Blue-s-cat-Variations, librement inspiré de Koffi Kwahulé, mise en scène d’Alexandre Zeff
L’auteur d’origine ivoirienne, dramaturge, comédien et metteur en scène, a été lauréat du Grand prix de littérature dramatique 2017, et Alexandre Zeff avait déjà monté de lui Big shoot et Jaz Shoot. Blue-s-cat est le dernier volet de ce triptyque.C’est une sorte de conte musical sur des airs de jazz, au tempo entêtant. Avec entre autres, Cat’s Meow, Blue Moon Rising ou What a wonderful world (1967) de Louis Amstrong, joué par le Mister Jazz Band : Etienne Alsamia, Louis Jeffroy, Gilles Normand et Franck Perrolle : «I see trees of green, red roses too/I see them bloom for me and you/And I think to myself what a wonderful world/I see skies of blue and clouds of white… »
Mais le monde n’est pas aussi beau qu’on le chante parfois, et Koffi Kwahulé ne tolère aucune complaisance dans ce qu’il est convenu d’appeler par euphémisme, le «savoir-être» contemporain, un concept malmené par une société froidement oppressive. Peu de personnages dans ce théâtre, une seule femme pour Jaz, et dans Blue-s-cat (2005), un homme et une femme bloqués dans un ascenseur en panne; dans cet espace fermé, ils en deviennent violents et cela finira avec le meurtre de l’homme par la femme qui a une peur injustifiée de lui. Ces prisonniers malgré eux quittent en imagination la cage des temps modernes : dans un temps correspondant au silence de la parole tue, à la pensée intérieure qui tourne sur elle-même. Leur corps alors se libère : claquettes, hip-hop acrobatique : autant de performances physiques de haut vol, tracées au cordeau dans l’espace et le temps par Alexandre Zeff, dont Vanessa Bile-Audouard et Abdou N’Gom sont les excellents interprètes.
Une rencontre d’abord artistique pour le bonheur d’un public ravi, mais aussi profondément humaine quand l’auteur évoque les ratages de la vie. La pièce, (écrite en 2005), disait déjà comme on le dévoile maintenant, ce qu’une femme subit au quotidien mais aussi ce qu’un homme peut aussi éprouver : un sentiment d’agression et de mal-être. Il est noir, et elle, blanche; elle va preque aussitôt le soupçonner de vouloir l’agresser sexuellement et la tuer. Elle s’invente des peurs, doutes et menaces mais fébrile et inquiète, elle est surtout immensément seule. Enfermée dans cette cabine d’ascenseur, et en colère, elle s’imagine le pire : «Je ne sais pas d’où il sort, jamais je ne l’ai rencontré. Ni dans l’ascenseur ni dans le couloir. Ni dans le parking… »
Dans un délire à n’en plus finir, elle évoque les attentats des tours jumelles à New-York où beaucoup ont préféré sauter par la fenêtre plutôt qu’emprunter les escaliers; ceux restés sans aucune possibilité de fuir, ont été vaporisés… « Pas de corps à honorer. Et là, impossible de faire le deuil… Et c’est à ce moment-là, dans le corps absent, que commence la vraie tragédie. » Lui, reste absorbé par ses soucis : impôts et pourcentages financiers qui, bien sûr, n’ont rien à voir avec un comportement dangereux qu’elle, toujours sur la défensive, lui imagine.
Erreurs, quiproquos, malentendus quotidiens affectent les êtres, parfois incapables de la moindre empathie ou compréhension envers l’autre. Entre sensations d’identité et d’altérité, l’écriture de Koffi Kwahulé, proche du jazz, distille à profusion, ratés et brisures, tremblements et tensions de la vie. Cette musique d’origine afro-américaine puis esthétique commune du XX ème et sans doute du XXI ème siècle, avec ici des standards de blues et de comédies musicales, traduit, on le sait, les désarrois, colères et espoirs des musiciens noirs…
Un spectacle fort aux vibrations politiques mais aussi poétiques.
Véronique Hotte
Spectacle joué à La Loge, 77 rue de Charonne, Paris XIème, du 15 au 18 janvier. T. : 01 40 09 70 40.
Blue-s-cat, comme la plupart des œuvres de Koffi Kwahulé, est publiée aux Editions Théâtrales.