Une Adoration de Nancy Huston, adaptation et mise en scène de Laurent Hatat
Une Adoration de Nancy Huston, adaptation et mise en scène de Laurent Hatat
Une Adoration (2003) roman de Nancy Huston ressemble à une enquête policière autour du meurtre d’un certain Cosmo, artiste et séducteur, comédien célèbre, Berrichon né durant la Seconde Guerre mondiale, et retrouvé tué de coups de couteau.. Les témoins? Presque autant de suspects : Fiona, Franck, Elke, la maîtresse de Cosmo), Josette, Sandrine, un expert psychiatre… Arme blanche et crime passionnel s’entendent pour l’invention tragique.
Ces témoins s’adressent à un juge indéterminé : le public; ils ont connu la victime dont ils tentent de dresser un portrait approximatif. Humour, jeu et distanciation, la parole est donnée à ceux qui ont connu le disparu, et qui fabriquent un kaléidoscope lumineux.
A côté des acteurs de l’histoire, se tient la narratrice qui n’hésite pas à modérer les propos et à interpeller le public. Emma Gustafsson incarne cette belle inconnue, mystérieuse et tonique. Les commentaires des proches varient, selon leur engagement. Comme le psychiatre âgé, dont on ne voit qu’une bouche en élocution. Une image de télévision en noir et blanc des années 1950 mais on a coupé systématiquement la parole infatuée. Et aux vivants, se joignent les morts : pour l’heure, le père et la mère du fameux Cosmo, puis Elke, la maîtresse du père.. Sur une verrière où il ne cesse de pleuvoir et où se reflète le ciel, sont projetées les images vidéo des absents, dont la mère en colère contestant sur le plateau, les médisances sur son fils. Des ombres glissantes sur le verre humide…
Sur la scène, se tient le cœur du trio et de l’histoire entière : la jolie mère irradie une foi lumineuse et confondante et porte un amour inconditionnel toujours et encore à Cosmo, son amant passionné à la présence intermittente… Océane Mozas, habitée par la loi des sentiments, résiste à toutes les attaques, à la fois paisible et déterminée dans ses certitudes.Mais Franck, le fils, et Fiona, la fille ne voient pas l’affaire d’un même œil : pour lui, Cosmo, vif et insolent, est un «clown fornicateur » qui a trop abusé de sa mère, incapable de se dessaisir de ce trompeur et séducteur : Yann Lesvenan a ici tout l’emportement et le contrôle attendus. Elle a pourtant souffert d’exister trop peu à ses yeux, alors qu’elle ne brillait que pour un saltimbanque beau parleur. Elle a connu, pendant ce temps d’abandon, des expériences douloureuses près des amis en errance de son frère qui ne la protégeait pas. Jeanne Lazar a le sourire d’une belle personne décidée.
Des proches, amis et amants de Cosmo, sont ici évoqués, énigmatiques. La traque du héros malgré lui n’aboutira finalement pas, mais les vivants résistent sur le plateau, tenants magnifiques d’une énergie inépuisable de vivre et désirer. «Nous sommes tous, écrit Laurent Hatat, des romans ambulants, foisonnant de personnages principaux et secondaires, ponctués par des ellipses, des moments de suspens et de drame, de longues descriptions ennuyeuses, des apogées et des dénouements».
Un théâtre efficace et pertinent.
Véronique Hotte
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 18 février. T. : 01 43 28 36 36.
Une Adoration est publié aux éditions Actes Sud.