, quand ils sont mariés.”
Le grand Will, comme souvent dans ses comédies, n’en finit pas de décliner les folies de l’amour, comme la folie elle-même. «Mais, de même que tout est mortel dans la nature, de même, toute nature atteinte d’amour est mortellement atteinte de folie. » (…) « Le fou se croit sage et le sage reconnaît lui-même n’être qu’un fou. » (…) « Tant pis, si les fous ne peuvent parler sensément des folies que font les hommes sensés. » Et Samuel Beckett, lui, conclura quatre siècles plus tard : «Nous naissons tous fous, quelques-uns le demeurent. » Cela pourrait être aussi de William Shakespeare!
Tout cela sur fond de travestissements et forêts profondes aux vertus apaisantes. Ainsi Rosalinde fait semblant d’être un garçon et, pour ne pas être reconnue, prétend être justement cette Rosalinde. Pour simplifier les choses, il y a encore des intrigues de second ordre…L’histoire? Le Duc Frédérik s’est emparé des domaines de son vieux frère aîné qui, chassé du pouvoir, a dû s’exiler en forêt d’Arden avec quelques compagnons dont Jacques le mélancolique. Rosalinde, la fille de Frédérik et Célia, sa cousine, s’aiment beaucoup. Elle assistent à un tournoi où Orlando, fils d’un partisan du Duc, va triompher.
Il va très vite tomber amoureux de Rosalinde mais doit s’exiler. Comme Rosalinde, chassée elle par son oncle mais que Célia accompagnera, ainsi que le bouffon Pierre de Touche. Curieux hasard! Elles retrouvent Orlando, puis son frère Olivier. Rosalinde, travestie en Ganymède (le page de Jupiter) porte une salopette et Célia, est aussi déguisée en Aliena…
Orlando grave des poèmes d’amour sur les arbres pour Rosalinde qui est aussi amoureuse de lui et qui lui promet (sous sa fausse identité d’homme) qu’elle l’aidera à guérir de son amour pour Rosalinde. Mais il devra venir lui faire la cour tous les jours et l’appeler Rosalinde. Orlando accepte.
Pierre de Touche, lui, tombe amoureux d’Audrey, la bergère et sera obligé de l’épouser. Il menace William, un autre berger qui veut aussi se marier avec elle. Enfin, il y a aussi Silvius et Phébé, autres héros d’une intrigue secondaire. Ganymède et Orlando essayent de savoir quels couples vont se former. Ganymède dit qu’il va tout résoudre si Orlando promet d’épouser Rosalinde, et si Phébé promet d’épouser Silvius, si elle ne peut épouser Ganymède. Orlando rencontre Olivier dans la forêt et le sauve d’une lionne, lequel se repent alors d’avoir maltraité Orlando, et rencontre Aliena (alias Célia) et en tombe amoureux.
Vous suivez toujours ? Bref, on se perd parfois dans cette histoire compliquée… Il y a aussi quelques intrigues secondaires avec Silvius et Phébé. Après toutes ces péripéties amoureuses, mariage pour tous au programme, les couples: Orlando et Rosalinde, Oliver et Célia, le berger Silvius et Phebé, Pierre de Touche et Audrey. Frédéric enfin repenti, décide de rétablir son frère comme duc légitime. Jacques, toujours mélancolique, préfèrera lui rester dans la forêt… Et Rosalinde invitera le public à défendre la pièce.
Longue (trois heures!) donc inégale: avec des tunnels et des moments de pure et rare poésie comme la célèbre et formidable tirade de Jacques: “Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Tous ont leurs entrées et leurs sorties, et chacun y joue successivement les différents rôles d’un drame en sept âges. » (…) « Le sixième âge nous offre un maigre Pantalon en pantoufles, avec des lunettes sur le nez, un bissac au côté ; les bas de son jeune temps bien conservés mais infiniment trop larges pour son jarret racorni ; sa voix, jadis pleine et mâle, revenant au fausset enfantin et modulant un aigre sifflement. La scène finale, qui termine ce drame historique, étrange et accidenté, est une seconde enfance, état de pur oubli. »
Il y a aussi des scènes burlesques, formidables et excellemment jouées avec des personnages hauts en couleur comme Jacques le philosophe et le bouffon Pierre de touche, tous les deux assez rassurants dans cette folle histoire… Mais l’action semble piétiner avant l’entracte, à cause de la complexité de ces histoires d’amour. Dans cette «variation sur le théâtre qui questionne l’amour, le désir et l’usure du temps”, avec des thèmes proches de ceux de Peines d’amour perdues.
C’est tout un univers rural, fait de violence et d’amour entre sexes opposés ou pas… Et proche des animaux que Christophe Rauck a solidement mis en scène en réunissant ses complices qu’il dirige de façon remarquable. D’abord Cécile Garcia Fogel et Pierre-François Garel, (Rosalinde et Orlando). Il y a aussi John Arnold (Jacques le Mélancolique) et Alain Trétout (Pierre de Touche, le bouffon fou mais plein de sagesse) tous les deux absolument fascinants, Jean-Claude Durand (les deux ducs) et le contre-ténor Jean-François Lombard. Et encore Pierre-Félix Gravière, Maud Le Grévellec (Célia) et Mahmoud Saïd,
Tous absolument crédibles et il y a une belle unité de jeu -pas si fréquente! Vu leur nombre, cela mérite d’être souligné. Malgré l’invraisemblance de situations, Christophe Rauck arrive à bien maîtriser les choses, même s’il aurait pu aller plus loin sur le plan dramaturgique: couper allègrement des scènes accessoires, ce qui aurait accéléré le rythme et on a peine à le suivre quand il dit qu’il vaut mieux que l’espace scénique soit créé par le son: « On crée du champ et du contre-champ” par le passage d’une voix intime quand elle est microtée et livre l’intériorité d’un personnage”.
Désolé, mais de toute cela, nous n’avons rien perçu. Au théâtre, il faut toujours se méfier des apports technologiques mais qu’importe, l’essentiel n’est pas là mais dans le choix et le jeu des acteurs et dans l’expression du burlesque et du poétique. Et là, c’est brillant. Sur un plateau noir, quelques canapés et fauteuils en bois doré vaguement Louis XV et surtout des cerfs, loups et oiseaux naturalisés pour évoquer la forêt, et des jets de fumigène propulsés à vue (un peu trop souvent!) par un acteur, histoire de dire que nous sommes bien au théâtre. Et des toiles, côté cour et jardin avec trois ouvertures figurant la forêt, moins réussies qu’en fond de scène, cette belle et grande photo en noir et blanc d’un chemin en perspective dans les bois Pour notre plus grand plaisir, il y a aussi de sublimes chansons d’Henry Purcell, John Dowland et aussi… de John Lennnon et Paul Mc Cartney, bien interprétées a cappella par les acteurs et la chanteuse Luanda Siqueira.
Le spectacle reste un peu long et pourrait être resserré sans dommage mais il a déjà dû se bonifier depuis cette première.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 12 janvier au Théâtre du Nord-Centre Dramatique National, Grand Place à Lille, jusqu’au 31 janvier.
Et du 13 au 17 mars, au TNBA, Bordeaux.
Les 20 et 21 mars à l’Onde, Théâtre Centre d’art de Vélizy-Villacoublay (Yvelines).
Du 28 mars au 13 avril, Théâtre 71-Scène nationale de de Malakoff (Hauts-de Seine).
Les 17 et 18 avril, Bateau-Feu-Scène Nationale de Dunkerque.
Du 3 au 5 mai, Scène Nationale Théâtre de Sénart (Essonne) .
Les 15 et 16 mai, Maison de la Culture d’Amiens.