Concerto de passions, adaptation de Georges Courteline, Georges Feydeau et Sacha Guitry, mise en scène de Mélisande Guessoum et Jacques Mornas

Concerto de passions, d’après La Peur des coups et Les Boulingrin de Georges Courteline, Le Bain de ménage de Georges Feydeau et Le KWTZ de Sacha Guitry, adaptation et mise en scène de Mélisande Guessoum et Jacques Mornas

768FC13F-F338-4347-85E0-5E1F425177FABelle idée que d’avoir réuni ces petites pièces rarement jouées et que le public connaît peu. Dénominateur commun: le couple, et comme trait d’union ici, la petite bonne, figure emblématique du vaudeville à la fin du XIX ème, et du théâtre de boulevard, jusqu’il y a peu.

Autre dénominateur commun ici, tout un jeu dans le langage scénique employé, où il y a souvent, semble-t-il, un décalage  entre l’énonciation d’une phrase et la gestuelle du personnage; on ne sait plus trop alors si la parole est action ou représentation, notamment chez Sacha Guitry.

Cela commence ici, d’abord avec deux pièces de Georges Courteline. Dans La Peur des coups, Elle et Lui, après une nuit de bal sans doute bien arrosée, règlent leurs comptes. Il lui reproche de s’être laissée approcher d’un peu trop près par un bel officier. Et elle se plaint qu’il ne prenne aucune initiative! Vaste problème encore actuel…
Autre histoire de couple avec Les Boulingrin. Un certain Monsieur Des Rillettes, pique-assiette patenté, est invité par les Boulingrin à prendre le thé. Il y voit tout de suite l’occasion de revenir pour être souvent bien au chaud pendant l’hiver parisien, d’autant que Félicie, la petite bonne ne lui déplait pas du tout: -Merveille ! Vous êtes la femme qu’il me faut. -Vous voulez m’épouser ? -Ne faites pas l’imbécile, ce n’est pas de cela qu’il s’agit.
Et  la pauvre Félicie comprend vite: -On peut se tromper. Excusez. » Et Madame Boulingrin n’est pas tendre non plus pour elle. D’autant qu’elle a surpris dans une position embarrassante son mari qui marmonne:  -Sur mes genoux ? Elle était sur mes genoux, Félicie? Et Madame Boulingrin réplique: - Il me semble! Alors que son mari prétend ne pas s’en être aperçu. - »Vous étiez sur mes genoux, Félicie? », répète-t-il? Ce à quoi, elle répond merveilleusement devant sa patronne: - « Oh! Tout à fait au bout, Monsieur. »

Bref, le couple Boulingrin qui bat de l’aile, se dispute tout le temps. Insultes et coups vont même se mettre à pleuvoir. Et Des Rillettes qui croyait avoir fait une bonne affaire, ne voit plus bien ce qu’il  a à voir avec ces bourgeois aisés. Mais tout se passe comme si leurs incessantes querelles avaient été, pour les Boulingrin, un moyen astucieux de se débarrasser de lui. On ne le saura jamais et c’est la petite bonne qui aura le dernier mot: “Qui cherche à désunir un couple, est souvent puni… On ne peut impunément semer la zizanie. »

Le Bain de Ménage est aussi une histoire de couple, celui des Cocarel, et d’Adélaïde, leur jeune  femme de chambre qui a son franc-parler: quand le mari veut l’embrasser, elle réplique:-Ah bien ! dites donc, faudrait pas me prendre pour une horizontale. »  Cette piécette de Georges Feydeau est fondée, comme le reste de son théâtre, sur le quiproquo, vieux truc inoxydable.
Laurence voit tout d’un coup son mari dans la baignoire avec Adélaïde! -«Je vous prends en flagrant délit, dit Laurence, je vous trouve, là, tous les deux en tête à tête, au milieu de l’obscurité, et vous voudriez me faire croire ! « Mais la situation s’inversera, quand Cocarel verra le jeune Catulle assis sur les genoux de  Laurence ! Et c’est encore Adélaïde qui conclura: -«Ah ! Que Madame est bonne ! Que le bon Dieu lui rende la pareille! »

Ce Concerto de passions finit par Le KWTZ,  la troisième pièce de  Sacha Guitry (1905) -il avait juste vingt ans- écrite sous l’influence d’Alfred Jarry. Maximilien et Hildebrande, des amoureux qui ne peuvent vivre ensemble, décident alors de se suicider. Il y a aussi une bonne qui semble peu ou pas payée, comme c’était l’habitude à l’époque et priée au besoin par Monsieur et/ou ses fils, de passer à la casserole.
On trouve déjà ici la misogynie pas toujours feutrée sur fond de mot d’auteur et dont on ne sait jamais si, chez Sacha Guitry, elle est au premier ou au second degré. Mais elle aura été son fond de commerce théâtral, du genre: «Ce qu’on devrait choisir dans la femme d’un autre… ce n’est pas la femme… c’est l’autre ! »
Sacha Guitry a eu longtemps la réputation d’un écrivain de théâtre facile aux petites phrases ciselées mais depuis une quinzaine d’années, les jeunes metteurs en scène comme les élèves de cours de théâtre le redécouvrent. Et c’est vrai qu’il ne manque pas de finesse, même quand il cherche à être cynique: “Notre erreur la plus grande, écrivait-il dans Elles et toi (1946) n’est pas de croire qu’elles nous aiment mais bien plutôt de nous imaginer que nous, nous les aimons.”

Ici, sur tout ce petit plateau, côté jardin, une cheminée avec du feu, quelques fauteuils et accessoires. Jacques Mornas et Mélisande Guessoum qui ont cosigné la mise en scène, ont voulu donné à l’ensemble une tonalité espagnole de pacotille avec accent appuyé, nombreux tangos, chansons, habit de torero et tête de taureau naturalisé dont les yeux s’allument parfois… Après tout, pourquoi pas?
Même si cette « distanciation » comme on dit, n’est pas vraiment convaincante. Mais plus d’un siècle après, les dialogues bien écrits et très rythmés, tiennent merveilleusement le coup et c’est l’essentiel. Les chansons populaires et musiques actuelles dont celles du groupe Gothan Project servent de liaisons. Et comme c’est interprété avec une grande-mais parfois trop grande-énergie par Mélisande Guessoum (l’Epouse) et Marine Tonnelier (la Bonne) dans chacune de ces pièces, on se laisse prendre au jeu. Gilles Bugeaud et Arnaud Pontois-Blachère dans les différents rôles masculins, sont plus effacés et nettement moins convaincants. Et on oubliera vite ce qui tient lieu de scénographie…
En tout cas, on ne s’ennuie pas une seconde et ce spectacle honnête est réjouissant: le public rit beaucoup et applaudit longuement. Pas si fréquent avec les auteurs contemporains qui  se préoccupent plus volontiers de nous décrire leurs états d’âme!

Philippe du Vignal

Jusqu’au 10 février, Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs Paris (Ier).

 

 

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