Géographie de l’enfer d’Alex Lorette, mise en scène d’Adrien Popineau

 

Géographie de l’enfer d’Alex Lorette, mise en scène d’Adrien Popineau

 geographie de l'enferUn jeune cadre en voiture puissante se perd dans la campagne. Une déviation lui fait quitter la route nationale et son véhicule glisse dans un fossé… Il est alors recueilli par une drôle de fratrie: un garçon taciturne qui voit cette intrusion d’un très mauvais œil, alors que son frère est enthousiaste mais un peu benêt. Arrive une jeune fille qui ne quitte jamais son logis rudimentaire  tenant plus d’une cabane forestière qu’elle s’occupe à tenir propre. Tout de suite, elle voit dans cet étranger, l’incarnation d’un désir qui ne pouvait s’exprimer dans le huis-clos familial habituel. Quand arrive ce jeune cadre, élément perturbateur, l’équilibre va se détruire et ce curieux personnage s’imposera peu à peu.

Le metteur en scène propose ici un théâtre du visuel: « Avec Géographie de l’enfer, je souhaite, dit-il, m’éloigner d’un discours concret, au profit d’une écriture du ressenti. Je commence un travail sur l’obscur, l’imperceptible où le sacré prédomine (…) Comment retranscrire, mettre en mouvement un ressenti et accepter que les réponses soient évanescentes ? A travers cette forme, je souhaite que le spectateur participe à un événement personnel, atypique. Qu’il puisse avoir une interprétation liée à ses sens plus qu’à sa pensée. (…) C’est un parcours initiatique pour qui saura lâcher prise et faire une place au sacré. »

Sur le  petit plateau du Théâtre de Belleville, une scène carrée délimitée par des bancs, avec de la terre au sol et des châssis en tulle symbolisant la cabane. Les spectateurs se serrent sur les trois côtés et sur le gradin. Dans ce beau travail,  Adrien Popineau a tout fait, dès le début, pour  créer une ambiance sombre et inquiétante : musique adaptée, lumière très faible. Mais le texte fait un peu moins dans la finesse: très écrit mais… pas très bien dialogué. Le personnage de la jeune fille (Jade Fortineau) semble en effet dépositaire de la «poésie» de cet univers masculin et âcre, mais sa partition sonne parfois faux ! La pièce n’échappe pas non plus à certains stéréotypes et les personnages manquent de profondeur : jeune fille succombant au désir dès les premiers instants,  paysans soit méchants et obtus, soit arriérés (Florent Hu et Maxime Le Gac Olanié).
Mais, comme le dit le metteur en scène, il faut ici faire un peu son chemin et accepter la part de sacré incarnée par le jeune cadre (Frédéric Baron). Comme dans Théorème de Pier Paolo Pasolini, il  va bouleverser une famille et révéler chez lui une mystique très forte. Jusque dans son corps,  l’acteur fait bien passer un changement d’attitude et son charisme.

Si on accepte de se laisser porter, on passe une bonne soirée avec cette Géographie de l’enfer qui devrait encore s’affiner au fil des représentations.

Julien Barsan

Théâtre de Belleville, rue du Faubourg du Temple, Paris XIème, jusqu’au 21 janvier. T. 01 48 06 72 34

Théâtre de l’Étincelle à Rouen en octobre.

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Archive pour janvier, 2018

Les Chaises d’Eugène Ionesco, mise en scène de Jean-Paul Denizon

 Les Chaises d’Eugène Ionesco, mise en scène de Jean-Paul Denizon, traduction d’Hélène Papachristopoulou

ΚΑΡΕΚΛΕΣ 2Dans cette farce tragique (1952) règne un langage indomptable et une prolifération de la matière : ici, des chaises. Un Vieux et sa femme, Sémiramis, vivent seuls dans une maison, avec pour tout viatique, un amour usé.  Lui, un penseur et écrivain, a un message à livrer à l’humanité dont il a convoqué les meilleurs représentants pour une soirée mémorable.

Un à un, les invités arrivent, invisibles, matérialisés par les seules chaises. Est attendu aussi l’Orateur, dont la science de la parole doit permettre au message du Vieux d’être communiqué au monde entier. Dans ce néant encombré de fantômes, l’Empereur lui-même viendra mais les vieux, empêchés par les chaises qui finiront par les  engloutir ne le verront que de loin… Mais ils réussiront, sans pouvoir se rejoindre, à sauter chacun par une fenêtre alors que l’Orateur, sourd et muet, débite des mots incompréhensibles.

Jean-Paul Denizon  a surtout  travaillé sur l’axe syntagmatique de la narration pure et  illustré sa mise en scène avec de petits éléments insolites dans ce théâtre, dit de l’absurde: les chaises assurent un certain confort au corps humain mais l’espace autour d’elles diminue sans cesse… et en même temps, font augmenter le sentiment de l’attente chez le spectateur. L’espace devient alors très spectaculaire et naît une dialectique entre ceux qui regardent et ceux qui sont regardés. La conférence qui aura lieu dans la salle indiquée, est préparée de façon minutieuse par les responsables de cet événement culturel: Le Vieux et  son épouse ont depuis longtemps, acquis des habitudes devenues un  modus vivendi entre eux.

Quand Yannis Stamatiou et Hélène Papachristopoulou  reçoivent le public, on a l’impression furtive d’un «théâtre dans le théâtre ». Et  ils arrivent à construire le microcosme d’Eugène Ionesco avec exactitude…Une tension intérieure se reflète sur leur visage mais aussi sur leur comportement qui change, puisque le Vieux   et la Vieille sont censés interpréter de nombreux personnages, à mesure que  le public-fictif-entre en scène. Mais l’’Orateur est muet et se place du côté des présences/absences; il apparaît comme une marionnette-fantôme, symbole peut-être d’un ange de la mort semant la panique.
Jean-Paul Denizon a bien traduit ici le sentiment d’absurde qui règne dans le théâtre d’Eugène Ionesco teinté d’une ironie exaspérante et d’un humour «métaphysique», à la limite du tragique, cher à cet écrivain français d’origine roumaine.

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Ekstan, 5 rue Kaftantzoglou, Athènes.T :  0030 213 0210339.

Toute ma vie j’ai fait des choses que je ne savais pas faire

Toute ma vie j’ai fait des choses que je ne savais pas faire de Rémi de Vos, mise en scène de Christophe Rauck

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

« C’est pas moi qui ai commencé, le type, il en avait après moi et je ne saurai jamais pourquoi », profère une voix d’outre-tombe, tandis qu’un corps gît à terre, immobile devant un écran blanc. Pour tout décor, une chaise renversée. Bientôt, le personnage se meut lentement et déroule le récit d’une rixe dans un bar dont on devine, par la silhouette dessinée à la craie blanche au sol, qu’elle a mal tourné.

Juliette Plumecocq-Mech va nous dire comment : « Je ne l’avais jamais vu de ma vie (…) Il s’est planté là entre moi et la porte, et il a commencé à me dire que, des mecs dans mon genre, il n’avait jamais pu les blairer…» De toute sa puissance retenue,  l’actrice incarne cet homme tombé, victime d’une violence aveugle. «Comme actrice, dit-elle, je me considère comme véhicule poétique et  le genre a peu à voir là-dedans. »

Ambiguïté de l’interprète, ambiguïté du personnage et renversement de la situation;  la violence va, à la fin, se retourner contre l’agresseur. Le narrateur raconte comment il a massacré le type : “La partie du verre avait disparu dans sa gorge et le reste qui se trouvait dans la partie du verre encore visible et le verre, est devenu rouge ». Traqué par les copains de la victime, il plaide sa cause auprès d’eux et s’adresse en même temps au public, avant d’être, lui aussi, mis à mort. Au- delà du fait divers, la pièce aborde des questions comme : Que se joue-t-il dans une agression ? Que faire, face à la violence ? Qu’est-ce qui nous fait basculer de la peur vers la terreur ?

Christophe Rauck, a commandé ce monologue à Rémi De Vos. L’auteur, complice de longue date du metteur en scène, l’accompagne à la tête d’un collectif d’auteurs, depuis qu’il a pris la direction du Théâtre du Nord, à Lille. Il réussit là un monologue où la parole se délivre en vagues successives, ressassante, passant au crible les mécanismes de la violence et de la peur, exacerbées. La mise en scène combine une chorégraphie de la parole, avec de brefs extraits des Sonates de Beethoven (un clin d’œil à Orange mécanique ?).

La gestuelle de Juliette Plumecocq-Mech, d’une très grande précision, couplée à sa voix rauque sonorisée avec justesse, créent une tension dramatique jamais relâchée. On se trouve comme happé par cette histoire, suspendu aux moindres mouvements de la comédienne, la plupart au ras du sol. 
 Si, par bonheur, vous avez l’occasion d’assister à ce spectacle, un conseil : placez-vous dans les premiers rangs pour voir ce solo exceptionnel qui, par la qualité de l’écriture et la virtuosité de l’interprétation, restera dans nos mémoires.

Mireille Davidovici

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt Paris VIIIème. T. : 01 44 95 98 21. www.theatredurondpoint.fr
Les 8 et 9 février,  Scènes du Jura/Dole ; le 13 février,  Espace Jean Vilar, Arcueil (Val de Marne); le 15 février,  Théâtre de Lisieux (Calvados). Et du 20 au 23 février, Théâtre 140, à Bruxelles.

From the Ground to the cloud, écrit par Eve Gollac, mis en scène d’Olivier Coulon-Jablonka

 

From the Ground to the cloud,  écriture d’Eve Gollac, mise en scène d’Olivier Coulon-Jablonka

Inutile de traduire, tout le monde comprend cette langue-là, c’est celle de la langue des dominants : « ground » : le sol, le socle, l’origine, et « cloud »: le nuage où flottent nos photos de famille et toutes les données personnelles qui font de nous, des consommateurs convoités. Le spectacle est né d’une enquête passionnante: remonter aux sources du « big data »: non pas un délicieux nuage: la chose a la forme d’une énorme usine, bourrée d’ordinateurs qui  dévore autant d’énergie qu’une ville de 50.000 habitants, comme celle qui a été construite à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Sans consultation des habitants : tant pis pour les électro-sensibles, s’il y en a parmi eux, et pour les voisins dont les petites maisons ont été ébranlées par le chantier.

Et tout ça, pour quoi ? Pour que tout un chacun puisse se régaler de «lol cats», et de «candy crush» (un jeu), pour toutes les Petites Poucettes (titre d’un livre récent de Michel Serre sur les addictions aux écrans et au «digital» et sur leurs conséquences anthropologiques) avec leur smartphone greffé au bout des doigts, pour choisir entre deux hôtels de rêve où nous n’irons pas, externaliser notre mémoire et, quand même, garder « toute la mémoire du monde » (voir le film d’Alain Resnais (1956), avec le site Gallica de la Bibliothèque Nationale.

Et tout ça vient d’où? De la technologie des communications, celle des militaires et des industriels, cela va de soi (et aussi des universités). Et leur usage privé, libre, gratuit: du «flower power» des hippies libertaires des années 70. Eh oui! en Californie, il y a les fleurs, le soleil et la Silicon Valley. Où l’on verra que la désobéissance civile et la gratuité initiale ont conduit, au nom de l’individu et de sa liberté, à la plus vaste aliénation marchande qu’on ait jamais connue, et encore moins imaginée.

Il est intéressant d’observer comment cette perversion de la communication préoccupe une nouvelle génération de metteurs en scène, entre autres, Julien Gosselin qui, avec 1993 d’Aurélien Bellanger, montre l’image de ce tunnel de la Manche qui a contribué à la construction puis à la destruction de l’esprit européen (voir Le Théâtre du Blog).

La mise en théâtre de cette question?  Une autre affaire… à laquelle Eve Gollac et Olivier Coulon-Jablonka n’ont pas trouvé la réponse. Malgré des éléments assez beaux en eux-mêmes comme la construction à vue, avec les planches de l’estrade, de «cadres de référence», des masques d’animaux très réussis, des chansons d’époque, et une allusion à la San Francisco Mime Troup qui fit la joie du lointain festival de Nancy- mais qui ne trouvent pas vraiment ici leur fonction.

Et Olivier Coulon-Jablonka n’affirme pas assez les différents types d’adresse au public: pourquoi faire passer avec un faux dialogue, ce qui relève du vrai discours ? La fiction d’un groupe d’amis évoluant du :«Faites l’amour, pas la guerre» à la puissance du fameux « big data », n’est pas non plus assumée et les comédiens -inexpérimentés?- les incarnent à moitié et ne portent que des figures allégoriques. Bref, on est déçu, on s’ennuie et on en veut aux créateurs du spectacle d’avoir loupé un sujet aussi important. Faute de théâtre, faute d’une écriture qui oserait être poétique- ce qui ne signifie pas : « jolie » mais forte et révélatrice.

 Christine Friedel

Théâtre de la Commune-Centre Dramatique National, 2 rue Edouard Poisson, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 33 16 16 jusqu’au 21 janvier.

Désobéir d’après Entre les deux il n’y a rien de Mathieu Riboulet, conception et mise en scène d’Anne Monfort

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Désobéir, d’après Entre les deux il n’y a rien de Mathieu Riboulet, conception et mise en scène d’Anne Monfort

Anne Monfort a créé une dizaine de spectacles de théâtre documentaire. On se souvient  entre autres de Morgane Poulette et Nothing Hurts présentés déjà au Colombier. Avec Désobéir,  la metteuse en scène traite un problème qui nous concerne tous. Mathieu Riboulet après des études de cinéma et lettres modernes, a réalisé une dizaine de films de fiction et documentaires auto-produits en vidéo, et depuis 1996, il a publié des romans  comme entre autres Le Corps des anges, Avec Bastien, Entre les deux il n’y a rien.  

Le  spectacle interprété par Katell Daunis, Pearl Manifold et Jean-Baptiste Verquin est fondé sur des improvisations et tout un travail documentaire sur des cas de désobéissance civile dans l’Europe d’aujourd’hui. Comme celui de cet Anglais, Rob Lawrie, qui avait tenté de faire passer la Manche à une fillette de la jungle de Calais qui voulait rejoinder sa famille, et  qui a été condamné parce qu’elle ne portait pas de ceinture de sécurité, alors que l’enfant était dissimulée dans le faux plafond de sa camionnette!
“Comme beaucoup de mes concitoyens, dit Anne Monfort, je m’interroge, intimement, sur notre vivre-ensemble, sur les lois mal faites, qu’on n’a pas envie de respecter. Que s’est-il passé, à quel moment n’a-t-on pas bien regardé, quand l’Europe a-t-elle échoué à se construire, s’est-elle avérée incapable de respecter les droits humains qu’elle avait formulés ?

Le spectacle pose clairement la question des raisons qui nous poussent à désobéir? Que faire, quand on nous contraint d’appliquer une loi injuste? De quoi les colères se nourrissent-elles ?  En fait la désobéissance est un acte fondamentalement subjectif, personnel,  mais qui nous concerne tous. Plusieurs autres dilemmes sont évoqués ici. A partir d’improvisations autour des notions de désobéissance et de communauté puisées dans les films de Jacques Rivette et des situations de jeu où l’on fait ou pas, confiance à l’autre….

Les trois acteurs prennent en charge tour à tour la reconstitution documentaire du procès, mais aussi ont une parole intime, personnelle et sont tentés comme Henry David Thoreau, de se retirer d’un monde qui ne leur convient plus. Anne Monfort a fait se croiser ces improvisations et le récit auto-fictionnel de Mathieu Riboulet. Et pour parler du monde d’aujourd’hui, elle a su trouver une forme poétique et picturale en « confrontant la violence du réel à un essai physique et charnel pour organiser un peu de pensée».

 Edith Rappoport

Le Colombier 20 rue Marie-Anne Colombier, Bagnolet (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 21 janvier. T : 01 43 60 72 81.
 Du 20 au 22 mars, Centre Dramatique National de Besançon-Franche-Conté

 

 

Acta est fabula, chorégraphie d’Yuval Pick

 

Acta est fabula, chorégraphie d’Yuval Pick

©Jean couturier

©Jean couturier

Cette pièce d’une heure est défendue par cinq danseurs exceptionnels: Julie Charbonnier, Thibault Desaules, Madoka Kobayashi, Adrien Martins et Guillaume Zimmermann, à la gestuelle juste et précise et qui ont une parfaite maîtrise parfaite de leur corps. D’abord, l’un d’eux pousse un cri puis disparaît, et le silence s’installe. Chacun des interprètes nous entraîne peu à peu dans l’univers du chorégraphe. «La notion de collectif, dit-il, est la préoccupation principale de mon travail. Comment il se fabrique, comment chacun interagit avec lui, quel espace commun définit-il».

Sur le plateau blanc, les danseurs ont d’étonnants costumes de couleur verte, fushia, bleu électrique,  conçus par Ettore Lombardi et qui nous renvoient aux années quatre-vingt, tout comme la partition musicale composite. Des fragments de musique pop s’interrompent brutalement, et la danse se poursuit alors en silence. Le son créé par Max Bruckert et Olivier Renouf donne un certain esprit de nostalgie au spectacle, comme le souhaite Yuval Pick qui veut  «travailler avec des sons, des voix, des chansons, qui ont laissé une trace en nous, et qui nous rattachent à quelque chose de collectif». 

 Directeur du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape depuis 2011, Yuval Pick, d’ origine israélienne, s’est formé à la  Batsheva Dance Company, et on  retrouve dans la gestuelle de ses danseurs, les  mouvements ondulants des épaules, des bras, et des mains qui caractérisent cette troupe. Plusieurs fois, les cinq  intreprètes s’avancent vers le bord de scène, et fixent du regard les spectateurs, comme les modèles d’un défilé de mode prenant  la pose pour les photographes. Un danseur prononce des paroles décousues, sans apparente signification comme : «primitif, proche, possible, odeur, …»

Ces artistes habités forment un groupe très cohérent et grâce aussi à leur forte présence, Acta est fabula est un spectacle atypique et surprenant. Ainsi Yuval Pick nous entraîne doucement dans une expérience chorégraphique inédite.

Jean Couturier

Théâtre National de la danse de Chaillot, 1 Place du Trocadéro, Paris XVIème jusqu’au 12 janvier.

1993, texte d’Aurélien Bellanger, mise en scène de Julien Gosselin

photo Jean-Louis Fernandez

photo Jean-Louis Fernandez

 

1993, texte d’Aurélien Bellanger, mise en scène de Julien Gosselin

  Après des études de philo, ce jeune auteur avait fait paraître son premier roman, La Théorie de l’Information, qui fait référence à cette même théorie de l’information (codage, transmission du signal, etc.) développée par le  chercheur américain Claude Shannon (1916-2001) à partir de 1948.  Le spectacle écrit spécialement pour Julien Gosselin en est aussi proche par ses thèses sur le rapport que l’Europe entretient avec la modernité.

Cela commence par une évocation du tunnel sous la Manche conçu à partir de Calais pour la traversée en une demi-heure par des trains de véhicules routiers et de voyageurs, entre le continent européen et la Grande-Bretagne. Inauguré en 1994, et salué comme une merveille de technologie, il allait  assez vite être pour les Européens, et surtout la France, une source sans fin d’ennuis socio-politiques que l’on ne soupçonnait même pas! Le Royaume-Uni étant réputé plus accueillant pour les migrants, d’abord les réfugiés kurdes ou kosovars, puis afghans, soudanais, érythréens…

Ils firent des environs de Calais, une zone où ils pouvaient survivre et ensuite, en se cachant dans des camions, essayer de gagner l’autre côté de la Manche.  Cette zone allait devenir, en quelques années, le  symbole d’un problème insoluble. Comment en effet faire preuve à la fois d’humanité et accueillir ces réfugiés sans créer un appel d’air? Comment les dissuader de venir? Comment gérer cette situation inédite dans cette Europe qui allait ensuite connaître les arrivées de migrants africains par la Méditerranée? Aucun gouvernement successif d’aucun pays n’y a réussi. Le vaste bidonville de Calais avec quelque 8.000 migrants fut rasé en 2016, et on installa de hauts grillages munis de barbelés dissuasifs, sans  apporter vraiment de solution. C’est le thème de ce spectacle.

Aurélien Bellanger essaye de comprendre comment ce projet préparé depuis des dizaines d’années et très réussi, fondé sur une technologie de pointe et sur la volonté de communication avec l’Europe, a pu faire surgir cette zone, dite jungle de Calais! L’écrivain a voulu tenir compte du “caractère hautement politique” du tunnel, et de cette « faillite générale ». «Très rapidement, dit-il, il s’est révélé comme une évidence que la pièce devait interroger le rapport de l’Europe à la modernité”.

A partir d’un article que Francis Fukuyama, philosophe et économiste américain qui écrivait, il y a dix-huit ans déjà, “que  l’Islam et le nationalisme seront les seules possibilités pour les peuples de re-rentrer dans l’Histoire”. La progression de l’histoire humaine, envisagée comme un combat entre des idéologies, touche, selon lui, à sa fin, comme la démocratie libérale. Et le philosophe s’inquiète des progrès des évolutions technologiques pour modifier les êtres humains. Le tunnel sous la Manche a plusieurs fois a inspiré des romans, documentaires, séries télévisées et plusieurs films- dont déjà celui-prophétique en 1907- du génial Georges Méliès, Le Tunnel sous la Manche ou le cauchemar franco-anglais, prévoyant même en rêve, sa destruction finale…

Et sur le plateau? Cela commence par un alignement au cordeau face public, des douze comédiens ex-élèves: la dernière promotion de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg. Un hommage discret à Stanislas Nordey, le directeur, dont c’est la marotte? Puis très vite, grâce à des châssis remarquablement conçus par leurs deux camarades scénographes Emma Depoid et Solène Fourt, il y a une belle évocation du fameux tunnel avec des lignes de tubes fluo blancs qui s’allument par intermittence et qui semblent défiler, comme si on était à bord d’un train.

Julien Gosselin a imaginé un noir total pendant une bonne trentaine de minutes avec voix off et ensuite comme partout, un cadreur sur le plateau et dans les coulisses, dont les images sont transmises sur grand écran au dessus du plateau, sur un fond de soupe sonore presque permanente de basses à peine supportables pour l’oreille et le ventre, des fumigènes à gogo avec on ne sait trop quelle saloperie chimique dedans, des lumières stroboscopiques fatigantes et, à un moment, un gros ventilateur de cinéma qui envoie de l’air froid sur le public! Très drôle! Et merci pour le rhume… Bref, tous ces effets vulgaires, et faciles que l’on voit partout, depuis que Vincent Macaigne, entre autres, les a érigés en dogmes du théâtre contemporain. La mise en scène de Julien Gosselin, même bien réalisée et absolument cohérente avec son propos, a quelque chose de très académique !

 Et le texte? Les jeunes comédiens-donc invisibles, puisque dans le noir total-munis  bien sûr une fois de plus de micros HF!-profèrent un texte pâlichon, au style assez neutre, anti-théâtral au possible, sur les rapports qu’entretient l’Europe avec la modernité. Toujours sur fond de basses à décorner les bœufs! Est-ce pour nous signaler de façon absolument désincarnée, tout le mal-être d’un Occident déconstruit, incapable de faire face à cette crise migratoire d’une telle ampleur? Un texte, dit assez souvent en anglais, traduit ou pas c’est selon-quel snobisme, quelle bêtise!-et surtitré en français.
Stanislas Nordey, directeur du Théâtre National de Strasbourg et de son Ecole devrait rappeler à son complice et intervenant qu’elle est un établissement situé en France où on parle le français! Cerise sur le gâteau: quand on ne peut pas entendre le texte en français à cause du boucan sonore, on nous l’offre en surtitrage! Tous aux abris!

Au moins, reconnaissons à Julien Gossselin le mérite de n’avoir pas voulu jouer le misérabilisme et l’enquête sociologique et on ne voit jamais ici d’images de migrants, flics, travailleurs sociaux, etc. sur le grand écran vidéo. Mais pour le reste, quel suivisme, quelle pauvreté théâtrale! Deuxième partie: après l’installation par les comédiens d’un remarquable décor très réaliste derrière une paroi transparente (comme chez Cyril Teste! voir Le Théâtre du Blog) : un salon avec deux vieux canapés démodés, une table au design contemporain rempli de bouteilles de vin, avec dix chaises, des plantes vertes un peu partout, des tableaux et un oiseau noir naturalisé posé sur une étagère. Derrière ce salon, où ils vont faire la fête et l’amour toute une nuit en buvant beaucoup, il y a des loges d’artistes et une cuisine où l’on verra, par caméra interposée, plusieurs de ces jeunes gens sniffant des lignes de coke.
Quel ennui, quelle prétention! Malgré parfois de très belles images, comme à la fin, quand ces douze jeunes gens nés à la toute fin du XXème siècle, restent immobiles un peu comme des personnages du Musée Grévin, en rond, figés sous une lumière normale d’appartement.  Là, cela fait enfin sens mais on les aura mérités, ces quelques minutes!

Tout se passe ici comme si ce jeune metteur en scène de trente ans-compétent, c’est sûr- se contente de faire joujou avec cette promotion de jeunes comédiens… Mais sans les mettre jamais en valeur, puisque, de toute façon, pendant toute la première partie, on ne peut même pas savoir qui parle. Enfin, tous très professionnels-excellente diction, belle gestuelle… quand on  réussit par instants, à les voir!- et ils auront au moins ici appris, faute de mieux, l’humilité quand il faut se mettre au service d’un semblant de mise en scène! Dans le deuxième partie qui comme la première,  a de sacrées longueurs, on ne les voit en effet qu’en groupe, souvent de dos et dans la pénombre, filmés en permanence par une caméra infra-rouge, procédé usé jusqu’à la corde qui fait encore fureur depuis quelques années chez des jeunes metteurs en scène qui croient innover!

 En tout cas, Stanislas Nordey n’aurait pas intérêt, semble-t-il, à renouveler ce genre d’expérience, qui n’est guère profitable à de jeunes comédiens. Où en est-on? Est-ce une expérience pédagogique? Dans ce cas, pourquoi pas, mais à une seule condition: ne pas être présentée en public et comme une création de Julien Gosselin!  Il y a ici comme une sorte de tromperie sur la marchandise curieuse, et pour le moins, une ambiguïté qui ne profite à personne.  Par ailleurs, la feuille de salle nous prévient-mais un peu tard- qu »en raison des effets de lumière et du niveau sonore, ce spectacle est déconseillé aux personnes épileptiques ou asthmatiques ». (sic) On ajoutera seulement: pas qu’à eux!  Vous pouvez tenter l’expérience mais, à moins d’être maso, cela ne vaut vraiment pas le coup.

Philippe du Vignal

T2G-Théâtre de Gennevilliers, avenue des Grésillons, Gennevilliers (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 20 janvier.

 

 

La Vase, conception et mise en scène de Marguerite Bordat et Pierre Meunier

¢Photo Jean-Pierre Estournet

© Jean-Pierre Estournet

 

La Vase, conception et mise en scène de Marguerite Bordat et Pierre Meunier

 Au centre du plateau, une cuve ronde en tôle, pleine d’un liquide épais gris foncé où plonge un gros tuyau pendant des cintres, et côté cour, un évier et une grande table en inox sur roulettes. En fond de scène, une toile plastique avec des coulisses derrière, et sur chaque côté de la scène, un rideau à larges lamelles translucides, comme dans les entrepôts. “La vase, dit Marguerite Bordat, est une matière très plastique, très picturale et qui se dépose partout. Elle a un fort pouvoir d’étalement tant sur le plateau que sur les corps” et Pierre Meunier précise: “Elle n’est pas maîtrisable dans l’espace du plateau, ni dans son envahissement et ses déchaînements. Nous accueillons la dimension aléatoire de sa présence comme une indication au réveil à l’invention dans le présent de la représentation, curieux à chaque fois des images qui en surgissent.”

 La boue, la vase nous fascinent. Avec un matériau généralement composé d’argile liée à un solvant comme le bentonite de sodium et/ou la gélatine. Il y a un côté pipi-caca et un brin sadique, donc réjouissant pour le public, surtout quand les participant(e)s sont presque nus, ou portent un vêtement habillé. Ils sont ainsi englués, transformés en une sorte de sculpture molle et grise, sans regard, marchant difficilement ou pataugeant dans une matière visqueuse qui se dérobe sous leurs pieds. La lutte dans la boue est un événement-spectacle  que l’on pratique en Extrême-Orient comme la Fête de la boue en Corée du Sud mais aussi en Amérique du Nord. Et en Europe dans les jeux télévisés comme Fort Boyard.

Et il y a eu les fameuses empreintes d’Yves Klein avec des modèles nus et les élèves de l’Ecole des Beaux-Arts à Paris dans les années cinquante faisaient pratiquer aux nouveaux, lors des bizutages la trop fameuse fabrication de peinture verte par une fille nue enduite de bleu  et un garçon tout aussi nu, couvert de jaune… Il y a finalement  toujours eu une fascination des peintres et sculpteurs pour le jet de matière liquide ou mi-solide depuis Jackson Pollock, en passant par  César à partir de 1969 avec ses Expansions (voir l’exposition actuelle un peu décevante au Centre Georges Pompidou) avec du polyuréthane en coulées lisses et dures dont on ne peut contrôler avec exactitude la forme finale.

C’est dans cette filiation que se situe ce spectacle à mi-chemin entre ce qu’on appelle la performance en arts plastiques,  le plus souvent muette,  et le théâtre avec un texte, qui se veut pseudo-scientifique sur un mode décalé mais malheureusement pas très bien écrit et dit par Pierre Meunier. Au début, on assiste à un travail d’impression avec un jet de cette « vase » sur  une  feuille de plexiglas, ensuite couverte par une autre plaque du même matériau. Indéniable et très beau résultat que cette impression due à un certain hasard. Et ensuite? Des seaux pleins de cette vase sont vidés sur le plateau depuis les cintres, un gros tuyau envoie de l’air dans le grand bac, ce qui fait des glouglous…

On regarde mais en fait comme souvent dans un happening, et c’est la règle du jeu, il ne se passe pas grand-chose d’intéressant, même si, reconnaissons-le, il y a quelques instants assez drôles. Mais on l’attendait et on y a droit: des plongeons dans le bac d’où les acteurs ressortent méconnaissables. Tout cela sur un fond de bruits de mécanismes divers et variés pendant une heure et demi. Ce qui est bien long pour une “performance” en règle générale d’une durée plus limitée! On s’ennuie donc vite. Il y a un beau moment quand de minces tuyaux dans les murs font gicler des jets d’eau et de vase, mais l’ensemble reste mal maîtrisé et trop long.

 Pierre Meunier avait réussi quelques beaux coups avec des matériaux “durs” (voir Le Théâtre du Blog) mais ici, il semble se faire plaisir et nous sommes restés sur notre faim. Enfin cela procure du travail aux accessoiristes du Théâtre de la Ville qui doivent passer une bonne heure à au karchériser le plateau couvert de cette « vase ». Bref, vous pouvez vous épargner sans dommage cette chose prétentieuse, une soi-disant « prise de risque vers l’informe qui permet peut-être d’accéder à une plus grande liberté intime” (PPPP sic). Tous aux abris!

Philippe du Vignal

Théâtre des Abbesses-Théâtre de la Ville, rue des Abbesses, Paris (XVIII ème), jusqu’au 18 janvier. T. : 01 42 74 22 77.

 

 

Pour Hélène, texte et mise en scène de Manos Karatzoyannis

 

Pour Hélène, texte et mise en scène de Manos Karatzoyannis

©karol jarek

©karol jarek

L’histoire d’Hélène Papadaki, célèbre comédienne grecque (1903-1944) est liée à deux faits bien distincts: d’abord sa vie dans une société qui ne donnait pas alors aux femmes certaines libertés, comme, par exemple, le fait de fumer ou d’être homosexuelle! Et sur les plan historique et politique, dans la Grèce de cette époque ravagée par la guerre civile et les problèmes sociaux, exister aux côtés de l’autre supposait un minimum de volonté chez une actrice pour partager des choses et vivre sous le même toit !

La méfiance régnait en effet un peu partout sous les traits de «l’ennemi», porteur de la différence. Celui qui diffère, qui n’est pas comme les autre-comme la majorité des gens-dérange l’harmonie superficielle des causes et des faits, et la Guerre civile déchirait en deux, puis en petits morceaux, le discours social de ceux qui cherchaient un terrain propice pour être en paix dans une vie ordinaire. Et Hélène Papadaki, héroïne tragique chez Manos Karatzoyannis, devient presque une victime expiatoire : le bourreau obéit aux ordres donnés par ceux qui propagent la bonne-ou la mauvaise-réputation. La comédienne, que l’on doit sacrifier, a pratiqué dans sa vie personnelle, un libertinage qui fut sa manière à elle, de provoquer ceux qui l’entouraient et qu’elle n’a jamais craint. Elle attirait tous les regards, sachant dans son moi profond qu’elle faisait des choses où elle risquait sa vie,  pour soulager ceux qui souffraient.

Malgré tout, elle n’arrivait pas à  faire plus attention et à cacher certaines habitudes, comme celle de fumer. Elle ne cherchait pas non plus à  faire oublier le fait qu’elle était lesbienne et n’imaginait pas un instant que son libertinage à elle, puisse nuire à qui que ce soit. Innocente, elle n’avait peur de personne car elle pensait n’avoir commis que de belles «fautes», comme son intervention auprès de l’ennemi, quand il avait fallu sauver un innocent.

Manos Karatzoyannis met en scène ce monologue où la grande comédienne se confesse devant le public, juste avant d’être assassinée. L’auteur-metteur en scène s’appuie sur l’émotion jaillie de ses paroles; dans cette fable et dans les mots qu’elle utilise, on sent chez Hélène Papadaki, une envie de faire valoir son argumentation et d’être à la fois, juge d’instruction et accusée dans un tribunal où elle aurait dû être citée, si l’ennemi l’avait permis…   

Maria Kitsou interprète avec une grande justesse, soutenue par les beaux éclairages d’Alexandre Alexandrou, le personnage d’Hélène Papadaki, tuée injustement, et porte  un costume caractéristique d’une femme libre d’esprit et de manières… Marios Makropoulos joue, lui, un interlocuteur muet, qui, à la fin de la pièce et dans le noir absolu, l’exécutera  de sang froid!

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Stathmos, 55 rue Victor Hugo, Athènes. T : . 0030 211 40 36 322.

Nouvelles Pièces courtes, par la compagnie DCA, chorégraphie de Philippe Decouflé

 

Nouvelles Pièces courtes, par la compagnie DCA, chorégraphie de Philippe Decouflé

©Charles Fréger

©Charles Fréger

Le public japonais-bien élevé-sera sans doute tolérant quand il verra  l’image un peu caricaturale de son pays qu’a Philippe Decouflé quand il y présentera son spectacle. Tous les clichés (kimonos, éventails, décalage horaire, etc.) sont déclinés dans ce Voyage au Japon, cinquième de ces Nouvelles Pièces courtes. «Ce tableau, dit-il, me donne également envie de développer quelque chose qui m’intéresse depuis longtemps: le cinéma. Je développerais bien cette pièce avec une caméra, plutôt que devant le public».

Oui, mais voilà! La vidéo, trop présente dans cet opus d’une heure trente, donne la curieuse impression que la danse ne suffit plus à ce talentueux créateur! Les séquences courtes, très esthétisantes mais sans invention, portent chacune un numéro projeté sur écran, où les corps enchevêtrés des danseurs composent un chiffre, comme dans cette série des vingt-six lithographies d’Erté, célèbre créateur de costumes et peintre d’origine russe (1892-1990) où les lettres de l’alphabet et des chiffres sont figurés par des corps  féminins. Philippe Decouflé avait acquises certaines de ces lithos à la vente aux enchères, il y a cinq ans, de costumes, affiches et accessoires de l’ancien music-hall des Folies Bergère (voir Le Théâtre du Blog).

Les sept artistes-à la fois danseurs, acrobates et musiciens-sont très impliqués mais on retiendra surtout ici l’exceptionnel travail sur les costumes, véritables œuvres d’art signées Jean-Malo et Laurence Chalou. Bien accueilli par le public, ce divertissement réalisé avec soin, unit de nombreuses formes d’expression artistique mais nous a déçu: malgré quelques belles images poétiques influencées par le surréalisme et la remarquable scénographie d’Alban Ho Van, la danse semble en effet s’être diluée ici au profit de tableaux ludiques qui n’ont malheureusement aucune véritable profondeur…

Jean Couturier

Théâtre National de la danse de Chaillot, 1 Place du Trocadéro, Paris XVIème jusqu’au 12 janvier,  Puis du 22 au 28 avril et du 5 au 9 mai.           

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