La Fusillade sur une plage d’Allemagne de Simon Diard, mise en scène de Marc Lainé
La Fusillade sur une plage d’Allemagne de Simon Diard, mise en scène de Marc Lainé
Un petit groupe de gens : une famille, debout autour d’une tombe dans une forêt : l’image crée une inquiétude archaïque, liée aux légendes de la forêt maudite, autant qu’à l’obsédante fascination contemporaine pour le crime. De cette minute de silence, monte tout un récit angoissé : le père se trouve pris en rêve dans une tuerie de masse et s’est vu lui-même abattre sa femme et ses enfants, «comme pour les sauver».
Des images d’une vidéo familiale, naissent d’autres récits: le plus jeune fils voit son frère, magnifique nageur, disparaître soudain comme aspiré par le vertige des profondeurs, et n’a aucun moyen pour alerter les adultes et appeler les secours. Sur la plage paisible, «cette seconde est parfaite, tout comme la précédente et celle qui va suivre»: un adolescent, équipé d’une Gopro (une mini-caméra) sur le torse, se met à tirer sur les baigneurs.
Inutile de raconter cette pièce, tissée de récits et de visions et qui n’a rien de linéaire: c’est bien de cela qu’il est question. Où est la frontière entre le fantasme et le souvenir, entre images fabriquées et vie réelle? Parler ainsi de la vie, c’est déjà lui ôter sa réalité et en faire le produit de l’industrie du divertissement. Massacre dans un lycée de Columbine au Colorado (États-Unis), tuerie sur une plage de Tunisie, attentats de novembre 2015 à Paris… Il faut faire l’effort de se cramponner aux faits et à leur analyse, pour ne pas se noyer dans le grand cinéma virtuel. Le temps lui-même est perturbé par cet effacement des limites. Tout le cauchemar, tous les récits tiennent dans les secondes qui séparent la décision et le geste : tuer un présumé terroriste…
Cela peut paraître très abstrait mais le spectacle ne l’est pas, loin de là, entre la matérialité de la terre, les images de la forêt et la présence presque opaque des comédiens : pour eux, il ne s’agit pas de montrer, juste d’être là, dans la force de la sensation. Dans leurs costumes à peine outrés, dessinant une famille d’archétypes, ils décalent assez leur récit pour ouvrir à chacun sa propre fabrique d’images. Les interventions de la vidéo font partie de l’écriture et de la fiction même, concrètement : ici, la forme est le fond, avec exactitude.
Cette Fusillade, si proche de nous et si éloignée dans l’insaisissable, provoque des vagues d’émotions, entre l’inquiétude, la gêne, le trouble et «cette minute parfaite» donnée par la rigueur de la mise en scène. Marc Lainé, metteur et scène et scénographe, a vraiment donné corps à la poésie de Simon Diard. C’est fort.
Christine Friedel
Théâtre Ouvert, 4 bis Cité Véron, Paris XVIIIème. T. : 01 42 55 55 50, jusqu’au 10 février.
Du 14 au 23 février, le Théâtre National de Strasbourg invite Théâtre Ouvert avec la mise en espace de Sur/Exposition d’Aurore Jacob, maître d’œuvre François Wastiaux avec les élèves du Groupe 44. Et avec la mise en voix de quatre tapuscrits: Onysos le furieux de Laurent Gaudé, par Blandine Savetier; Par les routes de Noëlle Renaude, par Grégoire Strecker; Convulsions, d’Hakim Bah, par Rémi Barché; C’est ma maison de Frédéric Vossier, par Simon Delétang.
Le texte est publié dans la collection Tapuscrits.
La critique de CF est bien complaisante. Encore une fois la présence de la vidéo sur scène (après la mode de l’eau, la mode des fumées, pas un spectacle sans vidéo)…) Elle n’apporte rien, au contraire retranche sur le jeu de l’acteur (même remarque pour la récente « Maladie de la mort » aux bouffes du Nord). Absence de personnages ayant une consistance humaine. Absence de tension, de progression dans la fable. Ecriture qui copie Müller (« Paysage sous surveillance), mais la mise en scène est statique, terne (interminables monologues du début…) On est loin de l’inventivité spatiale de l’équipe Jourdheuil. Loin de la poésie de Philippe Quesne.
René Gaudy