Oussama, ce héros, de Dennis Kelly, mise en scène de Martin Legros
Oussama, ce héros, de Dennis Kelly, mise en scène de Martin Legros
«On s’appelle La Cohue, on vient de Caen», annonce l’un des comédiens qui désigne en quelque mots les personnages, avant d’entrer dans le sien, celui de Gary : «Je suis un peu bizarre», dit-il. Mais pas moins bavard et, parmi ses confidences, il évoque la complexité des structures sociales et le rôle qu’il y joue, et que l’on découvrira peu à peu.
Dans un quartier de la périphérie urbaine d’une ville anglaise, cinq laissés-pour-compte vivotent sans espoir de lendemain : un lycéen triste et timide qui passe pour un demeuré mais qui se pose des questions, un frère et une sœur trentenaires qui ressassent leur mal-vivre dans une insécurité permanente, et, réfugié dans le seul garage du quartier pas encore incendié, un quinquagénaire pathétique qui entretient une relation un peu glauque avec une adolescente paumée.
Gary tente de passer inaperçu mais son comportement étrange et son engouement pour Oussama Ben Laden vont le désigner pour cible de ses voisins aux haines larvées. Et leur violence refoulée se déchaînera sur le maillon faible : l’innocent.Trois actions se déroulent en parallèle, jusqu’à se cristalliser en un règlement de compte qui tourne au drame.
Dennis Kelly a écrit Oussama, ce héros, peu après l’attentat du 11 septembre aux Etats-Unis, quand de nombreux jeunes Anglais partaient faire le djihad. Il montre comment, dans un contexte d’insécurité et en l’absence de perspectives, des jeunes choisissent cette voie, et que d’autres retournent leurs rancœurs et frustrations contre leurs semblables. L’auteur britannique s’attache surtout aux mécanismes qui engendrent ces comportements. Par petites touches, la situation s’envenime doucement, et les acteurs prennent le temps de nous attirer dans leur univers et de nous faire vivre cette éclosion, avec des adresses au public. Le langage des personnages est comme hésitant, leurs idées affleurent en vrac. Du fait d’une dramaturgie éclatée et de dialogues troués, comme improvisés, on ressent ici un certain flottement sur le plateau.
Ce n’est pas faute d’énergie: d’entrée de jeu, les comédiens y vont à fond, et la tension est à son acmé avant le drame final dont l’insupportable violence -jamais montrée- est soulignée par des musiques et lumières agressives. Decrescendo, on entend le monologue consolateur de l’adolescente, qui, en témoin passif, a indirectement trempé dans le crime. L’auteur, par le truchement de ce personnage, tente une explication et propose des pistes à la résilience : «Il faut croire en quelque chose, pour croire en l’avenir, et avoir un avenir, quelque chose pour avancer ». Une petite lueur dans cette œuvre noire… «Notre démarche, explique le metteur en scène : créer avec les spectateurs ce qu’on appelle un réel de plateau, (…) Il ne s’agit pas de faire comme s’ils n’étaient pas là, par pure convention de type quatrième mur (…). Le rapport scène /salle crée une vraie rencontre de théâtre».
Au festival Impatience 2015, nous avions vu et apprécié Visages de feu de Marius von Mayenbourg, monté par ce même collectif. Mais ici nous resterons plus réservés : était-il besoin de surenchérir à ce point sur les propos de Dennis Kelly? Et de faire autant d’appels du pied au public ? Du coup, le rythme du spectacle et la force de la pièce s’en trouvent un peu émoussés. Dommage ! Pour servir cette pièce d’une cruelle actualité, une belle énergie émane du collectif La Cohue et le spectacle aurait pu emporter davantage l’adhésion du public.
Mireille Davidovici
Le Monfort Théâtre, 106 rue Brancion, Paris XlVème. T. 01 56 08 33 88, jusqu’au 27 janvier.