Bluebird de Simon Stephens, mise en scène de Claire Devers


Bluebird de Simon Stephens, traduction de Séverine Magois, mise en scène de Claire Devers

 

©Julien Piffaut

©Julien Piffaut

Simon Stephens, dramaturge et scénariste anglais de quarante six ans, s’est fait connaître dès 1998 avec Bluebird au festival des jeunes auteurs du Royal Court à Londres. Il a depuis écrit de nombreuses pièces qui font penser à celles de Dennis Kelly dont  en ce moment Oussama ce héros va être jouée au Monfort, et Constellations (voir Le Théâtre du blog) est présentée au Théâtre de l’Aquarium.
Claire Devers, cinéaste,  avait réalisé un premier et remarquable long métrage: Noir et Blanc en 1986, couronné de la Caméra d’or à Cannes… Puis Chimère, et surtout Max et Jérémie avec Philippe Noiret et Christophe Lambert, Les Marins perdus, Le Pendu, Rapaces… portrait d’un trader de la City à Londres. Mais elle s’est aussi intéressée au théâtre et à ses acteurs comme Marcel Bozonnet, Laurent Stocker, Clotilde Hesme, Domnique Reymond… qu’elle a fait jouer dans ses films. Bluebird est sa première mise en scène.

Cela se passe la nuit dans des quartiers sinistres de Londres, proches de la City avec ses grands buildings sans âme, canal glauque, lumières crues…  Jimmy Macneill, la quarantaine, chauffeur de taxi, conduit sa Nissan Bluebird et on devine vite qu’il est profondément seul.  Il écoute volontiers ses clients qui restent son unique et véritable contact avec le monde et qui lui parlent volontiers de leur vie. Comme Robert Greenwood, cinquante ans, corpulent, visiblement alcoolisé. Il y a aussi Angela, une très jeune femme  très sexy et rebelle que son oncle a violée et tabassée.  Et Andy Green, un videur de boîte, bâti comme une armoire à glace. Billy Lee, épuisé, un poignet dans le plâtre qui a eu trois tendons sectionnés. Richard Wright, un mécanicien écossais du Métro londonien, lui aussi cassé par un travail ingrat et à qui Jimmy confiera qu’il était écrivain. Une adolescente de quinze ans, mais au maquillage et aux vêtements très voyants et qui doit faire le trottoir. Elle lui proposera de coucher avec lui car elle n’a pas de quoi payer le prix de la course.  Janine Williams, une ancienne prof élégante mais sans doute dépressive, la quarantaine Bref, toute une galerie d’hommes  et femmes minés par une vie douloureuse, parfois violents que . Jimmy écoute bienveillant: « Je suis navré, je comprends » puis il finit par parler lui, de la tragédie absolue qui l’a cassé : la perte de sa petite fille tuée dans un accident de la circulation.

Il a quitté aussitôt sa compagne Clare, la mère de cette enfant et il l’appelle de temps en temps mais ne n’a pas revue depuis cinq ans. Il répète au téléphone qu’il doit absolument la voir et lui dire quelque chose, qu’il a aussi un cadeau à lui offrir. La rencontre aura finalement lieu. Ils sont seuls, tous les deux, la voiture entre eux. Aussi hostiles et maladroits l’un que l’autre. Avec des mots banals du genre: « Tu as bonne mine.(…). Tu as vraiment bonne mine. Tu t’es coupé les cheveux. Depuis la dernière fois qu’on s’est vus. » Et il lui répond : « C’était il y a cinq ans. Bien sûr que je me suis coupé les cheveux. »Il lui dit aussi que depuis qu’il l’a quittée très brutalement-il n’a en effet même pas assisté à l’enterrement de leur enfant-il n’a plus de logement, dort dans son taxi, et se  douche dans une station-service! Il prétend que cette vie lui convient.

Et comme pour expier, bien qu’il s’en défende, il veut lui donner un gros sac bourré de billets : toutes ses économies depuis cinq ans qu’il travaille comme taxi, lui, l’ancien écrivain qui a abandonné tout espoir de continuer à l’être! On ne vous révélera pas ce qu’il dit à son ancienne femme à propos de cet accident mortel, mais on peut le deviner… Après cette tragédie, Clare comme Jimmy n’ont plus que les mots pour faire face à toute la cruauté de la vie qui a fait exploser leur couple. Mais cette nuit-là, ils retrouveront un peu de la grande tendresse qu’ils avaient l’un pour l’autre. Même s’ils savent tous les deux qu’il y a désormais un avant et un après dans leur relation. Elle n’a de toute façon, lui dit-elle, pas beaucoup de temps à lui consacrer : elle vit maintenant avec un cardiologue dont elle attend un enfant. Et lui sait qu’il n’a pas d’autre issue que de continuer à faire le taxi. Se reverront-ils jamais ? » La scène finale est poignante de vérité: -Je suis contente d’être venue, Jimmy. -Bien. Ça m’a fait du bien de te voir, tu sais. Quelle nuit ça a été. Ouais. Quelle nuit. »  Fin de la rencontre…

Cette histoire tragique n’arrive pas qu’aux autres-il nous souvient d’un couple du Var qui a vécu presque exactement la même! Mais le mari et la femme ne se sont pas quittés. Et Simon Stephens sait parfaitement la dire au théâtre, même si les ficelles sont un peu grosses, et si la pièce est construite en deux parties distinctes : dans  la première, les clients de Jimmy lui racontent leur vie mais lui parle peu et répète souvent « Je suis navré, je comprends. »  Et dans la seconde, seul le couple  est en scène.

« Porter Bluebird à la scène, dit Claire Devers, relève du défi, car tout est censé se passer dans un taxi. Comment restituer une parole dans l’habitacle d’un taxi sans en subir l’enfermement et laisser l’acteur au centre d’un projet théâtral sans l’obstruer par de la tôle. Comment faire exister ce taxi, son errance, sans le montrer ou partiellement ». Si on veut, mais on peut faire les choses simplement. Ce que la metteuse en scène a bien réussi. Nombre de scènes se passent dans  la voiture, mais filmées de façon très fine et retransmises sur grand écran. A des kilomètres de ce qu’on voit habituellement sur les plateaux de théâtre… Et il y a tout un beau travail de cinéaste expérimentée sur Londres la nuit, avec de grandes images projetées (vidéos de Yann Philippe et Renaud Rubiano) sur des châssis de grillage, ce qui donne la dimension nocturne nécessaire au quotidien de Jimmy et à cette virée nocturne obligatoirement immobile ici,  à bord de cette Nissan Bluebird. Sans jamais nuire à la qualité du travail théâtral. Une réserve importante: que deviendront ces images projetées sur multiples et grands écrans quand le spectacle sera en tournée dans des espaces beaucoup plus petits comme la salle Jean Tardieu du Théâtre du Rond-Point? Le bluebird, dans ces cas-là, risque fort d’y perdre pas mal de plumes!

La direction d’acteurs est en effet de tout premier ordre. Baptiste Dezerces, Serge Larivière, Marie Rémond qui joue Angela, une adolescente et Janine,  Julie-Anne Roth (Clare) et bien sûr, le grand Philippe Torreton (Jimmy) sont tout de suite crédibles. Et Claire Devers réussit à faire naître l’émotion, ce qui n’était pas gagné dans ce grand chapiteau dont les toiles vibraient ce soir-là sous le vent furieux.Visiblement, ce qui a plu à la metteuse en scène: la possibilité de raconter une histoire, chose peu fréquente-car mal vue-dans le théâtre contemporain. Mission accomplie, même si la pièce d’abord parfois longuette (les dialogues du début sont surtout des monologues) et aux effets un peu faciles. Le texte flirte parfois avec le théâtre de boulevard et ne prend vraiment son envol que dans la seconde partie. Mais tel que l’a montée Claire Devers, Bluebird mérite d’être découvert…

 Philippe du Vignal

Spectacle créé à L’Espace des arts (hors les murs) de Chalon-sur-Saône, du 16 au 18 janvier.
Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence, du 23 au 27 janvier.
Maison de la Culture d’Amiens, les 1er et 2 février.
Théâtre du Rond-Point à Paris, du 7 février au 4 mars. Théâtre de Sartrouville, (Yvelines), les 29 et 30 mars.

Célestins-Théâtre de Lyon, du 3 au 7 avril.

 

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