Le Songe d’une nuit d’été, d’après William Shakespeare, mise en scène d’Ivan Popovski

Le Songe d’une nuit d’été, d’après William Shakespeare, mise en scène d’Ivan Popovski, (en russe sur-titré en français)

 

Le Théâtre de Carouge à Genève, avant fermeture pour travaux,  a accueilli  la troupe du Théâtre-Atelier du grand artiste russe Piotr Fomenko (1932-2012), professeur de théâtre, metteur en scène, réalisateur et scénariste de cinéma, pour trois représentations exceptionnelles du Songe d’une nuit d’été. Cette comédie féérique s’adresse à un large public. Beau cadeau de Noël et de fin d’année !

A Midsummer Night’s Dream, écrite entre 1594 et 1595, est, avec Hamlet, une des œuvres de William Shakespeare la plus jouée, depuis son inscription, le 8 octobre 1600, au Registre des libraires. L’histoire  se déroule pendant la nuit de la Saint-Jean. Les fleurs cueillies  à ce moment-là acquéraient une vertu magique :  les hommes se trouvaient inexplicablement pris de folie, ce qui se traduit dans la pièce par  une folie amoureuse pour ne pas dire une folie du désir qui s’empare des personnages.

La pièce commence dans le bonheur et dans la sensualité: Thésée, duc d’Athènes attend la nouvelle lune pour célébrer ses noces avec Hyppolyta, la reine des Amazones : «Maintenant, belle Hyppolita, notre heure nuptiale s’avance à grands pas; quatre heureux jours vont amener une autre lune : Oh ! Mais que l’ancienne me semble lente à décroître ! Elle retarde mes désirs (…) »

Mais, coup de théâtre : une querelle familiale menace de tourner au tragique. La jeune Hermia refuse en effet d’épouser Démétrius, choix de son père, Egée, car elle aime Lysandre, et en est aimée… Ils s’échappent alors dans les bois pour pouvoir librement s’aimer. Démétrius, également amoureux d’Hermia, les poursuit, lui-même suivi par Héléna qui l’aime, et qu’il a délaissée. Grâce au pouvoir d’Obéron le roi des fées et de Puck, son serviteur, la situation va soudain s’inverser…

Ici, comme souvent, William Shakespeare fait la part belle au « théâtre dans le théâtre », avec une représentation de Pyrame et Thisbé, devant la Cour, par des artisans qui ont répété toute la nuit. Cette tragédie, pour les grands de ce monde et pour nous-mêmes, a tout d’une farce. La représentation dure trois heures avec vingt minutes d’entracte mais le public s’est laissé envoûter par ce récit enchanteur,  subjugué par le jeu des comédiens, à la fois chanteurs, danseurs, acrobates. Et, comme le suggère le titre, cela ne dure qu’une nuit. Mais quelle nuit !

La scénographie épouse avec sensibilité cet univers magique : des matières textiles de couleur pastel, dansent au gré des corps et des lieux, jouent avec les éclairages. L’action se passe de temps à autre dans la salle, habilement prise à partie et nous sommes sans détour plongés au cœur d’un espace éloigné du réel, aussi merveilleux qu’étrange. Peu surprenant: il s’agit surtout ici de l’amour et du désir, de ses fantasmes et illusions.

L’âme du théâtre se manifeste dans cette comédie avec exaltation.William Shakespeare sait donner à cet art toute sa richesse et son intelligence, qu’elles soient celles de la raison ou du cœur. Le pouvoir de la poésie dans sa faculté de transfigurer le réel, mais aussi le pouvoir politique et social, sont ici mis en lumière avec génie par le rire… parfois tragique. La frénésie du désir et/ou les grands sentiments  se manifestent de façon différente chez les gens « bien-nés » et  dans le peuple. Le rire aussi : l’un, blasé et moqueur, l’autre naïf et spontané.

Saluons ici avec enthousiasme le metteur en scène macédonien. Chapeau bas aussi aux trois générations des Fomenki -les anciens élèves et comédiens de Piotr Fomenko-réunies dans cette création-. Ivan Popovski, tel un chef d’orchestre, s’empare subtilement de cette comédie où virevoltent les situations rocambolesques, sous nos yeux éblouis. Il règne ici un esprit ludique, avec juste ce qu’il faut d’ironie, et d’humour mais aussi de candeur et de rêve. Sa mise en scène frôle parfois l’art du cirque : les acteurs, en acrobates, s’emparent des drapés tombants des cintres sous forme de colonnes, et qui se transforment en hamacs, balançoires,  palais,  forêt, etc.

Ivan Popovski et la troupe du Théâtre-Atelier Fomenko ont su donner un rythme ensorcelant et un charme intemporel à ce récit féérique, dans la plus fidèle tradition du genre. Le tragique n’est cependant jamais loin. Ici, sous un aspect de légèreté, le rêve finit toujours par céder la place à la réalité. Certes. Mais l’imaginaire et la fantaisie sont les seules armes capables de remettre en cause le pouvoir de la raison, pour  nous permettre d’accéder à la liberté et laisser éclore la beauté.

 Elisabeth Naud

 Spectacle vu le 10 décembre au Théâtre de Carouge, rue Ancienne 39, 1227 Carouge, Suisse. T : 41 22 343 43 43.

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Archive pour janvier, 2018

Les Passagers de Flavio Goldman, mise en scène de Filippos Mendes Lazaris

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Les Passagers de Flavio Goldman, traduction de Christodoulos Kakouris et Katerina Kokkinidou, mise en scène de Filippos Mendes Lazaris

Ce texte de l’auteur brésilien met  en scène une rencontre entre un patient et un psychiatre qui prennent ensemble l’ascenseur pour arriver à son bureau.Mais  à cause d’une panne,  ils vont y rester enfermés. Une séance étrange va alors se dérouler dans ce tout petit espace qui se transforme en ring en dévoilant les psychismes de ces personnages coincés qui échangent des répliques où se mêle le vrai et le faux, le secret et le mensonge d’une relation purement professionnelle  avec  pour but, le traitement du patient.

La psychanalyse est, comme on sait, un long voyage douloureux avec des épreuves souvent désagréables, afin que la personne prenne conscience de sa situation et définisse ses objectifs. Les limites de l’âme, les réactions de l’inconscient et l’auto-connaissance ne se rangent pas toujours aux données qu’un spécialiste peut manipuler avec sureté. Les méthodes ont des effets différents et chaque cas est unique.

Filippos Mendes Lazaris, lui aussi brésilien, a une approche réaliste du texte et réussit à créer un spectacle bien rythmé et intense. Manolis Iliakis a conçu un ascenseur dont les lumières de Christina Thanassoula soulignent la clôture, et le jeu entre réalité et le factice. Les comédiens forment un duo exceptionnel: les expressions du visage entre raison et humeur, d’Alexandros Sotiriou (Le Psychiatre),  sont remarquables et Stelios Xanthoudakis (Le Patient) trace avec clarté les lignes de démarcation entre l’être et le paraître.

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Studio Mavromichali, 134 rue Mavromichali, Athènes. T. : 0030 210 64 53 330.

Candide ou L’optimisme de Voltaire, adaptation et mise en scène de Thomas Moshopoulos

 

©Patroklos Skafidas

©Patroklos Skafidas

Candide ou l’optimisme de Voltaire, adaptation et  mise en scène de Thomas Moshopoulos
 
Dans ce conte philosophique publié en 1759 et révisé en 1761, Voltaire veut montrer que le monde va mal et qu’il pourrait aller mieux, si l’on commençait par dire moins de bêtises. En attendant,  avertit le célèbre auteur français, mieux vaut rire que pleurer, tout en cultivant notre jardin: Candide conjugue la philosophie et le comique.

Le destin mouvementé de ses personnages contredit la théorie philosophique de l’optimisme, selon laquelle tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, mais sans la détruire tout à fait, puisque la plupart d’entre eux finissent par se retrouver près de Constantinople, pour cultiver sagement leur jardin, en renonçant à la métaphysique.

Thomas Moshopoulos a écrit des dialogues où il fait passer  le message philosophique sans perdre la vivacité du langage parlé. Il garde ainsi intact l’esprit de l’écrivain et souligne sa critique caustique en insistant sur la dimension comique de l’œuvre.  Ici les notions philosophiques font sens dans la joie et le divertissement. Le décor d’Evangelia Thérianou et les costumes de Clare Bracewel renvoient à l’époque des Lumières et rappellent les données historiques du conte.  Avec le soutien efficace de la chorégraphie signée Sophia Pashou et des lumières de Sophia Alexiadou.

Michalis Syriopoulos, Hélène Vlachou, Irène Boudalis, Efsthathie Tsapareli, Manos Galanis, Pantelis Vassilopoulos, Foivos Siméonidis, Vassilis Koulakiotis et Dimitris Fourlis interprètent avec enthousiasme tous les personnages, avec la fougue des petits enfants qui racontent une histoire… Un spectacle à ne pas manquer !

 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Porta, 59 Avenue Messogeion, Athènes. T. :  0030 210 771 1333.

Adieu Jacques Lassalle

 

Adieu Jacques Lassalle

©Sarah Cuvelier - Radio France

©Sarah Cuvelier – Radio France

L’année théâtrale 2017 avait mal fini avec le décès de Pierre Debauche, et la nouvelle commence  bien tristement! Jacques Lassalle avait 81 ans. Metteur en scène d’expérience, il avait une solide culture et se passionnait à la fois pour le théâtre classique  dont il n’hésitait pas à bousculer parfois les codes avec une grande intelligence scénique, mais aussi pour la scène contemporaine.

Il fut élève au Conservatoire national où il enseigna plus tard de 1981 à 1983, et il créa en 1967, à la demande de Marcel Rosette, maire de la ville, le Studio Théâtre de Vitry-sur-Seine qu’il dirigea jusqu’en 1982.

Il fut ensuite pendant sept ans directeur du Théâtre National de Strasbourg, puis de 90 à 93 administrateur de la Comédie-Française. Choqué par l’accueil mitigé au festival d’Avignon de son Andromaque de Racine- dont il monta aussi Bérénice- il abandonna un temps la réalisation.

Nous l’avions connu en 1976, avec un très belle mise en scène, qui le révéla au grand public, de Travail à domicile de l’auteur allemand contemporain Frans Xaver Kroetz. Et on lui doit de nombreuses et remarquables réalisations d’auteurs classiques comme en particulier dès 1969, Shakespeare : Comme il vous plaira, Carlo Goldoni :La Locandiera puis en 1989, La Bonne Mère. Et La Serva amorosa en 91, puis en  2007,  Il Campiello à la Comédie- Française.  Molière, avec un très beau Tartuffe que jouait Gérard Depardieu, L’Ecole des femmes (2001), et en 1988 Amphitryon. Puis Le Mariage forcé et Le Cocu imaginaire,  et La Comtesse d’Escarbagnas et Georges Dandin, Le Misanthrope, et surtout un remarquable Don Juan au festival d’Avignon puis à la Comédie-Française avec Andrzej Seweryn et encore L’École des Maîtres autour de Monsieur de Pourceaugnac à Saint-Pétersbourg.

Et la Bérénice de Racine ou Mélite de Corneille mais aussi  Marivaux un de ses auteurs préférés avec Le Jeu de l’amour et du hasard (en chinois) à Pékin, et La Fausse suivante à Varsovie, L’Epreuve à Montréal,  L’Heureux Stratagème (1984) Les Acteurs de bonne foi (1987) au festival d’Avignon mais aussi  William Shakespeare, Le Roi Lear. Et Euripide avec Médée  ou  encore Anton Tchekhov avec Platonov et Bertolt Brecht avec La Vie de Galilée, et Figaro divorce d’Odön von Horváth. Bref, Jacques Lasssalle était un homme d’une inlassable curiosité. Il assurera aussi la mise en scène de Lohengrin de Wagner, puis de Lear  de Reimann à l’Opéra de Paris.

  Il s’intéressa  beaucoup aux dramaturges contemporains avec Histoire de dires de Jean-Pierre Thibaudat, et créa l’année suivante Risibles amours de Milan Kundera puis Olaf et Albert d’Henrich Henkel, Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute. Il monta surtout le théâtre de Michel Vinaver : Nina, c’est autre chose,  Théâtre de chambre de et en 1980, du même auteur  À la renverse 1979-1980. Dissident, il va sans dire  puis L’Émission de télévision. Il mit aussi en scène Le Professeur Taranne d’Arthur Adamov, Dans le plus beau pays du monde de Jean Vilar puis  Le Fils et  Matin et soir, deux pièces de l’auteur norvégien Jon Fosse.Il écrivit aussi quelques pièces qu’il mit en scène comme Jonathan des années 30 (1973) et l’année suivante, Un couple pour l’hiver,  et en 1975, Le Soleil entre les arbres.

C’était un homme  pas facile et très exigeant mais  d’une grande élégance morale, et profondément tourmenté, que nous avions souvent rencontré, et qui nous priait de l’excuser à chaque fois de n’avoir pas plus de  quarante-cinq minutes à nous consacrer mais… qui était encore là deux heures plus tard à nous expliquer avec passion sa conception du théâtre et de sa pédagogie, et plus tard à revenir sur son éviction de la Comédie-Française, pour des raisons assez peu claires, par Jacques Toubon, alors ministre de la Culture. Il n’avait jamais réussi à  accepter vraiment cette injustice qui l’avait  marqué au plus profond de lui-même, comme une blessure personnelle.

Avec lui, disparait un des metteurs en scène qui auront marqué le dernier tiers du XXème siècle à la fois par sa lucidité et la haute qualité de son travail de metteur en scène et de pédagogue. Hervée de Lafond dans Conseils du Théâtre de l’Unité à ne pas suivre de Jacques Livchine (voir le récent Livres et revues dans Le Théâtre du Blog  raconte qu’après un de leurs spectacles, Jacques Lassalle leur avait dit: « Vous devriez faire attention, vous êtes tout de suite dans la dérision, ce qui fait qu’on ne croit pas à vos personnages, ce serait beaucoup plus fort si vous appliquiez la méthode du « corset qui craque ». Mettez un corset à vos personnages et à votre mise en scène, et faites le craquer.  » Et Hervée de Lafond ajoute:  » C’était tout simple, on s’est mis à le faire, et tout est devenu beaucoup plus puissant, on y pense sans arrêt depuis. »

Ce genre d’analyse généreuse et de réflexion exemplaires témoignait d’une exigence et d’une passion pour le théâtre comme on en voit peu.

Philippe du Vignal

 

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