Peer Gynt d’Henrik Ibsen, traduction de François Regnault, mise en scène et adaptation de David Bobée

Peer Gynt d’Henrik Ibsen, traduction de François Regnault, adaptation et mise en scène de David Bobée

 3F9F4B82-A781-4CBF-979A-32B6B5FB4654Dans une ambiance de fête villageoise, au son de musiques folk américaines, apparaît le héros, de retour vers la caravane de sa mère. Il lui conte ses extravagants exploits dans les montagnes, sur le dos d’un grand bouc. Tout en l’accusant de menterie, elle savoure ses bobards. L’ambitieux gamin, «monteur de bouc, prince du mensonge» rêve d’aventures extraordinaires, de conquêtes et de pouvoir. Il s’enfuira dans les montagnes, quittera la ferme familiale pendant une noce, après avoir enlevé puis abandonné la jeune mariée. Il rencontre et épouse la fille du Roi des Trolls, et s’évade, refusant de s’intégrer à ce peuple de barbares et d’adopter leur devise : « Suffis-toi à toi-même ».

Après avoir accompagné sa mère jusque devant Saint-Pierre aux portes du Paradis, en la berçant d’un récit fantastique, le jeune homme quitte la Norvège. Dès lors, il n’aura de cesse de parcourir le monde. Il fait fortune entre le Maroc et l’Amérique comme trafiquant d’esclaves, errera ensuite dans le désert africain, rencontrera d’étranges créatures et survivra au naufrage du bateau qui le ramène dans son village natal. «Empereur des fous», sera le seul titre conquis en cours de route,  décerné par le médecin fou d’un asile d’aliénés au Caire. Ulysse de pacotille, aussi rustre que séduisant, une fois son ambition brisée, il mourra dans les bras de sa fidèle fiancée, la pure Solveig qui l’a attendu au pays.

 «Je n’ai jamais rien écrit d’aussi fou», disait Henrik Ibsen (1826-1906). Ecrit alors qu’il était en Italie-un séjour qui dura vingt ans!-ce long poème dramatique de quelque six heures, s’inspire de contes populaires norvégiens. Créée à Oslo en 1876, sur la musique d’Edouard Grieg mais sans le quatrième acte, la pièce fut montée à Paris vingt ans plus tard à Paris en 1896, mais pas dans son intégralité, par Lugné-Poe au Théâtre de l’Oeuvre, à Paris. Réputée injouable, elle connut cependant un grand succès et a souvent été représentée en France comme ailleurs. Il y eut les mémorables réalisations d’André Reybaz en 1958 au T.N.P. à Paris, puis de Patrice Chéreau avec Gérard Desarthe dans le rôle-titre au T.N.P. à Villeurbanne en 1981. En ce moment, il y a deux mises en scène (voir Le Théâtre du Blog) de cette pièce dont la richesse a de quoi stimuler femmes et hommes de théâtre.

Pour David Bobée, directeur du Centre Dramatique National de Normandie-Rouen, la pièce renvoie à notre condition d’hommes modernes et il nous propose de suivre pendant trois heures trente (entracte compris), ce personnage principal ambigu et sa quête sans objet autre que «soi-même», qui vire au fiasco à chaque épisode: «Il y a quelque chose dans Peer Gynt, dit-il, de l’épopée qui entre en écho avec notre temps. Le personnage s’agite pour rien,  ne sait que faire de ses victoires, n’apprend rien de ses défaites. Il en va de l’œuvre comme du protagoniste, point de noyau derrière les pelures».  A l’heure de sa mort,  pour répondre à la question qui décidera de son existence posthume :« Qui est Peer Gynt?», il se compare en effet à l’oignon qu’il pèle devant nous, sans consistance sous ses couches superposées.

La mise en scène s’accompagne d’une riche production d’images, très travaillées. Les trois premiers actes se déroulent dans un décor unique : sur le sol terreux d’une place de village, des rails de « scenic railway » figurent les montagnes alentour. La musique de Butch McKoy à la guitare, évoque avec ses accents de western, un bled perdu quelque part en Amérique. En fond de scène, une gigantesque tête de clown renversée rappelle que nous sommes au théâtre, (Peer Gynt n’est-il pas qu’un bouffon?). Comme les manipulations à vue des éléments de décor par les techniciens. La vieille caravane de la mère, déplacée selon les circonstances, servira d’habitacle à d’autres personnages… Un cirque ou un Luna Park, espace à tout faire, où se déroulent les noces avortées, et où surgissent les Trolls, exhibant, en guise de noble monture, une gigantesque tête de cochon argentée. Après l’entracte, on retrouvera Peer Gynt vingt ans plus tard, dans un salon contemporain, au milieu d’hommes d’affaires en costume. Suivent des séquences oniriques en contre-jour : on le voit aux prises avec des singes agressifs et moqueurs, des houris du désert, sur un bateau dans les brumes d’une tempête. Le rythme s’accélère avec des scènes plus courtes et plus enlevées. Mais celle de la mort du héros est un peu longue…

Les comédiens habitent ces images saisissantes, comme s’ils peuplaient un grand livre illustré. Radouan Leflahi, Peer Gynt gracieux et athlétique, d’une élégance féline, a une vraie présence face aux personnages qui gravitent autour de lui et qui adoptent, eux aussi, un jeu très physique. Il tient sa partition jusqu’au bout mais semble moins à l’aise avec les morceaux de bravoure plus littéraires comme la magnifique scène avec Ase, sa mère mourante : «Là-bas, au loin, qu’est-ce qui brûle et qui flambe? Quelle est cette lumière? – Ce sont lui, répond Peer Gynt, les fenêtres et les portes du château. On y danse, tu entends? Sur le seuil, se tient Saint-Pierre et il te prie d’entrer». Jérôme Bidaux compose une sorte de diablotin, figure récurrente, il incarne à la fois le Grand Courbe, magicien énigmatique prônant le contour des obstacles, et le fondeur de boutons, figure de la mort, qui menace Peer Gynt de refondre le bouton raté qu’il est, au lieu d’emporter son âme vers l’au-delà.

 L’énergie des comédiens, la beauté de images, la musique folk américaine jouée sur le plateau, nous entraînent dans un voyage imaginaire ancré cependant dans une actualité contemporaine. Dans cette mise en scène, les fantasmagories les plus folles cohabitent avec des effets de réel, notamment dans la scène où Peer Gynt, devenu un homme d’affaires sans scrupules mais naïf, se fait dépouiller par des requins plus cupides que lui… Nous savourons comme une fable moderne, malgré quelques baisses de rythme, les aventures de ce héros ni bon ni mauvais, courant après lui même dans une éternelle fuite en avant …

 Mireille Davidovici

Les Gémeaux, 49 Avenue Georges Clémenceau, Sceaux (Hauts de Seine). T. : 01 46 61 36 67, jusqu’au 4 février.

Les 8 et 9 février, Théâtre des Salins, Martigues,  et le 16 février, l’Avant-Scène, Colombes (Hauts-de-Seine). Les 21 et 22 février, Scène Nationale, Flers (Orne).
Les 8 et 9 mars, Carré Colonne Saint-Médard-en-Jalles (Gironde). Les 20 et 21 mars La Passerelle, Saint-Brieuc.
El le 19 avril, Scène du Golfe, Vannes.

 


Archive pour 27 janvier, 2018

Peer Gynt d’Henrik Ibsen, traduction de François Regnault, mise en scène et adaptation de David Bobée

Peer Gynt d’Henrik Ibsen, traduction de François Regnault, adaptation et mise en scène de David Bobée

 3F9F4B82-A781-4CBF-979A-32B6B5FB4654Dans une ambiance de fête villageoise, au son de musiques folk américaines, apparaît le héros, de retour vers la caravane de sa mère. Il lui conte ses extravagants exploits dans les montagnes, sur le dos d’un grand bouc. Tout en l’accusant de menterie, elle savoure ses bobards. L’ambitieux gamin, «monteur de bouc, prince du mensonge» rêve d’aventures extraordinaires, de conquêtes et de pouvoir. Il s’enfuira dans les montagnes, quittera la ferme familiale pendant une noce, après avoir enlevé puis abandonné la jeune mariée. Il rencontre et épouse la fille du Roi des Trolls, et s’évade, refusant de s’intégrer à ce peuple de barbares et d’adopter leur devise : « Suffis-toi à toi-même ».

Après avoir accompagné sa mère jusque devant Saint-Pierre aux portes du Paradis, en la berçant d’un récit fantastique, le jeune homme quitte la Norvège. Dès lors, il n’aura de cesse de parcourir le monde. Il fait fortune entre le Maroc et l’Amérique comme trafiquant d’esclaves, errera ensuite dans le désert africain, rencontrera d’étranges créatures et survivra au naufrage du bateau qui le ramène dans son village natal. «Empereur des fous», sera le seul titre conquis en cours de route,  décerné par le médecin fou d’un asile d’aliénés au Caire. Ulysse de pacotille, aussi rustre que séduisant, une fois son ambition brisée, il mourra dans les bras de sa fidèle fiancée, la pure Solveig qui l’a attendu au pays.

 «Je n’ai jamais rien écrit d’aussi fou», disait Henrik Ibsen (1826-1906). Ecrit alors qu’il était en Italie-un séjour qui dura vingt ans!-ce long poème dramatique de quelque six heures, s’inspire de contes populaires norvégiens. Créée à Oslo en 1876, sur la musique d’Edouard Grieg mais sans le quatrième acte, la pièce fut montée à Paris vingt ans plus tard à Paris en 1896, mais pas dans son intégralité, par Lugné-Poe au Théâtre de l’Oeuvre, à Paris. Réputée injouable, elle connut cependant un grand succès et a souvent été représentée en France comme ailleurs. Il y eut les mémorables réalisations d’André Reybaz en 1958 au T.N.P. à Paris, puis de Patrice Chéreau avec Gérard Desarthe dans le rôle-titre au T.N.P. à Villeurbanne en 1981. En ce moment, il y a deux mises en scène (voir Le Théâtre du Blog) de cette pièce dont la richesse a de quoi stimuler femmes et hommes de théâtre.

Pour David Bobée, directeur du Centre Dramatique National de Normandie-Rouen, la pièce renvoie à notre condition d’hommes modernes et il nous propose de suivre pendant trois heures trente (entracte compris), ce personnage principal ambigu et sa quête sans objet autre que «soi-même», qui vire au fiasco à chaque épisode: «Il y a quelque chose dans Peer Gynt, dit-il, de l’épopée qui entre en écho avec notre temps. Le personnage s’agite pour rien,  ne sait que faire de ses victoires, n’apprend rien de ses défaites. Il en va de l’œuvre comme du protagoniste, point de noyau derrière les pelures».  A l’heure de sa mort,  pour répondre à la question qui décidera de son existence posthume :« Qui est Peer Gynt?», il se compare en effet à l’oignon qu’il pèle devant nous, sans consistance sous ses couches superposées.

La mise en scène s’accompagne d’une riche production d’images, très travaillées. Les trois premiers actes se déroulent dans un décor unique : sur le sol terreux d’une place de village, des rails de « scenic railway » figurent les montagnes alentour. La musique de Butch McKoy à la guitare, évoque avec ses accents de western, un bled perdu quelque part en Amérique. En fond de scène, une gigantesque tête de clown renversée rappelle que nous sommes au théâtre, (Peer Gynt n’est-il pas qu’un bouffon?). Comme les manipulations à vue des éléments de décor par les techniciens. La vieille caravane de la mère, déplacée selon les circonstances, servira d’habitacle à d’autres personnages… Un cirque ou un Luna Park, espace à tout faire, où se déroulent les noces avortées, et où surgissent les Trolls, exhibant, en guise de noble monture, une gigantesque tête de cochon argentée. Après l’entracte, on retrouvera Peer Gynt vingt ans plus tard, dans un salon contemporain, au milieu d’hommes d’affaires en costume. Suivent des séquences oniriques en contre-jour : on le voit aux prises avec des singes agressifs et moqueurs, des houris du désert, sur un bateau dans les brumes d’une tempête. Le rythme s’accélère avec des scènes plus courtes et plus enlevées. Mais celle de la mort du héros est un peu longue…

Les comédiens habitent ces images saisissantes, comme s’ils peuplaient un grand livre illustré. Radouan Leflahi, Peer Gynt gracieux et athlétique, d’une élégance féline, a une vraie présence face aux personnages qui gravitent autour de lui et qui adoptent, eux aussi, un jeu très physique. Il tient sa partition jusqu’au bout mais semble moins à l’aise avec les morceaux de bravoure plus littéraires comme la magnifique scène avec Ase, sa mère mourante : «Là-bas, au loin, qu’est-ce qui brûle et qui flambe? Quelle est cette lumière? – Ce sont lui, répond Peer Gynt, les fenêtres et les portes du château. On y danse, tu entends? Sur le seuil, se tient Saint-Pierre et il te prie d’entrer». Jérôme Bidaux compose une sorte de diablotin, figure récurrente, il incarne à la fois le Grand Courbe, magicien énigmatique prônant le contour des obstacles, et le fondeur de boutons, figure de la mort, qui menace Peer Gynt de refondre le bouton raté qu’il est, au lieu d’emporter son âme vers l’au-delà.

 L’énergie des comédiens, la beauté de images, la musique folk américaine jouée sur le plateau, nous entraînent dans un voyage imaginaire ancré cependant dans une actualité contemporaine. Dans cette mise en scène, les fantasmagories les plus folles cohabitent avec des effets de réel, notamment dans la scène où Peer Gynt, devenu un homme d’affaires sans scrupules mais naïf, se fait dépouiller par des requins plus cupides que lui… Nous savourons comme une fable moderne, malgré quelques baisses de rythme, les aventures de ce héros ni bon ni mauvais, courant après lui même dans une éternelle fuite en avant …

 Mireille Davidovici

Les Gémeaux, 49 Avenue Georges Clémenceau, Sceaux (Hauts de Seine). T. : 01 46 61 36 67, jusqu’au 4 février.

Les 8 et 9 février, Théâtre des Salins, Martigues,  et le 16 février, l’Avant-Scène, Colombes (Hauts-de-Seine). Les 21 et 22 février, Scène Nationale, Flers (Orne).
Les 8 et 9 mars, Carré Colonne Saint-Médard-en-Jalles (Gironde). Les 20 et 21 mars La Passerelle, Saint-Brieuc.
El le 19 avril, Scène du Golfe, Vannes.

 

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